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logiques qu'il serait dispendieux de conserver et qu'il est utile d'anéantir, décrète qu'il y a urgence. »

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er.

« Tous les titres et généalogies qui se trouveront dans un dépôt public, quel qu'il soit, seront brûlés.

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Art. 2.

Les directoires de chaque département seront chargés de l'exécution du présent décret, et nommeront des commissaires pour séparer les papiers inutiles des titres de propriété qui pourraient être confondus avec eux dans quelques-uns de ces dépôts.

(L'Assemblée décrète l'urgence et adopte le projet de décret.) (Vifs applaudissements.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de l'ex-ministre Dumouriez, qui annonce avoir envoyé ses comptes au comité diplomatique et que le roi ayant accepté sa démission du ministère de la guerre, lui a permis d'aller servir en qualité de lieutenant général à l'armée du général Luckner. Il supplie l'Assemblée de lui accorder la permission d'aller remplir ce poste. Cette lettre est ainsi conçue (1) :

<< Paris, le 19 juin 1792, l'an IV de la liberté.

« Monsieur le Président,

Le roi ayant accepté ma démission du ministère de la guerre, il m'a permis d'aller servir comme lieutenant général à l'armée de M. le maréchal Luckner, je vous prie de vouloir bien l'annoncer à l'Assemblée nationale : je la supplie de m'accorder la permission d'aller le plus tôt possible remplir mon poste à l'armée du Nord.

« J'envoie au comité diplomatique ma comptabilité comme ministre des affaires étrangères; il en rendra compte à l'Assemblée nationale et j'espère qu'elle rendra justice à ma probité et à mon économie.

Quant au ministère de la guerre, comme je ne l'ai exercé que 2 jours, comme je n'ai passé dans ce court intervalle aucun marché ni donné aucune signature qui ne fut un résultat nécessaire et pressant des opérations de mon prédécesseur, je ne peux être soumis à aucune comptabilité pour cette courte gestion.

Quant à ma conduite publique, j'ai toujours suivi un principe sacré pour moi, c'est de m'attacher uniquement à la Constitution et de regarder conime un crime contre la patrie tout ce qui pourrait tendre à la violer ou à l'affaiblir.

« Il reste un point de difficultés pour mon départ, que je crois très facile à lever dans le moment où la patrie a besoin d'officiers généraux. L'Assemblée a nommé 12 commissaires pour l'examen du mémoire que j'ai eu le courage de lire la dernière fois que j'ai paru, si dans le moment de cette lecture les passions avaient pu se taire, on aurait reconnu que ce mémoire ne contenait aucune personnalité, qu'il annonçait les maux et les remèdes et que j'étais bien

(1) Archives nationales, Carton 151, dossier, no 266.

loin de désespérer de la chose publique, puisque j'avais le courage de prendre le ministère de la guerre au milieu des orages qui me menaçaient de tous les côtés; je remettrai à ce comité toutes les pièces d'après lesquelles j'ai composé le tableau de notre situation militaire : il trouvera le surplus dans la correspondance des généraux et dans celle des corps administratifs de nos frontières, il vous rendra compte des résultats et quelque part que je sois je me présenterai devant vous, Messieurs, avec confiance, pour me soumettre à vos décisions.

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M. Charlier. L'Assemblée a accordé aux ex-ministres Narbonne et Grave la faveur d'aller rejoindre l'armée que sollicite l'ex-ministre Dumouriez elle ne peut lui être refusée. Je convertis sa demande en motion et je demande qu'il lui soit permis d'aller rejoindre l'armée de Luckner.

(L'Assemblée, ne voulant pas priver l'ex-ministre Dumouriez de servir la patrie, décrète l'urgence, et décide que l'ex-ministre Dumouriez Feut quitter la capitale pour aller servir à l'armée commandée par le maréchal Luckner.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de M. Scipion Chambonas, qui annonce sa nomination au ministère des affaires étrangères et assure l'Assemblée de son dévouement à la cause de la liberté et de son attachement à la Constitution.

Cette lettre est ainsi conçue (1):

"Paris, le 19 juin 1792,

« Monsieur le Président,

« J'ai l'honneur d'annoncer à l'Assemblée nationale que le roi vient de m'appeler au ministère des affaires étrangères. Je vous prie de l'assurer de mon dévouement à la Constitution. Je n'interromprai pas plus longtemps les travaux du Corps législatif. C'est par des faits et non par des discours que je dois justifier le choix du roi et obtenir la confiance des représentants de la nation.

Je suis, avec respect...

« Signé SCIPION CHAMBONAS. ►

MM. Lacoste, ministre de la marine, Duranthon, ministre de la justice, Lajard, ministre de la guerre, Terriër, ministre de l'intérieur et Beaulieu, ministre des contributions publiques, rentrent dans la salle.

(1) Archives nationales, Carton 151, dossier, no 266.

M. Lajard, ministre de la guerre. Messieurs, le ministre de l'intérieur, le ministre des contributions publiques et le ministre de la guerre viennent offrir à l'Assemblée nationale leur respectueux hommage et l'assurer de leur dévouement à la chose publique. Le roi m'a chargé de communiquer à l'Assemblée nationale deux lettres qui sont arrivées, la nuit passée, de l'armée, par deux courriers successifs.

J'en donne lecture à l'Assemblée :

« Extrait de la lettre de M. le maréchal Luckner au ministre de la guerre (1).

Menin, le 17 juin 1792.

(Vifs applaudissements.)

« Je m'empresse, Monsieur, d'avoir l'honneur de vous faire part de mon entrée dans Menin. Ce matin, vers midi, la ville était occupée par une cinquantaine d'hommes autrichiens, qui, à l'approche de mon avant-garde et du corps de réserve, ont évacué la ville. Nos éclaireurs en ont joint quelques-uns dans leur retraite et ils assurent en avoir tué.

«Je fais occuper Menin par mon avant-garde et le gros de l'armée sera campé près de Warwick. Les rapports qui m'ont été faits sur la position des ennemis sont variants, à raison qu'ils ne tiennent pas longtemps dans un même endruit.

a Pardon, Monsieur, si j'écris aussi laconique; mais le temps ne me permet point de m'étendre plus longtemps sur cette marche.

«M. de Grave, maréchal de camp, qui veut bien se charger de ma lettre, était présent à tout ce que j'ai l'honneur de vous écrire, il pourra vous donner verbalement des détails plus circonstanciés qui ne sont point assez intéressants sous le rapport militaire pour être transcrits.

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J'ai laissé hier, Monsieur, mon avant-garde et une réserve à Menin et aux environs; ils ont éclairé le pays. Ce matin, je suis parti de Warwick avec le reste de mon armée, qui a été renforcée en route par la jonction du camp de Dunkerque, de 5,000 hommes. L'armée campe tout près de Menin et je viens de pousser mon avant-garde sur Courtray. Je compte demain faire une grande manoeuvre sur ce point; j'aurai soin de vous informer, sur-le-champ, du résultat de ma démarche. L'ennemi y est en force dans un retranchement muni de canons.

« Mon armée commence à s'organiser sous le rapport de ses besoins, mais un objet bien essentiel m'afflige qui est la lenteur avec laquelle la discipline est maintenue dans les régiments,

(1) Archives nationales, Carton 151, dossier, n. 266.

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Les détails que m'a donnés M. de Grave sont conformes à ceux contenus dans la lettre de M. le maréchal et entièrement relatifs à cette première marche de nos troupes dans le pays ennemi, qui s'est effectuée sur plusieurs colonnes.

L'Assemblée jugera qu'on doit être rassuré sur les approvisionnements de l'armée. Je continuerai à surveiller avec la plus grande vigilance cette partie importante de l'administration qui m'est confiée.

Quant à l'objet qui afflige M. Luckner, j'espère que ses soins amélioreront chaque jour cette discipline, si nécessaire au succès de nos armes. Le roi s'occupe dans ce moment des moyens de l'affermir dans nos armées, et compte sur le bon effet des sages dispositions de l'Assemblée nationale et de son inflexible sévérité sur ce point, d'où dépendent le salut de l'Etat et l'honneur national. (Applaudissements.) Je dépose ces lettres sur le bureau de l'Assemblée.

M. le Président, L'ordre du jour appelle la suite de la discussion (1) du projet de décret du comité de législation, sur le mode par lequel les naissances, mariages et décès seront constatés. La parole est à M. Adam.

M. Adam. Messieurs (2), nous reconnaissons tous: 1o que l'acte qui constate l'état civil des citoyens est indépendant des religions, de leurs rites ou cérémonies; 2° que dans un gouvernement où la Constitution garantit à tout homme d'exercer le culte auquel il est attaché, il ne peut y avoir différentes manières de constater les naissances, mariages et décès; 3° que l'exer. cice de tous les cultes étant libre, il serait impolitique de confier ce droit aux ministres d'une religion de préférence à ceux d'une autre; 4° que ce droit purement civil appartient au corps social, comine ne faisant qu'un avec celui qu'il a toujours eu de connaître de la validité ou invalidité des actes qui le caractérisent; 5o que toutes les religions sont au respect de la société, sans autorité comme sans juridiction, puisque la société dont elles émanent peut tout sans elles, et qu'elles ne peuvent rien sans la société.

Donc, nous convenons de la nécessité d'une loi uniforme pour constater l'état civil des citoyens, et qu'il appartient au corps social seul d'en régler le mode et l'attribution.

Ces principes sont certains, les conséquences qui en dérivent sont positives. Ainsi, il deviendrait superflu de les mettre en question, et d'ouvrir, à cet égard, une discussion qui ne servirait qu'à faire perdre un temps précieux et utile à l'Etat.

Tout doit donc se réduire à entendre les observations d'un chacun sur l'attribution et le mode les plus convenables et nécessaires pour remplir

(1) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLII, sance du 19 avril 1792, page 167, la discussion à ce sujet.

(2) Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Porthiez (de l'Oise), tome 77, n° 6.

le vœu du peuple, et rendre votre loi exécutable.

La nécessité d'une loi se fait plutôt sentir que l'exécution, parce que nous pouvons prévoir l'une dans les temps, les circonstances, la forme du gouvernement; et que nous ne pouvons prévoir l'autre, qui est la volonté générale, son adhésion.

En législation, celui qui ne voit qu'en masse les objets, s'abuse, comme celui qui cherche trop à les particulariser, s'égare. La loi n'étant que pour l'homme et l'ouvrage de l'homme, elle doit être de nature à réprimer ses passions, sans gêner sa liberté; elle doit l'attacher à la société sans lui en faire un fardeau; elle doit être claire, précise, et ne laisser à l'esprit aucune ambiguïté.

On n'atteint pas le but sans difficultés; et plus une loi en présente, telle que celle pour constater l'état civil des citoyens, et plus un législateur doit se méfier de ses forces, mais sans perdre courage. Toujours l'esprit préoccupé de la vérité, il doit écarter toute prévention, tout esprit de parti, entendre les opinions d'un chacun, et être persuadé qu'il y trouvera de nouvelles lumières qu'il n'aurait jamais pu se procurer chez lui.

Autrement, vaudrait mieux perdre toute idée de loi, que d'agir sans prudence, précipitamment et avec passion, et par là exposer l'état des citoyens à l'incertitude des événements, ou le Corps législatif à l'humiliante situation de voir ses lois rester sans exécution, et le despotisme le plus tyrannique succéder à l'anarchie la plus déplorable.

Si on ne voit, pour l'attribution de ce droit aux municipalités, que le rapprochement, les liaisons, les rapports entre les officiers et les citoyens, il n'y a pas de doute sur leur compétence. Mais si, après s'être pénétré de l'importance des fonctions qu'on leur délègue, on considère l'inexpérience de la majeure partie des municipalités de campagne, le défaut de maisons-communes, à plus forte raison d'archives, leur dénuement, l'impossibilité même de s'en procurer, que devient cette attribution fondée sur les convenances de localités?... Quels avantages peuventelles produire aux citoyens, qui ne soient détruits par un seul de ces inconvénients?... Je vous demande maintenant où est le citoyen qui osera se confier à de telles municipalités... s'il en est? Quelle est celle de ces municipalités qui n'aura pas recours à un tiers qu'elle jugera instruit, ou ne se confiera pas à celui qui aura besoin de son ministère, s'il sait rédiger un acte?... N'est-il pas à craindre que ces hommes aient des opinions ou des mœurs antisociales ou dépravées, et qu'ils saisissent l'occasion pour tromper la crédulité des uns ou favoriser leur intérêt au détriment de celui des autres?

Il ne s'agit pas d'examiner si cela arrivera ou non, il suffit de savoir que c'est dans les cas possibles, pour vous prémunir contre le danger auquel vous exposeriez l'état et la fortune des citoyens.

D'ailleurs, comment pourrait-on prétendre que ces municipalités exécuteraient cette loi, puisqu'il n'entre point dans l'intention de les salarier ni de leur faire des avances pour acheter des maisons-communes et se former des archives. Or, sans salaire, il est impossible qu'un cultivateur infortuné puisse remplir avec assiduité les fonctions que la loi lui prescrira en sa qualité d'officier municipal. S'il y est obligé, il s'imaginera concilier ses devoirs avec la nécessité de travailler, en reportant tous les actes à des jours

fériés; et d'une loi impérative, il s'en fera une de convenance, qui insensiblement perdra de sa force, et occasionnera autant d'abus qu'elle aurait dû procurer de bien.

Si cela n'arrive pas, il est certain que, dans ces temps précieux à la culture et aux récoltes, on en distraira difficilement l'officier municipal cultivateur. On se lassera d'attendre, on s'en retournera et on choisira son temps pour revenir : s'il y a de l'humeur, on fera une sommation, on se plaindra; dans l'intervalle, l'officier municipal pourra remercier ou il pourra arriver des changements dans l'état du citoyen, qui rendront l'acte impossible, et la loi restera sans exécution.

Enfin, sans maison-commune ni archives, où portera-t-on, dans les 24 heures, le nouveau-né? où fera-t-on les publications? où contracterat-on les actes de décès ? et où déposera-t-on les registres ?... Je le demande... Tant qu'il n'existera pas dans une municipalité une maison-commune ni archives, la loi ne peut, dans aucune de ces dispositions, être exécutée. Et si cette municipalité avait la témérité de passer outre à ces actes, ce serait autant d'infractions qu'elle commettrait à la loi, ce serait autant d'arines qu'elle mettrait dans la main d'avides collatéraux pour arguer de faux, de nullité, ces actes, et contester l'état d'un enfant ou la validité d'un mariage. Enfin, cette loi qui ne devait servir qu'à assurer aux citoyens un état certain et authentique, ne servirait qu'à diviser les familles, à déchaîner le vautour de la chicane, et à rendre l'état des citoyens le jouet du caprice d'injustes entrepre

nants.

Il est, en outre, unc observation très importante; c'est qu'en rendant les municipalités seules compétentes de constater l'état civil des citoyens, vous les rendez arbitres des questions qui y ont rapport. Or, je vous demande comment vous voulez qu'elles décident les questions relatives à la puissance paternelle, aux élections de domicile, dont à peine votre comité donne une idée, à la legitimation sur laquelle le projet de loi ne contient aucune disposition? Enfin, par quelle voie elles sauront distinguer la vérité ou la fausseté des actes qui leur seront présentés, puisque des gens, même consommés dans les affaires, sont surpris, ou ne décident qu'après un long et mûr examen.

Tout concourt donc à démontrer la nécessité de retarder l'attribution de ce droit aux municipalités jusqu'après leur vraie organisation, et la formation des municipalités centrales, aussi indispensables que désirées, et jusqu'à ce, de la confier provisoirement à des citoyens qui seront choisis par les conseils généraux des communes, parmi tous les citoyens actifs, fonctionnaires et officiers publics.

Votre intention, en faisant une telle loi, a été, avec raison, de séparer le civil de la religion; de rendre constant ce principe que l'acte qui constate une naissance, un mariage, un décès, est indépendant des cérémonies religieuses. L'un est une obligation envers la société; et l'autre est de conscience, dont chacun est libre de suivre les mouvements. Mais je désirerais savoir pourquoi votre comité rappelle toutes ces expressions mystiques, qui, dans le mariage, tiennent au sacrement?

Un contrat n'est que la déclaration, l'authenticité, la lecture publique, et la signature de toutes les parties intéressées et il n'est pas besoin de faire dire: Je déclare prendre N..... en légitime mariage, et lui promets fidélité, et de

prononcer, au nom de la loi. « Je vous unis en légitime mariage.

Il me semble voir deux contractants au pied de l'autel, et l'officier civil tenir la place du ministre... Il ne manque plus à ce ridicule que l'expression et la bénédiction.

Ce n'est pas ainsi qu'on parvient à déraciner les anciens préjugés. Et quoique votre comité vous ait dit, avec assurance : N'appréhendez, à cet égard, ni les efforts du fanatisme, ni les doutes de la crédulité; néanmoins, je pourrais dire, avec plus de confiance, que la religion n'a pas perdu tout son pouvoir sur l'esprit des citoyens. L'expérience, jointe à ce qu'ont écrit nos philosophes modernes, nous a appris et nous apprendra encore que ce n'est que chez un peuple assez sage et assez éclairé pour savoir qu'il doit être permis à tout le monde d honorer Dieu selon les lumières de sa conscience, que la diversité du culte et des opinions religieuses ne causera aucun trouble. Partout ailleurs elle excitera des querelles, dont l'ambition, le fanatisme se serViront pour allumer des dissensions funestes, et ébranler les principes du gouvernement.

On me dira, sans doute, que le projet de décret ne préjuge rien contre la faculté que les citoyens auront de se conformer aux rites adoptés en chaque religion pour les naissances, mariages et décès.

Mais les rites ou cérémonies religieuses que des siècles ont fait considérer comme une espèce de droit positif, ne peuvent, chez un peuple qui, eu majeure partie, se laisse plutôt guider par l'habitude que par la raison, dégénérer en simple faculté; voir un autre que le ministre lui faire prononcer les mots sacramentels, sans qu'il s'imagine qu'on veuille attaquer sa croyance, le priver de la religion de ses pères, qu'il ne conçoit malheureusement que par l'appareil mystérieux et les prestigesqui lui cachent ce qu'elle devrait être réellement à ses sens.

Le flambleau de la vérité viendrait-il à éclairer son âme, le fanatisme, jaloux d'une autorité qu'il n'aura plus, cherchera à l'éteindre, alarmera sa conscience, jettera son esprit dans l'égarement, et insensiblement le portera à tous les actes de mépris pour la loi et de violence contre les pouvoirs constitués. Alors s'opéreront les scissions, le déchirement des familles, l'oubli des devoirs des citoyens, et la désorganisation entière du corps social.

Le peuple veut toujours le bien; mais, de luimême, il ne le voit pas toujours. Instruisez-le, éclairéz-le sur ses véritables droits, et en même temps sur l'usage juste et raisonnable qu'il doit en faire. N'affranchissez son corps qu'après avoir affranchi son âme, s'écrie Rousseau. On ne viole point impunément les lois de la nature, dit Mably; la terre veut être cultivée par des mains libres; la servitude frappe les hommes et les terres de stérilité...

11 eût donc été à désirer que votre comité d'instruction publique eût d'avance préparé les esprits par un plan d'instruction publique, dont, sinon l'exécution, au moins la discussion, eût précédé celle sur la loi qui vous occupe aujourd'hui.

Néanmoins, si vous voulez parer aux inconvénients dont je vous ai fait en partie l'analyse, et remplir l'objet que vous désirez, et que je n'ambitionne pas moins que vous, faites une loi simple, courte et précise; imposez l'obligation à tous les citoyens de faire constater la naissance de leurs enfants, leur mariage et le dé

cès de leurs proches, sans leur prescrire d'autre règle que celle de la peine résultant de la loi, qui, à l'avenir, ne connaîtra et ne jugera de la validité de l'état d'un citoyen que sur le rapport d'une expédition en forme de cet acte civil.

Il n'y aura plus de difficulté à déférer provisoirement, à un ou plusieurs citoyens (en raison de la population) élus librement et de confiance, ceite attribution; votre loi aura le caractère naturel qui lui convient, et il ne sera pas un individu qui ne se fasse un dévoir de l'exé

cuter.

Que toutes vos expressions, dans cette loi, se ressentent du respect qu'on doit avoir pour toutes les cérémonies religieuses d'un peuple dont nous ne devons pas plus heurter les opinions que ménager les caprices; vous y ajouterez un degré de confiance, vous anéantirez le fanatisme et atterrerez tous les ennemis du bien public.

Le citoyen libre, dans ses opinions comme dans ses actions, ne verra plus, dans ce que vous exigez de lui, qu'un bienfait de la loi et une sage prévoyance sur ses propres intérêts.

Renvoyez à votre comité à traiter dans le Code de législation, sous des titres particuliers, tout ce qui a rapport aux élections de domicile, oppositions, âges de contracter, empêchements, puissance paternelle, légitination. Tolérez encore toutes les lois anciennes qui ont rapport à ces matières. Laissez agir les tribunaux, et attendez que le peuple, dégagé de tous ses anciens préjugés (ce qui ne tardera pas), sollicite de vous une réformé absolue; alors vous jouirez du fruit de votre travail, et acquerez des droits à la reconnaissance.

PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale, considérant que les actes dont l'objet est d'assurer l'état civil des citoyens (tels que ceux de naissance, mariage et décès), sont indépendants de toutes religions et isolés de leurs cérémonies, que chacun est libre ensuite d'y ajouter:

Que dans un gouvernement où la Constitution garantit à tout homme le libre exercice du culte auquel il est attaché, il ne peut y avoir différentes manières de constater les naissances, mariages et décès;

Que l'exercice de tous les cultes étant libre, il serait impolitique, et même contraire au bon ordre, de confier ce droit aux ministres d'une religion de préférence à ceux d'une autre;

Qu'il importe au corps social de reprendre l'exercice de ce droit imprescriptible, et qui n'a pu qu'être suspendu, puisqu'à lui seul appartient de connaitre de la validité ou invalidité des actes qui le constitue, et de statuer, non seulement sur l'état, mais même sur l'existence physique de chaque membre qui le compose;

Voulant enfin faire jouir indistinctement tous les citoyens du bienfait de la loi, et assurer légalement leurs états civils, décrète :

Art. 1. Dans la huitaine qui suivra la publication du présent décret, les conseils généraux des communes nommeront provisoirement, à la pluralité absolue des suffrages, un citoyen pris, soit dans leur sein, soit parmi les citoyens qui, sous l'autorité des municipalités et la surveillance des directoires des districts, recevront et rédigeront les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès.

Art. 2. Seront fournis, aux frais des districts, à chacun des officiers civils, dans la huitaine

qui suivra leur élection, et à l'avenir dans les 15 premiers jours du mois de décembre de chaque année, 2 registres en papier libre, paraphés par le président de district. Un de ces registres sera, dans les 15 premiers jours du mois de janvier de chaque année, remis au directoire du district, qui, après vérification, le fera passer au directoire de département.

Art. 3. Les actes de naissances, mariages et décès, seront inscrits en double sur les 2 registres de suite, sans aucun blanc, interligne ni abréviation. Les renvois et ratures seront approuvés et signés de la même manière que l'acte.

Art.4. Les actes de naissances et décès ne seront reçus par l'officier civil qu'après s'être assuré de la réalité, sur la déclaration du plus proche parent de l'enfant ou du décédé, et de deux témoins connus, lesquels donneront un nom distinctif de celui de famille à l'enfant; ensuite signeront avec l'officier civil, l'acte, s'ils le savent, sinon en sera fait mention.

Art. 5. Les citoyens qui voudront contracter mariage se transporteront en personne à la maison commune, où l'officier civil (après avoir requis l'assistance d'un officier municipal, et s'être assuré que toutes les formalités préliminaires et d'usage ont été observées) recevra et rédigera l'acte de leur déclaration, du consentement de leurs pères et mères, tuteurs ou curateurs, et en présence de deux témoins connus, et lecture faite publiquement, les contractants, parents et témoins signeront l'acte avec l'officier civil, s'ils le savent, sinon en sera fait mention.

Art. 6. Où il existerait quelque opposition, ou que quelques-unes des formalités auraient été omises, l'officier civil suspendra, ou renverra, s'il y a lieu, devant les tribunaux, qui provisoirement connaitront de toutes les questions y relatives, commettront pour faire les publications en cas de refus sans cause valable, prononceront sur toutes espèces d'empêchements, la loi n'exceptant formellement que celui de la consanguinité au troisième degré, qui emporte prohibition de contracter, et statueront définitivement dans les 3 jours de celui où la con. naissance léur en aura été dévolue.

Art. 7. Aussitôt la publication du présent décret, chaque municipalité se fera remettre tous les registres de naissances, mariages et décès, en quelque lieu qu'ils soient déposés, dont elle dressera procès-verbal circonstancié et détaillé. Ensuite elle remettra un des doubles de ces registres au directoire du district, qui certifiera au bas du procès-verbal la remise et le fera passer au directoire du département, qui lui en assurera la réception. L'autre double sera remis à l'officier civil, qui en donnera sa reconnaissance, et sera tenu de s'en charger au bas du procèsverbal, lequel sera et demeurera déposé à la municipalité du lieu.

Art. 8. L'officier civil délivrera expédition de ces actes aux parties intéressées, sur papier timbré. Il lui sera, non compris le timbre, payé pour chacun des actes qu'il aura reçu 6 sols, et les deux tiers pour celui des actes inscrits sur les registres, dont il ne sera que dépositaire.

Art. 9. Les tribunaux ne jugeront les questions qui pourraient à l'avenir s'élever sur la validité des naissances, mariages et décès, que comme ils jugeraient des autres contrats civils. Ils n'auront d'égard aux actes de naissances, mariages, et décès d'une date postérieure à l'entrée en exercice de l'officier civil, qu'autant qu'ils au

ront été reçus et rédigés par l'officier civil, nommé dans la forme ci-dessus prescrite.

Art. 10. Charge ses comités réunis de législation et d'instruction publique de lui présenter un projet de loi sur l'âge de contracter, la puissance paternelle, le domicile, les oppositions, empêchements, la légitimation, généralement sur tout ce qui a rapport au mariage, les difficultés qui peuvent en résulter, l'attribution, la forme de se pourvoir et de les régler; de sorte que les droits respectifs soient entièrement conservés, et que la justice ait un libre cours.

Plusieurs membres: Nous demandons l'impression!

(L'Assemblée décrète l'impression de l'opinion et du projet de décret de M. Adam.)

M. le Président. La parole est à M. Pastoret. M. Pastoret. (1) Messieurs, une opinion générale proclame la nécessité d'éloigner la religion des actes civils. Il n'y a rien de commun entre elle et la loi; car les lois doivent être le résultat de la raison humaine, et on sait bien que la religion est au-dessus d'elle.

Comment la loi n'aurait-elle pas seule le droit d'assurer notre état civil? Le citoyen lui appartient nécessairement; et il peut n'appartenir à aucune des religions du pays qu'il habite. Ou en seraient les législateurs s'ils étaient obligés de façonner sans cesse leurs pensées et leurs principes à toutes les idées religieuses des hommes!

Il ne peut donc s'élever aucun doute sérieux, et je suis étonné que quelques orateurs aient voulu en faire naître. Je ne les suivrai pas dans le développement de leurs pieuses erreurs : mon respect pour l'Assemblée nationale, ma confiance en ses lumières m'avertissent que je n'ai pas besoin de descendre à une pareille réfutation.

Je m'attacherai principalement à examiner, à comparer le système du comité de législation et celui de M. Jollivet (2). Sans m'abandonner à une discussion qui serait infinie, si j'en parcourais successivement tous les détails. je remonterai aux principes sur lesquels doit reposer notre opinion; et après les avoir établis, je n'aurai besoin de m'appesantir ni à en tirer les conséquences, ni à en faire les applications; elles se présenteront toutes d'elles-mêmes.

Et pour fixer d'avance les idées sur ma propre opinion, je dirai qu'en général, selon moi, le travail du comité de legislation mérite toujours la préférence. Ce travail qui a obtenu de justes témoignages de votre estime n'embrasse pas seulement le sujet dans toute son étendue; il en lie tellement les différentes parties qu'elles sont presque inséparables. Le plan de M. Jollivet a aussi cet avantage; mais il est assis sur des bases que nous ne pouvons adopter; il crée des fonctionnaires nouveaux dont l'existence est inutile; il coûte, chaque année, 3 millions au Trésor public.

M. Jollivet appelle tabellions ces fonctionnaires nouveaux. Il ne les place pas dans chaque commune, mais seulement dans des chefs-lieux municipaux qui seront indiqués par les directoires des districts aux directoires des départements, et par ceux-ci au ministre de l'intérieur et à

(1) Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de l'Oise), tome 77, n° 8.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLI, séance du 10 avril 1792, page 422, l'opinion de M. Jollivet.

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