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sait ici l'instant où elles doivent arriver à Coblentz. Je suis informé que le maréchal Luckner a écrit au ministre de la gu erre; j'ai lu encore plusieurs lettres écrites par des officiers genéraux qui méritent toute confiance, et qui disent que, si dans moins de quinze jours l'armée du maréchal Luckner n'est pas renforcée, il lui est impossible de rester dans la position où il se trouve actuellement; ainsi je crois qu'avant d'examiner toutes les parties de la motion de M. Gensonné, il faut que, séance tenante, l'Assemblée nationale prenne un parti pour renforcer les armées qui sont sur nos frontières, et particulièrement celles qui sont déjà sur le territoire de l'ennemi.

Je fais donc la motion expresse que, sans désemparer, l'Assemblée nationale décrète que les armées de nos frontières seront renforcées par les troupes de ligne et les bataillons de volontaires nationaux qui sont plus à portée des armées; et je demande que les troupes reçoivent des ordres du pouvoir exécutif dès demain.

M. Tronchon. M. Gensonné n'a sans doute pas l'intention d'attaquer la Constitution, sans doute il n'a pas l'intention d'anéantir la responsabilité des ministres, et cependant je vais prouver que sa motion est contraire à la Constitution et qu'elle anéantit la responsabilité.

Elle est contraire à la Constitution. En effet, vous le sentirez par des réflexions sur la proposition que M. Gensonné vous a faite, de ne plus vous en tenir à des mesures purement législatives; car moi je ne vois pas quelles mesures nous pouvons prendre ici autres que des mesures législatives. Il a proposé de faire marcher les troupes qui sont dans l'intérieur. Je lis dans la Constitution, que toutes les parties de la force publique, employées pour la sûreté de l'Etat contre les ennemis du dehors, agiront sous les ordres du roi. (Ah! Ah! Murmures à gauche.) Je crois qu'il serait suffisant d'avoir lu l'article pour prouver que ce n'est pas vous qui devez donner les ordres pour que les parties de la force publique marchent à un point ou à un autre. Je vais prouver actuellement que la proposition de M. Gensonné, contre son intention, anéantit entièrement la responsabilité du ministre. (Murmures à gauche.)

Je vois que le pouvoir exécutif est chargé, sous la responsabilité des ministres, de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat. (Nouveaux murmures. ) On vous propose de dire au pouvoir exécutif de faire marcher les troupes qui sont encore dans l'intérieur, vers telle ou telle armée. Je suppose, Messieurs, et l'on ne me contestera pas cette hypothèse, que ce point vers lequel vous les croiriez les plus nécessaires, ne serait cependant pas celui où vous seriez menacés d'être attaqués plus vivement. Alors, qu'arriverait-il? Vous auriez fait marcher les troupes d'un côté, l'ennemi attaquerait la France de l'autre avec des forces supérieures. (Murmures prolongés.) Je suppose que vous envoyez ces troupes à l'armée de Luckner, et que les troupes ennemies attaquent l'armée de La Morlière. Attaquées par des forces supérieures, vous verriez les ennemis faire une invasion sur le territoire français. Alors, que pourriez-vous dire au ninistre? Ne serait-ce pas vous qui l'auriez déchargé de la responsabilité qui pèse sur sa tėte? (Murmures à gauche.) Je demande la question préalable sur la proposition de M. Gensonné. (Murmures prolongés à gauche.)

M. Lacuée. Je suis convaincu qu'il est nécessaire et même indispensable d'augmenter les forces qui sont sur les frontières; nous avons deux espèces de troupes que nous pouvons envoyer aux frontières. Les troupes de ligne qui sont dans l'intérieur du royaume, et celles qui sont dans Paris. Quant à celles qui sont à Paris, comme il y a un décret qui défend de les faire sortir qu'en vertu d'un second décret, vous devez pour cela, si vous voulez le permettre, autoriser le pouvoir exécutif à en disposer.

Quant aux autres troupes, je crois qu'il serait aussi dangereux qu'impolitique de rendre un décret pour leur faire joindre l'armée; je crois que, pour cet objet, vous devez vous borner à inviter le pouvoir exécutif; et si vous faisiez autre chose, vous iriez au delà de vos pouvoirs. A présent, Messieurs, il faut songer cependant à la manière de remplacer ces troupes. Votre commission des Douze a examiné mùrement cet objet, et vous procurera avant très peu de temps, non seulement le moyen de faire mettre sous la toile les troupes qui sont dans l'interieur, et de former des établissements; mais même de faire rejoindre les armées aux troupes que MM. Luckner, La Morlière et La Fayette ont sur leur derrière, en vous donnant les moyens de faire garnir les places et les magasins par des citoyens armés. Quant au grand déficit qu'on vous annonce dans les bataillons de volontaires nationaux, M. le rapporteur vous l'a présenté ; mais je dois vous observer qu'il vous a pré.. senté l'état du 1er avril 1792, et que depuis ce temps-là, vous avez rendu le décret du 9 mai. Je dois vous observer, de plus, que j'ai des notions que plusieurs départements, autres que ceux qu'il vous a nommés, ont déjà envoyé leur contingent de 228 hommes, que beaucoup ont levé les deux bataillons que vous leur avez demandés; je citerai le mien par exemple. Ainsi je suis persuadé que, dans ce moment-ci, le déficit qu'on vous a dit être de 60,000 hommes, n'est pas de 30,000 ce qui est une très grande différence. Je pense encore que le ministre de la guerre doit vous rendre compte, dans les 24 heures, et par écrit. de l'état du recrutement et des moyens qu'il pourrait avoir pour donner de l'activité à ce recrutement et vous demander les nouvelles mesures législatives, s'il en a besoin; ce que je ne crois pas.

Quant à ce que vous a demandé M. Rouyer, de lever, dans ce moment-ci, 83 nouveaux bataillons, Messieurs, je crois n'avoir pas besoin de le combattre, je vous demanderais de lever 66 bataillons; et dans un moment où vos troupes ne sont pas complètes, lever encore 66 bataillons, ce serait véritablement, Messieurs, vouloir avoir des cadres dans lesquels nous ne mettrions rien.

En me résumant donc, je demande qu'on autorise le pouvoir exécutif pour une partie des troupes; qu'on l'invite pour les autres; qu'on oblige le ministre de la guerre à signer; qu'on s'occupe des rapports de la commission centrale; que le comité militaire soit chargé de présenter ses vues sur les hommes qui ont été réformés par les corps, parce que je suis persuadé que ces hommes réformés, que je regarde comme appartenant toujours à l'Etat, puisqu'ils ont reçu l'engagement et qu'on leur a désigné une route pour rejoindre, sont toujours des hommes engagés, à qui l'on n'a pu ni voulu donner congé. Je demande donc que le ministre soit obligé de signer les états, et qu'on autorise et qu'on invite le

pouvoir exécutif à disposer des troupes de l'intérieur.

Plusieurs membres : La clôture!

(L'Assemblée ferme la discussion.)

Un membre: Je demande qu'on mande le ministre, qu'on lui dise que M. Luckner demande une augmentation de troupes, et qu'on lui demande quelles sont les mesures qu'il a prises pour augmenter cette armée.

(L'Assemblée adopte cette proposition.)

M. Aubert-Dubayet, rapporteur. J'atteste, moi, que j'ai puisé dans toutes les sources du département de la guerre. L'Assemblée peut décréter que le ministre de la guerre donnera toutes les pièces, mais il ne peut pas contester ce que j'ai dit.

M. Delacroix. On ne doit pas dire que le ministre signera les états; et je crois que l'Assemblée nationale ne doit pas exiger qu'il certifie les états dont M. Aubert-Dubayet a donné les résultats. Mais je demande que le ministre soit tenu d'envoyer à l'Assemblée les états qu'il a dans ses bureaux, ou, s'il l'aime mieux, de certifier ceux présentés par M. Aubert-Dubayet. (Adopté.)

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'impression et le renvoi au comité militaire, et décrète que le ministre de la guerre signera les résultats donnés par M. Aubert-Dubayet.)

M. Carnot-Feuleins, le jeune. Pour que l'Assemblée ne se trouve pas dans le même embarras, je demande que le ministre, toutes les fois qu'il aura connaissance d'un nouveau mouvement de troupes, en fasse part à l'Assemblée, qui renverra cet avis au comité militaire.

M. Tronchon. Je n'insisterai pas sur l'impolitique de cette motion; il suffit, à mon avis, que le ministre remette de huitaine en huitaine, ou de quinzaine en quinzaine, l'état de situation de l'armée.

M. Brunck. Ces états ne peuvent être fournis que d'après les procès-verbaux de revue qui se font tous les trois mois.

M. Mathieu Dumas. J'ai demandé la parole pour faire apercevoir à l'Assemblée un danger dans la communication régulière et périodique de la situation de l'armée.

L'Assemblée nationale peut, dans toutes les circonstances difficiles, se faire à l'instant donner cette communication,parce que toujours le tableau du mouvement et de l'emplacement de chaque troupe doit se trouver chez le ministre, et que la correspondance des généraux doit se trouver sous sa main.

Mais, Messieurs, si cette connaissance était donnée d'une manière régulière et publique, vous sentez qu'il y a telle opération de guerre dont le succès échouerait nécessairement. Je prendrai, Messieurs, pour vous en convaincre, un exemple récent.

Lorsque le général La Fayette s'est porté sur la droite de l'armée du général Luckner, où il se trouve actuellement, pour occuper les ennemis pendant que M. le maréchal opérerait sur la Flandre maritime, il est bien certain que cette marche a été très habilement dérobé aux ennemis pendant quatre jours. Mais si, à ce moment, et après que le ministre avait reçu les comptes des généraux, il avait donné communication publique du mouvement, et du nouvel emplacement des troupes; s'il avait disposé d'une ré

serve en second ligne, pour renforcer le point par lequel je suppose qu'on voulait attaquer; ne vous paraît-il pas évident qu'il y aurait eu un très grand danger à le faire connaître? Nous avons, Messieurs, à passer, en fait de mesures exécutives, entre deux écueils le secret et la publicité. D'après ces motifs, et afin qu'il n'y ait aucune méfiance, je demande que toujours les membres de l'Assemblée puissent prendre connaissance de ces états. Mais afin qu'il n'y ait aucun danger, je demande la question préalable sur la motion de M. Carnot-Feuleins, le jeune.

M. Carnot-Feuleins, le jeune. Il y a une erreur de fait dans ce qu'a dit M. Mathieu Dumas. J'ai demandé que le ministre déclarât à l'Assemblée quel est l'état de l'armée comme elle l'a connu aujourd'hui. Elle ne s'est pas fait présenter, par la commission militaire, l'emplacement de chaque régiment de l'armée, ni celui de chaque bataillon volontaire. Elle a senti qu'elle ne devait pas divulguer le secret de nos généraux, ni même du ministère; et cependant elle est rassurée sur la position des forces de l'Etat. Eh bien! je demande, moi, que le ministre soit tenu de faire connaître tous les jours, au comité militaire, les mouvements de chaque armée.

Plusieurs members: La question préalable! M. Carnot-Feuleins, le jeune. Je propose cette rédaction-ci :

L'Assemblée, considérant la nécessité de porter des forces sur les frontières pour rassurer la nation contre toute invasion étrangère; considérant que les troupes de ligne et les bataillons de volontaires, dont l'Assemblée a décrété l'augmentalion, ne sont pas encore portés au complet, et que les troupes réglées, actuellement en garnison dans la capitale, peuvent être suppléées dans leur service habituel par la garde nationale parisienne, qui a déjà donné tant de preuves d'un zèle infatigable depuis le commencement de la Révolution, décrète que le pouvoir exécutif est autorisé à disposer, dès à présent, de toutes les troupes de ligne françaises et étrangères, actuellement à Paris, sous la seule condition de donner avis au Corps législatif des ordres qu'il pourra donner en conséquence du présent décret. »>

M. Mathieu Dumas. Il me semble qu'il suffit de rapporter le décret antérieur, c'est-à-dire de lever la suspension. J'observe que, si vous employez cette expression« toutes les troupes >> vous pourriez faire penser que la totalité des corps de troupes réglées qui se trouvent actuellement à Paris, devrait en être déplacée. Permettez-moi de vous faire une représentation: aucun des régiments qui font actuellement la guerre, ne fournit à la ligne, et ne peut fournir la totalité de sa force. Il y aurait un très grand inconvénient, parce que des hommes nouvellement arrivés, des recrues qui ne seraient pas formées, des hommes trop faibles pour soutenir les fatigues de la campagne, seraient malbeureusement trop vite hors d'état. Ainsi, Messieurs, on ne fait marcher que des bataillons de campagne. Cette manière de former nos armées a réussi jusqu'ici, et prépare de nouvelles forces dans les garnisons. Si vous déplaciez ce dépôt, même des troupes qui sont actuellement à Paris, d'une part vous feriez grand tort à l'économie administrative de ces corps, vous vous priveriez momentanément d'une force qui, ne pouvant pas vous être utile aux armées, l'est cependant beaucoup pour le service courant et pour soulager la garde nationale dans l'intérieur de la

capitale. Vous agirez plus efficacement en restant dans les salutaires limites de la Constitution, et en laissant au roi le soin de prendre de ces troupes ce qui pourra être utile à la guerre. Je pense que l'expression que j'ai relevée ne doit

pas être comprise dans la rédaction, mais seulement, comine l'avait proposé d'abord M. Lacuée, l'autorisation nécessaire pour qu'on puisse prendre dans les troupes qui sont à Paris ce qui pourra marcher.

M Aubert-Dubayet, rapporteur. D'après les différentes rédactions qu'on vous propose, il semblerait que le résultat de la discussion est de savoir si les troupes de ligne actuellement en garnison dans Paris pourront être envoyées sur les frontières. Mais, Messieurs, je dois observer à l'Assemblée nationale qu'il n'y a pas 15 jours que l'on faisait retentir dans son sein des craintes peut-être exagérées, qu'il y avait dans Paris 50 ou 60,000 brigands étrangers. (Murmures à droite.)

L'Assemblée nationale alors avait donné quelque croyance à cette dénonciation, et j'interpelle ici la conscience de tous les membres de l'Assemblée, pour savoir s'ils ne sont pas tous convaincus que Paris est dans ce moment le centre de tous les mouvements contraires, mais qui tous également tiraillent la Constitution que nous voulons maintenir. Or, Messieurs, quel a été le service des gardes nationales à cette époque; l'histoire de la Révolution constate leur zèle, leur obéissance, pour le maintien de l'ordre et de la paix dans la ville de Paris. Ils ont été les compagnons d'armes, ils ont partagé la gloire de cette immortelle garde nationale parisienne. Or, Messieurs, comment se pourrait-il faire, dans le moment où l'on nous menace, sans nous intimider, des commotions les plus étranges; dans l'instant où l'on nous annonce les plus grands dangers et les agitations des prêtres fanatiques, et les agitations non moins dangereuses de ces hommes coupables qui ont pris un masque de patriotisme, dans cette crispation universelle: que l'Assemblée nationale se privât de quelques soldats fidèles à cette Constitution, et qui ont fait, d'une manière si utile, le service à Paris.

Je déclare, par l'expérience du passé, que ce que l'avenir nous présage est très dangereux, mais ne nous effraye pas; que rien n'atteste que cet avenir ne soit pas dangereux pour les corps administratifs, et ensuite pour l'Assemblée nationale, qui est prête à mourir dans tout état pour le maintien de la Constitution. Je demande que ces troupes fidèles ne soient pas déplacées, et la question préalable sur la faculté à donner au pouvoir exécutif d'envoyer sur les frontières les troupes qui sont à Paris.

M. Reboul. C'est-à-dire que pouvant rester tranquilles à Paris, il faut nous laisser battre sur les frontières.

M. Delmas (de Toulouse). Parmi les troupes qui défendent dans ce moment nos places fortes, il en est un grand nombre qui sont en état de renforcer les armées sous les tentes. M. Mathieu Dumas a dit à l'Assemblée que, dans les trois régiments en garnison à Paris, il y avait des recrues qui n'étaient pas encore en état d'aller vivre sous la toile. J'observe que ces parties du tout, dont M. Mathieu Dumas a parlé, feront un service très utile dans les places fortes; elles parviendront bien plus vite à ce degré de perfection nécessaire à la sûreté de l'Empire. Je ne vois donc aucun inconvénient à rapporter le dé

cret ou bien à décréter, dès cet instant, que le pouvoir exécutif est tenu... (Murmures.) est autorisé à disposer des troupes de ligne qui sont en garnison à Paris et dans l'intérieur.

Je dis qu'il est aussi essentiel à la sûreté générale de l'Empire que le pouvoir exécutif dispose des troupes étrangères qui sont en garnison à Paris, qui sont exercées aux manœuvres de la guerre, et dont le patriotisme n'est pas douteux. Je dis encore qu'en politique il est bien extraordinaire que l'Assemblée nationale n'ait pas encore décrété le départ de ces troupes. Je le demande à tout homme qui voudra ici raisonner sans esprit de parti, si le Corps législatif peut délibérer au milieu des baïonnettes...

Plusieurs membres (à droite): Et les piques? M. Delmas (de Toulouse). Je me borne à demander, par amendement, que le mot troupes étrangères en garnison à Paris soit mis dans la rédaction.

Plusieurs membres: Cela y est!

(L'Assemblée décrète l'urgence et adopte la rédaction de M. Carnot-Feuleins, le jeune.)

(L'Assemblée nationale décrète que la commission extraordinaire des Douze sera tous les jours à l'ordre du jour.)

M. Gensonné. Je propose d'ordonner au ministre de la guerre de rendre compte, dans trois jours, des mesures qu'il aura prises pour renforcer les armées sur les frontières.

(L'Assemblée décrète que le ministre de la guerre se fera rendre compte de l'état des recrutements faits par les départements, en exécution de la loi du 25 janvier 1792, et qu'il en rendra compte, dans le délai d'un mois, à l'Assemblée nationale.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de M. Terrier, ministre de l'intérieur, qui est ainsi conçue :

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Plusieurs membres : Voilà donc la fin de la cómédie!

M. Cambon. Je demande, Messieurs, puisque tout va bien, que M. le ministre de l'intérieur soit dispensé de continuer à vous rendre compte dorénavant de l'état journalier de la capitale.

(L'Assemblée adopte cette proposition.)

MM. Berchelot et Patris, commissaires de la section de l'Observatoire, sont admis à la barre. M BERCHELOT s'exprime ainsi :

« Législateurs, on vient de commettre un attentat contre la liberté publique et la majesté du peuple français; et nous apprenons qu'il n'est pas le seul de ce genre; qu'ils se multiplient dans la capitale avec une rapidité qui deviendrait très effrayante, si nous ne mettions en

vous toutes nos espérances. Un ordre du comité central vient de faire arrêter un citoyen de la section de l'Observatoire. Il est accusé d'avoir émis trop librement son opinion dans une assemblée de commune légalement convoquée. La loi, qu'on a foulée aux pieds, a été portée au milieu des acclamations de l'Assemblée constituante. Elle est du 30 avril 1790, et est ainsi conçue :

« Aucun citoyen ne peut être inquiété à raison des opinions qu'il prononce, des abus par lui dénoncés, soit dans les assemblées élémentaires, soit dans le sein de l'Assemblée nationale. En conséquence, déclarons la procédure instruite par le parlement de Rouen, contre le procureur au bailliage de Falaise, nulle et attentatoire à la liberté nationale. »

Quel est le particulier qui a donné lieu à tant d'audace? Il est constaté par le procès-verbal de la section de l'Observatoire. L'Assemblée, légalement convoquée, a délibéré ces jours derniers sur les dangers de la capitale, comme vous avez délibéré vous-mêmes, Messieurs, sur ceux du royaume. Un citoyen, nommé Patris, faisant fonction de secrétaire de l'assemblée, a lu une pétition individuelle d'un citoyen étranger à la section. Elle était destinée pour l'Assemblée nationale. Sur l'objection faite que la Constitution était attaquée, observation appuyée par le citoyen Patris lui-même, l'Assemblée a passé à l'ordre du jour.

Nous demandons que l'Assemblée nationale veuille renvoyer cette affaire à son comité de surveillance, ou tel autre qu'elle jugera convenable, pour, sur le vu des charges contenues au procès-verbal du bureau central des juges de paix, et sur le vu du procès-verbal de la section de l'Observatoire, le compte vous en être rendu à la séance prochaine, comme sur une affaire qui va soulever l'indignation de la capitale, et qui, selon l'expression de l'Assemblée constituante, est attentoire à la liberté nationale.

Plusieurs membres : Le renvoi au pouvoir exécutif!

M. Basire. Je vous ai déjà dénoncé un établissement inconstitutionnel (Murmures à droite) d'un tribunal qui rétablit l'ancienne prévôté de l'hôtel. Messieurs, les juges de paix ont établi dans la salle des ambassadeurs un bureau central, autre que celui qui est publiquement établi à Paris. C'est là où l'on conduit les citoyens pour les juger, c'est de là que les citoyens sont menés à Bicêtre et à la Force, sans que personne puisse en avoir réparation et satisfaction. Il est temps que vous réprimiez ces abus, ces attentats à la liberté individuelle, à laquelle la liberté publique est fortement attachee. Je dénonce ce fait, et je demande qu'il soit renvoyé à la commission des Douze, qui doit elle-même avoir reçu une dénonciation de ce fait.

(L'Assemblée décrète le renvoi de la pétition à la commission extraordinaire des Douze pour lui rendre compte le lendemain, à la séance du matin, de la pétition et de la dénonciation.)

(La séance est levée à quatre heures.)

ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE Du mercredi 27 JUIN 1792, AU MATIN.

Pétition adressée à l'Assemblée législative par M. Jean-Baptiste Cazin, natif de Paris.

Veuillez bien permettre au nommé Jean-Baptiste Cazin, natif et domicilié de Paris résidant, section des Quinze-Vingt rue Saint-Nicolas n° 13, de déposer dans le sanctuaire des lois, ces fers et les châtiments illégitimes que cette victime supporte avec une patience digne de fixer l'attention des représentants d'un peuple libre, depuis le 9 août 1779 et qui ne finiront de l'accabler que du moment où il plaira à votre profonde sagesse d'en vouloir autrement. L'article 7 de la Déclaration des droits dit que nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elles a prescrites ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis. Quoique ce délit est antérieur à la Déclaration des droits, je dis avec vérité que les lois de ce temps n'en furent pas moins violées dans toutes leurs formes, c'est ce qui me fonde de droits la loi à la main de vous demander un acte de justice que vos sentiments ne pourronte refuser:

1° Cette victime fut arrêtée le 9 août 1779 en vertu d'ordre du roi par Santerre inspecteur de sûreté, étant à prendre un repas dans une maison ouverte au public, quoiqu'il n'eut jamais manqué d'aucune manière que ce puisse être, il fut ensuite conduit chez le commissaire Laporte qui se refusa d'entendre ses justes réclamations, et pour plus grande injustice souffrait qu'il fut maltraité en sa présence, le seul moyen d'étouffer sa voix, et de couvrir leurs atrocités en disant que c'était un malfaiteur dont il purgeaient la société, sans autres formalités il fut conduit et mis dans un cachot au petit Châtelet, il resta au cachot du 9 au 14 sans subir d'interrogatoire et fut transféré à Bicêtre pour y être enfermé sous des voûtes sépulcrales qui ne furent élevées que par la vengeance et quí se soutiennent que pour le vil intérêt de ces individus qui les régissent, c'est dans ce gouffre d'horreurs que l'on ensevelit toute la vie, la jeunesse, l'innocence, le crime, la vieillesse, tout pêle-mêle et pour comble de cruauté, on les prive de la salubrité de l'air, n'ayant que des aliments empoisonnés, sans repos, rongés de vermine ne voyant et ne pouvant qu'entendre des horreurs, je vous demande Messieurs, si le jour et la nuit pour cette victime n'étaient pas un véritable tombeau.

En 1784 il fut mis en liberté muni d'un exil qui lui fut signifié au bureau de cette inquisition, sur les faux noms de Louis-François du Main, natif de Chartres et gagne-deniers. Cette victime est connue pour se nommer Jean-Baptiste Cazin, natif fils de maître et apprenti de Paris. Etant pâtissier et cuisinier de sa vocation, je vous laisse à juger l'étendue des pouvoirs que s'arrogeaient ces messieurs conseillers du roi, inspecteurs et commissaires de sùreté, sous l'arbitraire de l'ancien régime.

Législateurs, je vous prie de vouloir bien observer que cette victime, sortie de sous cetle tombe, ayant gagné le scorbut aux deux jambes, sans argent, fut obligée de se mettre en route; je laisse à vos sentiments à voir quelle dut être sa position. S'il demandait, la maréchaussée voufait l'arrêter; s'il se présentait pour entrer dans un hôpital, on lui répondait qu'il était pour les pauvres de la ville et de plus qu'on ne traitait pas de pareilles maladies. Voilà comme l'ancien gouvernement entretenait, des deniers publics, une pépinière de victimes et de bandits sur les grandes routes, sous le voile absurde de veiller à la sûreté publique, pendant qu'ils étaient les seuls organes de tous les crimes, par leurs vils intérêts.

Cette victime fut obligée de venir à Paris: il était dépourvu de tout et fut arrêté comme mendiant, mis à la Force, de là à Saint-Deris, le bourreau de cette maison d'horreur lui coupa les cheveux, il y resta un an entre la vie et la mort. L'entrepreneur avait de Sauvigny, 5 sols par individu, pour les nourrir, les entretenir, et l'Etat en donnait une livre; aussi, le pain et les autres légumes étaient empoisonnés, sì l'on se plaignait l'on vous chargeait à l'arme blanche, et l'on tirait sur vous comme sur une battue. Les registres de sépultures peuvent prouver qu'il en mourait au moins 12 par jour, l'on en a vu dans la même journée jusqu'à 30. Je crois qu'il faut passer sous silence ces traits d'horreurs qui flétriront à jamais le gouvernement monarchique de la France.

il

Cette victime, au bout d'une année, fut obligée, de contrainte, de se remettre en route, dans une situation plus triste qu'à son premier exil, il fut relevé pour mort sur le pavé de Rochefort, un lieutenant de vaisseau le fit porter à l'hôpital comme matelot et lorsqu'il fut rétabli, le plaça chez un nommé Bougras, traiteur où mangeaient plusieurs officiers, il y resta jusqu'au moment où il partit en station. Il travailla ensuite à l'abbaye Saint-Michel-en-l'Herm à Niort, chez M. Vildon, à l'échevêché à Poitiers, muni de certificats, passeports, des lieux où il avait travaillé ; il fut à Paris son lieu natal, espérant avec ce qu'il avait gagné obtenir plus facilement la justice qu'il réclamait en vain; le jour de son arrivée, fut pris dans son lit et conduit chez le commissaire Ferrant, qui prit connaissance de tous ses papiers et les lui fit remettre en lui disant qu'il ne pouvait faire autrement, vu son exil, de l'envoyer en prison; il ordonna qu'il fut mis sur le preau, mais pour lui ôter toute réclamation on le mit au cachot où il resta depuis le 27 septembre jusqu'au 7 novembre 1787; il fut transféré pour la seconde fois arbitraire, sans avoir été plus interrogé qu'à sa premiére détention. Cette victime lui réclame ce qui lui fut pris au moment qu'on le mit au cachot: qui consiste en un portefeuille où était renfermé ses papiers de famille. Brevet, passeport, certificat. lettre de voiture, un billet de la caisse d'escompte de la valeur de 300 livres et sa malle, tout jusqu'à ses boucles cela lui étant remis chez le commissaire ça ne fut pas porté dans l'écrou, ce qui fait que c'est perdu, à moins qu'il ne vous plaise; Messieurs, de lui faire rendre la justice qu'il réclame en vain depuis 12 ans.

Cette victime fit passer ses réclamations au ministre, ainsi qu'au directeur des finances qui le fit mettre bors de Bicêtre le 10 mars 1789. En dépit des ordres du ministre, on lui a fait signer de force un second exil qu'on lui retira sur-le1re SÉRIE. T. XLV.

champ, il sortit encore muni du scorbut; se rendant à l'hôpital Saint-Louis, il fut arrêté et conduit chez le commissaire seigneur, qui fit refus de l'envoyer en prison, ces preuves peuvent se vérifier, le commissaire a dit qu'il faudrait mieux faire mourir des hommes quand ils sont coupables que de les faire souffrir de la sorte.

Cette victime, étant rétablie, fut auprès du ministre réclamer le tort qui lui fùt fait, il le renvoie à M. de Crosne qui lui dit pour toute réponse, que s'il était à Paris, dans 24 heures, qu'il le ferait remettre d'où il sortait et qu'il n'en sortirait jamais.

Cette victime parvint à savoir pourquoi il fut emprisonné, le commis des ordres du roi de la mairie lui a donné lecture de l'écrou; il est ainsi conçu Ce jourd'hui fut arrêté par nous Santerre, conseiller du roi, inspecteur de police, le nommé Louis-François Dumain, natif de Chartres, gagne-deniers, étant en compagnie suspecte, muni de fausses clefs ayant subi plusieurs procès et voleur sans preuves, ces faits sont constatés sur des registres publics. L'accusé demande un jugement qui prouve cette fausseté.

2o Cette victime se nomme Jean-Baptiste Cazin, natif fils de maître et apprenti de Paris, il n'est jamais sorti que pour travailler au voyage de la cour, il faut lui prouver où il a porté les noms que l'on lui substitue, en quel endroit et quelles en sont les preuves.

S'il fut trouvé en compagnie suspecte, il fallait en instruire la cause pourquoi et comment; il était à dîner avec un jeune homme de sa connaissance, qui fut réclamé par M. le curé de Saint-Martin qui vengea son innocence, et l'exposant resta seul victime parce qu'il était orphelin et que sa famille aurait désiré et désire en

core sa mort.

S'il a subi plusieurs procès, les pièces feront foi, c'est la preuve fondamentale dù faux, il faut lui prouver quelle espèce de procès, de quel nature sont les délits, dans quels lieux il les a subis, les dates, les années, à quel greffe sont déposées les pièces, c'est la seule preuve démonstrative, où vos sagesses verront avec indignation et seront définitivement instruits. Si cette victime avait été trouvée munie de clefs, on devait le traduire par-devant le tribunal criminel pour savoir d'où elles venaient et pourquoi il les portait étant gagne-deniers au dire de l'inspecteur; il n'était pas du ressort de la police, il devait être poursuivi par le procureur du roi, qui aurait conclu et fait jugement selon les formes de ce temps.

Voleur sans preuves, ne peut s'entendre. Le parlement lui-même, refusa cet indice et fit plusieurs représentations sur les pouvoirs arbitraires que s'arrogeait la police; je crois avec vérité que les hommes de lois qui sont dans le sein de l'Assemblée nationale diront qu'il leur serait plus facile de démontrer aux pieds de la loi et aux jugement de l'Europe, que l'inspecteur, le commissaire, le lieutenant de police et le ministre lui-même, sont non seulement des voleurs avec preuves, mais la vraie source d'où dérivait tous les crimes qui se commettaient, non seulement à Paris, mais dans toute l'étendue du royaume.

Cette victime a interpellé le décret du mois d'avril 1790, qui autorise tout individu détenu illégalement, de pouvoir requérir les pièces qui constatent toute inculpation pour ensuite obtenir un jugement conforme aux lois du royaume; mais le garde des sceaux, le ministre de l'inté

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