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bâtiments français; que ces mêmes tabacs venant sur navires des Etats où ils croissaient, acquittassent le droit de 25 livres; elle a détendu l'importation de tous autres et même de ceuxci ayant touché en pays étranger. Le tabac fabriqué devait naturellement suivre le même sort. Cette mesure a produit une partie de l'effet que l'on en avait espéré; la majeure partie des tabacs appartenant à la nation s'est promptement écoulée; mais le droit excessif imposé sur quelques-uns de ces tabacs et la prohibition dont on avait grevé quelques espèces indispensables à une bonne fabrication ont été la source d'une contrebande toujours inévitable, lorsque le droit est excessif et la marchandise de peu de valeur et d'un débit assuré. Le moindre inconvénient de cette fraude a été la destruction de la balance qui devait exister entre les fabricants. Le fabricant qui a acquitté le droit n'a pu soutenir la concurrence de celui qui a su l'éluder ; et toutes les manufactures de tabac, nonobstant les efforts de la régie des douanes et les dépenses qu'elles ont exigées, ont souffert de l'introduction des tabacs fabriqués venus de l'étranger.

Votre comité de commerce n'a vu qu'un moyen de faire cesser cet ordre de choses, celui de diminuer le droit et de lever les prohibitions qui existent pour quelques espèces de tabacs en feuilles; il a pense en même temps que le tabac en cigares, n'ayant reçu presque aucune maind'œuvre, pouvait être admis, en payant le plus fort droit du tabac en feuilles.

A cet effet, votre comité vous propose de réduire à 10 livres par quintal le droit de 18 livres 15 sous aussi par quintal, imposé sur les tabacs en feuilles de nos colonies, des colonies espagnoles, des Etats-Unis d'Amérique, de l'Ukraine et du Levant, importés sur bâtiments français; à 12 livres le droit de 25 livres que supportaient les tabacs venant desdits pays par navires espagnols, américains, russes et levantins, ou par terre par les bureaux de Lille, Valenciennes et Strasbourg; d'admettre, moyennant le droit de 15 livres par quintal, non seulement les tabacs en feuilles venant desdits pays et de tous autres, quels que soient les bâtiments sur lesquels ils seront importés, mais encore ceux en cigares.

En graduant ainsi les droits, on laisse à la navigation française, pour le transport des tabacs nécessaires à la consommation du royaume, l'avantage que le droit actuel sur le tabac à voulu lui ménager. On ne rejette aucun tabacen feuille, quels que soient son origine et le lieu de son chargement. On ne surcharge pas d'un droit excessif les consommations de goût. On peut encore espérer, par cette mesure, que, vu notre supériorité dans la fabrication de tabacs, il ne restera plus d'aliment à la fraude, qu'ainsi le produit du droit sur le tabac étranger excédera celui actuel.

Je vais avoir l'honneur de vous donner lecture du projet de décret :

Projet de décret.

Art. 1er. A compter du 1er octobre prochain, l'importation de toutes espèces de tabacs en feuilles est permise, en payant 10 livres du quintal pour les tabacs qui sont assujettis au droit de 18 1. 15 s.; 12 livres pour ceux qui payent 25 livres ; et 15 livres pour tous les autres, même ceux en cigares. Les droits de 10 livres et de 12 livres seront perçus tant sur les tabacs

qui seront importés, à compter de la dite époque, que sur ceux qui seront alors en entrepôt. Les tabacs du Levant seront admis en balles et ceux d'Amersfort en paniers.

« Art. 2. Les tabacs en feuilles importés par mer, jouiront de 18 mois d'entrepôt ils pourront même passer, par continuation d'entrepôt, d'un port à un autre; il n'acquitteront le droit que sur le poids effectif et seulement à l'expiration du délai de l'entrepôt, ou lorsqu'ils en seront retirés pour la consommation nationale : le tout à la charge que les magasins ne pourront être que sur les ports, fournis par les négociants à leurs frais, et dont les préposés de la régie

auront une clef

Art. 3. Les tabacs fabriqués, qui seront vendus par suite de saisie, seront assujettis au droit de 15 livres par quintal. »

(L'Assemblée ordonne l'impression du rapport et du projet de décret et ajourne la seconde lecture à huitaine.)

M. Amat, au nom du comité de l'ordinaire des finances, fait un rapport et présente un projet de décret (1) pour le complément des dépenses ordinaires de la marine et des colonies, et pour les dépenses extraordinaires de ce département pour l'année 1791; il s'exprime ainsi :

Messieurs, les dépenses ordinaires pour le service du département de la marine et des colonies, furent réglées par le decret du 18 février 1791, à 40,500,000 livres, quoique l'état général, présenté par le ministre de la marine, portât ces dépenses à 43,489,632 1. 9 s. 6 d.

La fixation à 40,500,000 livres était fondée sur un projet de réduction fourni en 1789, et qu'on espérait pouvoir mettre à exécution, mais à cette époque, où l'on présumait que les dépenses éprouveraient une réduction, l'on avait été éloigné de prévoir les augmentations que l'Assemblée nationale constituante a accordées en 1790 et 1791, tant sur la solde des troupes entretenues et des marins, que sur les appointements des officiers de la marine. Ces accroissements ont détruit toute possibilité d'opérer de reduction sur les dépenses projetées et détaillées dans l'etat général.

On s'aperçut bien que la fixation à 40,500,000 livres serait inférieure aux besoins, car il fut réservé d'en démontré l'insuffisance: c'est ce qui résulte, en effet, du projet général présenté par le ministre de la marine, qui élève les dépenses variables ou fixes de 1791, tant pour la marine que pour les colonies, à 43, 189,632 1. 9 s. L'on ne sera pas étonné que les dépenses ordinaires s'élèvent à une si forte somme, lorsqu'on examinera que les augmentations décrétées pour la solde des marins, s'élèvent à près de 3 millions, et que l'on a entretenu en mer un nombre de bâtiments considérable pour conserver notre marine sur un pied respectable.

Le même état, fourni par le ministre de la marine, présente l'aperçu des dépenses extraordinaire de son département pour 1791: elles provenaient en partie des armements ordonnés en 1790, et prolongés en 1791, et en partie des placer sans délai le dépérissement des effets, approvisionnements de précaution pour remet compléter l'armement des vaisseaux et autres bâtiments. Ces dépenses extraordinaires s'élèvent à 7,784,999 livres.

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative Dépenses publiques, no 15.

Indépendamment de ces dépenses, le ministre de la marine, réclame le remboursement à la caisse de son département, des frais extraordinaires qui ont été occasionnés par l'armement de deux fregates pour transporter, à Saint-Domingue et à Cayenne, des commissaires civils et des troupes, ainsi que pour un autre armement de deux frégates envoyées en Corse en exécution du décret du 18 juin 1791; qu'une de ces dernières frégates ayant ensuite été détachée pour transporter à Constantinople l'ambassadeur du Dey d'Alger. L'état de ces dépenses se porte à 525,398 livres. D'un autre côté, le ministre de la marine demande le remplacement d'une somme de 1,653,332 livres, dont les colonies de la Martinique et de Tabago sont en arrière, par le défaut de recouvrement, en 1790 et 1791, des impositions établies dans ces colonies; perceptions devenues impossibles par les troubles qui ont agité ces colonies, et dont l'Assemblée nationale a entendu plus d'une fois les tristes récits.

Eutin le département de la marine réclame le montant des dépenses occasionnées par le changement des pavillons, flammes et guidons des bâtiments de l'Etat, changement qui avait été prescrit par la loi.

Votre comité de l'ordinaire des finances, auquel vous avez renvoyé pour vous rendre compte de ces différentes demandes du ministre de la marine, les a sérieusement examinées; et il n'a pu se dispenser de convenir que le service de la marine souffrait d'une manière étrange, si l'Assemblée nationale différait de lui affecter les fonds nécessaires pour acquitter, soit les dépenses ordinaires, soit les dépenses extraordi

naires.

Dans les circonstances actuelles, le service de ce département peut exiger une activité non interrompue. Il pourrait en résulter les plus graves inconvénients, si le ministre n'avait à sa disposition les fonds suffisants pour continuer les différents travaux entrepris, et pourvoir aux approvisionnements indispensables pour ne pas se trouver au dépourvu dans des moments pressants.

Les dépenses ordinaires de la marine furent fixées en 1791 à 40,500,000 livres, parce qu'il avait été présenté un projet de réduction qu'on croyait pouvoir mettre en exécution; mais ayant été décrété une augmentation de solde pour les gens de mer, cette augmentation a détruit l'espérance de diminuer les dépenses; elle arrive à près de 3 millions: par ce moyen le projet général des dépenses de la marine et des colonies ne saurait souffrir de réduction, sans exposer le service de ce département à manquer de quelque côté; ce qui n'entre certainement pas dans l'intention de l'Assemblée nationale.

En 1790, il avait été ordonné l'armement de plusieurs bâtiments, qui a été prolongé en 1791, sans qu'il ait été affecté des fonds pour les frais extraordinaires qu'entraînaient la solde, la nourriture des marins employés, et autres objets indispensables pour l'activité de l'armement.

La prudence exigeait aussi de faire des approvisionnements en munitions navales pour réparer les dépérissements que les effets de navigation éprouvent jouruellement dans une activité de service. Il aurait été d'une mauvaise politique de ne pas prévoir les moyens de réparer promptement les avaries; et le ministre serait blåmable d'avoir négligé de semblables précautions. Ces divers objets ont besoin de fonds particuliers;

ils n'ont point été réglés; et l'aperçu que présente le ministre pour l'armement, l'entretien et les approvisionnements de différentes natures, offre une dépense extraordinaire de 7,784,999 I.

Les troubles qui, malheureusement, ont agité la Martinique et Tabago, indépendamment des désastres particuliers, suite inevitable des convulsions ont, non pas retardé, mais empêché le recouvrement des impositions qui se percevaient dans ces îles, comme ces impôts acquittaient une partie des dépenses que l'Etat paye pour les différents établissements répandus dans ces îles, ou pour les garnisons qui s'y entretiennent; ce défaut de perception, qui néanmoins n'a pas diminué les dépenses ordinaires de cette partie de nos colonies, a cependant laissé un vide, auquel il a fallu pourvoir: c'est la caisse de la marine qui les a avancées, il devient nécessaire de lui en faire le remboursement.

La Martinique était annuellement imposée à 666,666 livres, et Tabago à 160,000 livres : les événements en ayant rendu les recouvrements impossibles en 1790 et 1791, ont procuré un déficit de 1,653,332 livres, pour le remplacement duquel il doit être tiré des fonds de la caisse de l'extraordinaire.

Deux décrets avaient ordonné des armements pour Saint-Domingue et Cayenne; un décret du 18 juin 1791, relatif aux troubles de la Corse, portait qu'il y serait envoyé deux frégates. Les armements ont eu lieu, et ont coûté 525,398 livres.

Dans le mois d'octobre 1790, il fut décrété que les pavillons des bâtiments de l'Etat seraient changes et remplacés par les trois couleurs; ce signe de la liberté flotte sur les vaisseaux de la nation, et vous décréterez volontiers la dépense de cette nature, qui s'élève à 117,972 livres. Voici le projet de décret que j'ai l'honneur de vous présenter :

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Art. 2. Le ministre de la marine sera tenu de rendre compte de l'emploi des fonds décrétés par l'article précédent.

Art. 3. En remplacement desdits fonds, la caisse de l'extraordinaire versera à la Trésorerie nationale pareille somme de 13,131,353 livres.

(L'Assemblée ordonne l'impression du rapport et du projet de décret et ajourne la discussion à mardi prochain.)

Un membre, au nom du comité de l'extraordinaire des finances, présente un projet de décret tendant à accorder pour l'exercice du culte, à la commune d'Ambronay, district de Saint-Rambert, département de l'Ain, l'église des ci-devant bénédictins de cette commune; ce projet de décret est ainsi conçu:

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances, sur la pétition de la commune d'Ambronay, district de Saint-Rambert, département de l'Ain, et sur l'avis du ministre de l'intérieur, considérant qu'il est instant de fournir aux paroissiens d'Ambronay un lieu suffisant pour l'exercice de leur culte, décrète qu'il y a urgence.

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances et décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

« L'église des ci-devant religieux bénédictins d'Ambronay sera, à compter du jour de la publication du présent décret, destinée à l'exercice du culte de ladite paroisse, et remplacera l'église paroissiale.

Art. 2.

« L'ancienne église paroissiale dudit Ambronay sera vendue au profit de la nation, dans la même forme et aux mêmes conditions que les autres biens nationaux. »

(L'Assemblée adopte le décret d'urgence, puis le décret définitif.)

Le même membre, au nom du comité de l'extraordinaire des finances, présente un projet de décret sur la pétition du sieur Louis-Philippe-Joseph Bourbon, prince français, propriétaire du canal du Loing, tendant à ce qu'il soit sursis à l'adjudication des deux moulins de Nemours; ce projet de décret est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances, sur la pétition du sieur Louis-PhilippeJoseph Bourbon, prince français, propriétaire du canal de Loing; considérant qu'il est nécessaire pour le bien de la chose publique de prendre des précautions pour qu'il ne soit jamais porté aucune atteinte à la sûreté de la navigation de ce canal, mais qu'avant de prononcer définitivement sur l'objet de la pétition, elle doit avoir l'avis des différents corps constitués qui en doivent connaître, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances sur la pétition du sieur Louis-PhilippeJoseph Bourbon et décrété l'urgence, décrète qu'il sera sursis pendant un mois à l'adjudication des deux moulins de Nemours, dont jouissait ledit sieur Louis-Philippe-Joseph Bourbon, en vertu de son ci-devant apanage de Nemours, et que, pendant ce délai, ledit sieur Louis-PhilippeJoseph Bourbon fera parvenir à l'Assemblée nationale, par la voie du pouvoir exécutif, l'avis

des corps constitués qui doivent en connaître. » (L'Assemblée adopte le décret d'urgence, puis le décret définitif.)

Le même membre, au nom du comité de l'extraordinaire des finances, présente un projet de décret tendant à accorder à la ville de Nantua, pour l'exercice du culte, l'église du ci-devant chapitre des religieux bénédictins de cette ville; ce projet de décret est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances sur la pétition de la commune de Nantua, département de l'Ain, et sur l'avis du ministre de l'intérieur, considérant qu'il est instant de fournir aux paroissiens de Nantua un lieu suffisant pour l'exercice de leur culte, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances et décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

« L'église du ci-devant chapitre des religieux bénédictins dudit Nantua sera, à compter du jour de la publication du présent décret, destinée à l'exercice du culte de ladite ville, et remplacera l'église paroissiale.

Art. 2.

« L'ancienne église paroissiale de ladite ville de Nantua sera vendue au profit de la nation, dans la même forme et aux mêmes conditions que les autres biens nationaux. »>

(L'Assemblée adopte le décret d'urgence, puis le décret définitif.)

Un membre propose de proroger jusqu'au premier septembre prochain le délai fixé par la loi du 4 avril dernier, aux ci-devant pensionnaires, pour fournir leur certificat de résidence.

(L'Assemblée, après avoir décrété l'urgence, adopte cette proposition.)

Suit le texte du décret rendu :

« L'Assemblée nationale, considérant que le retard qu'a éprouvé la publication de la loi du 4 avril dernier a pu être un obstacle à ce que les personnes qui prétendent à la conservation, rétablissement ou concession de pensions, gratifications ou secours sur le Trésor national, aient pu adresser au commissaire du roi, directeur général de la liquidation, ou au ministre, les certificats qui constatent leur résidence depuis 6 mois sur le territoire français, dans le délai prescrit par l'article 2 de ladite loi et que ce délai expire aujourd'hui, décrète qu'il y a urgence.

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

« Le délai fixé par l'article 2 de la loi du 4 avril dernier aux ci-devant pensionnaires, à tel titre, pour telle cause et sur tels fonds que ce soit, qui prétendent à la conservation, rétablissement ou concession d'une pension, gratification ou secours sur le Trésor national, pour fournir les certificats qui constatent leur résidence depui 6 mois sur le territoire faançais, est prorogé jusqu'au 1er septembre prochain exclusivement.»

M. Warant. Je demande que l'on entende aujourd'hui le rapport sur le compte de M. de Narbonne. L'on a répandu une foule de libelles et d'écrits calomniateurs de M. Lecointre; de sorte

qu'il a fallu toute la vertu de M. de Narbonne pour ne pas répondre à ces calomnies.

(L'Assemblée décrète que le rapport sera fait sur-le-champ.)

M. Marant, au nom des comités militaires, de l'ordinaire et de l'extraordinaire des finances et de l'examen des comples réunis, fait un rapport (1) et présente un projet de décret sur l'administration de M. de Narbonne, ex-ministre de la guerre; il s'exprime ainsi :

Messieurs, M. de Narbonne est entré au ministère de la guerre le 8 décembre 1791, et en est sorti le 10 mars 1792.

Dans quelles circonstances a-t-il accepté ce ministère? Quels étaient ses devoirs? Comment les a-t-il remplis ? Voilà les premières questions que vos comités se sont faites, et sur lesquelles ils ont fixé une attention particulière.

Au mois de décembre 1791, la France était menacée, et par les rebelles, et par les puissances qui les favorisaient; elle faisait pour sa défense des préparatifs de guerre en tout genre. L'Assemblée constituante, par plusieurs de ses décrets, les avait ordonnés, et le Corps législatif sentait vivement la nécessité de les accélérer et de les rendre imposants. Son décret du 31 décembre dernier le prouve évidemment.

Les devoirs du ministre de la guerre étaient non seulement d'exécuter les lois déjà faites, mais encore de provoquer celles qui étaient nécessaires pour la complète organisation de notre état de guerre, de faire tous les approvisionnements militaires, et de les faire avec la promptitude qu'exigeait notre situation, l'économie que tout administrateur probe ne doit jamais négliger, et les certitudes d'exécution qu'il est possible de se procurer.

Déjà vos comités des finances et militaire vous ont fait le rapport de plusieurs parties de l'administration de M. de Narbonne, sur lesquelles il ne s'est élevé aucune réclamation, et dont nous ne vous entretiendrons pas (2). Tels sont les ordres qu'il a donnés pour porter l'armée au complet de guerre, pour les fortifications de nos villes, etc. La commission des Douze vous présentera sûrement un tableau complet des opérations du ministre en cette partie.

Nous nous sommes principalement attachés à examiner la partie administrative, qui a donné lieu à plusieurs inculpations et dénonciations, et qui à engagé M. Lecointre à un immense travail, qu'il vous a communiqué, dans ses éclaircissements (3). Cette partie administrative comprend tous les marchés qu'il a passés, dans lesquels il est accusé d'avoir dilapidé les deniers de i Etat, favorisé les étrangers préférablement aux Français, pris des mesures pour faire manquer l'approvisionnement de nos armées; en un mot, trompé criminellement en tout genre la

nation.

Nous vous présenterons ces différents marchés, les reproches que l'on fait au ministre, notre opinion sur ces reproches, ou même les réponses simples qu'il y fait.

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Militaire, tome II, no 78.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1" série, t. XLI, séance du 31 mars 1792, page 16, et séance du 7 avril 1792, page 322, les rapports de M. Dupont-Grandjardin.

(3) Voy. Archives parlementaires, 1 serie, t. XLI, séance du 7 avril 1792, page 324 et 338, les éclaircissements de M. Lecointre.

Le compte que nous vous rendrons, n'est que l'exposé des faits puisés dans la correspondance du ministre, et dans les autres pièces qui sont au bureau de la guerre. Il vous sera facile de juger.

Marchés de fusils.

Avant de vous entretenir des marchés de fusils passés par M. Narbonne, il nous a paru indispensable de vous donner l'état de nos arsenaux, de vous rappeler la quantité de fusils que l'appro visionnement de la France exige, la quantité que nos manufactures paraissent, d'après leurs soumissions, pouvoir fournir, celle que l'on peut raisonnablement attendre des arquebusiers et négociants français, qui se présenteraient pour faire des soumissions."

Etat de nos arsenaux.

Les distributions d'armes faites aux gardes nationales, et l'augmentation de l'armée, n'avaient laissé dans nos arsenaux, au 1er janvier dernier, que 160,000 fusils; c'est-à-dire ce qui parait strictement nécessaire à l'approvisionnement des places fortes, et aux premiers remplacements que la guerre rend presque toujours très prochains.

Quantités de fusils nécessaires à l'approvisionnement de la France.

Sous l'ancien régime, dans le temps où les troupes seules étaient armées, le gouvernement a constamment jugé que l'approvisionnement de fusils devait être de 5 ou 600,000.

Si l'on fait attention à la situation actuelle de la France, aux demandes pressantes des corps administratifs et des municipalités, aux nombreux remplacements qu'exige une immense force armée, il semble qu'un approvisionnement de fusils, même en temps de paix, n'est pas trop considérable s'il ne se monte qu'à 8 ou 900,000.

Quantité que nos manufactures paraissent pouvoir fournir.

Vous savez, Messieurs, que nous n'avons en France que quatre manufactures dites royales: Saint-Etienne, Charleville, Maubeuge et Tulle. Cette dernière ne travaille guère que pour la marine. Les trois premières n'ont pas pu, ou n'ont pas voulu fournir ensemble plus de 48 à 50,000 fusils par an; et quoique M. Narbonne les ait excitées à en fournir un plus grand nombre, quoiqu'il leur ait promis des primes progressives pour tous les milliers de fusils qu'elles fourniraient au delà du nombre pour lequel elles ont fait des soumissions, et qui se monte à 12,000 pour chacune, par les fournitures qu'elles ont faites jusqu'à présent, on ne peut pas espérer qu'elles puissent l'outrepasser.

Ce que l'on peut attendre des arquebusiers et négociants français.

Par tous les renseignements que nous avons pris, nous ne pouvons pas douter que le nombre des ouvriers de commerce ne soit de beaucoup inférieur à celui des manufactures.

Il ne faut pas croire que tous les ouvriers arquebusiers puissent fabriquer des fusils. Le talent de cette fabrication n'est le fruit que d'un

long apprentissage, et ne peut être suppléé par d'autres. Presque tous les arquebusiers des villes ne sont que des monteurs, équipeurs, dont le talent se borne à assembler des pièces fabriquées qu'ils achètent. Ils seraient dans l'impossibilité de fournir des fusils entièrement fabriqués chez eux, autrement qu'à un prix excessif, ou bien ils feraient sortir les ouvriers des manufactures, pour les employer à leur compte, et par ce moyen paralyseraient ces manufactures que, jusqu'à present, on a cru de la plus haute importance d'entretenir.

Čes considérations, dont nous avons reconnu par nos recherches l'exactitude et la solidité, nous ont déterminés à penser qu'il y avait très peu d'espérance actuellement du côté des arquebusiers.

Telles sont aussi, à ce qu'il paraît, celles qui ont déterminé M. Narbonne à passer des marchés avec des étrangers. Elles lui ont servi de guides, et vos comités eux-mêmes reconnaissent qu'ils n'en pouvait guère prendre d'autres. Peut-être beaucoup d'ouvriers français exécuteront-ils des fusils, sans avoir, jusqu'à présent, exercé leur talent dans cette partie cela est à désirer; l'expérience seule fixera l'opinion. Ce qui est certain, c'est que, quand bien même il serait vrai que les fabricants français pussent fournir 200,000 fusils dans un an, le ministre aurait encore dû rechercher à en acheter chez l'étranger Je passe aux marchés conclus par M. Narbonne.

Il en a passé pour 269,000, dont 150,000 doivent être fabriqués en Angleterre il a, en outre, conservé le marché pour 100,000, conclu entre M. Duportail et un sieur Salembier, qui devaient aussi être fabriqués en Angleterre. Malgré l'inexécution du marché de ce sieur Salembier, M. Narbonne a cru que les plus grandes ressources étaient encore du côté de la grande Bretagne, tant à cause de la supériorité de l'industrie anglaise, qu'à cause des moyens multipliés de fabrication qui y existent, et des espérances bien fondées que lui donnait M. de Givry, officier universellement estimé pour ses lumières et sa probité, qu'à compter du 1er avril il y aurait une fourniture d'au moins 8,000 fusils par mois.

Le marché de 150.000 fusils de fabrique anglaise, passé avec le sieur Goujet le 20 décembre 1791, porte: 1°que les fusils seront exécutés conformément au modèle de 1777, à l'exception que la sous-garde, au lieu d'être de 2 pièces, pourra n'être que d'une; que la baïonnette pourra n'avoir point de collet tournant à la douille, et que la lame pourra être pleine, au lieu d'être évidée en dedans;

2° Que ces fusils seront visités, éprouvés et reçus à Londres par les officiers et employés du gouvernement français;

3° Que les frais d'examen, épreuve, réception, démontage, remontage, et autres manœuvres relatives à cette réception, seront au compte de l'entrepreneur;

4° Qu'à compter du 1er avril, la fourniture se ferait, à raison de 10,000 par mois, dans les ports de Dunkerque, du Havre, de Nantes et de Bordeaux, suivant les ordres de direction qui seraient donnés à l'entrepreneur:

5° Que le prix des fusils rendus dans lesdits ports serait de 30 schellings;

6° Que si le gouvernement anglais prohibait la sortie des fusils, l'entrepreneur ne serait tenu à aucune indemnité;

7° Que, dans le cas de guerre, si les vaisseaux chargés de ces armes étaient pris par l'ennemi, la perte en serait à la charge de la France:

8 Qu'il serait avancé au sieur Goujet une somme de 1,200,000 livres par forme d'acompte, et moyennant bonne et suffisante caution;

9° Que si, le 1er mai, une livraison de 10,000 fusils n'était pas encore faite, le marché demeurerait nul et résilié de fait;

10° Qu'il serait libre au ministre jusqu'au 1er mai de réduire la fourniture de 150,000 fusils à 100,000, à condition de recevoir tous les fusils qui se trouveraient fabriqués dans les 2 mois qui suivraient l'époque de l'ordre de cesser les fournitures.

Le 23 décembre, M. Narbonne a passé un marché pour 50,000 fusils, à 20 livres l'un, avec un sieur Stevens.

Ces fusils devaient être achetés chez l'étranger, et étaient livrables en deux mois. Les droits d'entrée étaient à la charge de l'Etat.

Le 7 janvier, il a passé un marché de 10,000 fusils, à 21 livres l'un, sous les niêmes clauses que le précédent, avec un sieur Mathieu.

Le 31 janvier, il a passé, avec un sieur Thilly, un marché de 20,000 fusils, à 22 livres l'un, de fabrique liégeoise, sous les mêmes clauses que les précédents, excepté qu'il n'y a aucune époque déterminée de livraison.

Le 9 février, ila passé, avec un sieur Guéroult, un marché de 20,000 fusils de fabrique liégeoise, à 24 livres l'un, livrables par 6,000, de 2 en 2 mois. Les droits d'entrée sont à la charge de l'entrepreneur.

Les fusils portés en ces 4 marchés, quoique bons et solides, ne doivent pas avoir la qualité ni le fini des fusils français, ni même des anglais.

Le 7 janvier, il a passé, avec les sieurs Manigot et Pezé, un marché pour 10,000 fusils, à 25 livres l'un, qui doivent être fabriqués à Charleville.

Le même jour il a reçu la soumission d'un sieur Laverrière, pour 3,000 fusils, à 21 livres l'un, qui devaient aussi être fabriqués à Charleville, et qui étaient livrables un mois après la date du marché,

Le 30 janvier, il a passé marché avec un sieur Varnier pour 6,000 fusils, à 32 livres l'un, qui devaient être fabriqués à Arpajon, et qui étaient livrables 300 par mois, à compter du mois de mars dernier.

Il a passé marché pour 6,000 fusils avec la manufacture de Tulle, qui fournit ordinairement la marine.

Il a pris au compte du gouvernement la commandé de 2,000 fusils, faite au sieur Jorin, par les départements de la Corrèze et de la HauteGaronne.

Il a reçu la soumission d'un sieur Hébert pour 10,000 fusils, à 10 livres 10 sous l'un; il a reçu la soumission d'un sieur Bressot pour 4,000 fusils, qui devaient être fabriqués à Charleville.

Enfin un sieur Le Page, armurier de Paris, lui avait offert de fabriquer à Saint-Etienne 20,000 fusils, à 33 livres l'un; il lui observa que le prix demandé excédait de 4 livres celui qui était accordé à cette manufacture: qu'il devait veiller à ce qu'elle ne perdit pas ses ouvriers, et que s'il voulait conformer sa soumission aux prix établis à Saint-Etienne, il passerait marché. Le sieur Le Page se retira et ne parut plus.

Telles sont, Messieurs, les opérations de M. Nar

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