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tice, qui demande une interprétation de l'article 21 du titre VI de la loi du 29 septembre 1791. (L'Assemblée renvoie la lettre au comité de législation.)

12° Adresse d'un grand nombre de citoyens de Laval; cette adresse est ainsi conçue (1):

"Laval, le 18 juin 1792.

Législateurs,

Sous l'influence d'un ministère composé de vrais amis du peuple, tous les troubles avaient disparu du département de la Mayenne; les impôts se payaient, les lois s'exécutaient, et la Constitution prenait enfin cette marche imposante qu'elle aurait eu bientôt dans tout l'Empire, si des traîtres n'égaraient un roi qui n'a jamais eu la force de leur refuser sa confiance. La bravoure et le patriotisme de nos généraux, la conduite de notre armée, la vigueur de vos délibérations, tout semblait nous offrir l'espoir le plus consolant, et c'était dans l'heureuse attente de voir bientôt porter les derniers coups aux ennemis de l'égalité, que nous nous livrions à la plus douce sécurité. Mais quel a été notre réveil, nos espérances n'ont êté qu'un vain songe; nous dormions, et nos ennemis veillaient. Ils ont senti que s'ils ne faisaient renaître nos inquiétudes, s'ils ne ramenaient au milieu de nous le désordre avec la défiance, s'ils ne paralisaient notre force armée, qui marchait à grands pas vers des victoires assurées, tout était perdu pour eux, et ils n'avaient pas de temps à perdre pour nous convaincre que le régime actuel ne peut s'allier avec la tranquillité et que son élément est l'anarchie. Ils empêchent l'ordre de s'établir, ils fomentent eux-mêmes les troubles dont ils se plaignent, et par cette tactique infernale, ils comptent nous fatiguer et nous amener à un accommodement honteux. Tant de manoeuvres perfides nous ont ouvert les yeux, elles ont enflammé nos cœurs de la plus vive indignation, nous avons vu le danger de la patrie et nous nous sommes levés. C'est en hommes libres, que nous allons vous présenter la vérité et appeler enfin le glaive des lois sur une tête coupable et trop longtemps épargnée. Nous vous le disons, législateurs, ce n'est point une demi-mesure qui convient dans ces circonstances critiques; c'est à la racine de l'arbre de la sédition qu'il faut porter la cognée et d'un seul coup délivrer la France de tous ses ennemis. Oui, l'auteur de tous nos maux, le mobile de tous les projets contre-révolutionnaires auxquels se laisse entraîner le chef du pouvoir exécutif, l'appui des factieux de l'intérieur, celui des traîtres de l'extérieur, enfin l'ennemi implacable de la liberté celui qui a juré la ruine de la nation française, c'est la femme du roi. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. le secrétaire continue:... Et c'est cette femme artificieuse et corrompue que nous vous proposons de mettre en état d'accusation. Frappez, tandis qu'il en est temps encore. Marie-Antoinette à Orléans et l'Empire est sauvé!» (Vifs applaudissements des tribunes.)

Plusieurs membres (à droite) : C'est une horreur! Un membre: Nous ne sommes pas envoyés ici pour entendre toutes ces horreurs-là!

(1) Archives nationales, Carton 158, dossier 268.

D'autres membres : L'ordre du jour! (L'Assemblée décrète de passer à l'ordre du jour.)

13° Lettre d'un grand nombre de citoyens de la ville de Vannes qui transmettent à l'Assemblée copie d'une adresse qu'ils ont envoyée au roi (1).

Un membre: J'observe à l'Assemblée que cette adresse étant envoyée au roi, il est inutile d'en entendre la lecture. Je demande l'ordre du jour. (L'Assemblée décrète de passer à l'ordre du jour.)

Un citoyen est admis à la barre.

Il produit une pétition, datée du mois de mars 1791, en faveur de M. Créqui, pour lequel il a fait le sacrifice de sa fortune.

M. le Président lui répond et lui accorde les honneurs de la séance.

Le sieur Fabre est admis à la barre.

Il annonce à l'Assemblée qu'il a découvert le moyen de guérir, dans l'espace de trois mois, les hernies les plus anciennes.

M. le Président répond à M. Fabre et lui accorde les honneurs de la séance.

Un membre: En prévision des bienfaits qu'une pareille découverte donnerait à l'humanité, je demande le renvoi au pouvoir exécutif.

(L'Assemblée renvoie la vérification de cette découverte au pouvoir exécutif.)

PRÉSIDENCE DE M. GENSONNÉ, ex-président.

M. Lequinio, au nom du comité d'agriculture, fait un rapport sur une pétition (2) du sieur Boisson de Quincy, relative aux moyens les plus économiques de se pourvoir en subsistances; il s'exprime ainsi :

Messieurs, le 27 mai dernier, vous avez renvoyé à votre comité d'agriculture une pétition de M. Boisson de Quincy (3), ancien major d'artillerie et citoyen de Paris. Dans cette pétition relative à l'approvisionnement du royaume, ce citoyen patriote et bien connu expose que le gouvernement a été fort mal servi dans les achats faits par notre ministre récemment dans la Méditerranée, et qu'il aurait pu obtenir, à 15 et 16 livres meilleur marché par septier, une plus grande quantité de blé que celle que le dernier ex-ministre a procuré à la nation française, sous la médiation de M. Huguet de Sémonville, notre ambassadeur près la République de Gênes. M. Boisson ne se borne pas à cette stérile observation, qui ne serait propre qu'à exciter les inutiles regrets de l'Assemblée nationale; il offre de fournir, d'ici à la récolte, une quantité considérable de blé étranger à un prix bien inférieur à celui qui a été payé depuis plusieurs mois par le gouvernement français; et, à l'appui de ses offres, il a communiqué plusieurs lettres authentiques qui prouvent l'importance et l'étendue de sa correspondance en cette partie. De plus, il offre de faire à la première réquisition, les fonds et avances nécessaires pour cet appro

(1) Voy. ci-après, aux annexes de la séance, p. 643, le texte de cette adresse au roi.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1" série, t. XLIV, séance du 27 mai 1792, au matin, page 169, la pétition de M. Boisson de Quincy.

(3) C'est par erreur que dans le volume précédent M. Boisson de Quincy est appelé Boisson de Quercy.

visionnement (qu'on croit convenir parfaitement à notre armée du Midi), pourvu que l'Assemblée nationale décrète que ses avances lui seront remboursées à fur et mesure qu'il fera la livraison de ces blés dans les ports de Toulon et de Marseille.

Quant aux observations relatives aux pertes que la nation vient d'éprouver dans les achats, il n'a produit aucune pièce qui puisse les justifier. Il allègue seulement que les pièces justificatives sont dans les bureaux mêmes du ministre. Quoi qu'il en soit, votre comité d'agriculture n'a pu s'arrêter ni aux observations que M. Boisson ne justifie pas, ni à ses offres qui, quelque utiles qu'elles puissent être, ne sont pas du ressort de l'Assemblée nationale. Il vous propose, en conséquence, de renvoyer sa pétition au pouvoir exécutif, pour y être fait droit.

(L'Assemblée renvoie la pétition de M. Boisson de Quincy au pouvoir exécutif.)

M. Lequinio, au nom du comité d'agriculture, fait un rapport et présente un projet de décret (1) relatif à la communication de la mer d'Allemagne à la Méditerranée par le canal de jonction du Rhin au Rhône; il s'exprime ainsi :

Messieurs, parmi les objets importants dont s'était occupée l'Assemblée constituante, et qu'elle s'est vu forcée de léguer à votre activité, se trouve le projet du canal de jonction du Rhône au Rhin. Les comités d'agriculture et de commerce s'en étaient occupés soigneusement, ils en avaient examiné tous les détails et l'avaient scellé de leur approbation le 22 septembre dernier; mais le peu d'instants qui restait avant l'ouverture de votre session, ne permit pas d'y statuer. Cependant vous-mêmes avez reçu de nouvelles pétitions tendant à presser l'exécution de ce projet infiniment avantageux; et votre comité me charge de vous en présenter le rapport.

Dessécher des marais, livrer à l'agriculture des terres d'une extrême fécondité, soustraire les riverains aux pernicieuses influences des vapeurs qu'exhale lè limon, et aux maladies qui en résultent; procurer des travaux et de la subsistance à un grand nombre de journaliers; ouvrir des communications; faciliter les transports, aider, étendre, encourager le commerce et l'industrie; accroître la population, et par conséquent augmenter la force sociale: tels sont, Messieurs, les effets nécessaires et habituels de l'établissement des canaux destinés à la navigation intérieure; ils ne varient que du plus ou moins, et que par des nuances assez généralement peu sensibles.

Celui dont je suis chargé de mettre aujourd'hui le plan sous vos yeux, est d'une importance si supérieure, qu'il sort absolument de la classe commune; et le bien qui doit en résulter pour la France entière est tel, que vous n'avez rien à négliger pour l'entreprendre.

Joindre la mer d'Allemagne à la Méditerranée directement, au grand Océan et à la Manche; donner au commerce intérieur une activité qui se soutienne malgré les temps d'hostilités et en dépit de toutes les circonstances contraires; ravir aux flottes ennemies les productions de nos départements méridionaux; assurer et doubler nos traites du Levant par la facilité, la promptitude et la sécurité des transports, non

(1) Bibliothèque nationale Assemblée législative. Agriculture, no‍5.

seulement chez nous, mais dans la Suisse, dans les Pays-Bas et dans toute l'Allemagne; créer dans tout l'intérieur du royaume 1,000 nouvelles branches commerciales, impraticables jusqu'à ce moment, à cause de l'énorme cherté des transports par terre; arrêter la masse prodigieuse de numéraire que nous portons chaque année dans l'étranger pour l'acquisition de nos bois de marine, et nous donner le moyen d'exploiter nousmême nos immenses forêts des Vosges et du Jura :

Tel est, Messieurs l'aperçu des avantages commerciaux et économiques que ce canal assure à la France; mais combien ils s'étendront au-delà, si les nations voisines sortent un jour de la léthargie politique où elles existent ensevelies depuis tant de siècles; ou même, si leurs monarques, ouvrant l'oreille à la voix de leurs propres intérêts, veulent se prêter à une communication commerciale, qui deviendrait immense, presque sans coûter aucuns frais!

:

En effet, Messieurs, il n'y a presque rien à faire pour ouvrir du Rhin une tranchée dans le Danube, et, par cette ouverture projetée depuis longtemps, établir une communication très facile jusqu'à la Mer noire, à travers la Souabe et l'Autriche, la Hongrie, la Valachie, la Bulgarie et la Moldavie une autre communication peut encore s'établir aisément par le Danube et la Vistule jusqu'à la mer Baltique, en traversant la Moravie, la Pologne et la Prusse; et voilà presque toute l'Europe, communiquant et commerçant dans son intérieur, sans redouter la lutte funeste des orages et des éléments si souvent conjurés contre la navigation des mers.

Une si ample et si belle communication ne contribuerait pas peu sans doute au rapprochement moral des nations de ces différentes contrées, et à l'accélération de l'instant heureux où je vois toute l'Europe ne faire qu'un peuple de frères divisé par familles et par tribus, mais uni par les liens de l'intérêt et de la philosophie, de la liberté réciproque et de la raison. Mais si la torpeur des nations voisines, si l'indifférence ou les calculs privés de leurs souverains, s'opposent encore longtemps à cette majestueuse communication; au moins, Messieurs, est-il absolument dans votre pouvoir de porter dans tout l'intérieur de la France, d'une de ses extrémités à l'autre, et dans toutes ses plus longues traversées, une communication libre et dont la dépense est infiniment modique en raison de ses immenses et précieux résultats.

Louis XIV a joint dans le dernier siècle la mer de Gascogne à la Méditerranée par le canal de Languedoc cette communication, quelqu'intéressante qu'elle soit, n'est qu'une faible image de celle que vous offre la jonction du Rhône au Rhin; et celle-ci cependant sera trois fois moins coûteuse. Une grande nation devenue libre ne pourrait-elle, ou n'oserait-elle pas entreprendre aujourd'hui, lorsqu'il en coûtera si peu, ce que fit il y a 100 ans un individu? La majesté, la force et le pouvoir des nations, n'égaléraientelles' donc pas celle d'un roi despote? et voudriez-vous laisser croire à la postérité que les Français libres ont eu moins de pouvoir que la France esclave?

Je ne vous ai montré, Messieurs, que les avantages commerciaux et économiques du canal de jonction du Rhône au Rhin; cependant il en est un autre bien précieux, et qui nous sera peutêtre encore utile pendant plusieurs siècles: c'est la défense, la fortification même de nos frontiè res, et le transport des munitions et des forces,

sans bruit, sans dépense et sans délai, en temps de guerre, d'un lieu dans l'autre, et précisément aux endroits des besoins.

La navigation projetée prend de la Méditerranée jusqu'à Lyon, et, sortie de cette ville, elle doit passer par Mâcon, Châlon-sur-Saône, Verdun sur le Doux, Dôle, Besançon, Colmar, Schélestat, Strasbourg, et toutes les petites places intermédiaires; c'est-à-dire, près de 100 lieues de marche dans la ligne même de nos frontiè res, et de manière à opérer par le canal, à l'insu de l'ennemi, tous les transports nécessaires de Strasbourg à Lyon, depuis Lyon jusqu'à la Méditerranée, l'on doit encore se regarder comme dans la frontière, à cause de la chaîne de montagnes qui nous défend, et par la facilité de protéger les départements à l'orient du Rhône, en faisant courir sur ce fleuve les armées et les munitions de guerre descendues une fois jusqu'à Lyon.

Avec quelques jonctions peu dispendieuses, et quelques canaux, dont plusieurs existent déjà depuis longtemps, dont quelques-uns s'exécutent en ce moment, et qui tous sont projetés, on établirait cette communication au nord de la France ainsi qu'au midi, par la ligne même des frontières en passant par Nancy, Verdun, Sedan, Mézières, Landrecy, Bouchain, Douai, Lille, Aire et Saint-Omer, d'où l'on descend par deux canaux actuellement existants, à Graveline et à Dunkerque la France aurait donc vraiment alors, pour se défendre des incursions des peuples du Nord, non pas comme les Chinois, un mur de 200 lieues, mais un canal continu de près de 300 lieues dont les deux rives seraient à nous à les prendre même des Bouches-du-Rhône jusqu'à Dunkerque.

:

Dans le projet dont il s'agit essentiellement en ce jour et qui prend de la mer d'Allemagne à la Méditerranée, les fleuves et les rivières navigables de leur nature, ou rendus tels par quelques travaux, forment presque toute l'étendue de la navigation, car le canal artificiel n'aura que 25 lieues de long tout au plus, depuis le port de Colmar jusqu'au-dessous de Montbéliard.

Mais dans cet espace, qui présente actuellement des entrées libres à l'ennemi, les terres provenant de la fouille pour creuser le lit des eaux, peuvent très naturellement, et par une légère addition de dépense, être disposées en forme de rempart et de parapet sur la rive intérieure, en forme de glacis sur la rive externe, et nous faire en cet endroit une vraie ligne de défense nous allons donc être absolument, et sans interruption, protégés déjà de Strasbourg jusqu'à la Méditerranée par l'effet de ce canal.

Cette navigation sort du territoire français au dessous de Strasbourg, et le quitte absolument à Hert; de cet endroit nous ne pouvons plus la considérer sous ses rapports militaires, mais seulement sous ses relations mercantiles dans la descente du Rhin jusqu'à la mer d'Allemagne. Au reste, il ne faut pas se dissimuler, ce sont ces aspects commerciaux qui lui donnent pour nous la plus haute et la plus précieuse importance. En effet, cette navigation nous rend en quelque sorte les voituriers de l'Allemagne, et même de la Hollande. Tous les objets que ces pays tirent du Levant et de la Méditerranée, peuvent leur être portés par nous; mais quels que doivent être leurs messagers, nous sommes du moins toujours assurés des bénéfices du transit depuis Marseille à Strasbourg; c'est-à-dire dans une traversée de près de 280 lieues.

Ce trajet, heureusement long en notre faveur, est bien court et bien précieux pour l'homme de négoce, qui le compare aux périls sans fin et à l'immense étendue de sa route actuelle par la navigation maritime.

Un vaisseau chargé du Levant pour se rendre au Texel, est obligé de côtoyer l'Egypte et la Barbarie, l'Espagne, la France et l'Angleterre, pour arriver péniblement à travers les écueils de Gibraltar, les agitations de l'Océan et les tempêtes continuelles de la Manche; c'est une traversée de 11 à 1,200 lieues au milieu de mille dangers, et d'une durée toujours incertaine, au lieu d'une navigation très courte, à l'abri de tout écueil, de tout retardement imprévu, de tout accident.

Tant d'avantages réunis cautionnent à la France la certitude d'un transit très actif, et les succès commerciaux de l'entreprise.

Il ne faut pas oublier qu'en remontant le Rhin, notre navigation se reporte par Bâle dans tout l'intérieur de la Suisse : une très courte branche de fonction du canal principal au-dessous de Mülhausen jusqu'à Huningue, et qui entre dans le projet proposé, abrège de 50 lieues et facilite extrêmement cette communication intéressante, et qui d'ailleurs serait possible, néanmoins quoique beaucoup plus longue, en remontant le Rhin depuis l'embouchure même de Lisle audessous de Strasbourg.

Nous voilà donc nécessairement, par le canal actuellement proposé, les entremetteurs de toute la Suisse, de l'Allemagne, et même de la Hollande pour son commerce du Levant.

Le grand intérêt des puissances voisines alors sera de s'ouvrir elles-mêmes un canal de jonction, très peu dispendieux et déjà projeté du Rhin dans le Danube, pour se faire à leur tour les entremetteurs de toute la partie intérieure de l'Europe, de la Souabe, de l'Autriche et de la Hongrie. Nos industrieux voisins ne négligeront surement pas cette ressource précieuse, qui ne peut augmenter pour eux sans doubler pour nous; un transit immense versera donc alors ses richessses sur notre territoire depuis les Bouches-du-Rhône jusqu'à Strasbourg, et fécondera directement 10 ou 12 de nos départements des moins commerçants jusqu'à ce jour; cette superbe communication du Rhône au Rhin nous offre donc également des spéculations précieuses, et d'un succès certain, soit que nous l'envisagions sous des aspects lucratifs ou sous des considérations militaires.

Près du Val-Dieu, point de partage au canal artificiel, à égale distance à peu près entre Strasbourg et Besançon, et au centre des frontières du Nord et du Midi, existent deux posisitions destinées par la nature, l'une à une place de guerre, arsenal de frontière, l'autre à une citadelle qui pourrait être construite à loisir dans des temps opportuns, et d'où résulterait encore plus de facilité pour faire descendre de l'un ou de l'autre côté les armes, troupes et munitions nécessaires à la protection des lieux attaqués, soit vers le Nord, soit vers le Midi.

Deux ingénieurs, l'un militaire, l'autre des ponts-et-chaussées, ont successivement fait les observations et les recherches nécessaires pour l'exécution de l'entreprise; et ils s'accordent parfaitement sur la possibilité, sur la facilité même de la réaliser, également que sur les avantages incalculables et sa dépense modique.

Cette dépense est évaluée par l'un à 13 millions; et la commission mixte, chargée de l'exa

men des deux projets, dit que cette évaluation ne paraît pas s'éloigner beaucoup de la vérité. Mais quand elle s'élèverait jusqu'à 15 millions, que serait-ce encore en raison de la beauté, de la grandeur et de l'importance du projet (1)? Quelle entreprise, en effet, peut davantage être digne d'une nation devenue libre et faite pour substituer de grands objets utiles à la société en général, au bronze inutile et à mille fastueux monuments, témoins injurieux et trop durables de la longueur de son esclavage et de l'orgueil de ses tyrans? La nature qui, dans un espace assez peu considérable, a réuni vers ces lieux les sources des quatre grands fleuves de France, celle du Danube et de plusieurs grandes rivières, et préparé tous les sites, semblait avoir caché ce projet à la vanité de nos anciens despotes, pour en réserver l'exécution aux premières années de la liberté française.

Déjà, Messieurs, le comité de commerce et d'agriculture de l'Assemblée constituante s'était, ainsi que je vous l'ai dit, occupé de ce vaste dessein; et son vou consigné dans ses registres, se trouve parfaitement conforme à celui de votre comité d'agriculture, et entièrenent favorable à l'exécution du canal. Les affaires pressantes dont s'occupait, en ses derniers instants l'Assemblée constituante, la força d'en ajourner la discussion, ainsi qu'elle a fait de beaucoup d'autres objets également importants,

Conformement à l'article 6 du titre Ier du décret du 31 décembre 1790, sur l'organisation des pontset-chaussées, une commission composée d'ingénieurs des ponts-et-chaussées et d'ingénieurs militaires, à cause des fortifications, avait examiné les différents plans et projets fournis par les contendants, sur l'exécution de ce canal; et c'est sur l'avis de cette commission et d'après les assertions les plus formelles et les plus satisfaisantes que sont établies les bases du rapport fait au comité d'agriculture et de commerce de l'Assemblée constituante, ainsi que celles du rapport de votre comité; il ne peut donc vous rester aucun doute ni sur l'utilité, ni sur la possibilité de l'exécution, ni même sur la facilité, ni enfin sur le peu de dépense qu'elle occasionnera; car, je l'ai déjà dit, il faut regarder comme vraiement légère une somme de 12 à 15 millions, pour une entreprise de ce genre; et la pénurie de notre Trésor n'est pas à mes yeux un motif plausible pour la rejeter. Nous devons mettre en opposition de cette avance les produits directs et considérables, dont je vous parlerai tout à l'heure, et qui feront rentrer vos fonds avec usure; d'ailleurs, il ne s'agit pas de tirer à l'instant de la caisse nationale, la somme nécessaire à l'entreprise; il ne s'agit même pas actuellement de son exécution subite; au surplus, les travaux ne peuvent s'exécuter dans le cours d'une seule année, avec toute l'activité possible, il faut au moins l'espace de 6 ou 7 ans pour la plus prompte exécution du canal. C'est donc seulement 2 millions, tout au plus de dépense par année.

Mais quel genre de dépense? C'est un argent qui ne sort point de chez vous; pendant tout ce

(1) Le canal du Languedoc a coûté 17 millions et 1/2 dans le temps où le marc d'argent ne valait que 28 1. 10 sous; ce qui monterait actuellement au triple de la dépense nécessaire pour celui dont il s'agit. Or, quelle comparaison, cependant, entre les deux pour les avantages dans tous les genres !

temps i alimentera un nombre considérable d'ouvriers de la classe la plus dénuée, celle de l'infortuné citoyen qui n'a d'autre propriété que son corps, d'autre industrie que sa force, d'autre instrument que ses bras, d'autres ressources que son travail, et d'autre bonheur que sa liberté ; vous procurerez la subsistance à cette portion nombreuse de malheureux que l'avarice où la méchanceté des ennemis de la Révolution a réduits à la misère la plus extrême, en portant sur des terres étrangères les trésors que la France leur fournissait.

Ce seront des milliers d'amis nouveaux que vous ferez à la Révolution, ou plutôt de ses partisans, que vous affermirez contre les sollicitations mensongères des traîtres, dans ces départements où le fanatisme, où l'orgeuil et le dépit coalisés travaillent avec une criminelle constance les classes indigentes, parce qu'ils comptent toujours arracher à la misère publique et au désespoir ce qu'ils n'ont pu obtenir jusqu'ici de tant de promesses déloyales et de tant de perfides insinuations.

Il pourrait même se faire au besoin que cet argent ne fût pas une dépense nouvelle pour vous; et le moyen en est très simple et très juste en même temps. Vous destinez tous les ans 12 ou 15 millions aux travaux de charité or, le canal dont il s'agit devant être d'une utilité générale au royaume, quoiqu'il soit plus particulièrement avantageux à 10 ou 12 départements riverains, ne pourriez-vous pas extraire de ce fonds 1 million par an, pris sur la mass générale, et 1 million pris sur ce qui revenait aux 10 ou 12 départements voisins; ce qui formerait la somme de 2 millions, plus que suffisante pour établir, en 7 ans, la navigation dont il s'agit, et toute employée nécessairement en travaux conformes à ceux des ateliers de charité?

Enfin, Messieurs, une raison plus forte que toutes les autres et qui laisserait les opposants sans réplique, en cas qu'il pût s'en trouver, c'est que cet argent, tiré du Trésor national, serait en très peu d'années bénéficié au centuple par le produit de vos forêts pour la fourniture de notre marine, et par la plus-valeur des domaines nationaux couverts de bois, dont l'impossibilité actuelle de l'exploitation annihile en quelque façon l'existence.

Pour vous montrer vos gains en cette partie, Messieurs, il suffira de vous dire que le seul département du Jura contient 52,348 arpents de forêts nationales, la plupart en sapins presqu'aussi anciens que la cime des rochers qu'ils couvrent, et où ces beaux arbres périssent par succession, après avoir, pendant plusieurs siècles, inutilement surchargé les côteaux qui les ont vu naître, et sollicité en vain jusqu'à ce jour l'industrieuse activité de l'espèce humaine. Ajoutez à cela les immenses et aussi inutiles forêts du Doubs et des Vosges, de la Haute-Saône, du Haut et Bas-Rhin qui restent également presque sans valeur faute de débouchés.

Enfin, Messieurs, il suffira de vous apprendre que des portions des départements des Haut et Bas-Rhin d'où l'on peut faire quelqu'exploitation, les Hollandais achètent journellement de Vous des pièces de mature qu'ils charient à grands frais, qu'ils font ensuite naviguer sur le Rhin, sortir par le Texel, descendre toute la Manche; et qu'ils vous remettent enfin, après ce long, pénible et dangereux trajet, à Brest et à Rochefort où vous les payez 150 et 200 livres

le pied, qui leur avait coûté 10 à 12 livres sur les lieux..

Or, une fois la communication du Rhône au Rhin ouverte, ces arbres descendront et se rendront, presque sans aucun frais, en tout temps et sans risques, jusqu'à Rouen, Nantes, Marseille et Toulon; car le Rhône va communiquer à la Loire par le canal de Charolais, qui s'exécute actuellement; la Loire est liée depuis longtemps à la Seine par le canal de Briare; et une communication plus commode entre ces deux grandes rivières s'ouvre en ce moment par la forèt d'Orléans, entre cette ville et Corbeil.

Dans la suite il sera possible de faire parvenir les bois jusqu'à Dunkerque, par une route intérieure que j'ai succinctement indiquée ci-dessus; et même jusqu'à Brest, par une navigation de canaux projetés dans la ci-devant Bretagne avant la Révolution. Les Etats de cette province furent sur le point d'en arrêter la confection à leur dernière tenue. Les plans et les devis en sont dressés; une compagnie hollandaise se formait, et l'exécution serait peut-être actuellement en pleine activité, sans les inconvénients qui ont éteint l'ancienne administration de ce pays; mais la Révolution, qui a pressé son bonheur en le réunissant plus intimement au reste du royaume, ne peut qu'augmenter l'espérance de voir se réaliser cet utile projet. Les compagnies ne manqueront pas, si la nation persuade qu'elle accueille de pareilles entreprises. La France, d'un moment à l'autre, verra dans son intérieur s'ouvrir de nouvelles communications, et, traversée de canaux peut-être un jour autant que la Chine, elle n'aura plus à désespérer d'atteindre aux richesses et à l'immense population de ce vaste Empire.

Quoi qu'il en puisse arriver ultérieurement, les jonctions actuelles de la Seine à la Loire, et de la Loire au Rhône, garantissent l'exploitation facile et très lucrative de nos forêts des frontières; aussitôt que la jonction du Rhin au Rhône aura lieu.

L'emploi des fonds nécessaires pour l'exécution du canal dont il s'agit aujourd'hui, ne serait donc vraiment qu'une avance précieuse, un déboursé usuraire, si je puis me servir de cette expression, une collocation infiniment et directement profitable au Trésor national.

C'est surtout par cette considération, qu'il ne faut jamais perdre de vue, que la confection de l'entreprise dont il s'agit, ne ressemble en rien à toutes les autres du même genre. Elles sont toutes unies à la nation, il est vrai, puisqu'elles accroissent toutes la population, le commerce et l'industrie, mais aucune d'elles ne produit surle-champ une mine d'exploitation semblable à celle de nos immenses, et jusqu'ici très inutiles, forêts des Vosges et du Jura.

Malgré l'immensité, la réalité, la certitude des avantages que ce canal présente à la France, peut-être, Messieurs, les circonstances où nous nous trouvons pourraient vous laisser du doute sur le mode de l'exécution, lorsque vous en serez venus à ce point; il est donc essentiel de vous présenter quelques réflexions à cet égard.

La plupart des canaux s'exécutent par des compagnies intéressées à l'entreprise, et on ne peut douter que ce ne soit en général le mode le plus avantageux à un Etat que l'embarras de ses finances contraint à la plus sévère économie dans l'avance de ces fonds: bien des gens pourraient même aller jusqu'à croire que le Trésor

public ne doit jamais être chargé de pareils tra

vaux.

Cependant, Messieurs, il en est de si majeurs et de si importants, qu'ils ne semblent devoir être l'ouvrage que de la nation elle-même; et certainement aucun, jamais ne sera plus dans le cas de l'exception que la navigation dont il s'agit aujourd'hui; aucune ne mérite plus d'ètre exécutée par vous, que celle-là, qui doit porter avec elle, et présenter aux peuples de l'Europe, tous les caractères de la puissance et de la dignité nationales. Mais je vais plus loin encore, et je soutiens que votre intérêt demande qu'elle ne soit faite que par vous je veux dire aux frais de l'Etat.

Lorsque vous permettez à quelque compagnie d'ouvrir un canal dans l'intérieur de l'Empire, il faut trois choses essentielles à l'opération : la première, que vous établissiez un tarif des droits de passage ou transports; la seconde, que ce tarif soit assez fort pour présenter à la compagnie de l'entreprise un profit clair et certain; la troisième, enfin, que vous accordiez à cette compagnie la jouissance du canal pendant un espace de 50, 60 ou 80 ans, et même davantage, suivant l'importance de ses mises-dehors, afin qu'elle ait le temps de s'en récupérer avec usure.

De pareilles dispositions ne peuvent avoir de grands inconvénients dans l'intérieur du royaume, parce que c'est vous-mêmes que vous y soumettez, parce que le canal ne sert qu'à votre trafic particulier, parce qu'il n'y a que vous qui payez, comme il n'y a que vous qui jouissez c'est un tribut que vous mettez vous-mêmes; c'est une taxe que la France impose aux Français, privativement à eux seuls, et pour leur jouissance.

Mais il n'en sera pas de même pour le canal dont il s'agit outre la jouissance propre de vos forêts, celle de votre commerce particulier, et de votre défense militaire, vous devez envisager comme un point capital le commerce de vos voisins, le transit immense pour la Suisse, l'Allemagne et la Hollande; c'est là surtout ce qui doit donner de l'éclat et de l'importance à l'entreprise actuelle: c'est là ce qui doit en faire un article de haut intérêt pour les commerçants étrangers; ce qui doit jeter sur toute l'Europe le premier fil des liens nationaux, et vous acquérir des droits permanents à l'admiration, comme à la juste reconnaissance des peuples voisins.

Il faut donc, Messieurs, que vous ameniez, par tous les moyens possibles, les autres nations à trouver leur plus grand intérêt dans le transit du Rhône et du Rhin sur votre territoire. Il faut donc que vous dégagiez, autaut que faire se pourra, cette navigation de toutes entraves, quelles qu'elles soient, il faut que vous la rendiez presque aussi gratuite que la navigation des mers et l'usage des grands chemins; et si la nécessité de l'entretien vous force à imposer quelques droits de transports, il faut du moins qu'ils se réduisent à une si petite valeur, qu'elle soit insensible; ce qui ne peut avoir lieu, comme je vous l'ai fait voir, si vous chargez de l'exécution de ce canal une compagnie forcée d'en retirer ses avances avec bénéfices. Il serait donc bon que cette haute entreprise pût s'exécuter par la nation elle-même; au surplus, ce n'est pas encore sur cet objet définitif que votre comité vous propose de statuer aujourd'hui.

Il est temps de vous dire, Messieurs, que sur la direction du canal projeté, se trouvent la principauté de Montbéliard, qu'il traverse l'espace

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