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de l'Hérault a cru prendre des précautions pour qu'en raison de son éloignement, la loi, iorsqu'elle lui parviendrait, n'éprouvât pas de retard dans son exécution; de manière que le département de l'Hérault n'a donné, par là, qu'une grande preuve de son zèle et de son dévouement pour faire exécuter les lois. (Applaudissements des tribunes.) Si ce département eût pu connaître le refus de la sanction de la loi, et que malgré cela il eût ordonné la levée des bataillons, je serais le premier à demander qu'il fût blâme; mais il ne faut pas confondre que cette loi n'ayant pas été sanctionnée, et le département voyant que les soldats des bataillons qu'il voulait envoyer, étaient à 200 lieues, et voyant d'un autre côté que les soldats étaient obligés de se rendre le 14 juillet, il leur serait impossible de se rendre, s'il ne prenait des mesures provisoires avant l'arrivée du décret, pour lui obéir. Je crois donc qu'il n'y a pas lieu à inculper le département.

M. Cambon. Je demande la mention honorable de la conduite du département.

(L'Assemblée renvoie cette adresse à la commission extraordinaire des Douze et passe à l'ordre du jour.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une adresse des citoyens actifs de la ville de Grenoble, par laquelle ils applaudissent aux mesures proposées par l'Assemblée nationale contre les prêtres séditieux et pour la formation d'un camp de 20,000 hommes. Cette adresse est ainsi conçue :

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« Le 19 juin 1792, l'an IVe de la liberté. Représentants de la nation (1).

Au milieu des circonstances pénibles et des agitations qui nous environnent, vos décrets étaient l'expression de la prudence et de la sagesse; leurs dispositions vigoureuses devaient tout à coup ramener le calme, mais un conseil perfide, un silence funeste a tout anéanti.

a

Législateurs, le veto suspenstif accordé au roi des Français n'est autre chose qu'un appel au peuple. Or, voici ce que pense le peuple dans ces instants décisifs. (Vifs applaudissements des tribunes.)

Un décret contre les prêtres perturbateurs était urgent pour dissiper leurs complots fanatiques et sanguinaires, pour rompre le trame qui les unit aux rebelles d'Outre-Rhin, pour rendre la paix à nos campagnes. Mais Louis XVI a toujours protégé ce culte incivique et séditieux, et ce décret n'a pas été sanctionné.

« Un camp de 20,000 hommes était nécessaire auprès de la capitale, pour la protéger contre une invasion, pour faire taire des factieux qui dépravent l'opinion, qui égarent le zèle du peuple, pour anéantir des agitateurs qu'alimente la liste civile; mais Louis XVI, pour des desseins secrets, a besoin du trouble, des divisions et de l'anarchie, et il rejette la formation d'un camp protecteur de la tranquillité publique.

« Vous avez appelé la vengeance nationale sur les grands coupables, vous rendrez bientôt le décret le plus justement sollicité par la nation, celui de la confiscation des biens des traîtres armés contre la patrie; mais Louis XVI fera parler la voix du sang; il a toujours nourri les

(1) Archives nationales, Carton 152, dossier n° 268.

sacrilèges espérances des parricides; n'en doutez pas, le veto fatal sera prononcé.

« Législateurs, nous avons juré de mourir pour la défense de nos lois, mais sommes-nous donc destinés à périr sous les ruines d'une Constitution qu'on veut renverser sur nous?

« Ce n'est pas au roi seul que le dépôt sacré a été remis, c'est à vous, c'est à nous, c'est à la vigilance de tous les citoyens, c'est au courage de tous les Français. Depuis longtemps on la brave cette Constitution, on l'outrage, on la tourne contre nous-mêmes. Louis XVI, de sa liste civile, solde encore les satellites du 6 octobre; il entretient, sous vos yeux, dans une maison nationale, une garde que vous avez proscrite. Un cabinet ténébreux prépare dans sa Cour la défaite de nos légions.

« Il n'existe pas encore ce registre, où devaient être inscrites les délibérations de son conseil, et Louis XVI vient d'éloigner de lui 3 ministres qui ont mérité notre confiance, dont le seul crime est de parler le langage de la liberté, et de ne vouloir rien faire que pour le peuple.

« Législateurs, le peuple est souverain; il a le droit imprescriptible et constitutionnel de résister à l'oppression.

« Si Louis XVI est insensible aux alarmes de la patrie, s'il ne veut pas être un avec le peuple français, si par des actes contraires au salut de l'Etat, il trahit et rétracte son serment, la nation va se lever tout entière (Applaudissements à gauche) et la Constitution à la main, elle s'écriera: Louis XVI, roi des Français est déchu de la couronne.» (Applaudissements réitérés à l'extrême gauche et dans les tribunes.)

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Un membre: La date de cette adresse?
M. le secrétaire: Du 19.

Un autre membre: Le refus de sanction n'est que du 18, on voit d'où cette adresse est venue. M. Leroy (de Lisieux.) Comme chacun doit profiter de son invention, je demande qu'on accorde un brevet de prophétie aux habitants de Grenoble, qui ont déviné le 19 qu'on avait mis le 18 au soir un veto sur 2 décrets; d'ailleurs, il n'y a dans la ville de Grenoble que 2,100 citoyens actifs, et cependant il s'en trouve 3,054 dans cette adresse, de sorte qu'il paraît que la population s'est tout à coup augmentée de 1,000 à 1,200 personnes.

M. Tronchon. Il est nécessaire de faire entendre au peuple combien il est abusé par ces prétendues adresses. Celle qui vient de vous être lue est datée de Grenoble, le 19 de ce mois; or, pouvaient-ils, le 19, être instruits d'un refus de sanction qui n'a été manifesté que le 18? (Murmures prolongés.)

M. Thuriot. Les aristocrates se réjouissaient d'avance de ce que le décret serait vétoté.

Quelques membres (à droite): Vous êtes un factieux!

M. Tronchon. Je ne révoque pas en doute la vérité des signatures des officiers municipaux; mais il est bien étonnant qu'on se plaigne le 19, à Grenoble, d'un refus de sanction qui n'a été donné à Paris que le 18.

M. Mayerne. Il y a un moule d'adresses aux Jacobins.

M. Carnot-Feuleins, le jeune. Je demande que nous passions à l'ordre du jour, et que nous nous occupions utilement pour les choses publiques.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

D'autres membres: La mention honorable! (L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze et passe à l'ordre du jour.)

Un citoyen, accompagné du sieur Mattéi, prêtre et curé assermenté de la paroisse de Saint-Nicolas de Montereau-Faut-Yonne, est admis à la barre. Il donne lecture, au nom de ce dernier, d'une pétition dans laquelle le sieur Mattéi réclame contre un attentat commis à son égard par les officiers municipaux de cette ville, qui se sont opposés à ce qu'il fût planté, devant la porte de son église, un arbre en l'honneur de la liberté, et demande que l'Assemblée veuille se faire rendre compte de cette violation à la Constitution et aux droits du citoyen, en mandant les officiers municipaux à sa barre. Cette pétition est ainsi conçue (1):

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« Un grand attentat contre la Constitution et les droits du citoyen vient de se commettre en la ville de Montereau. Il est du devoir de l'homme libre dont la conduite patriotique a provoqué cet attentat de vous le dénoncer.

«En ma qualité de curé de la paroisse SaintNicolas de ladite ville de Montereau, j'avais résolu de planter vis-à-vis de la porte de l'église de cette paroisse, un arbre consacré à la liberté. L'isolement de cet arbre, dont je voudrais voir la cité ombragée et décorée, la déférence qu'on doit aux magistrats du peuple, m'ont déterminé à l'offrir aux officiers municipaux pour être planté dans l'endroit le plus apparent de la ville. Dans ma pétition je les invitais à venir s'asseoir à un banquet fraternel, que cette solennité aurait animé de la joie pure et délicieuse de la liberté. Ils n'ont pas jugé à propos d'obtempérer à cette pétition que le civisme avait dictée, ils n'ont pas même daigné y répondre, tant ils ont craint, à n'en pas douter, de compromettre la dignité magistrale dont le peuple les a revêtus. D'après leur refus, j'ai béni et planté solennellement cet arbre en haut duquel était une pique surmontée du bonnet de l'égalité et des couleurs nationales; à son tronc était attaché cette inscription: «Vive la nation, la loi, le roi; on m'a planté ici pour y être le ralliement des patriotes et l'effroi des aristocrates ». Cette fête civique a eu lieu dimanche dernier; en signe d'allégresse j'avais encore fait attacher, à la croix du clocher de ladite église Saint-Nicolas, une

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(1) Archives nationales: Carton 152, dossier no 270.

bannière aux trois couleurs. Bientôt la municipalité a été instruite de toutes mes actions, et bientôt elle est venue, entourée de la garde nationale, de la gendarmerie et d'un détachement de troupes de ligne, troubler la paix et la satisfaction que je goùtais. Elle m'a sommé de faire enlever dudit clocher des couleurs qu'elle regardait comme un signal de guerre, où de famine, ou de peste; elle a prétendu que la loi me défendait absolument cet acte de patriotisme. L'appareil militaire qu'elle a déployé dans cette démarche anticivique a réveillé chez certains habitants de ladite paroisse une haine injuste, que le temps n'a pu encore assoupir et de toutes parts j'ai entendu murmurer fortement contre moi. Sans doute, s'il eût été de mon caractère de résister à une tyrannie aussi oppressive et destructive de tous les droits, une insurrection aurait éclaté et la municipalité aura renouvelé des scènes désolantes qu'elle n'a jamais voulu prévenir et dont cependant elle a été bien instruite. Quand elle a vu les têtes s'exalter et s'enhardir par sa présence, elle a demandé à entrer dans l'église. Là j'ai été contraint de lutter contre toutes les passions, et tandis que je réclamais de toutes les puissances de mon âme contre sa conduite, tandis que je lui faisais voir les dangers auxquels elle m'exposait et la ville entière, son secrétaire-greffier, qui déteste parfaitement tout zélateur de la Constitution et que mes réclamations patriotiques avaient désorganisé, vomissait au dehors et sur moi des abominations, qui ne tendaient à rien moins qu'à provoquer une rumeur dans ses conseils. Il insinuait aux citoyens de réclamer contre la plantation d'un arbre, dont la vue seule crispait tous ses nerfs. « Si vous demandez qu'on l'abatte, leur disait-il, il faudra bien qu'il soit abattu.» Dans l'intérieur de l'église un sieur Prévot, lieutenant de la gendarmerie, qui ne devait être qu'un spectateur, aussi muet qu'il est sourd, se permettait les mêmes propos et semblait échauffer des esprits, déjà désorganisés par la vue des couleurs nationales. Enfin ces couleurs qui flottaient sur le clocher de ladite église leur ont été apportées, et ils se sont retirés en refusant de dresser procès-verbal de leur incivisme et de consigner par conséquent mes protestations.

« Législateurs, vous apercevez combien la conduite de la municipalité de Montereau est contraire à la loi. Elle a violé la Constitution, qui permet aux Français de faire tout ce que la loi ne défend pas; elle a foulé aux pieds les droits de l'homme et du citoyen, que garantit la Constitution, et elle a presque donné lieu à une insurrection en déployant un appareil militaire, dont elle ne doit s'environner que lorsque de grands troubles exigent des mesures rigoureuses. Dépouillé de ma cure par le despotisme, un jugement émané des magistrats du peuple m'y a réintégré. Quand l'exécution de ce jugement a nécessité un tel appareil de puissance, quand des hommes égarés par des suggestions perfides et fanatisés par un prêtre non desservant se sont révoltés contre la loi et ses ministres, la municipalité de Montereau ne s'est pas montrée aussi vigilante. On opprimait un citoyen, on s'opposait à l'exécution du jugement et de la loi, et elle est restée tranquille spectatrice de ces délits, qu'elle aurait dù réprimer. Ils étaient trop minutieux sans doute; il fallait avoir commis le crime irrémissible de décorer une cloche des couleurs nationales pour attirer toute son attention et la réveiller d'une léthargie que

des séditions ne pouvaient guérir. Dans ces agitations, elle n'avait donné un régime de vie que pour prendre un arrêté contraire à un réquisitoire du commissaire du roi auprès du tribunal de Nemours, qui enjoignait au commandant de la garde nationale de prêter main forte aux agents exécuteurs de la loi. Telle a été la conduite d'une municipalité dont la formation est irrégulière, puisque plusieurs de ses membres ont été réélus contre les dispositions de la loi, qui défend de confier les fonctions municipales à des citoyens qui s'en vont acquittés, à moins qu'il n'y ait eu une interruption de deux ans. Elle est grandement coupable et doit attirer toute votre attention. Je demande qu'elle soit tenue de venir à votre barre rendre compte de sa conduite et qu'un décret la contraigne de faire replacer des couleurs qu'elle devrait ne voir flotter qu'avec respect et satisfaction.

"

Législateurs, nous sommes dans un moment de crise où les moindres actes d'une autorité arbitraire de la part des magistrats du peuple sont des crimes contre la Constitution et des attentats contre la liberté, qui peuvent entraîner des maux incalculables. Les Français vous ont confié leur liberté; lorsqu'elle est compromise vous avez à la défendre et à les protéger. J'attends de votre justice la punition des délits graves dont s'est rendue coupable la municipalité de Montereau. Sans doute, vous ne serez pas sourds à la voix d'un citoyen qui a le courage de la dénoncer. Le despotisme cherche à couvrir l'Empire d'un crêpe; il fait jouer tous les ressorts, veillez, punissez les infractions et la patrie reconnaissante ceindra vos têtes des couronnes qu'elle réserve à ses défenseurs. Je vous prie d'agréer un louis en or et un assignat de 50 livres que j'offre à la nation. (Applaudissements.) Si je ne puis porter les armes pour elle, je lui rends les services qu'elle a le droit d'attendre de tout citoyen, en inspirant à mes paroissiens l'amour de la Constitution, en leur lisant tous les dimanches les lois qui émanent du Corps législatif.

« Signé MATTÉI, curé.

M. Marant. Je demande l'ordre du jour sur cette pétition; c'est à leur département que ces citoyens doivent s'adresser contre la municipalité dont ils ont à se plaindre.

M. Carnot-Feuleins, le jeune. Je demande l'ordre du jour.

M. Tronchon. Je demande le renvoi de l'adresse au comité des Douze, et l'ordre du jour. (L'Assemblée passe à l'ordre du jour.) M. Basire. Je viens dénoncer un grand attentat à la Constitution, commis par le directoire du département de la Somme, qui vient d'usurper le pouvoir législatif en s'érigeant le représentant de ses administrés, en déclarant par un arrêté que la chose publique est en péril, en mettant les gardes nationales de son département où il n'y a pas de troubles, en état perpétuel de réquisition, et en entretenant des agents particuliers de ce département auprès de la personne du roi, en contravention aux lois, qui défendent de pareilles députations. Rien ne serait plus dangereux dans les circonstances où nous sommes, que de tolérer de pareils abus de la part des départements. Qui ne voit, Messieurs, jusqu'où pourrait aller une pareille atteinte, si tous les départements se permettaient aujourd'hui

la représentation nationale, et d'envoyer auprès du roi des députations extraordinaires? Il s'éleverait Assemblée nationale contre Assemblée nationale. Je vais mettre sous vos yeux cet arrêté inconstitutionnel et l'adresse au roi, rédigé en conséquence dudit arrêté; je les dénonce, et j'en demande le renvoi à la commission des Douze.

Voici, Messieurs, le texte de cet arrêté et de cette adresse :

Arrêté du directoire du département de la Somme.

« Le directoire, extraordinairement assemblé le 22 juin, informé des événements arrivés à Paris le 20 du même mois;

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A arrêté et arrête ce qui suit:

Le roi sera remercié de la fermeté qu'il a montrée lors de l'attroupement séditieux du 20 du présent mois, d'avoir soutenu la dignité de la nation, en refusant, au péril de sa vie, de céder aux menaces d'une foule de gens sans aveu, armés contre la loi, et d'avoir usé avec courage du droit que lui donne la Constitution, dont la garde lui est spécialement confiée l'effet de quoi deux députés du directoire du département seront envoyés sur-le-champ à Paris pour présenter à Sa Majesté son hommage, son attachement et le témoignage de la reconnaissance publique.

à

Ces députés seront chargés de rendre compte journellement, au directoire, des manœuvres et des projets des factieux, de veiller à la conservation de la personne du roi et de sa famille, et de périr, s'il le faut, auprès de lui pour la défense et le salut de l'Etat. Seront lesdits députés chargés d'offrir le secours des gardes nationaux des 200 bataillons de ce département, dans le cas où la garde nationale de Paris se trouverait insuffisante pour assurer la vie du roi et la liberté du Corps législatif déclare que les citoyens gardes nationaux de ce département sont, dès à présent, constitués en état de réquisition permanente, et que les commandants des bataillons désigneront chaque semaine le huitième de leurs bataillons, pour être de planton et prêts à marcher au premier ordre des autorités constituées. Il sera donné avis de cette mesure à l'Assemblée nationale et au roi. Pour l'exécution des présentes, le directoire a nommé pour ses députés MM. Lecaieu et Berville, membres de l'administration de ce département: Et sera le présent arrêté imprimé et adressé, à la diligence du procureur général syndic, aux directoires de district du ressort, pour être envoyé aux municipalités, qui le feront lire, publier et afficher en la manière accoutumée.

Délivré ledit extrait conforme au registre du directoire dudit département.

Signé DESJOBERT, vice-président, BERVILLE, secrétaire général. Adresse du directoire du département de la Somme, au roi des Français.

Sire,

Nous venons de lire dans les papiers publics, les événements désastreux du 20 de ce mois, et nous députons à l'instant vers Votre Majesté. Nous renouvelons dans vos mains, pour nous et tous les Français du département de la Somme, le serment que nous avons fait tant de fois, d'être libres par la Constitution, de respecter et de dé

fendre le roi qu'elle nous a donné, et qui ajuré comme nous de la maintenir.

Une foule égarée par quelques factieux a pris les armes malgré la loi; elle a osé, malgré la loi, se porter vers vous en tumulte, et s'introduire dans une enceinte qui devrait être inviolable. les magistrats lâches ou perfides lui en ont fait ouvrir l'entrée: elle vous a parlé au nom du peuple français; elle a réclamé au nom du peuple, contre l'exercice légitime que vous avez fait du droit de sanctionner ou de suspendre les décrets, et contre le renvoi également constitutionnel des ministres qu'une faction dangereuse nous avait donnés; elle a osé... Non, sire, ce n'est point là le peuple de Paris, c'est encore moins le peuple français: non, ce ne sont point les vœux du peuple qui vous ont été exprimés par la très petite portion de ce peuple immense répandu dans toutes les contrées de l'Empire. Le peuple français vous est fidèle; il a juré de maintenir la Constitution; il vous a reconnu, il Vous reconnaît pour son représentant héréditaire; il ne prétend pas que son roi puisse être avili ou insulté par les habitants des faubourgs de Paris, ni qu'il soit gêné par les menaces des factieux, ou par tout autre acte, de quelque espèce que ce soit, dans l'exercice des droits que la Constitution lui garantit.

Au milieu des armes qui vous pressaient, volre cœur, sire, n'a pas palpité; les nôtres se sont brisés au récit de cet attentat.

Nous vous félicitons, sire, nous félicitons la nation entière du courage de son représentant. La Constitution serait détruite, notre propre liberté n'existerait plus si vous cessiez d'être libre.

Continuez, sire, de maintenir la Constitution en la défendant par les armes contre les ennemis du dehors, en la conservant au dedans par l'exercice de tous les droits que la nation vous a confiés.

L'Assemblée prendra, sans doute, toutes les mesures nécessaires pour garantir votre majesté des dangers auxquels les factieux voudraient l'exposer encore; pour dissiper tous les complots pour en faire punir les principaux auteurs, nous la seconderons de tout notre pouvoir. Nous avons mis en état de réquisition permanente toutes les gardes nationales du département de la Somme. La patrie est en danger, lorsque son roi ne peut pas même jouir de la sûreté individuelle que la loi garantit à tous les citoyens. Les Français de ce département sont prêts à verser leur sang pour défendre la patrie, le roi et la Constitution. Ces trois objets sont indivisibles, et leur sont également chers.

Les administrateurs du directoire du
département de la Somme,

Signé J. DESJOBERT, vice-président : J. A. HEC-
QUET, DUHAMEL, TONDU, DUSESTEL,
LEFEBVRE, TRANCART, LECAIEU,
TATTEGRANS, procureur-général-
syndic; BERVILLE, secrétaire gé-
néral.

Plusieurs membres à droite : Mention honorable! (Murmures à gauche.)

M. Basire. Cet arrêté a été pris dans le directoire du département, et non point par le conseil, ce qui met déjà le directoire dans son tort pour les mesures de grande police. Il en résulte que ce directoire se permet de prononcer comme

directoire, ce qui est interdit à toutes les administrations qui ne sont chargées que d'exécuter les lois qui leur sont envoyées. Indépendamment de ce vou, il prononce une chose qui n'appartient qu'à l'Assemblée nationale, c'est de déclarer que la chose publique est en danger. C'est de vous que cette proclamation doit partir, et non pas d'une administration.

Un membre (à droite): Mais tous les jours on vous le dit à la barre!

M. Basire. Non seulement le directoire du département de la Somme semble oublier que l'Assemblée est là pour avertir elle-même la nation des dangers qu'elle peut courir, mais après l'avoir déclaré il agit en conséquence, et met toutes les gardes nationales de son département en état permanent de réquisition, quoiqu'il n'y ait point de troubles dans le département. Il va plus loin, il envoie auprès du roi des députés, chargés non seulement de lui présenter l'hommage de ses sentiments, mais encore de veiller à la conservation de sa personne, et d'éclairer les démarches des malveillants.

Plusieurs membres: Des factieux !

M. Basire. Il prend sur lui de proposer à la ville de Paris de lui envoyer des bataillons de son département, et il n'est personne qui puisse reconnaître à un département le droit de les faire, sans réquisition, sortir de son ressort. Il se permet d'afficher le trouble, ce qui tend toujours à le provoquer.

Le département de la Somme suppose que les magistrats de Paris ne savent pas faire exécuter la loi; suppose la force de Paris insuffisante; sous quelque rapport qu'on envisage la conduite de ce directoire, on la trouve nécessairement inconstitutionnelle, irrégulière, et tendant toujours à exciter des troubles. Sur cela je le dénonce. Je dépose les pièces sur le bureau; je demande le renvoi à la commission des Douze.

Plusieurs membres (à droite): Mention honorable et l'envoi aux 83 départements! (Murmures à gauche.)

Un membre: Il n'est pas un bon citoyen qui n'ait dans le cœur ce qui est dans l'arrêté.

M. Mayerne. Le renvoi à la commission des Douze, parce que la dénonciation servira de mention honorable.

M. Mathieu Dumas. Le droit de présenter une adresse aux autorités constituées... (Murmures prolongés.)

Plusieurs membres: La discussion fermée ! (L'Assemblée décrète que personne ne sera entendu.)

M. Boullanger. Je demande la question préalable pour l'honneur des principes.

(L'Assemblée décrète qu'il y a lieu à délibérer sur le renvoi.)

M. Mathieu Dumas. Je demande si c'est sur la dénonciation.

Plusieurs membres: Sur la dénonciation.

M. Mathieu Dumas. Si c'est sur la dénonciation, je demande à dénoncer la dénonciation. (Murmures.) Si je ne puis vous faire entendre la vérité, aucun sentiment honorable ne pourra plus approcher de cette enceinte. (Nouveaux murmures.)

M. Mathieu Dumas. Je demande la parole. (Bruit.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

(L'Assemblée refuse la parole à M. Mathieu Dumas.

Plusieurs membres: La division! (Murmures.) M. Mathieu Dumas. Je demande... (Nouveaux murmures.)

(L'Assemblée décrète que M. Mathieu Dumas ne sera pas entendu.)

M. Pucelle (de la Somme): Je demande la parole (1).

(L'Assemblée décrète qu'il ne sera pas entendu, et renvoie la dénonciation de M. Basire au comité des Douze pour en faire son rapport le lendemain à sa séance du soir.)

Le sieur Cazin est admis à la barre. Il prie l'Assemblée de s'occuper incessamment du rapport d'une affaire qui l'intéresse particulière

ment.

M. le Président répond au pétitionnaire et lui accorde les honneurs de la séance.

Un membre: Je demande que l'Assemblée décrète qu'elle entendra demain, après la lecture du procès-verbal, le sieur Cazin, pétitionnaire.

(L'Assemblée adopte cette proposition.)

M. Carnot-Feuleins, le jeune, au nom du comité militaire, présente un projet de décret, portant que les colonels et lieutenants-colonels de la gendarmerie nationale, actuellement en activité, continueront leurs services et seront payés de leurs appointements jusqu'au 1er avril prochain; Ce projet de décret est ainsi conçu (2):

«L'Assemblée nationale, considérant que la loi du 29 avril dernier, relative à l'organisation de la gendarmerie nationale, n'ayant pu être envoyée que fort tard aux directoires de département, la plupart d'entre eux n'ont point encore adressé au ministre de la guerre les observations qui, d'après l'article V du titre II de cette loi, doivent déterminer le choix des colonels et lieutenants-colonels, de manière à ce que la nouvelle organisation fùt définitivement terminée au 1er juillet, décrète qu'il y a urgence.

"

L'Assemblée nationale, après avoir entendu son comité militaire, et décrété l'urgence, décrète que les colonels et lieutenants-colonels de la gendarmerie nationale, actuellement en activité, continueront leurs services, et seront payés de leurs appointements jusqu'au 1er août prochain; dérogeant, à cet égard, à l'article 1er du titre II de la loi du 29 avril dernier, qui fixe au 1er juillet la réduction de ces officiers ».

(L'Assemblée adopte ce projet de décret.)

M. Dieudonné, au nom du comité de l'ordinaire des finances, fait un rapport (3) et présente un projet de décret sur la ratification d'un compromis passé entre l'agent du Trésor public et les acquéreurs de l'ancien enclos des QuinzeVingts; il s'exprime ainsi :

Messieurs, il est dû à la nation, par les acquéreurs de l'ancien enclos des Quinze-Vingts, tant en capital qu'intérêts, une somme d'environ 6 millions plusieurs actes authentiques lui

(1) Voy. ci-après, aux annexes de la séance, page 606, l'opinion non prononcée de M. Pucelle, au sujet de la dénonciation de M. Basire.

(2) Voyez ci-dessus, séance du mardi 26 juin 1792, au matin, page 583, la lettre du ministre de la guerre à ce sujet.

(3) Bibliothèque nationale: Assemblée législative. Trésorerie nationale, no 10.

assurent une hypothèque privilégiée sur les maisons bâties dans l'ancien enclos, pour le remboursement du capital et des intérêts. Mais des difficultés, qu'il serait trop long et d'ailleurs assez inutile de détailler ici, se sont élevées entre l'agent du Trésor public et les débiteurs, et ont été portées par-devant les tribunaux. La marche des tribunaux est lente et toujours très coûteuse; les acquéreurs de l'ancien enclos des Quinze-Vingts ont reconnu cette vérité, et ils ont paru désirer que des arbitres décidassent en dernier ressort sur les difficultés qui existent entre eux et l'agent du Trésor public. Celui-ci a été autorisé par les commissaires de la trésorerie nationale à accepter la voie de l'arbitrage et à compromettre. En conséquence, il a été passé, le 18 de ce mois, entre l'agent du Trésor public et Louis Pommeret, représentant les acquéreurs de l'ancien enclos, un compromis par lequel il a été nommé, de part et d'autre, des arbitres, qui sont autorisés à juger en dernier ressort toutes les contestations qui existent au sujet des créances dues au Trésor public par les acquéreurs, sans déroger, en aucune manière, aux droits acquis contre ces derniers par lá nation.

Et afin que les délais qui seront nécessaires aux arbitres, pour remplir leur mission, ne soient pas nuisibles à la nation, il a été arrêté expressément par le compromis, que dès ce moment il serait procédé, en présence de l'agent du Trésor public, après 3 publications, à la vente amiable des terrains et bâtiments qui forment le gage de la nation, et que le prix provenant de cette vente serait versé, savoir: 2 tiers à la trésorerie nationale, et l'autre tiers entre les mains d'un des notaires par-devant lesquels se fera la vente.

Il a été arrêté aussi que jusqu'au moment de la vente, la régie et administration des terrains et bâtiments serait faite par une personne agréée par la trésorerie nationale, qui recevra les loyers sous la surveillance de l'agent du Trésor public et d'un des arbitres, et en versera le montant entre les mains du notaire chargé de recevoir le tiers du produit des ventes.

Enfin, il a été arrêté que l'Assemblée nationale serait priée de décréter que les ventes et adjudicatious qui auront lieu, ne seraient sujettes à aucun droit d'enregistrement, ni de lods et ventes.

Votre comité de l'ordinaire des finances, auquel vous avez renvoyé l'examen de cet acte, a vu que non seulement il mettait à couvert tous les intérêts et les droits de la nation, au sujet des sommes dues au Trésor public par les acquéreurs de l'ancien enclos des Quinze-vingts; mais qu'il tendait bien évidemment à accélérer le recouvrement de ces sommes, et qu'il avait même l'avantage de mettre en quelque sorte dans la main de la nation les propriétés sur lesquelles elle avait seulement une hypothèque privilégiée. Ce que je viens de dire des dispositions de cet acte, suffira sans doute pour convaincre l'Assemblée nationale des avantages qui en résultent pour la nation. Votre comité n'a donc pas hésité de vous en proposer la ratification.

Votre comité vous propose aussi de décréter qu'il ne sera perçu, par la régie des domaines, qu'un droit de 15 sous sur chaque vente qui aura lieu en exécution du compromis dont il s'agit, et qu'il ne sera répété aucun droit casuel féodal ou censuel.

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