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M. Jean Debry (de Paris). Je conçois que l'amour austère de la justice s'inquiète, lorsqu'il s'agit de dire d'un homme placé dans des circonstances difficiles: Il a mérité de son pays, Ou Il a trahi son devoir. Mais quand les faits sont examinés, quand les causes ont été approfondies, quels seraient les motifs qui pourraient faire retarder un acte d'équité nécessaire à l'autorité légitime, nécessaire au repentir de l'homme égaré, à la tranquillité du bon citoyen, à l'expiation d'un crime, et imploré par l'humanité? II me paraît démontré, il l'est pour vous, Messieurs, il l'est pour la France, que des soldats furieux, excités par des traîtres, ont fait tomber sous leurs coups MM. Berthois et Theobald Dillon ; il me paraît démontré que l'un et l'autre étaient innocents, que les coupables sont des lâches qui, criant à la trahison, ont fait passer la rage dans l'âme de citoyens faciles à séduire. Il est évident à mes yeux que le plus cher souhait des instigateurs de ce crime serait qu'il restât sans vengeance, serait que l'exemple de l'impunité portât la défiance dans l'âme du soldat, et le découragement, l'inquiétude de chaque minute dans l'âme de l'officier: tel est, n'en doutez pas, Messieurs, le vœu que forment les conspirateurs du dedans et du dehors. (Applaudissements. Ce ne sont point ces hommes-là que nous représentons ici. L'intérêt de la chose publique exige donc que par un excès de susceptibilité, nous ne conCourrions pas sans le savoir aux vues de nos ennemis.

Vous devez, comme législateurs, une réparation à la mémoire des infortunés Dillon et Berthois, et une nouvelle offrande expiatoire sur l'autel de la loi; c'est en acquittant cette dette douloureuse, que vous raffermirez sur sa base la statue de la liberté ébranlée par l'anarchie, c'est-à-dire par l'empire de la force, qui n'est pas moins opposée à la liberté que le despotisme. Applaudissements.)

aurez

Je ne me ferai pas l'objection de dire qu'un monument existant révolterait le soldat. 'Messieurs, le crime fut individuel, et l'armée française trouvera dans sa sensibilité, dans son respect pour les principes, qui maintiennent les Empires, des motifs pour vous savoir gré d'avoir exprimé ses sentiments. (Applaudissements.) Avant peu, et lorsque par des fêtes nationales, lorsque par des récompenses publiques, vous vivifié partout l'amour de la loi; avant peu, lorsque le vice aura sa honte, et la vertu son honneur, tous les citoyens, tous les hommes qui sentent leur existence dans celle de la volonté générale, vous remercieront d'avoir employé ce puissant mobile, et d'avoir attaché la mémoire de votre session à ces précieux souvenirs. On citera dans l'armée, j'ai dit dans la France, le décret relatif à Dillon et à Berthois, et tout à la fois celui qui illustra le don de l'amitié fait au brave grenadier Pie en le lui envoyant au nom de la nation (1).

M. Berthois, comme vous l'a dit M. le rapporteur, etait époux et père; M. Dillon n'était pas époux, mais il était père; il est probable que si vos travaux vous eussent permis de faire sortir la bienfaisante loi de l'adoption, ces enfants eussent reçu un état civil de leur père. Je ne vous dirai rien de la pension que leur mère a

(1) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLIII, séance du 13 mai 1792, page 311, le don d'un sabre d'bonneur au grenadier Pie.

droit de réclamer pour elle et pour eux; mais je crois que vous feriez à la fois un acte généreux, juste et utile en leur faisant trouver dans la patrie ce qu'ils ont perdu, quand leur père fut sacrifié pour elle. Tous auront donc les mêmes droits? me dira-t-on. Non. Tous auront des droits à la reconnaissance publique, mais ces droits ne sont pas les mêmes Il y a une énorme différence entre ce que doivent éprouver les enfants de Dillon et ceux du brave Thénard, au récit de la mort de leur père. La mort est une; mais quelle gradation dans les sentiments qu'elle peut produire! et peut-on comparer la mort d'un héros qui combat pour son pays, avec la catastrophe sanglante et criminelle dont je répugne à vous retracer le tableau? J'appuie donc le projet de décret de votre comité, et je demande de plus qu'il y soit ajouté que jusqu'à l'âge de l'adolescence civique, les enfants de Théobald Dillon et Pierre-François Berthois seront élevés dans des écoles et aux frais de la patrie. Je propose surtout que, par un décret spécial, l'Assemblée donne le nom de Dillon aux 3 enfants laissés par l'infortuné Théobald. (Applaudissements unanimes.)

Plusieurs membres: Aux voix le projet du comité!

M. Lecointre. Je demande la parole. (Murmures.)

Plusieurs membres: Fermez la discussion !
(L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Lecointre. Monsieur le Président, c'est pour un fait. (Murmures.) J'ai le droit de parler pour un fait. (Non! non!)

M. Louis Hébert. Je demande que M. Lecointre soit entendu parce qu'il a calomnié la mémoire de M. Dillon en disant qu'il avait donné de mauvais fusils à ses soldats. Il veut sans doute réparer cette faute.

(L'Assemblée, consultée, décide que M. Lecointre sera entendu.)

M. Lecointre. Il est de mon devoir d'instruire l'Assemblée de ce que je sais, de ce qui est prouvé, de ce que M. le rapporteur sait aussi bien que moi.

M. Carnot l'aîné, rapporteur. Je demande à répondre sur ce point.

M. Lecointre. Je déclare à l'Assemblée nationale que la conduite de M. Théobald Dillon n'a pas été irréprochable dans la journée du 29 avril... (Murmures prolongés.) Un commandant de volontaires nationaux vous a dit ici, à la barre, que M. Dillon avait souffert qu'il fut délivré à sa troupe des cartouches de faux calibre, c'est-àdire trop fortes pour pouvoir entrer dans les canons des fusils. (Murmures.)

Un membre: Je demande que la calomnie soit bannie de cette Assemblée.

M. Lecointre. Sans doute, Messieurs, c'est déjà une présomption grave contre M. Dillon. Indépendamment de cette déclaration faite à la barre de l'Assemblée, j'ai conféré de ce fait avec M. le rapporteur. Ce matin, nous étions plusieurs personnes chez moi. M. le rapporteur est convenu qu'il savait qu'il avait été distribué des cartouches d'un calibre trop fort; il ajoute que cette faute n'était pas imputable à M. Theobald Dillon, mais aux officiers d'artillerie parce qu'on avait employé du papier trop épais.

Plusieurs membres: Alors, pourquoi accusesvous M. Dillon ?

M. Lecointre. Je vous demande si un général, qui mène sa troupe à l'ennemi peut, quand il le sait, permettre de délivrer à ses hommes de telles cartouches? (Murmures prolongés.)

Un grand nombre de membres: Aux voix le projet de décret, et à bas, M. Lecointre! à bas de la tribune!

M. Basire. Je demande que le mémoire de M. Dillon soit purgée de cette allégation. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Carnot, l'aine, rapporteur. L'Assemblée veut-elle que je réponde?

Plusieurs membres : Non! non! Cela ne mérite pas de réponse!

M. Mathieu Dumas. Je demande que la discussion soit fermée; cette calomnie ne mérite pas de réponse. (Murmures.)

MM. Basire et Albitte parlent dans le bruit. Plusieurs membres : La discussion est fermée! M. Lasource. Je réitère mon amendement et je demande la question préalable sur les 3 premiers articles du projet. (Murmures.)

Plusieurs membres : Aux voix le projet de décret!

D'autres membres La question préalable sur les 3 premiers articles!

(L'Assemblée, consultée, rejette la question préalable).

M. Carnot, l'alné, rapporteur, donne lecture de l'article 1er du projet de décret qui est ainsi conçu :

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Il sera élevé aux frais du Trésor public, sur le glacis de la porte de Lille, vers le bord du chemin qui conduit à Tournai, un monument à la mémoire de Théobald Dillon, maréchal de camp, et de Pierre-François Berthois, colonel directeur des fortifications, morts le 29 avril 1792, l'an IV de la liberté, après s'être dévoués pour la défense de la patrie et de la loi. »

M. Maribon-Montaut. Puisque l'Assemblée veut ériger un monument à Theobald Dillon et à Berthois, il faut aussi en ériger un aux 200 gardes nationales qui ont péri devant Mons. (Applaudissements réitérés à gauche et dans les tribunes.) Sans doute, Messieurs, que parmi ces 200 gardes nationales, victimes de leur patriotisme et de la mauvaise conduite des officiers... (Murmures dans l'Assemblée. — Applaudissements dans les tribunes.) il en est qui laissent des veuves et des enfants dans le besoin. Je demande qu'ils soient nourris aux dépens de la patrie... (Applaudissements réitérés dans les tribunes.)

Plusieurs membres : Monsieur le Président, imposez donc silence aux tribunes!

M. Maribon - Montaut. Ces enfants de la patrie sont aussi précieux que ceux de Théobald Dillon, et lorsque l'Assemblée élève un monument à la mémoire d'un officier général, elle doit accorder le même honneur à tous les citoyens qui sont morts avec lui. (Applaudissements prolongés dans les tribunes.)

Un membre: Il n'y a plus de liberté dans l'Assemblée, si les tribunes se conduisent journellement d'une manière aussi indécente.

M. le Président. J'ordonne aux tribunes de garder le respect qu'elles doivent aux représentants du peuple français.

M. Carnot-Feuleins, le jeune. J'appuie la proposition de M. Maribon-Montaut. Sans doute,

Messieurs, il n'y a pas un de nous qui ne reconnaisse que tous les citoyens ont les mêmes droits à la reconnaissance publique lorsqu'ils défendent la cause de la patrie. MM. Théobald Dillon et Berthois sont morts victimes de la loi; les gardes nationales ont également péri en combattant pour la loi...

Un membre: En fuyant... (Vive agitation.)

M. Garreau. Je demande que cet insolent soit rappelé à l'ordre; le bataillon de Paris n'a pas fui devant Mons.

M. Carnot-Feuleins, le jeune. Le membre de cette Assemblée, qui s'est permis ce propos, a été assurément trompé. Il n'a pas connu, avec toute la France, comment s'est comporté le bataillon de Paris dans la malheureuse affaire de Mons. J'appuie donc de toutes mes forces la motion de M. Montaut; mais j'y fais un amendement. Je demande que l'une des faces du monument porte qu'il est élevé en mémoire de Théobald Dillon et de Berthois et l'autre en mémoire des gardes nationales morts en combattant devant Mons.

M. Merlin. Je pense qu'un monument de cette nature ne peut être qu'une pyramide qui aura 3 faces et c'est pourquoi je propose d'inscrire sur la dernière face latérale les noms de ceux qui ont été tués.

Voix nombreuses dans les tribunes: Oui! oui ! appuyé!

M. Cambon. Messieurs, je rends hommage à la mémoire de Théobald Dillon et de Berthois, et déjà l'Assemblée a vengé l'honneur français par l'empressement qu'elle met à décréter une récompense pour leurs familles et à élever un monument en leur mémoire. A mon avis, l'Assemblée doit décréter les 4 derniers articles du projet et ajourner les 3 premiers. Il est malheureux que nous n'ayons pas encore une loi sur les récompenses à accorder, et c'est pourquoi je pense qu'en votant les 3 premiers articles, nous déciderions trop légèrement une question qui mérite d'être envisagée sous tous les points de vue. Il ne faut point que cette question soit discutée pour un fait particulier parce que la sensibilité des législateurs les empêche souvent de discerner ce qui peut être utile à la nation. En conséquence, je demande que les articles relatifs aux familles de Théobald Dillon et de Berthois soient décrétés dans la séance et que les 3 premiers articles soient ajournés pour être discutés séparément. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Viénot-Vaublanc. Il m'a paru que les préopinants avaient confondu 2 choses très différentes. Si Théobald Dillon était mort les armes à la main en combattant pour la patrie, sa mort serait glorieuse et nous n'aurions rien à faire pour lui. L'histoire attesterait à la postérité sa belle action et lui assurerait la reconnaissance publique. C'est là, Messieurs, ce qui caractérise l'action particulière des gardes nationaux morts pour la patrie et il n'est personne de nous qui ne voulût mourir ainsi. (Murmures à gauche. Applaudissements à droite.)

Mais un général, qui a rempli son devoir, qui a ensuite fait des efforts inutiles pour ramener dans son armée l'ordre que des malintentionnés en avaient éloigné par des cris séditieux, un général, immolé comme l'a été M. Dillon, laisse ce me semble une mémoire à laquelle la nation doit une réparation authentique et c'est cette

réparation que l'on vous propose. Ainsi ce monument n'est pas fait pour rappeler un crime, comme l'ont dit quelques personnes, mais pour réparer l'attentat commis envers un citoyen. Je ne vois pas quelle différence on peut établir entre le meurtre de Théobald Dillon et le meurtre du maire d'Etampes. L'un et l'autre remplissaient leur devoir, l'un et l'autre ont été victimes de la perfidie de leurs concitoyens. Le crime d'un petit nombre d'hommes, ce crime si éloigné de la générosité française demande une réparation authentique et c'est pour cette réparation que je demande le monument.

Plusieurs membres: Aux voix! Aux voix!

M. Beugnot. Je suis d'un avis tout opposé à celui de M. Vau blanc et il me paraît avoir perdu de vue le véritable objet des monuments publics. Quel est-il en effet? De consacrer pour l'avenir les leçons du temps présent, de laisser à nos neveux de grands exemples à suivre et de beaux modèles à imiter. Mais, Messieurs, qu'allez-vous donc éterniser par la pyramide de Lille? Le malheur des deux citoyens et le crime de quelques autres. Faut-il donc apporter ces affreux matériaux à l'histoire? Puisse-t-elle plutôt les oublier! Suivons l'exemple des Germains. Ils en fouissaient et le traitre et les monuments de la trahison; son nom était voué à l'oubli et sa maison disparaissait aux yeux. On vous cite l'exemple du maire d'Etampes; mais quelle différence! Ici, vous avez consacré le dévouement d'un magistrat à la loi, un beau, un illustre sacrifice personnel; là, au contraire, je ne vois qu'un lâche assassinat, qu'un malheur pour les victimes. Que la patrie embrasse donc feurs malheureuses familles, qu'elle adopte les enfants de Dillon, de Berthois et leurs compagnes éplorées; voilà ce que nous avons à faire, voilà la dette de la patrie. Payons-là, Messieurs, mais que l'enthousiasme me nous égare pas sur la na. ture des réparations qui leur sont dues. (Applaudissements.)

M. Mathieu Dumas. On a justement établi la parité entre l'action de Théobald Dillon et celle du maire d'Etampes, Simonneau. Ce n'est point le moment où Dillon a perdu la vie qu'il qu'il faut consacrer par un monument; mais celui où, dans le village de Baisieux, il s'opposait seul à la colonne de cavalerie qui fuyait devant l'ennemi et qui, entraînant le reste de l'armee, passait sur le corps de l'infanterie, celui où seul, avec ses deux aides-de-camp. il a reçu un coup de pistolet. Théobald Dillon s'est sacrifié volontairement; il a été au devant des assassins. (Murmures.) M. le rapporteur en fournira les preuves. C'est donc à tort que l'on dit ici que l'on veut éterniser le souvenir du crime. Moi aussi, je veux que le souvenir de la trahison soit enseveli et que les traîtres soient enfouis. Mai je veux qu'ils le soient sous le monument qui consacre la réparation nationale. (Murmures.) C'est le souvenir de la réparation qu'il est essentiel de garder et la nation s'honorera en laissant sur les glacis de Lille un témoignage éternel de ses regrets et un avertissement salutaire à tous les traitres.

M. Ducos. Le fait cité par M Dumas rend le crime plus atroce. Au lieu de le consacrer par un monument d'ignominie, il faudrait pouvoir déchirer cette page de notre histoire.

Plusieurs membres: Fermez la discussion!
(L'Assemblée ferme la discussion.)

Plusieurs membres : L'ajournement des trois premiers articles!

(L'Assemblée ajourne les trois premiers articles du projet de décret.)

M. Carnot, l'ainé, rapporteur, donne lecture des articles 4 et 5 qui deviennent articles 1 et 2 et qui sont adoptés, sans discussion, dans les termes suivants :

Art. 1er (ancien art. 4).

« Il sera payé par forme d'indemnité, à chacun des enfants de Pierre-François Berthois, une somme annuelle de 800 livres pour leur éducation, jusqu'à l'âge de 21 ans, ou jusqu'à ce qu'ils soient pourvus d'emplois dont le produit soit de 800 livres, et à leur mère une somme annuelle de 1,500 livres, durant sa vie.

Art. 2 (ancien art. 5).

« Il sera également payé à Auguste, Edouard et Théobald, enfants de Théobald Dillon, une somme annuelle de 800 livres chacun, pour leur éducation, jusqu'à l'âge de 21 ans, ou jusqu'à ce qu'ils soient pourvus d'emplois dont le produit soit de 800 livres, et à leur mère, une somme annuelle de 1,500 livres, durant sa vie.

M. Carnot l'aîné, rapporteur, donne lecture de l'article 6 qui devient article 3 et qui est ainsi conçu :

Art. 3 (ancien art. 6).

Antoine Dupont-Chaumont, adjudant général et Pierre Dupont-Chaumont, aide de camp, blessés l'un et l'autre dans la journée du 29 avril, sont déclarés susceptibles, dès à présent, de la décoration militaire. »

M. Cambon. C'est un malheur que nous n'ayons pas encore un mode de récompenses pour les militaires. Dans un Etat libre, où il n'y à point de corporations, je vois avec peine qu'on donne comme récompense une décoration militaire, c'est-à-dire une marque qui tend à établir une corporation. La récompense doit être la même, Messieurs, et pour le militaire et pour celui qui s'est rendu utile à la nation. Je demande l'ajournement de cet article.

M. Forfait. Tout le monde se rend compte, comme M. Cambon, qu'il faudra, lorsque l'Assemblée pourra le faire, qu'elle décrète une récompense qui sera donnée à tous les citoyens, de toutes les professions, quand ils auront bien mérité de la patrie Mais en attendant que l'Assemblée ait pris ce parti, il est constant que la décoration militaire existe, que l'on ne donne cette récompense qu'aux militaires et qu'il y a même un décret pour la conserver et la donner aux gardes nationales. En conséquence, je crois que vous ne pouvez pas vous dispenser de l'accorder à des hommes qui ont servi aussi vaillamment que MM. Dupont-Chaumont.

M. Louis Hébert. Je voulais rappeler à l'Assemblé que par un décret vous avez déclaré il y a 8 jours que les gardes nationales seraient susceptibles de la décoration militaire. Or, c'est dans le moment où vos armées sont en face de l'ennemi, où elles sont composées d'officiers de tous grades qui ont 22 et 23 ans de services et aspirent à cette décoration militaire, c'est ce moment, dis-je, que l'on choisit pour vous pro

poser de la supprimer. Je demande la question préalable sur l'ajournement.

Plusieurs membres : La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'ajournement de l'article 6, puis adopte cet article.)

M. Carnot l'aîné, rapporteur, donne lecture de l'article 7, qui devient article 4, et est adopté sans discussion dans les termes suivants :

Art. 4 (ancien art. 7).

<< Extrait en forme du procès-verbal de la séance, sera envoyé, avec une lettre du Président de l'Assemblée nationale, aux familles de Théobald Dillon et de Pierre-François Berthois, et aux 2 frères Antoine et Pierre Dupont-Chau

mont. "

Plusieurs membres demandent l'impression du rapport et du projet de décret présentés par M. Carnot aîné.

(L'Assemblée ordonne l'impression.)

M. Maribon-Montaut. Je demande le renvoi, aux comités de l'extraordinaire des finances et d'instruction publique réunis, des 3 premiers articles du projet de décret. Je demande en outre le renvoi à ces mêmes comités de la proposition que j'ai faite relativement aux indemnités qui peuvent être dues aux veuves et aux enfants des gardes nationaux morts dans les actions de Mons et de Tournai.

(L'Assemblée décrète la motion de M. MaribonMontaut.)

Suit le texte définitif du décret rendu :

« L'Assemblée nationale, considérant que la plus précieuse fonction des législateurs d'un peuple libre est de réparer les outrages faits à l'humanité, d'honorer la mémoire des citoyens qui se sont dévoués pour le salut de leur pays, de porter des consolations dans le sein de leurs familles, d'offrir enfin aux guerriers des modèles à suivre et le tableau des malheurs qu'entraînent la désobéissance aux lois et le mépris des autorités légitimes;

« Considérant que Théobald Dillon, maréchalde-camp employé à Lille, et Pierre-François Berthois, colonel directeur des fortifications de la même ville, sont morts le 29 avril de cette année, ayant bien mérité de la patrie, et victimes des complots tramés contre la sûreté de l'état et le succès de nos armes, décrète qu'il y a urgence.

L'Assemblée nationale, après avoir déclaré qu'il y a urgence, ouï le rapport de ses comités réunis d'instruction publique et de l'extraordinaire des finances, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

"Il sera payé, par forme d'indemnité, à chacun des enfants de Pierre-François Berthois, une somme annuelle de 800 livres pour leur éducation, jusqu'à 21 ans, ou jusqu'à ce qu'ils soient pourvus d'emplois dont le produit soit de 800 1. et à leur mère, une somme annuelle de 1,500 1. durant sa vie.

Art. 2.

"Il sera également payé à Auguste, Edouard et Theobald, enfants de Théobald Dillon et de Joséphine de Viefville, une somme annuelle de

800 livres, chacun, pour leur éducation, jusqu'à l'âge de 21 ans, ou jusqu'à ce qu'ils soient pourvus d'emplois dont le produit soit de 800 livres, et à leur mère, une somme annuelle de 1,500 1. durant sa vie.

Art. 3.

"Antoine Dupont-Chaumont, adjudant général, et Pierre Dupont-Chaumont, aide de camp, blessés l'un et l'autre dans la journée du 29 avril, sont déclarés susceptibles, dès à prséent, de la décoration militaire.

Art. 4.

"Extrait en forme du procès-verbal de la séance, sera envoyé, avec une lettre du Président de l'Assemblée nationale, aux familles de Théobald Dillon et de Pierre-François Berthois et aux deux frères Antoine et Pierre DupontChaumont. »

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de M. Poinçot, libraire, qui fait hominage à l'Assemblée de la septième livraison des œuvres de Jean-Jacques Rousseau; elle est ainsi conçue (1):

« Paris, le 9 juin 1792.

« Monsieur le Président,

« Permettez que je présente à l'Assemblée nationale la continuation des œuvres de J.-J. Rousseau. Cette septième livraison est le 3° volume de l'Emile et le tome 4 des sciences, arts et belles lettres que contient le théâtre et poésie joints aux 14 autres que l'Assemblée a bien voulu accepter et en faire mention honorable dans son procès-verbal. L'ensemble fait à présent 16 volumes ornés de 87 gravures. Daignez, Messieurs, en agréer l'hommage.

« J'ai l'honneur d'être, etc.

Signé POINÇOT.

(L'Assemblée agrée cet hommage et décrète qu'il en sera fait mention honorable au procèsverbal.)

M. le Président. M. le commandant général de service de la garde nationale parisienne demande à être introduit à la barre en vertu du décret qui l'a mandé. (2)

M. Charlier. Monsieur le président, vous avez sur le bureau une lettre d'un citoyen. Je demande qu'on en fasse lecture. Il réclame contre la signature qu'on a surprise à son fils, âgé de 14 ans, au bas de l'adresse dont il a déjà été question. (Murmures.)

Un membre: Vous connaissez donc le fait? (Bruit.)

M. Delmas. Je demande que M. le commandant de la garde nationale soit entendu et quand la discussion sera ouverte sur les moyens à prendre, je proposerai alors de lire la lettre.

M. LE COMMANDANT GÉNÉRAL DE LA GARDE NATIONALE est introduit.

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M. le Président. Quel est votre nom? (Murmures.)

Plusieurs membres se plaignent de l'inconvenance d'une pareille demande qu'on ne peut faire à quelqu'un dont on veut seulement avoir des renseignements.

D'autres membres: Lisez le décret!

Un de MM. les secrétaires donne lecture du décret qui est ainsi concu :

L'Assemblée décrète que le commandantgénéral de service de la garde nationale de Paris, est mandé à la barre pour donner sur-lechamp les éclaircissements qui lui seront demandés sur les faits portés par la dénonciation qui vient d'être faite et dont l'objet est d'appeler l'attention de l'Assemblée sur un projet de pétition présenté à l'ordre aux divers bataillons de la garde nationale parisienne, avec invitation de la signer et d'en porter demain les exemplaires au secrétariat de l'état-major, à l'hôtel

commun. »

M le Président. Monsieur, l'Assemblée vous demande des éclaircissements sur les faits dont on vient de vous informer.

M. LE COMMANDANT GÉNÉRAL. Je demande, Monsieur le Président, si vous désirez que je raconte historiquement comment les faits se sont passés. (Oui! oui!) Je vais le faire.

A la lecture, et le lendemain que s'est faite la démarche du ministre de la guerre, l'inquiétude s'est manifestée dans toute la garde nationale; il y eut une grande fermentation. Pleine d'amour pour la patrie, pleine de zèle pour la Constitution et pour l'Assemblée nationale, la garde nationale, qui avait la confiance des représentants du peuple, qui a toujours servi avec la plus grande chaleur, qui s'est toujours fait honneur de garder les législateurs de la France et d'être sans cesse à ses ordres, qui est nombreuse et en état de faire le service, a entendu avec chagrin le ministre de la guerre dire qu'elle ne pouvait y suffire. Elle est en état plus que janiais de de remplir son devoir, et dans les cas extraordinaires où on a eu besoin d'elle, elle s'est toujours trouvée à hauteur de sa tâche.

Moyennant cela, elle a vu avec beaucoup d'inquiétude appeler d'autres citoyens pour ajouter à son nombre. Elle a cru qu'on voulait lui enlever ses canons, auxquels elle est fort attachée, et qui lui paraissaient ne devoir sortir des bataillons, que pour marcher avec elle et avec son drapeau. Voilà ce qui en est. Plusieurs gardes nationaux sont venus me trouver particulièrement. Depuis ils se sont assemblés en divers endroits. Ils sont venus hier à un comité que nous tenons ordinairement entre nous autres chefs, pour nous rendre compte de ce qui se passe. Ils étaient même en assez grand nombre. Ils sont venus me demander à faire une pétition et m'ont paru désirer qu'elle fût présentée à l'Assemblée nationale. Je leur répondis que cette pétition ne devait pas être presentée au nom de la garde nationale tout entière, que ceux qui voulaient la signer étaient maîtres de le faire; mais qu'il fallait qu'ils s'arrangeassent entre eux. L'embarras fut pour eux d'exprimer leurs sentiments et de réunir les signatures. Il paraissait que toute la garde nationale avait un même vou. Ils cherchèrent un moyen et celui qu'ils trouvèrent a été de venir à l'ordre ce matin où un adjudant de chaque bataillon prend l'ordre à la municipalité et le communique ensuite à son bataillon;

chaque adjudant présent à l'ordre emporterait å sa légion des exemplaires de la pétition et en remettrait à chaque bataillon un paquet pour qu'elle fût communiquée à leurs frères d'armes et signée.

Ceux qui se sont chargés de rédiger la pétition sont donc venus nous demander la permission de la présenter, et en même temps nous dire qu'il s'agissait d'une pétition individuelle de plusieurs particuliers membres de la garde nationale, de plusieurs membres de section qui sont dans la garde nationale et de citoyens actifs.

Ainsi on présentera peut-être demain cette adresse à l'Assemblée; mais elle est individuelle, ce n'est pas une affaire de la garde nationale. On n'a proposé à aucun des chefs de la signer, et aucun ne l'a fait; elle ne les concerne donc pas. Mais les membres de la garde nationale qui ont l'intention de vous la présenter, désirent vous adresser leurs réclamations et vous faire part de leurs craintes et de leurs inquiétudes. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour et les honneurs de la séance!

M. le Président, répondant au commandant de la garde nationale. L'Assemblée est satisfaite du rapport que vous lui avez fait. (Bruit.)

Un membre: Accordez les honneurs de la séance, Monsieur le Président!

M. Charlier. Pas avant que les faits soient éclaircis.

M. Merlin. Je demande que l'Assemblée soit consultée pour savoir si on accordera les honneurs de la séance à M. le commandant général; ou bien il fallait les accorder à M. Rebecqui (1). Plusieurs membres : A l'Abbaye, Monsieur Merlin, à l'Abbaye! (Bruit.)

M. le Président, s'adressant au commandant de la garde nationale. L'Assemblée vous accorde les honneurs de la séance. (Applaudissements.)

M. LE COMMANDANT DE LA GARDE NATIONALE traverse la salle au milieu des plus vives acclamations et de nombreux applaudissements.

M. Henry-Larivière. Les applaudissements que l'Assemblée nationale vient de prodiguer au commandant de la garde nationale parisienne énoncent déjà plus de la moitié de ce que j'avais à proposer.

Vous avez mandé le commandant, vous avez eu la preuve que rien n'avait porté atteinte aux fonctions qu'il remplit. Or, c'est dans cette circonstance que M. Merlin s'est permis d'assimiler le commandant de la garde nationale parisienne au sieur Rebecqui.

Plusieurs membres : A l'Abbaye, Monsieur Merlin, à l'Abbaye!

M. Henry-Larivière. Messieurs, si l'Assemblée nationale était assez pusillanime pour tolérer une telle insulte, faite non seulement au commandant de la garde nationale, mais à toute la garde nationale parisienne... (Vifs applaudissements.) si elle n'y mettait un frein, on renouvellerait chaque jour dans son sein les affronts les plus sanglants contre les citoyens qui, comme lui, ont bien mérité de la patrie. (Mouvements divers.) Je dis que M. Merlin a manqué à la garde nationale parisienne...

(1) Voy. Archives parlementaires, 1" série, t. XLIV, séance du 8 juin 1792, au soir, page 704, l'admission la barre de M. Rebecqui.

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