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gardes du roi, qui n'en sortaient pas du matin fusqu'au soir. Je dénonce à l'Assemblée que plusieurs députés à l'Assemblée ont été insultés. Je demande si l'Assemblée, parce qu'elle occupe cet emplacement, doit dépendre du Pouvoir exécutif. Je demande que le ministre de l'intérieur, au lieu de venir vous parler des troubles factices, de troubles faux qui n'ont jamais existé (Applaudissements des tribunes), vienne vous rendre compte si ces groupes, véritablement contrerévolutionnaires, existent encore dans le jardin des Tuileries; et si, encore une fois, les représentants de la nation, lorsqu'ils sont dans le château des Tuileries, peuvent se regarder encore comme dans un asile sacré.

M. Tronchon. J'ai passé très souvent dans les Tuileries; je n'y ai rien vu de tout ce que dit M. Lamarque.

Un membre (à droite): J'ai été souvent insulté aussi, mais c'était par ceux qu'on appelle les sans-culottes. Je n'ai jamais pris la peine de les dénoncer.

M. Dehaussy-Robecourt. Je demande la parole pour un fait.

M. Calvet. Je demande à appuyer M. Lamarque. J'ai vu maltraiter un représentant de la nation; je dois le dire il est très vrai qu'avant-hier, à deux heures, M. Duhem, député du département du Nord, a été cruellement maltraité, non pas manuellement, mais en paroles, par un homme décoré de la croix de Saint-Louis.

M. Lamarque. Il n'est pas le seul.

M. Calvet. J'étais assis de ce côté-là; M. Quesnay, député, est entré et m'a dit : « Je viens des Tuileries; il y a un groupe très considérable, où M. Duhem et d'autres membres pérorent. Il faudrait y aller pour faire cesser cette espèce de sermon que M. Duhem fait à 30 ou 40 personnes qui l'environnent.» Nous y avons couru, et nous avons rodé autour du groupe; nous n'avons perdu aucune des paroles de M. Duhem. Elles nous ont fait frémir; M. Duhem y prêchait la révolte et l'insubordination; il disait que le roi ne cessait de tromper le peuple. (Applaudissements à l'extrême gauche et dans les tribunes.)

M. Brival. Et moi, je le dis au milieu de l'Assemblée.

M. Lameth. Monsieur le Président, c'est là l'occasion de rappeler les tribunes à l'ordre.

M. Calvet. Nous n'avons pas voulu interrompre M. Duhem, parce que nous respectons la liberté des opinions. Nous en gémissions; mais nous nous taisions. Alors, Messieurs, une personne décorée de la croix de Saint-Louis...

Un membre (à gauche): On ne cherche qu'à élever des troubles dans Paris. L'ordre du jour!

M. Calvet. Un homme décoré de la croix de Saint-Louis l'a renvoyé à son poste, et lui a dit qu'il ne devait pas calomnier les intentions du roi dans le jardin des Tuileries. Il lui a dit des choses très dures, je suis forcé d'en convenir. Plusieurs membres : L'ordre du jour! (L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. Terrier, ministre de l'intérieur. L'Assemblée nationale m'avait demandé compte de la situation de Paris. J'ai cru que je devais lui présenter un ensemble collectif d'après les différents rapports que j'ai reçus, soit de la municipalité, soit des corps administratifs. Je ne lui ai pas rendu compte des pièces que j'ai reçues,

mais puisqu'on lui a lu la lettre de M. le maire, je dois pour me justifier vous rendre compte aussi de la lettre que j'ai reçue de M. le procureur général syndic. La voici (1) :

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Les occupations du conseil, Monsieur, et les miennes pour prévenir les troubles dont nous étions menacés aujourd'hui, nous ont conduit hier si tard, qu'il m'a été impossible de vous rendre le compte de la journée. Je vais m'en occuper et avant deux heures vous en recevrez un détail.

« Les précautions prises et annoncées, la ferme résolution de la plus grande partie de la garde nationale, l'attention qu'ont eue deux officiers municipaux de se porter, dès hier, au rassemblement du faubourg Saint-Marcel, et la démarche qu'a faite M. le maire au faubourg Saint-Antoine, où il a parlé et fait entendre le langage de la loi; enfin la persévérance du département, et surtout les sages décrets de l'Assemblée nationale concernant les rassemblements et les troubles, nous permettent d'espérer une journée paisible et le retour du calme et de l'ordre pour la suite. Pour moi j'espère avec une pleine confiance; et ce qui détermine cette confiance, c'est que déjà j'entends des intrigants factieux, subalternes et hypocrites, parler avec une dérision feinte de nos inquiétudes trop fondées, et nous accuser d'en avoir montré pour en répandre. (Murmures prolongés.) Ce langage, Monsieur, est d'un très bon augure; il prouve que les factions désespèrent de surmonter les autorités constituées. (Vifs applaudissements.)

« Le procureur général syndic du département de Paris,

« Signé ROEDERER. »

« 25 juin 1792, 9 heures du matin. »>

Plusieurs membres à droite : L'impression de cette lettre!

M. Terrier, ministre de l'intérieur. Je demande à l'Assemblée si, après les différents rapports qu'elle a entendus, celui que j'ai eu l'honneur de lui faire n'en était pas le résultat combiné.

Plusieurs membres : Oui, oui!

D'autres membres Nous demandons l'impression du rapport du ministre, de la lettre du procureur général syndic et de celle du maire de Paris, ainsi que l'envoi aux 83 départements!

(L'Assemblée décrète l'impression du rapport de M. le ministre de l'intérieur, de la lettre du procureur général syndic et de celle du maire de Paris et elle en ordonne l'envoi aux 83 départements.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre, souscrite Lenoir, Dubreuil et Verniquet, citoyens du faubourg Saint-Antoine, qui dénoncent M. Chabot, membre de l'Assemblée, comme coupable de provocations séditieuses dans la nuit du 19 au 20 juin. Cette lettre est ainsi conçue (2):

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ayant, dans la nuit de mardi à mercredi 20 juin, assemblé le peuple dans une des églises du faubourg Saint-Antoine; comme ayant provoqué un rassemblement alarmant contre ceux qui s'opposeraient à leurs vœux et à l'assassinat du roi. (Nous soulignons ces termes, car les témoins se multiplient.) Lisez publiquement cette dénonciation, ou vous vous rendriez son complice; car nous l'imprimerons, et nous y ajouterions votre refus et votre silence.

«Nous sommes avec respect, Monsieur le Président, les très humbles serviteurs et amis de la Constitution et du roi.

- Signé Les véritables amis de la Consti-
tution, LENOIR, Dubreuil, Ver-
NIQUET, citoyens du faubourg
Saint-Antoine, »

M. Condorcet. Messieurs, je dois dire à l'Assemblée nationale que, mercredi matin, une couturière qui demeure dans l'enclos des QuinzeVingts, au faubourg Saint-Antoine, est venue chez moi, pour y apporter des robes. Je lui demandai en quel état était le faubourg; elle m'a parlé du rassemblement et de la résolution qu'avaient prise un grand nombre de citoyens, de défiler en armes devant l'Assemblée nationale. Elle m'a dit que les officiers municipaux les en avaient détournés; et elle m'a ajouté que M. Chabot y avait été le soir, et qu'il avait fait tout son possible pour les engager à se présenter sans armes. Voilà ce qu'elle m'a dit, et je crois devoir en instruire l'Assemblée.

M. Choudieu. Je demande la parole pour un fait, au nom du faubourg Saint-Antoine.

M. Chabot monte à la tribune. (Vifs applaudissements des tribunes.)

M. le Président. Je rappelle de nouveau aux tribunes le respect dû à l'Assemblée. (Nouveaux applaudissements.)

M. Leroy (de Bayeux). Je demande qu'il soit défendu d'applaudir quand on parle qu'on a voulu assassiner le roi.

M. Chabot. Je rends grâce aux calomniateurs, parce qu'ils me forcent à prouver une modération qu'on ne m'a jamais connue. (Rires à droite; applaudissements à gauche.)

Plusieurs membres : A l'ordre! à l'ordre!

M. le Président Je rappelle à l'ordre ceux qui interrompent comme ceux qui applaudissent.

M. Chabot. Je dis que les calomnies me forcent à faire connaître juridiquement une modération qu'un grand nombre de membres n'ont pas voulu reconnaître en moi. Il est vrai, Messieurs, que j'ai été au faubourg Saint-Antoine la veille de la pétition; il est vrai que j'étais instruit qu'ils voulaient faire cette pétition, et que j'improuvais cette pétition; il est vrai que j'ai dit que cette démarche ne produirait peutêtre aucun bon effet; il est vrai, qu'étant instruit, en sortant des Jacobins, que le faubourg Saint-Antoine était assemblé pour cette pétition, j'ai cru qu'il m'était permis de les aller exhorter à ne pas la faire; il est très vrai que suis monté à la tribune de cette église; et malheureusement pour mes calomniateurs, le secrétaire de cette section a consigné dans le procès-verbal les expressions de la modération que j'avais prêchée à ce peuple assemblé. (Applaudissements.)

J'observe que, quand je fus à la porte de cette

église, on m'annonça comme membre de l'Assemblée nationale, ce qui répugnait un peu à mon cœur, parce que j'y paraissais comme citoyen. M. le Président me fit la grâce de me forcer à me placer à côté de lui. Quand j'eus exprimé mon vœu sur cette pétition, quand je crus ne pouvoir pas l'empêcher, je leur recommandai au moins de ne pas y venir en armes. Je les en ai empêchés, je m'en vante à la face de l'Assemblée nationale et de toute la France. M. le secrétaire a eu l'attention de consigner ces expressions modérées dans le procès-verbal; je lui dis que c'était inutile, qu'il ne fallait pas me nommer, que j'étais là comme simple citoyen. J'eus beau insister, il voulut conserver et mon nom et l'expression de mes sentiments dans le procès-verbal. La lecture en fut faite à l'assemblée, et l'assemblée y applaudit à plusieurs reprises. Je ne doute pas que ce ne soient les malveillants, que ce ne soient les_vrais aristocrates, les amis du château des Tuileries, qui aient fait ameuter ce peuple; car il était délibéré qu'il n'y viendrait pas en armes, et il était au nombre de 7 à 8,000, tant au dedans qu'au dehors. Ils ont entendu les expressions de la loi dont je me flatte d'avoir été l'organe; ils les ont entendues avec des applaudissements réitérés qui marquaient l'expression de leurs cœurs. Je dois donc dire que ce sont des scélérats, et peut-être mes calomniateurs qui les ont fait arriver au château des Tuileries; car ils sont venus ici avec votre permission, et au château des Tuileries avec des armes qu'ils ne devaient point avoir. C'est eux que je dénonce, parce que je ne doute pas que ce ne soient de véri tables scélérats qui aient provoqué cette insurrection. (Vifs applaudissements.)

Je vais demander au président ou au secrétaire de cette section, je ne sais pas qui cela regarde, l'extrait de la délibération de ce jour pour en faire lecture à l'Assemblée. Et, Messieurs, c'est la seule vengeance que je veux tirer de mes calomniateurs. (Applaudissements.) J'ajoute que ces citoyens étaient assemblés en section et n'étaient pas attroupés.

M. Lagrévol. A la lecture de la dénonciation qui vient de vous être faite, j'ai frémi avec tous les membres de cette Assemblée; jamais sans doute, Messieurs, un attentat n'aurait été commis avec autant de caractère que celui qui vous est dénoncé, si M. Chabot fût coupable du délit dont on l'accuse. Son caractère de représentant du peuple français aurait dû lui inspirer des sentiments de respect pour son représentant héréditaire. Messieurs, j'ai frissonné de cette dénonciation, et je me trouve dans ce moment plein de satisfaction, d'après le témoignage de M. Condorcet, et je dis même de l'Assemblée nationale. Je ne doute pas, Messieurs, que la dénonciation qui vous a été faite ne soit fausse; mais je dis que l'Assemblée nationale se doit à elle-même, à sa dignité, de donner à cette dénonciation les suites qu'elle doit avoir; c'est-àdire que l'Assemblée doit la renvoyer à son comité des Douze, en le chargeant expressément de la suivre jusqu'à ce qu'il ait la connaissance ou que les faits dénoncés sont vrais, ou qu'ils sont faux; car si nous mettions, Messieurs, la moindre négligence, on pourrait nous accuser de porter, dans les occasions sévères, la modération qui ne convient pas aux représentants du peuple quand ils jugent un de leurs membres. C'est avec toute la sévérité de la loi que

M. Chabot doit être jugé, s'il est coupable, comme c'est avec tout l'éclat de l'innocence qu'il doit paraître devant le peuple. (Applaudissements.)

Je demande le renvoi au comité des Douze. M. Garreau. Les pétitionnaires que vous avez admis déclarent tous ne pas reconnaître ces signataires pour membres de leur section.

M. Delacroix. Avant que l'Assemblée prenne aucun parti, je demande que la lettre paraphée soit renvoyée au Pouvoir exécutif, à l'effet par lui de prendre les mesures convenables pour faire vérifier, sans délai, si les trois particuliers signataires de cette lettre existent et sont citoyens de cette section, pour en rendre compte ce soir. Nous ne devons pas laisser reposer lus longtemps une pareille calomnie sur la tête de M. Chabot.

(L'Assemblée adopte cette proposition et celle de M. Chabot.)

Suit le texte définitif du décret rendu: « L'Assemblée nationale décrète que la lettre signée Lenoir, Dubreuil et Verniquet, sera paraphée par les secrétaires, et, sur-le-champ, envoyée au Pouvoir exécutif, pour faire vérifier, sans délai, s'il existe dans le faubourg Saint-Antoine trois citoyens nommés Lenoir, Dubreuil et Verniquet; et, dans ce cas, faire constater si les signatures apposées au bas de la lettre sont d'eux, et, du tout, rendre compte dans la séance de ce soir.

"

L'Assemblée nationale décrète, en outre, que le Pouvoir exécutif fera délivrer expédition du procès-verbal de la séance de la section des Quinze-Vingts dans la nuit du mardi 19 au mercredi 20 de ce mois, et la fera parvenir, dans la séance du soir, au Corps législatif.

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(La séance est levée à 4 heures et demie.)

ANNEXE

A LA SÉANCE de l'assembBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU LUNDI 25 JUIN 1792, AU MATIN. OPINION DE M. G. DELFAU (1), député du département de la Dordogne, sur les sociétés populaires.

AVIS

Puisque je n'ai pu prononcer mon opinion tout entière, je dois la faire imprimer (2). C'est après l'avoir lue jusqu'à la fin que l'on pourra connaître si je ne devais pas à la vérité, à ma conscience, à ma patrie, de dénoncer les factions, et de demander leur anéantissement. J'invoque le sentiment intime de tous les hommes de bien et de tous les vrais amis de la Constitution; j'invoque leur jugement sur les sociétés populaires; et si je n'ai dit que la vérité, je leur demande quels sont les meilleurs citoyens, ceux qui attaquent les factieux ou ceux qui les défendent.

Messieurs,

Je crois que c'est en vain qu'on voudrait se

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative. Administration, tome III, Gg.

(1) Voy. ci-dessus même séance, page 552, le discours de M. Delfau interrompu par le passage à l'ordre du jour.

dissimuler plus longtemps les maux incalculables qui menacent la patrie. Il faudrait être, ou bien insensé, ou bien profondément pervers, pour n'éprouver aucune inquiétude en considérant la crise effrayante où nous nous trouvons. La Constitution est menacée d'une subversion totale ; d'un côté, par les efforts d'une aristocratie forcenée, de l'autre, par ceux d'une aristocratie séditieuse, qui l'une et l'autre ne gardent plus de mesure. Placés entre ces deux factions qui se disputent l'Empire, les bons citoyens demeurent spectateurs muets, et semblent attendre en silênce le résultat du combat, sans songer que, de quelque côté que tourne la victoire, la perte de la Constitution en est l'inévitable fruit. Une torpeur universelle semble s'être emparée de tous les vrais amis de la liberté; ils dorment pendant que les démagogues, les anarchistes, les brigands, s'agitent de toutes parts. Affaissés sous le poids de l'infortune publique, ils semblent avoir perdu leur courage, et toutes les horreurs de la licence la plus effrénée ne peuvent les sortir de leur léthargie profonde. La plupart se contentent de faire des voeux secrets, quelques-uns font entendre des murmures, et les autres tournent leurs yeux en pleurs vers le Corps législatif.

Oui, c'est de vous, Messieurs, que la France attend son salut. Vous seuls pouvez encore sauver la chose publique. Le mal est grand, il est vrai, mais votre courage peut le surmonter. Armez-vous de toute la sévérité que commandent les circonstances. Soyez inexorables avec les factieux de tous les partis; qu'ils tremblent à la vue de votre inflexible justice, que tous les obstacles qui s'opposent à l'exécution des lois soient anéantis. La loi, la loi! elle seule peut nous sauver! C'est en vain qu'on voudrait nous persuader que la Révolution n'est pas finie, et que partout il est impossible que les lois soient parfaitement exécutées; ne soyons pas dupes de ce prétexte imaginé par les factieux pour perpétuer l'anarchie dont ils ont besoin. La Révolution est finie quand la Constitution est terminée. L'anarchie seule dure encore, et c'est ce désordre affreux, cette licence effrénée que les agitateurs appellent révolution. Sans doute, cette révolution n'est pas finie, grâce aux soins qu'on prend de la perpétuer, mais il faut enfin qu'elle cesse. Il faut enfin que les vrais amis de la liberté se lèvent à leur tour et que toutes les factions soient anéanties.

Vous avez juré, Messieurs, de maintenir la Constitution tout entière. Vous avez juré de défendre ce dépôt précieux, que la nation vous a confié, contre les atteintes de tous les ennemis de la chose publique. Depuis quelque temps surtout, plusieurs décrets successifs ont annoncé la volonté ferme, où vous êtes, de terrasser toutes les factions et d'établir partout l'ordre, la discipline et le règne des lois; les bons citoyens ont applaudi à votre courage, et les méchants en ont frémi; mais, pour assurer votre victoire, il vous reste à prendre une dernière et décisive mesure, qui ne doit pas échapper à votre sollicitude. Sans elle le succès de vos premiers pas serait bien incertain.

La Constitution permet aux citoyens de s'assembler pour conférer librement et paisiblement sur leurs intérêts. Ce droit sacré, la plus précieuse propriété dont puisse jouir un homme libre, doit être religieusement maintenu. Autant il est essentiel au despotisme de tenir les hommes isolés et d'empêcher entre eux toute communi

cation qui pourrait les éclairer, autant il est indispensable, dans un Etat libre, que les citoyens puissent s'assembler, afin de conserver par les lumières ce que l'ignorance seule avait pu leur faire perdre. Ainsi, ce n'est pas le droit que j'attaque, mais l'abus qu'on en fait. Autant le droit ici est utile, autant l'abus est pernicieux; car, dans les sociétés populaires, le mal est bien près du bien; autant elles peuvent être nécessaires, si elles sont bien dirigées, autant elles peuvent être funestes à la chose publique, si elles sont égarées.

Si ces sociétés, qui ne doivent surveiller le gouvernement que pour l'affermir et le défendre contre les attaques des ambitieux, devenaient elles-mêmes les dupes et les instruments de ces ambitieux; si ces assemblées, qui pour faire le bien doivent être constitutionnelles et toujours amies des lois, devenaient des foyers d'anarchie et de contre-révolution; si ces assemblées qui n'ont aucun caractère public, aucune existence politique, formaient tout à coup un corps puissant, une association dangereuse, législateurs, vous êtes là pour les réprimer.

En prononçant dernièrement un arrêt de mort contre toutes les corporations échappées à la cognée de vos prédécesseurs, vous en avez oublié une, la plus puissante, la plus étonnante du moins que présente l'histoire de toutes les sociétés politiques. Il n'est personne, à ce portrait, qui n'aperçoive déjà la congrégation des 800 sociétés populaires, dont le chef-lieu est à Paris. Toutes ces sociétés animées d'un même esprit, affiliées entre elles, unies par un pacte fédératif, présentant toutes une même organisation, et se réunissant toutes à une société-mère, centre auquel aboutissent toutes les sections de ce vaste ensemble, ces sociétés, dis-je, présentent, sinon un gouvernement dans l'Etat, du moins une effrayante corporation, qui peut perdre l'Etat. En effet, si jamais cette vaste agrégation osait attaquer la Constitution, quelle force opposeriezvous à ce corps, dont les établissements, aussi multipliés, et beaucoup plus forts par le nombre des membres, et plus unis entre eux, que les pouvoirs de la Constitution, vous présenteraient partout une résistance invincible?

Je ne sais pas, Messieurs, si vous pouvez considérer plus longtemps, sans effroi, ce colosse menaçant; je ne sais pas si vous voulez le prévenir, ou si vous attendez qu'il vous prévienne. Attendons encore, et bientôt il ne sera plus temps.

Les partisans des sociétés nous vantent avec raison les grands services qu'elles ont rendus à la Révolution, et semblent demander leur conservation à la reconnaissance publique; mais peut-être examinent-ils plus ce qu'elles ont fait que ce qu'elles font maintenant; ils ne songent pas que les services passés peuvent être effacés par les fautes présentes et que, si les clubs pouvaient menacer la chose publique, les plus chers souvenirs doivent s'effacer devant le grand intérêt de l'Etat.

Les sociétés ont rendu de grands services à la Révolution, cela est incontestable : les principes communs qui les réunissaient, la coalition puissante qu'elles avaient formée contre les ennemis de la liberté, ont terrassé tous les opposants au nouvel ordre de choses; mais, la Constitution finie, leur tâche était remplie et leur règne devait cesser.

Avant l'établissement et pendant le travail de notre régénération, tous les bons citoyens pre

naient en main l'autorité. L'impérieuse nécessité, le besoin de suppléer au gouvernement qui n'existait pas encore, les forçaient à se réunir, afin de prévenir les maux que pouvaient occasionner l'interrègne de la loí. Les sociétés populaires furent alors d'un grand secours; elles étaient le centre de l'esprit public, le point de ralliement de tous les amis de l'ordre et de la liberté, qui avaient besoin de se réunir pour résister aux efforts d'une aristocratie désespérée, mais ces sociétés, qui furent créées par les circonstances, pendant l'attente des autorités constituées, devaient, aussitôt après la formation de ces autorités, se démettre de leurs pouvoirs.

Mais habituées à une domination qui leur était d'autant plus précieuse qu'elles ne l'avaient jusqu'alors fait servir qu'au bien public, les sociétés populaires voulurent conserver, après l'achèvement de la Constitution, le pouvoir qu'elles avaient exercé avant sa confection, sans songer combien cette prétention était destructive de la Constitution elle-même; aussi les voyons-nous souvent entraver les marches des municipalités, des administrations, et empiéter sur leurs droits. Nous voyons ces puissances étrangères à la Constitution balancer et soumettre quelquefois les autorités de la Constitution; tantôt elles s'érigent en cours souveraines, en tribunaux de cassation, et jugent en dernier ressort la conduite des municipalités, des corps administratifs et des tribunaux; tantôt elles se transformenf en un Sénat suprême, qui délibère sur toutes les matières de législation, sur les lois faites et à faire; tantôt c'est un conseil militaire, où l'on discute toutes les opérations de la guerre et où l'on arrête sérieusement, par assis et levé, la marche de nos généraux et tous nos plans d'attaque et de défense; tantôt c'est le temple de la calomnie, où tout homme qui veut attaquer la réputation la mieux établie, outrager la vertu la plus éprouvée, et se défaire d'un homme de bien, est assuré d'être admis, entendu et applaudi.

Messieurs, vous ne pouvez plus vous le dissimuler sans péril, nos sociétés populaires sont un nombre politique qui ne peut exister dans le système d'aucun bon gouvernement; hâtezvous de faire disparaître de ces institutions tout ce qui blesse l'ordre, la raison et la Constitution, écoutez la voix de tous les vrais amis de cette Constitution; de tous les citoyens sages, observateurs et éclairés, qui vous crient de prendre enfin d'une main ferme les rênes du gouvernement, et de ne pas les laisser tomber dans celles d'une puissance étrangère.

D'ailleurs, Messieurs, il est une remarque importante qui doit vous déterminer à opérer promptement cette réforme salutaire. Observez que les éléments des sociétés populaires ne sont plus maintenant aussi purs qu'aux premiers jours de la Révolution. Grand nombre d'excellents citoyens, persuadés que les clubs devenaient inutiles, pour ne pas dire nuisibles à la marche du gouvernement, ont cru devoir s'en écarter, et les ont laissé en plusieurs endroits livrés aux intrigants, aux ambitieux, avides de jouer un rôle sur ce théâtre, trop favorable à l'éloquence populaire.

C'est là que quelques séditieux, sous le masque du patriotisme et à l'aide de quelques talents oratoires, sont parvenus à égarer une multitude aveugle et facile; c'est là que, par le raisonnement le plus inouï que la folie et des imaginations en délire aient pu enfanter, l'on prétend

qu'il faut, pour faire triompher la Constitution, lui porter chaque jour les plus rudes atteintes; c'est là qu'avec une inconséquence non moins heureuse, l'on assure encore que les succès de nos généraux sont plus à craindre que leurs revers, parce que disent les républicains inquiets, il faut appréhender que nos généraux ne reviennent avec leurs légions triomphantes opprimer la liberté de leur pays (de manière que le moyen infaillible de sauver la chose publique est de faire battre nos armées); et quelles alarmes les victoires de nos généraux peuvent-elles inspirer aux amis de la liberté? les Français ressembleraient-ils déjà aux Romains qui vivaient aux temps des dictateurs? et faut-il qu'aux premiers jours de votre République, nous soyons assez lâches pour craindre un Sylla ou un Marius?

Ce sont là les stratagèmes imaginés par de fourbes ambitieux qui voudraient peut-être devenir dictateurs eux-mêmes, en se débarrassant de ceux qui veulent s'opposer à leurs criminelles manoeuvres. Du moins est-il vrai que ce sont eux qui ont établi ce système combiné de dénonciations calomnieuses qui ont failli perdre nos généraux et nos armées; du moins ce sont eux qui ont causé la défaite de nos troupes devant Tournai, et les insurrections militaires devant Neufbrisac, parce que ce sont eux qui apprennent à nos soldats que leur subordination n'est qu'une obéissance raisonnée, et qu'ils sont juges des opérations et des ordres de leurs chefs.

Que ces deux événements nous apprennent combien il est dangereux de transporter les clubs dans nos armées, combien il est périlleux de raisonner et de délibérer quand il faut aller à l'ennemi; peut-on considérer sans alarme le danger qu'il y a, dans ce moment, d'avoir des clubs dans chacune de nos villes de guerre, et de voir nos soldats fréquenter journellement leurs séances? c'en est fait, si nos soldats sont Jacobins, nous n'avons plus d'armée.

Cette considération, jointe à tant d'autres, ne vous permet plus d'hésiter. Déjà depuis longtemps le cri des plus sincères amis de la Constitution, la voix de tous les hommes de bien s'élèvent contre la domination des clubs; quelques personnes seulement attendent leur destruction du temps, espérant que bientôt ils s'éteindront eux-mêmes; mais ces expressions décèlent de la crainte. Il faut l'avouer, il semble qu'on appréhende d'attaquer cette puissance formidable; mais cette appréhension prouve l'évidence du mal et la nécessité d'un prompt remède. Peut-on proposer de laisser au temps la guérison d'une maladie qui menace de tuer la chose publique?

Un orateur vous a dit que, pour parler avec impartialité des sociétés populaires, il fallait, comme lui, les connaître toutes, et n'être d'aucune; je pense cependant que pour les mieux connaître, il faut les avoir fréquentées, et j'ai cet avantage sur M. Français. En arrivant dans cette capitale, j'ai été, comme tant d'autres, conduit par la renommée dans une société célèbre, que je croyais le séjour des vertus et du patriotisme le plus pur mais quelle fut ma surprise de ne trouver dans ce temple, au lieu des merveilles que mon imagination s'y représentait, que les prêtres de la discorde et de l'anarchie; de n'y entendre le plus souvent que des invitations à la licence, des maximes impies, destructives de tout gouvernement! Quel fut mon étonnement de me trouver au milieu d'une société égarée par une troupe de factieux hypocrites, qui, sous le masque du patriotisme, trompent

et entraînent à sa perte ce bon et malheureux peuple, qui semble destiné à être le jouet des plus perfides séducteurs!

Cependant une minorité saine et éclairée résistait, dans cette société, aux intrigues des faux amis du peuple; et tant qu'elle a conservé l'espoir de démasquer les traîtres elle a dû siéger avec eux pour les combattre.

Mais enfin les méchants l'ont emporté; alors ils se sont livrés à tous les excès. J'ai vu moimême naguère plusieurs de leurs orateurs appeler l'insurrection à grands cris; d'autres proposer d'amener en France une dynastie étrangère, en appelant le roi des Français le roi soi-disant constitutionnel; d'autres invoquer les Brutus; d'autres, enfin, dire que le veto n'est pas plus difficile à renverser que la Bastille: et tous ensemble appeler la méfiance et la calomnie sur nos généraux; et toutes ces provocations et imprécations, couronnées d'applaudissements, la plupart imprimées et envoyées, par ordre de la société, dans tous les départements. Mais, lorsque je les ai vus applaudir à l'horrible assassinat commis sur la personne de l'infortuné Dillon, je me suis retiré, le cœur glacé d'horreur et d'effroi, d'une société que j'aurais volontiers ce jourlà appelée une société de cannibales. Ceux qui veulent connaître plus particulièrement le rare patriotisme des amis de la Constitution séant aux Jacobins, peuvent lire le journal de leurs débats, dont on ne contestera pas la véracité, qu'on m'en montre une seule page où la Constitution, la morale et l'humanité ne soient pas horriblement outragées! Qu'on juge maintenant ce que sont ces hommes qui veulent régénérer le globe, et quelle est la félicité destinée aux peuples qui se laisseront guider par leurs saintes maximes.

Le ci-devant ministre des affaires étrangères vous invita, il y a peu de temps, à réprimer les tribunes des clubs. Il était beau de voir un membre zélé des sociétés populaires reconnaître lui-même le mal, et vous demander le remède. Mais le ci-devant ministre de la justice surtout a lancé, sans s'en douter peut-être, un trait plus marquant sur elles et sur vous, Messieurs, lorsque, sur la présentation des feuilles de Marat, il parut s'étonner qu'on trouvât mauvais dans cet ouvrage quelques déclamations que l'on entendait tous les jours dans une société célèbre, sans que personne y trouvât à redire. M. Duranthon a voulu vous dire, sans doute, que vous ne deviez pas souffrir qu'on prêchât dans une société publique des maximes pour lesquelles vous avez envoyé à Orléans l'ami du peuple.

En effet, Messieurs, ce qui est défendu dans un écrit, sur une place publique, ne peut être permis dans une société populaire, qui est aussi une place publique. Vous seul pouvez et devez jouir, dans le sein du Corps législatif, d'une liberté entière dans la manifestation de vos opinions. Cette liberté illimitée est essentielle à la liberté de vos fonctions; mais partout ailleurs ni vous ni aucun citoyen ne pouvez échapper à la surveillance de la loi. Un club ne donne point un privilège, et l'on ne peut jouir là d'une liberté qui est proscrite ailleurs voilà ce qu'il est essentiel de remarquer. Il semble que du moment qu'un lieu est ceint de murs, et que les portes en sont fermées, l'on peut se livrer à tous les excès de la parole, quelque nombreuse que soit la société qui vous écoute, et quelque répandue que soit la correspondance qui en porte la nouvelle dans tout le royaume.

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