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la huitaine qui suivra ladite publication, de se conformer aux dispositions ci-dessus. »

Un membre propose un article additionnel tendant à ce qu'il soit tenu un état des enfants mort-nés.

(L'Assemblée renvoie l'article au comité de législation.)

Un autre membre propose un article additionnel relatif aux enfants nés viables, mais morts avant d'avoir été présentés à l'officier public.

(L'Assemblée renvoie l'article au comité de législation.)

M. Muraire, rapporteur. Je vais, Messieurs, faire lecture du titre IV, relatif au mariage. La 1re section concerne les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage.

M. Vergniaud. L'objet de l'Assemblée est de faire une loi pour constater les naissances, mariages et décès, et non de faire un code matrimonial. Ce serait introduire une confusion dans notre législation que d'amalguer et de mettre dans la même loi des articles qui sont distincts. Ainsi, comme je crois qu'il serait ridicule que l'on vous proposât, à propos d'un mode de cons. tater les décès, de décréter des modes de succession, il me paraît aussi ridicule qu'on vous invite, au sujet d'un mode de constater les mariages, de décider les plus grandes questions qui tiennent au mariage. Voilà cependant ce qu'il me semble que votre comité de législation a fait. En lisant son plan, j'y trouve le mode de constater les mariages, les questions sur la nature du contrat, sur l'âge où l'on pourra passer les contrats, sur les oppositions, sur les empèchements et sur la nature des empêchements; de sorte que c'est un code de mariage complet que le comité parait vous présenter. J'observe que, si nous nous engageons dans cette discussion, Vous n'aurez que très tard la loi qu'il est urgent de faire; car cette discussion pourrait être très longue, et peut-être serait-elle prématurée, car la plupart d'entre nous ne se sont pas préparés.

Ainsi, je fais la motion d'ordre que le comité de législation soit tenu de nous présenter de nouveaux articles, qui n'auront uniquement pour but que les formes de la publication et le mode matériel de constater les mariages, en éloignant ce qui a rapport aux grandes questions que nous traiterons dans un autre temps, et j'ose dire d'une manière plus prudente.

M. Voysin de Gartempe. Je vous prie d'observer que, dans ce moment, nous changeons le mode qui constate les naissances et mariages. Il est absolument nécessaire que l'officier public qui doit recevoir cet acte sache de quelles personnes il doit le recevoir. Il faut dire les personnes qui pourront les contracter, quelles seroot les formes de la publication. C'est une chose qui tient au mode de constater les mariages. On pourra, par la suite, extraire ces articles de la loi qui est une loi instrumentaire. Mais il faut dans le moment les décréter. Je demande la question préalable.

M. Beugnot. J'appuie la motion de M. Vergniaud. Si vous allez consacrer aujourd'hui que le mariage est un contrat civil, vous consacreriez en même temps la conséquence qu'il doit se dissoudre par la volonté des parties. Par le même titre, votre comité a fixé l'âge de majorité. Mais je vous supplie de remarquer, que vous ne

pouvez faire cela avant de vous occuper de l'état des personnes. Quand vous vous occuperez du Gode civil et de la législation générale, ce sera là le moment de déterminer les véritables espèces. En parcourant tous les articles, je pourrais faire voir qu'il n'en est pas un seul qu'il ne faille renvoyer au comité de législation. J'appuie donc la motion de M. Vergniaud, car pour le présent, ce qui est le plus urgent, c'est de décréter la manière dont se dresseront les actes, leur protocole. Quant aux différentes conditions requises pour le mariage, aux oppositions et aux questions qui s'élèvent à ce sujet, on pourra suivre provisoirement les lois anciennes.

M. Ducastel. Il faut que vous donniez à l'officier public la faculté de connaître les empêchements qu'on peut y apporter. Comment voulez-vous que l'officier puisse rejeter un mariage, si vous n'avez pas déterminé quels sont ces empêchemeuts? Il faut donc absolument que l'Assemblée s'occupe de cet objet. On verra sur chaque article quels sont ceux sur lesquels on doit invoquer la question préalable et le renvoi, et ensuite quels sont ceux que l'on doit précisément déterminer.

M. Muraire, rapporteur. Je répondrai seulement, je crois, à M. Ducastel, et à la motion d'ordre de M. Vergniaud, par l'exposition des motifs qui ont déterminé le comité à vous présenter le titre du mariage sous cet ensemble général qu'on voudrait aujourd'hui réduire.

Il a discuté, Messieurs, en première question, et avant de s'occuper du fond des articles, s'il se bornerait à vous proposer le mode matériel de constater le mariage; si, à côté de ce mode matériel, il vous présenterait une esquisse de la nouvelle législation attendue sur cet objet. Effrayé de la foule d'inconvénients qu'il y aurait de ne vous présenter que le mode matériel; effrayé de l'incohérence qu'il y aurait entre les lois nouvelles et les lois anciennes qu'il faudrait encore pratiquer; effrayé de cet amalgame du nouveau avec l'ancien régime, il a cru devoir vous proposer le mode de mariage sous la forme que je vous ai présentée. Et en effet, Messieurs, voyez dans quelle position vous mettez vos fonctionnaires publics et le peuple ignorant, et devant nécessairement l'être dans la législation ancienne éparse, dans les lois ultramontaines concernant le mariage,

Voulez-vous exiger de lui qu'à la veille d'établir de nouvelles lois, il s'instruise de ces lois anciennes. Cependant vous le placez dans la position ou de n'avoir que ces lois anciennes pour guide, ou d'être dénué de toute loi nouvelle. En vain, Messieurs, répond-on qu'il faut que le comité de législation vous donne, immédiatement après la loi que vous faites, celle concernant les conditions intrinsèques du mariage; n'est-il pas alors plus simple, n'est-il pas plus conséquent que ces mêmes lois se trouvent dans un seul et même code? L'officier public aura sans cesse sous les yeux le moyen de s'instruire.

D'ailleurs, Messieurs, il faut se décider sur les empêchements. Il faut nécessairement remédier à l'abus des dispenses. Il faut déterminer comment et par qui les mariages seront constatés. Observez, Messieurs, que le mariage est encore dans la main des prêtres, et qu'il faut détruire jusqu'à la dernière trace de cette juridiction éphémère. Il faut aussi que la même loi qui les dépossède de ces fonctions, les dépouille de

toutes les juridictions qu'ils avaient à cet égard par les lois anciennes. (Applaudissements.)

Je crois avoir assez dit pour justifier les motifs du comité, et il devient alors aisé de répondre à l'observation de M. Vergniaud, tirée de ce qu'il est absurde d'insérer les articles de législation, relatifs aux droits de succession, dans une loi sur le mode de constater les décès, et qu'il ne faut pas non plus, dans la loi sur le mode matériel de constater le mariage, insérer les lois relatives au mariage. Grande, Messieurs, est la différence, et vous la saisissez sans doute. Le mode de succession fait une branche de législation, absolument indépendante, absolument séparée du mode matériel de constater les décès, qui est la déclaration purement passive qu'on va faire à un officier public, qu'un tel est mort; au lieu que rien n'est passif dans les mariages. Au moyen de quoi, en demandant la question préalable sur la motion d'ordre, je demande qu'on passe à la discussion du titre. (Applaudissements.)

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion d'ordre de M. Vergniaud.)

M. Taillefer. Je demande la parole pour un fait. Le temps que vous avez accordé aux ministres pour rendre un compte est expiré et il ne vous ont encore rien dit.

M. Louis Hébert. A l'ordre, M. Taillefer! M. Muraire, rapporteur, donne lecture de l'article 1er du titre IV, qui est ainsi conçu :

«Le mariage est un contrat civil, dans la condition essentielle est dans le consentement des deux époux de s'unir pour la vie. »

M. Lagrévol. Nous voici arrivés au titre du projet de loi qui doit attirer toute votre attention, les questions qui s'élèvent relativement au mariage. Dans le civil tout est principes, et ces principes doivent être infiniment chers et précieux l'Assemblée nationale. Avant d'arriver aux principes, il faut incessamment les fixer par une bonne définition. J'examine d'abord si les définitions qui ont été présentées, soit par M. Jollivet, soit par M. Pastoret, soit par le comité, sont véritablement les véritables.

Dans la définition donnée par M. Jollivet, il y a infiniment de mots inconvenants, il y en a infiniment qui ont été répétés, et auxquels on a donné un sens différent; cependant, Messieurs, vous connaissez tous mieux que moi, qu'une définition doit être telle que chaque mot porte son sens, que chaque mot fasse dériver un prin. cipe juste, et même une conséquence nécessaire. Si vous adoptiez la définition que vous a donnée M. Jollivet, vous vous écarteriez des principes. Je ne m'arrête pas plus longtemps sur celle-là.

Celle que vous a donnée M. Pastoret est plus courte, mais je la trouve également inconvenante et erronnée.

D'abord, Messieurs, je ne crois pas avec M. Pastoret que le mariage soit un engagement. Le mariage est un contrat; et voici la difference. Le mot engagement ne serait pas aussi convenable, parce que l'engagement est synonyme du mot obligation, au lieu que le contrat n'est synonyme que du mot convention. Vous sentez, Messieurs, cette différence: il faut donc, de suite, que de définir le mariage est un contrat et non un engagement. D'ailleurs, Messieurs, vous trouvez que ce mode est spécialement consacré par l'Acte constitutionnel, et je ne crois pas, à cet égard, que vous puissiez vous en écarter. Le consen

tement n'est point une condition, comme le dit encore M. Pastoret, le consentement est l'essence du mariage; c'est-à-dire que la condition manquant, le mariage est rompu.

Quand vous aurez décrété l'âge où il pourra être contracté, l'âge sera bien une condition essentielle à la validité de l'acte, mais cet âge ne sera pas de l'essence du contrat. Il faut donc retrancher de la définition ces mots : dont la condition essentielle est dans le consentement. En définissant le mariage comme contrat, il est superflu d'ajouter que le consentement en est la condition essentielle, puisque le contrat ne peut pas être sans consentement. Le comité pense comme M. Pastoret, et dit avec lui, c'est le consentement des deux époux. C'est sur ces mots : les deux époux, que je m'arrête. Quand on parle de mariage, autre chose est de l'envisager comme déjà fait, et autre chose est d'expliquer quelle est la nature de l'acte. Dans le premier cas, on dira très bien : l'union des deux époux est le mariage; mais on ne peut pas dire que le mariage, au moment où l'on va le contracter, soit l'union des deux époux, mais bien de ceux qui vont devenir époux par l'acte dont on a donné la définition: ainsi le mot époux, dès qu'il n'y a point d'union, ne peut entrer dans la définition du mariage, parce qu'ils ne seront époux que du moment où ils seront unis.

Le comité vous propose d'ajouter ces mots pour la vie. M. Pastoret veut retrancher ces mots comme préjugeant le divorce. Messieurs, quand même le divorce serait admis, le mariage n'en serait pas moins pour la vie, c'est-à-dire qu'en se mariant l'intention de ceux qui s'épousent est d'être unis pour la vie. Voilà le point. Quoi qu'il puisse arriver, le divorce n'est qu'un fait accidentel qui ne peut et ne doit rien changer à la nature du mariage. Les Romains qui admettaient le divorce n'en avaient pas moins défini le mariage « un contrat pour la vie ».

Voici à présent comme je définis le mariage. Le mariage est un contrat civil, par lequel un homme et une femme libres s'unissent pour la vie; et je dis qu'il faut employer le mot libres, parce qu'il faut qu'ils le soient. Je demande la priorité pour ma rédaction. (Applaudissements.)

M. Lequinio. Voici ma rédaction : Le mariage est un contrat civil qui unit pour vivre ensemble deux personnes libres d'un sexe différent. (Rires).

M. Sédillez. Avant de discuter les définitions, il me semble que la question est de savoir s'il y aura une définition: or, Messieurs, je demande la question préalable sur cette définition. Rien n'est si difficile que de faire une bonne définition; et je ne doute pas que vous ne passiez plusieurs séances avant de vous accorder sur une définition qui fût parfaitement exacte. D'ailleurs, rien de si inutile qu'une définition, parce que tout le monde sait ce que c'est que le mariage.

M. Ducastel. La définition est complètement faite. La loi a dit que le mariage était un contrat civil. Le législateur peut y ajouter toutes les modifications qu'il jugera convenable; mais il est inutile de faire une autre définition. Je demande donc la question préalable.

(Les ministres entrent dans l'Assemblée.) Plusieurs membres : L'ajournement de la question!

(L'Assemblée décrète l'ajournement.)

Un de MM. Les secrétaires donne lecture de la lettre suivante :

« Monsieur le Président,

« J'ai l'honneur de vous prier de vouloir bien demander à l'Assemblée nationale, la permission d'être admis à sa barre, et de lui offrir l'hommage de mon respect.

Signé LA FAYETTE.

Plusieurs membres : Ce soir!

D'autres membres: Tout de suite! (Applaudissements.)

M. Isnard. Comme il n'y a que des raisons puissantes qui aient pu décider un général d'armée à quitter le poste où la patrie l'appelait, je demande qu'on entende M. La Fayette avec calme. (Murmures à droite.)

M. La Fayette est introduit. (Applaudissements réitérés d'une grande partie de l'Assemblée et des tribunes.)

M. Lecointe-Puyraveau. Je vous rappelle, Monsieur le Président, le décret qui défend les applaudissements des tribunes.

Plusieurs membres: Vous oubliez que le même décret défend aussi les murmures.

M. LA FAYETTE. Messieurs (1), je dois d'abord vous assurer que d'après les dispositions concertées entre M. Luckner et moi, ma présence ici ne compromet aucunement ni le succès de nos armes, ni la sûreté de l'armée que j'ai l'honneur de commander.

Voici maintenant les motifs qui m'amènent : On a dit que ma lettre du 16 à l'Assemblée nationale n'était point de moi; on m'a reproché de l'avoir écrite au milieu d'un camp. Je devais peut-être, pour l'avouer, me présenter seul et sortir de cet honorable rempart que l'affection des troupes formait autour de moi.

Une raison plus puissante, Messieurs, m'a forcé de me rendre auprès de vous; les violences commises le 20 juin au Tuileries ont excité l'indignation et les alarmes de tous les bons citoyens, et particulièrement de l'armée. Dans celle que je commande, tous les officiers, sous-officiers et soldats ne font qu'un. J'ai reçu des différents corps des adresses pleines de leur amour pour la Constitution, de leur respect pour les autorités qu'elle a etablies, et de leur patriotique haine contre les factieux qui la combattent. J'ai cru devoir arrêter sur-le-champ les adresses par l'ordre que je dépose ici sur le bureau; vous y verrez que j'y ai pris, avec mes braves compagnons d'armes, l'engagement d'exprimer seul un sentiment commun; et le deuxième ordre, que je joins également ici, a confirmé notre juste attente en arrêtant l'expression de leur vou.

Je ne puis qu'approuver les motifs qui les animent; déjà plusieurs d'entre eux se demandaient si c'est vraiment la cause de la liberté et de la Constitution qu'ils défendaient.

Messieurs, c'est comme citoyen que j'ai l'honneur de vous parler, et l'opinion que j'exprime est celle de tous les Français qui aiment leur pays, sa liberté, son repos, les lois qu'il s'est données, et je ne crains pas d'être désavoué par aucun d'eux. Il est temps de garantir la Constitution des atteintes quelconques que tous les

(1) Bibliothèque nationale Assemblée législative, Lb, n° 6014.

partis s'efforcent de lui porter, d'assurer la liberté de l'Assemblée nationale, celle du roi, son indépendance, sa dignité; il est temps enfin de tromper les espérances des mauvais citoyens qui n'attendent que des étrangers le rétablissement de ce qu'ils appellent la tranquillité publique, et qui ne serait, pour des hommes libres. qu'un honteux et insupportable esclavage.

Je supplie l'Assemblée nationale d'ordonner que les instigateurs des délits et des violences commises le 20 juin aux Tuileries, seront poursuivis et punis comme criminels de lèse-nation, de détruire une secte qui envahit la souveraineté, tyrannise les citoyens, et dont les débats publics ne laissent aucun doute sur l'atrocité des projets de ceux qui les dirigent. J'ose enfin vous supplier, en mon nom et au nom de tous les bonnêtes gens du royaume (Murmures à gauche.) de prendre des mesures efficaces pour faire respecter les autorités constituées, particulièrement la vôtre et celle du roi, et de donner à l'armée l'assurance que la Constitution ne recevra aucune atteinte dans l'intérieur, tandis que les braves Français prodiguent leur sang pour la défense des frontières. (Applaudissements.)

M. le Président. L'Assemblée nationale a juré de maintenir la Constitution. Fidèle à son serment, elle saura la garantir de toutes les atteintes qu'on voudrait lui porter. Elle examinera, dans sa sagesse, la pétition que vous venez de lui présenter, et vous invite à assister à sa séance. (Applaudissements.)

(M. La Fayette se place dans la salle, près du bureau.)

M. Kersaint. C'est dans l'endroit où se mettent ordinairement les pétitionnaires que doit se placer M. La Fayette.

(M. La Fayette va se placer à l'extrémité, et traverse la salle au milieu des applaudissements presque unanimes de l'Assemblée.)

Un membre: Je demande l'impression du discours de M. La Fayette, et le renvoi à la commission des Douze, pour faire son rapport le plus promptement possible.

M. Guadet. Je demande la parole.

M. le Président. M. Guadet a la parole sur le renvoi.

Plusieurs membres: Non, non! Aux voix le renvoi !

M. le Président. Je vais consulter l'Assemblée, pour savoir si M. Guadet sera entendu. (On fait l'épreuve.)

M. le Président. Comme l'épreuve est douteuse, M. Guadet a la parole.

M. Guadet. Messieurs, au moment où la présence de M. La Fayette à Paris m'a été annoncée, une pensée bien flatteuse s'est présentée à mon esprit. Ainsi, me suis-je dit à moi-même, nous n'avons probablement plus d'ennemis extérieurs (Murmures à droite.); ainsi les Autrichiens sont vaincus. (Nouveaux murmures.) Mais, Messieurs, cette illusion n'a pas duré longtemps; nos ennemis sont toujours les mêmes, notre situation extérieure n'a pas changé, et cependant le général d'une de nos armées est maintenant à Paris. Quel puissant motif l'y appelle donc? Ce sont nos troubles intérieurs; il craint que l'Assemblée nationale n'ait pas à elle seule assez de puissance pour les réprimer; et, se constituant à la fois l'organe de son armée, l'organe de tous les honnêtes gens du royaume, il vient vous

demander de maintenir la Constitution. Mais comment donc M. La Fayette et son armée, si son armée partageait là-dessus ses craintes et ses soupçons, aurait-il pu croire que l'Assemblée nationale ne maintiendrait pas ce dépôt sacré? Messieurs, je n'examinerai point si celui qui nous a accusés d'avoir vu le peuple français dans de prétendus brigands qui en usurpaient le nom, ne pourrait pas, à son tour, être accusé d'avoir yu son armée dans l'état-major qui l'entoure et le circonvient. Mais le dirai-je, Messieurs, que M. La Fayette oublie lui-même les principes de la Constitution qu'il recommande, lorsqu'il s'établit dans le sein du Corps législatif l'organe d'une armée qui n'a pas pu délibérer, l'organe de tous les honnêtes gens du royaume qui ne l'ont chargé d'aucune mission.

J'ajoute, qu'indépendamment de la violation de tous les principes de la Constitution, j'en verrrais une, et une bien dangereuse, de la hiérarchie des pouvoirs, si le général de l'armée était parti sans ordre et sans congé du ministre. Je demande donc que le ministre de la guerre, présent à votre séance, soit interrogé par le Président de l'Assemblée, pour savoir s'il a accordé à M. La Fayette un congé pour venir à Paris. Je demande, de plus, que la commission extraordinaire qui déjà a présenté un travail sur le danger qu'il y aurait de laisser faire à votre barre des pétitions par les généraux d'armée....

Un membre: Mais M. Rochambeau et M. Luckner sont bien venus vous en faire! (Murmures à droite.)

M. Guadet. Ou bien à vous laisser entretenir par eux d'objets purement politiques. Je demande, dis-je, que le rapporteur de la commission extraordinaire soit tenu de vous en faire son rapport demain matin, et que le ministre de la guerre soit interrogé sur-le-champ. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

M. Ramond. C'est une coutume, qui tient au défaut de l'esprit humain, d'interpréter les lois générales au gré des circonstances qui se présentent. L'évangile de la religion en a fourni de nombreux exemples. (Rires à gauche.) L'évangile de la politique doit en fournir aussi. Avant que la Constitution anglaise fût établie, par une suite de traditions et d'actes positifs, elle a servi dans ses bases, tour à tour, aux différents partis qui déchiraient l'Empire. La Constitution française, remise à votre garde, l'est encore davantage à votre explication. Cette Constitution qui, à beaucoup d'égards, n'est que théorie jusqu'au moment où elle sera appliquée dans toutes ses parties, cette Constitution doit donc être encore la base sur laquelle se disputent, au gré des circonstances et de leurs passions, ceux qui ont des intérêts divers.

Je passe à l'application de ces considérations générales. Avec quelle faveur la Constitution et les lois n'ont-elles pas été expliquées, lorsqu'une multitude armée se présenta mercredi dernier à votre séance. Alors, on allégua qu'il n'y avait pas de lois antérieures qui leur défendissent de se présenter, qui n'eussent été abrogées par l'usage. On ne compta pour rien la promulgation de la loi par l'arrêté du département et de la municipalité. L'Assemblée nationale, attachée jusqu'au scrupule, attachée jusqu'à la superstition à ce principe que nul ne peut être jugé que sur une loi antérieurement promulguée, ne peut être considéré comme coupable d'un délit que lorsque ce délit a été antérieurement spécifié,

que lorsque la loi a porté une peine précise et déterminée, l'Assemblée, dis-je, superstitieuse dans l'observation de ce principe, admit une force armée, une force qu'à beaucoup d'égards on pouvait regarder comme redoutable, dans le lieu même de ses séances. Aujourd'hui M. La Fayette, connu par la force avec laquelle il s'est opposé dans tous les instants de la Révolution depuis l'Assemblée des notables, à toute espèce de despotisme; M. La Fayette qui a donné en garantie à la nation sa fortune tout entière, sa vie tout entière, une réputation qui vaut mieux... (Murmures à gauche.) Rendez les mêmes services à la patrie, et parlez ensuite. (Vifs applaudissements à droite.)

M. La Fayette qui a donné en garantie à la nation une réputation qui vaut mieux que la fortune et la vie, M. La Fayette se présente à votre barre. Les soupçons, les inquiétudes, les passions s'exhalent, et c'est contre cet homme qui, pour les puissances étrangères, qui, pour l'Europe et l'Amérique, qui, pour les contemporains et pour la postérité, est l'étendard de la Révolution (Murmures à gauche), que toutes les factions se déchaînent! Il a pris le vou, dit-on, des honnêtes gens du royaume. Et qui lui en avait donné la mission? Je rétorque l'argument, et je demande qui avait donné la mission à cette multitude armée de venir au nom de la nation entière (Murmures à gauche), et s'exprimer au nom du peuple français et de sa souveraineté ? Il ne faut que cette simple comparaison pour vous convaincre, Messieurs, qu'il y a deux poids et deux mesures, qu'il y a réellement deux manières de considérer les choses, qu'il soit permis à l'Assemblée nationale, née de la liberté; à l'Assemblée nationale, fille de cette Assemblée constituante, trop souvent calomniée, même dans cette tribune, qu'il soit permis à cette Assemblée nationale de faire quelque acception de personne en faveur du fils aîné de la liberté française. (Applaudissements à droite et murmures à gauche.)

M. Couthon. Je demande que M. Ramond se rappelle à la question.

M. Saladin. Je demande à M. Ramond s'il fait l'oraison funèbre de La Fayette?

M. Ramond. Messieurs, les circonstances sont telles, les périls de la liberté sont si grands, qu'il est certainement en doute lesquels de ses ennemis extérieurs ou intérieurs peuvent lui être les plus funestes. Dans cette crise dont tout le monde a le sentiment dans le cœur, sur laquelle tout le monde ne s'explique pas avec le même courage et avec la même franchise; dans cette crise, dis-je, je cherche sur la face d'un Empire peuplé de 25 millions d'hommes, celui qui, à la fois, a le courage et la vertu de dénoncer les vrais ennemis de la patrie. Je le cherche, et partout je trouve un profond silence. Il faut donc que cette voix s'élève encore, cette voix qui s'est élevée dans l'Assemblée des notables en face dų despotisme (Murmures); cette voix qui s'est élevée dans l'Assemblée constituante en face de l'aristocratie nobiliaire... (Murmures.)

Un membre: Ce n'est pas là la question! M. Jaucourt. Est-ce là la réponse que nous enverrons à l'armée?

M. Ramond. Cette voix dans laquelle les amis de la patrie sont accoutumés à reconnaître les vrais accents de la liberté. Je considère dans la pétition de M. La Fayette l'importance des choses

1

qu'il a dénoncées, que nul autre peut-être ne pouvait présenter à l'Assemblée nationale avec plus de succès et de force, puisque nul autre ne peut lui présenter en même temps une sécurité plus entière sur des intentions_desquelles il n'est pas permis de douter. M. La Fayette est venu de son armée; mais M. La Fayette arrêtant, par des ordres qu'il a déposés sur le bureau, l'expression du vou de cette même armée...

Plusieurs membres: Monsieur le président, rappelez l'orateur à l'ordre! (Murmures prolongés.)

M. Ramond. M. La Fayette arrêtant, par des ordres qu'il a déposés sur le bureau, la continuation de l'expression du vœu de son armée, s'est trouvé dans une position où il était urgent d'instruire l'Assemblée nationale du vœu qu'elle exprimait. Alors qu'a-t-il pu faire de mieux que de se rendre lui-même à la barre de cette Assemblée; que d'avouer une lettre sur laquelle on avait jeté des doutes à la fois risibles et injurieux; que de venir manifester lui-même l'opinion ferme et absolue de son armée, de se battre pour la Constitution et de ne se battre que pour elle? Je demande donc, Messieurs, que la pétition de M. La Fayette soit renvoyée à la commission des Douze, soit l'objet d'un examen réfléchi et approfondi, beaucoup moins pour juger sa conduite (le vrai civisme l'a déjà jugée), que le mérite de sa pétition elle-même; que pour porter enfin ses regards sur les causes des troubles et désorganisation qu'on est forcé de vous dénoncer, et pour vous faire là-dessus, l'un des plus prochains jours, le rapport le plus complet.

Plusieurs membres: Aux voix! aux voix! (Applaudissements.)

M. Isnard monte à la tribune. Il s'élève de violents murmures.

Plusieurs membres: La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Basire. Je demande à faire une proposition nouvelle.

M. le Président. Je rappelle la proposition. de M. Guadet.

Plusieurs membres: La priorité pour la proposition de M. Ramond!

(L'Assemblée accorde la priorité à la proposition de M. Ramond.) (Murmures à gauche.)

M. le Président. Je mets aux voix la motion elle-même.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Ramond.) M. Lecointe-Puyraveau demande la parole. On réclame l'ordre.

(L'Assemblée décrète que M. Lecointe - Puyraveau ne sera pas entendu.)

M. Carnot-Feuleins, le jeune. Je demande la parole pour une motion importante.

M. Lecointe-Puyraveau. Je, demande que, sans entendre M. Carnot, on passe à l'ordre du jour.

(L'Assemblée décrète que M. Carnot-Feuleins le jeune ne sera pas entendu.)

M. Ducos. Je demande la parole. (Murmures à droite.) L'Assemblée nationale vient de faire une lâcheté. Si vous n'êtes pas battus par les Autrichiens, vous le serez par les soldats de La Fayette. (Nouveaux murmures à droite.)

M. le Président. On avait fait 2 propositions; j'ai mis aux voix la priorité : elle a été accordée à celle de M. Ramond. (Murmures à gauche.)

Tout le côté gauche se soulève contre M. le Président. MM. Isnard, Lasource, Taillefer, Guyton-Morveau, montent à la tribune. L'Assemblée est dans l'agitation.

Un grand nombre de membres Monsieur le Président, couvrez-vous!

M. Ducos. Je fais la motion, Monsieur le Président, que vous soyez envoyé à l'Abbaye.

M. le Président. M. Ducos fait la motion que je sois envoyé à l'Abbaye.

Tout le côté droit: Lui, lui, à l'Abbaye!

M. le Président. J'ordonne aux huissiers de faire sortir les étrangers, s'il y en a dans la salle. Je vais rendre compte de ma conduite.

Un membre: Vous êtes un scélérat! (Un grand nombre de membres se soulèvent, et crient: A l'Abbaye! à l'Abbaye! c'est M. Guyton!)

M. Louis Hébert. Monsieur le Président, je demande la parole pour que celui qui vous a traité de scélérat soit puni.

M. le Président. Vous n'avez pas la parole. M. Louis Hébert. M. Lecoz a entendu celui qui l'a dit. L'Assemblée a été insultée tout entière dans la personne de son président. Nous demandons que M. Lecoz soit interpellé de nommer celui qui a traité le président de scélérat.

Plusieurs membres : Appuyé!

M. le Président. Messieurs, après la pétition de M. La Fayette, M. Guadet a demandé la parole. J'ai consulte l'Assemblée. Comme l'épreuve était douteuse, je lui ai donné la parole. Ensuite M. Ramond l'a prise. La discussion a été fermée; il en est résulté 2 mctions principales, l'une faite par M. Guadet, qui consistait à charger le président d'interroger le ministre de la guerre pour savoir s'il avait accordé un congé à M. La Fayette, pour se rendre à Paris; l'autre de renvoyer la pétition de M. La Fayette à la commission extraordinaire des Douze, pour en faire son rapport incessamment. On a réclamé la priorité pour la proposition de renvoi à la commission extraordinaire des Douze. Elle a été décrétée. Ensuite j'ai mis la proposition principale aux voix. Elle a été décrétée. Voilà ma conduite.

M. Guyton-Morveau. Je demande la parole. (Murmures à droite.)

M. le Président. Un propos a été entendu dans l'Assemblée. Ce propos n'est pas d'un député. M. Guyton-Morveau demande la parole pour un fait. Je la lui donne.

M. Delacroix. Je demande la parole, car on n'a point entendu les propositions que vous avez faites.

Plusieurs membres : Ah! ah!

M. Guyton-Morveau. Vous m'avez accordé la parole.

Plusieurs membres : L'ordre du jour !

M. Guyton-Morveau. Je demande à prouver que M. le Président...

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

D'autres membres: Monsieur le Président, consultez l'Assemblée!

M. Guyton-Morveau. Je dis qu'il est manifeste que M. le Président a induit en erreur l'Assemblée. En effet, M. Guadet, et dans son discours, et dans ses conclusions, vous a proposé 2 dispositions : l'une d'interroger le ministre de la guerre séant

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