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lement par le scrutin; la majorité apprit à mé- II. Ep; connaître son droit et ses forces; et la minorité, quelle qu'elle fût par la suite, apprit à connaître les siennes, et souvent en fit usage.

Les moyens extérieurs n'étaient pas négligés: on n'a jamais bien su comment, par quel art magique, toutes les communes de France furent mises debout en huit jours, et s'armèrent contre de prétendus brigands qui détruisaient et incendiaient les récoltes, et qui, cherchés et poursuivis partout, ne se trouvèrent nulle part; des députations de communes vinrent même à l'assemblée Pièces ja (1). demander des secours, et ne remportèrent que ce qu'on voulait, l'ordre de s'armer. Au terme où les choses en étaient, il est certain que cette mesure fut salutaire ; si elle causa quelques désordres, elle en empêcha beaucoup; elle établit une force publique que la loi put organiser; elle contint l'étranger par l'appareil imposant d'une nation entière armée; et s'il n'entreprit pas de troubler, par une invasion, on ne le dut qu'à l'incertitude du succès. On en a fait depuis honneur au génie de Mirabeau, et on peut croire qu'il y aida beaucoup; ses moyens mêmes furent assez simples; des courriers, partis, le même jour de la capitale, traversèrent la France sur tous les rayons, n'ayant d'autre mission que de dire partout qu'ils avaient laissé les brigands à quelques lieues en arrière, et qu'ils portaient l'ordre

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II. Ep. de s'armer contre eux : l'effervescence générale, et quelques avis répandus d'avance, suffirent pour déterminer une démarche à laquelle les esprits étaient déja disposés; en moins de huit jours, l'assemblée apprit qu'elle avait une armée de plusieurs centaines de milliers d'hommes qui lui demandaient des ordres, et il devint prudent de leur en donner, de peur qu'ils ne vinssent à en prendre d'eux-mêmes; ainsi se formèrent ces gardes nationales, qui furent d'abord l'armée de la révolution au dedans, et, quelques années après, le salut de la France contre les ennemis du dehors. Cette grande commotion ne put cependant pas s'opérer sans donner un ébranlement à toute la machine politique les premières résistances du clergé et de la noblesse avaient laissé, dans le peuple, des impressions dont les agitateurs surent profiter; on exerça des violences coupables aux yeux de la raison et de l'humanité; on incendia dans plusieurs provinces, les châteaux; on détruisit les possessions: la Bretagne surtout fut le théâtre des excès les plus condamnables; partout, sous prétexte de recherches d'armes, on exerçait une inquisition à main armée; les haines de famille ou de parti, les vengeances personnelles, se couvrirent souvent du prétexte de la chose publique; on imagina alors le mot aristocrate, pour désigner ceux que l'on voulait signaler comme

ennemis

ennemis de la chose publique ; cette dénomi- 1. Ep. nation, dans son acception véritable, signifiait 1789. un mode du gouvernement républicain; on en fit un signe, ou plutôt une dénonciation. Je ^veux, disait un des chefs populaires, homme d'ailleurs sage et éclairé, je veux qu'un cocher, en fouettant ses chevaux, les appelle aristo crates: il ne fut que trop obéi, tant l'esprit de parti et l'esprit de système peuvent porter à l'exagération, et l'exagération à l'injustice. Ce n'était pas dans les châteaux de la noblesse ou dans les retraites monastiques, qu'était alors l'esprit d'opposition; il fallait plus d'astuce et de savoir faire que n'en comportaient ces demeures : la cour, la capitale, les grandes corporations, judiciaires ou municipales, voyaient s'échapper de leurs mains l'autorité accoutumée, et, plus habiles, savaient, pour frapper, se couvrir des armes du patriotisme; l'assemblée ne fut jamais combattue avec succès que par ceux qui surent se revêtir de ses armes pour la combattre. Enfin, les ministres se rendirent en corps dans l'assemblée, et vinrent, au nom du roi, par une démarche solennelle, y dénoncer les désordres publics, et demander des moyens de répression qu'ils reconnaissaient n'être plus en leur pouvoir. Ces ministres réunis, ce nouveau conseil, nommé et choisi par la révolution, fit une impression marquée : c'était le garde des sceaux, l'archeTome I.

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II. Ep. vêque de Bordeaux, Cicé, membre de l'assem1789 blée, alors connu par un civisme éclairé dans l'administration des assemblées provinciales, homme d'un esprit sage, qui, des premiers, s'était mis à la tête de la portion de la chambre du clergé, lors de sa réunion aux communes. Le maréchal de Beauvau, membre de plusieurs sociétés savantes, connu par cette franchise et cette loyauté, ancien attribut de la chevalerie française; Montmorin, l'ami particulier du roi, et dont les conseils ne furent pas toujours suivis; la Luzerne, seul resté des anciens ministres; Saint-Priest; l'archevêque de Vienne, président de l'assemblée, peu de jours auparavant; la Tour-du-Pin, membre de l'assemblée, et choisi la minorité de la noblesse pour la présider par au temps de ses réunions privées, ancien militaire, qui s'était montré avantageusement dans les dernières affaires des états de Dauphiné. Il était imposant de voir ces mêmes hommes qui, tous, avaient plus ou moins contribué à la révolution, venir demander des secours pour arêter les désordres qui l'accompagnaient. Le garde des sceaux porta la parole, et fit une peinture vraie et effrayante de la situation du royaume : « On envoie, dit-il, la terreur et les alarmes partout où l'on ne peut envoyer les déprédateurs ; la licence est sans frein, les «<lois sans force, les tribunaux sans activité : la

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« désolation couvre une partie de la France, II. Ep. << et l'effroi l'a saisi toute entière. »

Necker fit ensuite le tableau de la situation des finances: tous les canaux des revenus publics obstrués ou détruits, les perceptions arrêtées, les dépenses angmentées; il avait, à son retour, trouvé 400,000 l. au trésor public; il finissait par demander un emprunt de 30 millions.

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Ce message eut lieu trois jours après la fameuse séance de la nuit du 4 août; cette nuit 4 août, mémorable où la constitution se fit comme la révolution s'était faite au 14 juillet, et où tous les abus furent enlevés d'assaut, comme l'avait été la Bastille on était déja préparé, et l'on était même à peu près convenu de plusieurs sacrifices que les temps et les circonstances avaient rendus justes et nécessaires; tels qué la suppression des justices seigneuriales, celle de toute espèce de main-morte et tout ce qui pouvait y tenir, les dîmes rendues rachetables, tous les emplois civils ou militaires rendus à tous indistinctement: on s'était ajourné au soir, pour délibérer sur un arrêté pris relativement au mode de paiement des redevances féodales, Parmi les députés était un cadet de la maison de Noailles, homme jeune et ambitieux d'être et de paraître; il avait servi avec ardeur et avec distinction la cause de la liberté en Amérique ; il voulait être émule de gloire et d'éclat avec Lafayette, son

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