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M. Deville, orateur de la députation, s'exprime ainsi :

Messieurs, nous sommes des citoyens de la capitale, domiciliés dans l'étendue du bataillon de Saint-Laurent. Nous venons assurer l'Assemblée nationale de notre profond respect pour ses décrets, désavouer la pétition faite hier au nom de la garde nationale parisienne (1). (Applaudissements.) Accoutumés, Messieurs, à ne prendre d'autre guide dans nos actions que notre patriotisme, aucun de nous n'est tombé dans le piège tendu à la garde nationale, par les ennemis de la Révolution. (Applaudissements dans les tribunes.) En signant cette infâme adresse, dont le but était, à nos yeux, un moyen abominable pour chercher à avilir le Corps législatif et dégoûter le ministre patriote qui a proposé la sage mesure adoptée par l'Assemblée, pour effrayer les contre-révolutionnaires rassemblés depuis peu dans cette capitale; la crainte d'être confondus avec les mauvais citoyens qui ont ourdi ou cherché à faire réussir leurs complots, nous a imposé la nécessité de faire connaître promptement au corps législatif la pureté de notre conduite, et de lui renouveler notre obéissance à toute les autorités constituées : nous avons encore eu en vue de provoquer la sévérité de l'Assemblée contre les auteurs et fauteurs de cette adresse perfide que nous annonçons avoir été envoyée à notre bataillon, par le sieur Guyon, adjudant général de la troisième légion, et que dans cette manœuvre, notre adjudant a continué de donner des preuves de son vrai patriotisme. Nous dénonçons donc à l'Assemblée le sieur Guyon, adjudant de la troisième légion, pour avoir samedi 9 juin dernier à une heure après midi à l'occasion de ses fonctions, et en donnant l'ordre, fait passer à tous les capitaines de notre bataillon, et à tous ceux de la légion une de ces adresses avec une lettre circulaire, imprimée sans signatures, portant l'invitation de faire signer cette adresse par le plus de citoyens possible, et de renvoyer le tout le lendemain avant 8 heures au secrétariat de l'état-major, moteur visible de ces nouveaux troubles : nous dénonçons encore le sieur Guyon pour avoir, à l'occasion de ses fonctions et en donnant l'ordre, distribué la semaine dernière, deux jours de suite à notre adjudant, des libellés intitulés: Les complots: Avis à la garde nationale (2), et d'avoir beaucoup engagé notre adjudant à les distribuer dans notre bataillon, Nous prions l'Assemblée nationale de faire un acte éclatant de justice de cet officier pervers et de tous ceux de notre état-major qui lui ressemblent. Nous offrons de déposer sur le bureau de l'Assemblée un exemplaire tant de cette adresse, que des libellés cidessus. Nous la prions d'être assurée de notre disposition pour combattre les ennemis de la Révolution.

(L'orateur dépose sur le bureau le pamphlet intitulé Les complots: Avis à la garde nationale, ainsi que la pétition dite des 8,000 et la lettre circulaire qui y était jointe.)

M. le Président répond à la députation et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie les pièces aux comités de législation et de surveillance réunis.)

(1) Voy. ci-dessus, séance du dimanche 10 juin 1792, p. 61, la pétition dite des 8,000.

(2) Voy. ci-dessus, même séance, p. 79, le libellé intitulé Les complots: Avis à la garde nationale.

M. le Président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion (1) du projet de décret du comité féodal concernant la suppression, sans indemnité, de divers droits féodaux déclarés rachetables par le décret du 15 mars 1790.

M. Mathieu Dumas. Avant d'entamer cette discussion, je demande la parole pour un rapport du comité militaire.

(L'Assemblée décrète que M. Mathieu Dumas sera entendu.)

M. Mathieu Dumas, au nom du comité militaire, fait un rapport (2) et présente un projet de décret (2) concernant la réunion des compagnies de mineurs au corps du génie ; il s'exprime ainsi :

Messieurs, je suis chargé par votre comité militaire de soumettre à votre discussion une question fort importante, déjà plusieurs fois agitée entre les officiers les plus instruits, ceux de l'artillerie et du génie, question toujours écartée par la chaleur même et la durée des débats, toujours reproduite par la force des circonstances, et qu'il faut enfin résoudre pour compléter et perfectionner l'organisation de nos moyen de défense. La réunion des compagnies de mineurs au corps du génie vous a été proposée par le roi au mois de février dernier, et vous avez chargé votre comité militaire d'en examiner les motifs qui étaient résumés dans la lettre du ministre de la guerre. Votre comité, Messieurs, n'a pas cru devoir vous présenter cet objet avant de l'avoir profondément examiné sous tous ses rapports, et dans toutes ses conséquences. En vous présentant ce résultat, je me resserrerai dans les limites les plus étroites de cette intéressante question. J'aurai prouvé la nécessité urgente des dispositions qui vous sont proposées et celles de l'augmentation et de la nouvelle organisation des compagnies de mineurs, ou plutôt la nouvelle création de compagnies attachées au corps du génie, si je prouve à la fois, par les principes et par les faits, les inconvénients de la séparation actuelle des mineurs, et les avantages qui doivent résulter de la réunion de ces deux services.

Passant ensuite de la question particulière de la réunion de cette troupe à l'indispensable nécessité de l'adjonction d'une troupe quelconque au corps du génie, j'aurai surabondamment prouvé la convenance des dispositions qui vous sont proposées par votre comité.

J'appliquerai les principes aux circonstances et à nos besoins actuels, et j'en conclurai que la formation et l'organisation des compagnies du génie, est un complément indispensable à nos moyens de défense.

Vous trouverez, Messieurs, dans le détail des fonctions et du service des compagnies de génie, les motifs de l'économie la plus certaine et la plus profitable, quelques considérations morales se joignent à ces considérations économiques, car elles trouvent nécessairement leur place dans toute institution sage et bien combinée.

L'art des mines est une partie intégrante de l'art des fortifications, et il ne peut en être séparé, sans qu'il s'ensuive un affaiblissement sensible pour l'un et pour l'autre. Comment concevoir, en effet, que l'on puisse balancer l'équi

(1) Voy. ci-dessus, séance du samedi 9 juin 1792, au matin, p. 14, le commencement de cette discussion. (2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Militaire, tome ii, no 62.

libre des résistances entre les différents fronts d'une forteresse, sans y faire entrer le puissant moyen des contremines, et le corps des mineurs étant séparé du corps du génie, les officiers ne peuvent acquérir cette parfaite connaissance des places si nécessaire à l'application et au progrès de leur art. La différence de l'esprit de corps nuit nécessairement au service; la prépondérance inévitable des chefs du génie choque les prétentions des officiers de mineurs, et il suit de cette fausse institution que nous avons peu de places contreminées, et que les moyens puissants de la guerre souterraine, qui force l'attaquant à ramener tous ses procédés sur un point déterminé, et qui permet de développer toutes les ressources d'une défensive active, ne sont pas, faute d'expérience, suffisamment connus et que l'exécution n'en peut être bien concertée, que tant que la séparation actuelle des mineurs et du corps du génie existera.

Sans doute, l'art des mines, susceptible d'une infinité de combinaisons dans le tracé et l'exécution de ses moyens, exige d'autres connaissances que celles de l'attaque et de la défense des places; mais toujours est-il vrai que celles-ci en forment la base, et qu'il n'y a point d'officier du génie qui n'ait un grand avantage pour se perfectionner par l'expérience dans l'art des mines; il n'y a point ici de réciprocité, et pour l'établir entre les officiers du génie et ceux des mineurs, il faut d'abord rendre leurs connaissances semblables, leur expérience com

mune.

Le corps de l'artillerie a toujours considéré l'adjonction des mineurs à celui du génie, comme un démembrement de ses attributions. Par une suite de la déférence que méritaient les lumières des officiers les plus expérimentés de cette arme, on a ménagé même leurs préjugés. Toutes les fois qu'ils ont cru pouvoir retarder l'opération salutaire qui les blessait, ils ont proposé la réunion ou plutôt la confusion des deux corps de l'artillerie et du génie. Ce moyen dilatoire sera peut-être encore employé, mais il est temps de franchir tous ces obstacles; il est temps de reconnaître que les éléments de la science de la guerre et l'expérience du succès ne laissent aucun doute sur l'utilité de la séparation des corps de l'artillerie et du génie, que c'est à l'honorable rivalité de talents qui existe entre eux, que nous devons les progrès de l'art et la supériorité de leur service. En effet, il n'est aucune des opérations de guerre dans laquelle les deux corps agissent ensemble, où la distinction de leurs fonctions ne soit nécessaire au succès surtout; dans la guerre de siège, c'est de la séparation des travaux de l'artillerie et du génie que nait la discussion et le concert nécessaire entre le tracé et la direction des attaques, et l'emplacement et les effets de l'artillerie, dont aucun agent, aucun individu, aucune machine, ne sont employés immédiatement par les officiers du génie. Les seuls mineurs et sapeurs sont conduits par ces officiers, qui ne peuvent faire un pas sans se servir d'eux, qui déterminent, pressent, ralentissent leurs travaux, suivant les circonstances et suivant le progrès des attaques.

Ces vérités résultent si évidemment de la nature des choses et des règles de l'art fortifiant. que je ne ne m'y arrêterai pas plus longtemps; les principales objections qui ont été faites, n'atteignent pas les principes que je viens d'exposer, on s'est principalement appuyé :

1° Sur ce que l'agent principal du métier des

mineurs est le même que celui des armes de l'artillerie;

2° Sur ce que les services que les mineurs peuvent rendre à la guerre, dans les places où il n'existe pas de mines, dans les parcs et dans les travaux de campagne, rendent indispensable leur réunion avec l'artillerie.

La première de ces objections est trop futile, pour qu'on s'y arrête et la seconde est prévue par la proposition d'attacher des compagnies au corps du génie, afin que les officiers qui ont le plus solidement étudié les principes de l'art de la guerre, ne restent pas isolés, sans action, dépourvus de coopérateurs, quand la fécondité de leurs ressources pourrait être si profitable.

En effet, Messieurs, si l'on considère cette institution, soit en état de paix, soit en état de guerre, soit dans les opérations de campagne ouverte, soit dans les sièges, on voit combien il est nécessaire de donner au corps du génie les coopérateurs sans lesquels on est obligé de se servir d'hommes pris au hasard, alternant journellement et qui, la plupart, sont dépouvus de l'exercice et de l'aptitude nécessaires pour ce genre de travaux, ou qui, s'ils sont choisis parmi les plus intelligents, affaiblissent la ligne et privent les compagnies des hommes les plus utiles.

L'opinion de M. de Vauban devrait nous dispenser de cette discussion; il avait senti l'utilité de l'indépendance du corps du génie, pour tous les moyens d'exécuter les travaux qu'il dirige, il sollicitait pressamment la formation d'une troupe de sapeurs-ouvriers. On sait jusqu'à quel point le génie de ce grand homme alluma l'envie et combien de ministres despotes contrarièrent ses grandes vues. On ne peut encore aujourd'hui produire de nouvelles idées, non seule ment sur l'art fortifiant, mais encore sur les grandes communications, sur les moyens généraux de prospérité publique, qui n'aient été développées ou du moins conçues par ce grand homme. Votre comité, Messieurs, s'appuie donc avec confiance sur cette autorité, les mêmes inconvénients dont Vauban se plaignait, dès le temps du siège de Philisbourg, existent encore aujourd'hui; les officiers du génie manquent de bras; ils se rendent importuns quand ils obtiennent d'attacher à leurs brigades le ncmbre de sergents et de soldats d'élite nécessaire, et au lieu de l'utilité journalière, dont ils pourraient être dans le cours de la campagne, en déployant les moyens dont l'habitude de l'industrie multiplie les ressources, leurs manoeuvres restent négligées ou imparfaites.

La réunion des officiers des mineurs à ceux du génie, en même temps qu'elle est avantageuse aux premiers, remplit aussi le vide qui se trouve dans le corps du génie et sur lequel les précédents ministres de la guerre vous ont fait de justes et pressantes observations; ils vous ont informé que 60 officiers du génie, distribués en plusieurs brigades, ont été particulièrement affectés au service des différentes armées, et qu'indépendamment du vide occasionné par la formation de ces brigades, un grand nombre de retraites au moment de la nouvelle formation du corps, et depuis, quelques démissions ont tellement affaibli ses moyens, que l'exécution des travaux des fortifications des places en éprouve un ralentissement très préjudiciable.

Les 30 compagnies de soldats du génie, dont votre comité vous propose la formation, seront utilement employées dans les places aux soins

économiques des constructions et de l'entretien des bâtiments et aux travaux conservateurs.

C'est ici que trouvent leur place les motifs d'économie qui viennent à l'appui des considérations que j'ai déjà fait valoir; la surveillance des officiers du génie ne pouvant se multiplier sur tous les points où elle serait nécessaire; de ces objets échappés s'ensuivent quelquefois des réparations sérieuses qui n'eussent exigé, dans le principe, que de petits soins journaliers. Des racines accélèrent la ruine des revêtements, des eaux mal détournées imbibent les terres des remparts, et pourrissent les maçonneries, la bonne tenue des gazonnements contribue sensiblement à la conservation des masses, et quand il s'agit de mettre les places en état de défense, les moyens de tenue (nous l'éprouvons en ce moment) exigent tout à coup des dépenses très considérables. L'intérêt des entrepreneurs des fortifications est de faire naître des motifs de dépenses et de les grossir, et le seul moyen de les prévenir est d'y employer une troupe par un service régulier. Aussi, Messieurs, quoique le résultat des calculs faits par votre comité vous présente une augmentation de 240,000 livres de dépenses de plus, pour 800 hommés d'augmentation nécessaires à la formation des 30 compagnies sur le pied de paix, il vous présente en effet, une économie réelle très considérable, que l'on peut évaluer, dès ce moment, sur l'aperçu des tableaux des mêmes réparations de nos places, à une valeur plus que double de la nouvelle dépense, et qui ne saurait être calculée pour l'avenir.

A toutes ces raisons d'utilité et de bonne administration, se joint l'avantage de la réunion de l'Ecole des mines à celle du génie; vous remarquerez avec plaisir sans doute que votre comité y trouve un moyen de répandre l'instruction la plus précieuse et la plus chère à acquérir, les éléments de mathématique, théoriques et prade tiques, et de mettre cette instruction à portée de tous les citoyens. En exigeant que les hommes qui se destineront à remplacer les soldats du génie dans les différentes compagnies, passent une année entière au dépôt qui sera formé à l'école de Mézières, on développera un grand nombre de sujets qui deviendront propres à des emplois auxquels la Constitution leur aurait vainement donné des droits, si nous ne leur facilitions les moyens d'acquérir les connaissances, et de remplir les conditions sagement exigées par la loi. Telles sont, Messieurs, les principales raisons qui ont déterminé votre comité à vous proposer le décret suivant :

Projet de décret.

L'Assemblée nationale, considérant la nécessité de donner à chaque partie de l'armée le complément de moyens qui peut augmenter sa force, et faciliter ses opérations, considérant que la prévoyance exige, qu'après avoir organisé les armées et les avoir pourvues de tous les moyens d'agir en campagne, les moyens de défense soient aussi assurés et perfectionnés dans nos places fortes, dans les postes, lignes et camps retranchés qui forment la chaine de nos frontières; délibérant sur la proposition du roi, contresignée par le ministre de la guerre, relative à la réunion du corps des mineurs à celui du génie, à l'augmentation et à la meilleure organisation des compagnies de mineurs, pour remplir les nouvelles fonctions qui leur seront attri

buées, après avoir entendu le rapport de son comité militaire, décrète qu'il y a urgence.

Décret définitif.

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète :

« Art. 1er. Les 6 compagnies de mineurs cidevant attachées au corps de l'artillerie, sont et demeureront supprimées, pour être recréées sous la dénomination de compagnies du génie, conformément à la formation ci-après, et employées au service des places, des camps et des travaux de campagne avec le corps du génie, auquel elles demeureront attachées,

Art. 2. L'école des mineurs établie à Verdun sera réunie sous la seule dénomination d'école du génie, à celle établie à Mézières. Le pouvoir exécutif est chargé de comprendre, dans le règlement relatif à cette institution, tout ce qui pourra concerner le service des mineurs.

« Art. 3. Le dépôt pour le recrutement des compagnies de génie sera établi à Mézières, et aucun homme ne pourra être attaché à une compagnie, s'il n'a déjà passé un an à l'école de Mézières.

« Art. 4. Les officiers attachés au corps des mineurs prendront rang suivant leur grade et leur ancienneté dans le corps du génie et le nombre total des officiers du corps du génie sera et demeurera fixé à 300 officiers de tous grades, ce qui produira une réduction de 30 places d'officiers sur les deux corps.

« Art. 5. Les 400 sous-officiers et mineurs composant actuellement les 6 compagnies reformées par l'article 1er du présent décret, seront repartis en 30 compagnies de mineurs qui seront formées ainsi qu'il suit :

« Art. 6. Formation d'une compagnie de mineurs. 1 capitaine.

1 lieutenant.

1 sous-ingénieur.

1 sergent-major.

4 caporaux.

34 mineurs soldats du génie.

Lorsque les compagnies devront être employées en campagne, elles seront portées jusqu'à 100 hommes, ce qui sera à l'avenir le pied de guerre des compagnies de mineurs.

Art. 7. Ces compagnies du génie, soit qu'elles demeurent rassemblées dans les grandes places, soit qu'elles soient détachées à l'armée ou dans les petits postes, seront commandées par le plus ancien capitaine et le plus ancien sous-lieutenant du corps du génie de la principale résidence; mais le commandement ne sera point fixe, il changera ou cessera par le changement de résidence. Les sous-officiers et soldats du génie, dans toutes les places où ils seront employés, le seront néanmoins sous les ordres de tous les officiers du génie qui s'y trouveront en résidence.

«Art. 8. Le sous-ingénieur ne quittera jamais la compagnie à laquelle il aura été attaché au moment de la formation, que dans le cas où il serait promu au grade d'officier.

« Art. 9. Le nombre des places d'officiers au corps du génie étant fixé à 300 par l'article 4 du présent décret, 60 places, à raison de 2 officiers par compagnies du génie, sont attachées aux compagnies.

Les règles et la proportion de l'avancement des sous-officiers des compagnies du génie, au

grade d'officiers seront les mêmes que dans l'infanterie, et le quart du nombre d'officiers attachés aux 30 compagnies est réservé aux sousingénieurs.

Art. 10. Il né sera formé, pour cette campagne, et immédiatement après la publication du présent décret, que 16 des 30 compagnies de génie, lesquelles seront employées, suivant le besoin, dans les 4 armées : les 6 compagnies de mineurs seront en entier réparties pour la formation de ces 16 compagnies, et les 14 compagnies à former le seront successivement, à mesure que les 16 premières étant complètes, pourront fournir un excédent d'hommes instruits pour en établir le fond.

« Art. 11. Le pouvoir exécutif est chargé de déterminer le mode et les degrés d'examen qui seront exigés pour passer au grade de caporal, de sergent, de sous-ingénieur, et enfin d'officier du génie.

«Art. 12. Les compagnies du génie seront employées, soit pendant la paix, soit pendant la guerre, dans les places et en campagne, à tous les travaux de mine, de sape, de construction, d'entretien, de réparation, et à tous les autres travaux qui seront exécutés sous la direction et le commandement immédiat des officiers du génie.

Ces compagnies feront aussi, comme toutes les troupes, soit dans les places, soit en campagne, un service régulier et qui sera réglé de manière qu'il soit compatible avec les travaux.

Art. 13. Le pouvoir exécutif est chargé de faire, sur ces bases, le règlement pour la formation des nouvelles compagnies du génie et pour tout ce qui est relatif à leur service, soit dans les places, soit en campagne.

« Art. 14. Le pouvoir exécutif est aussi chargé de proposer, d'après cette nouvelle formation et sur l'avis du comité des fortifications, la suppression possible de tels employés aux fortifications qui pourraient être replacés dans les nouvelles compagnies du génie et y continuer leur service.

M. Lacombe-Saint-Michel. Je demande la question préalable sur le projet de décret et à la motiver.

M. Crublier d'Optère. Pour bien juger du mérite du projet de décret, il faut le connaître. Aussi je demande l'impression et l'ajournement de la discussion.

M. Lacombe-Saint-Michel. Je demande à combattre le projet du comité.

Un grand nombre de membres : L'impression et l'ajournement!

(L'Assemblée ordonne l'impression du rapport et du projet de décret et ajoùrne la discussion).

M. Reboul, au nom des comités des assignats et monnaies, de l'ordinaire et de l'extraordinaire des finances réunis, fait un rapport (1) et présente un projet de décret tendant à déclarer que les espèces d'or et d'argent ne sont plus réputées avoir d'autre valeur que celle provenant de leur titre et de leur poids; il s'exprime ainsi :

Messieurs, les 3 comités au nom desquels je vous ai proposé l'émission d'une monnaie de billon, s'étant de nouveau réunis pour l'examen d'une question relative aux rapports à établir entre le numéraire métallique et les assignats,

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative. Monnaies et Assignals, no 32.

et qui se trouve par conséquent liée au sujet sur lequel vous allez délibérer, j'ai été chargé de vous transmettre en ce moment le résultat des discussions auxquelles elle a donné lieu.

On a proposé d'autoriser, par une loi expresse, les citoyens à stipuler dans leurs transactions des payements en or et en argent cette mesure semble une conséquence nécessaire du décret qui permet la vente de ces métaux, et les range dans la classe des marchandises ordinaires; mais une loi antérieure, et qui n'a point été révoquée, rend nulles les stipulations de cette espèce. Il ne s'agit pas seulement d'effacer de notre code une contradiction aussi manifeste; il faut lever un des obscacles qui s'opposent le plus à la circulation de ces métaux, que la méfiance a fait enfouir, et dont la stagnation devient en quelque sorte forcée par l'effet de nos lois.

Chacun conçoit aisément que ceux qui, par spéculation ou par crainte, ont resserré et accaparé notre numéraire métallique, ne peuvent se résoudre à le laisser sortir de leurs mains sans prendre des valeurs au moins équivalentes, dans leur opinion, aux métaux dont ils se séparent. Ils se trouvent ainsi réduits à la nécessité de les garder, ou de les vendre soit contre des assignats, soit contre des marchandises, soit contre du papier sur l'étranger: il doit résulter de là que la plus grande partie de notre numéraire métallique actuellement en mouvement, doit passer à l'étranger parce que ces détenteurs des métaux précieux ne veulent pas consentir à les échanger contre des assignats, qui sont l'objet de leurs inquiétudes, et qu'ils sont aussi détournés de l'achat des marchandises par l'exemple de tant de spéculations forcées. Au contraire, si la faculté de prêter leurs capitaux métalliques leur était laissée, on pourrait espérer de voir ces masses d'or et d'argent, devenues aujourd'hui inertes et inutiles, rentrer peu à peu dans la circulation, passer des mains des hommes timides et embarrassés dans celles des hommes actifs et entreprenants, dirigées par les spéculations de ceux-ci contre le discrédit des assignats, qu'elles tendraient à faire disparaître de la circulation, en les remplaçant successivement.

C'est un principe incontestable en économie politique, que tout ce qui est susceptible d'être vendu est susceptible d'être prêté ces deux termes sont même, sous quelques rapports, synonymes, puisque prêter une chose avec intéret, c'est vendre l'usage de cette chose; et il serait certainement absurde de prétendre qu'on peut permettre la vente de l'argent, et défendre la vente de l'usage de l'argent.

C'est en réduisant la question à ce degré de simplicité que nous avons été conduits à vous proposer de déterminer ce qu'on doit entendre par ces mots, l'argent est marchandise, et à fixer enfin, d'une manière précise, les rapports qui doivent exister entre les divers numéraires actuellement en circulation: ces numéraires sont l'assignat, les pièces d'or et d'argent, celles de billon, de cuivre et de bronze on peut en considérer toutes les espèces comme parties ou fractions d'une même monnaie. La monnaie est la mesure commune de toutes les choses qui s'échangent; elle ne peut déterminer exactement le rapport entre les diverses marchandises, si elle n'est elle-même invariable: toutes ses parties doivent donc conserver entre elles un rapport constant.

Ainsi, lorsqu'on dit que 100 livres en argent valent 150 livres en assignats, on enlève néces

sairement à l'une ou à l'autre de ces substances la qualité de monnaie; car il ne peut pas y avoir plus de différence entre 100 livres numéraires et 100 autres livres numéraires, qu'entre une première toise et une seconde toise. C'est donc vainement que l'on continue d'appliquer à l'argent-monnaie des dénominations monétaires; elles ne servent plus qu'à désigner la quantité de métal fin que renferment les espèces; et lorsqu'on dit que 100 livres en argent valent 100 livres en assignats, cela ne signifie autre chose, sinon que la quantité d'argent fin renfermée dans 100 livres numéraires en écus, vaut 150 livres de notre monnaie courante Ce qui s'est passé à cet égard peut servir à démontrer combien l'emploi de l'or et de l'argent dans les monnaies, quoique consacré par l'usage de toutes les nations, est loin de remplir le but pour lequel la monnaie a été inventée; puisque ces métaux, considérés comme marchandises, sont au nombre de celles qui sont sujettes, dans leur valeur, aux plus grandes variations. Peutêtre pourrait-on porter le développement de cette réflexion jusqu'au point de prouver que dans des siècles plus éclairés, et chez une nation où l'opinion ne serait point corrompue par de fausses notions et d'anciens préjugés, l'assignat serait envisagé, sous les rapports monétaires, comme infiniment préférable aux métaux. Mais, de quelque manière que cette question soit envisagée, il est incontestable aujourd'hui que l'or et l'argent, en recevant, comme marchandise, un accroissement de valeur aussi considérable, ont réellement perdu leurs qualités monétaires. Le législateur, en ordonnant le monnayage de ces métaux, avait ajouté à leur valeur réelle une valeur fictive, qui représentait les frais de fabrication, et le droit que le gouvernement peut percevoir sur les opérations de cette espèce.

Cette valeur fictive n'était point reconnue par l'étranger, qui ne pouvait voir dans nos pièces de monnaie qu'une marchandise propre à servir, comme les autres, d'aliment à ses spéculations. Chez nous, au contraire, la loi établirait une différence réelle de valeur entre le lingot et le métal-monnaie; et cette différence, toute modique qu'elle était, offrait un préservatif contre l'exportation de nos métaux.

La révolution qui s'est opérée dans nos changes nous a mis tout à coup, relativement à notre numéraire métallique, dans une position pareille à celle des étrangers. La valeur intrinsèque de ce numéraire s'est élevée de beaucoup au-dessus du supplément de valeur fictive que la loi lui avait attribué, et dès lors nos louis et nos écus n'ont plus été considérés, par nous comme par les étrangers, que comme des morceaux de métal d'un poids et d'un titre déterminés. C'est à cette époque qu'ils auraient dù perdre, avec la valeur monétaire, les dénominations qui leur sont restées, dénominations qui n'ont plus de sens, et qui, dans toutes les opérations de commerce tant intérieur qu'extérieur, ont besoin d'ètre converties en celles de livres, poids de marcs, d'onces et de grains.

Il importe de ne pas perpétuer l'erreur des citoyens à ce sujet, soit afin de rendre une liberté entière au commerce de ces métaux, liberté sans laquelle on ne peut espérer de les voir rentrer dans la circulation, soit afin de désabuser les esprits sur les idées exagérées que l'on s'est faites touchant leur valeur réelle. Il le faut surtout pour l'intérêt de la vérité, qui

n'est jamais lésée impunément dans un gouvernement libre et simplement organisé, comme le nôtre.

La refonte des monnaies d'or et d'argent est une conséquence immédiate des principes que je viens d'exposer, comme elle est une suite nécessaire de toute grande révolution dans un Etat. Du moment où la loi aura reconnu ce fait incontestable, que l'or et l'argent n'ont plus de valeur monétaire, la refonte n'est plus qu'une opération simple, facile, point dispendieuse, et exempte de tout inconvénient.

L'atelier national ne reçoit les espèces monnayées que comme de simples lingots; c'est-àdire, à raison du titre et du poids; et, pour prévenir désormais cette confusion introduite dans le langage monétaire, ce ne sont plus des écus, des livres tournois qu'il rend au public, mais des onces, des gros d'or et d'argent, dont le titre est déterminé. Les moindres conséquences de cette mesure sont l'amélioration du change, et la simplification de cette science des banquiers, qui repose, en grande partie, sur les obscurités de nos lois administratives.

Vos comités ne tarderont pas à vous entretenir de cette importante mesure, au succès de laquelle il importe d'intéresser d'avance tous les bons esprits. Ils se bornent, en ce moment, à vous proposer de rompre tous les liens qui peuvent gêner le commerce de l'or et de l'argent en déclarant que leur valeur monétaire n'est plus reconnue par la loi.

Projet de décret.

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« Les espèces d'or et d'argent dont la vente a été permise par le décret du ne sont plus réputées avoir d'autre valeur que celle provenant de leur titre et de leur poids en conséquence, les stipulations de remboursements en matières d'or et d'argent peuvent être insérées dans les contrats d'emprunts, vente et échange desdites matières. »

(L'Assemblée ordonne l'impression du rapport et du projet de décret et ajourne la discussion.)

M. Reboul, au nom des comités des assignats et monnaies, de l'ordinaire et de l'extraordinaire des finances réunis, soumet à la discussion un projet de décret sur la fabrication d'une monnaie de billon: ce projet de décret est ainsi conçu (1)

Décret d'urgence.

« L'Assemblée nationale, considérant que les fabrications de monnaies de cuivre et de bronze ne peuvent suffire aux besoins de la circulation, et que les circonstances réclament la prompte émission d'une monnaie qui serve d'intermédiaire entre les petites coupures d'assignats et les espèces provenant de la fonte des cloches, décrète qu'il y a urgence. »>

Décret définitif.

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

« Art. 1er. Il sera procédé sans délai à la fabrication d'une monnaie de billon en pièces de 5 sous, jusqu'à concurrence de 8 millions, et en

(1) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLII, séance du 2 mai 1792, page 654, le rapport de M. Reboul.

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