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M. Basire. Je demande la parole pour un fait; c'est que M. Dumas commandait le Royal-Allemand en 1789.

(L'Assemblée ferme la discussion.)

M. le Président rappelle les diverses propositions.

Plusieurs membres : La priorité pour le renvoi ! D'autres membres : La division!

M. Léopoid. Il ne peut y avoir de priorité que lorsqu'une motion en exclut un autre.

(L'Assemblée renvoie la lettre de M. La Fayette à la nouvelle commission des Douze, pour en faire le rapport incessamment.)

Plusieurs membres : Maintenant le renvoi aux départements!

D'autres membres : L'ordre du jour! la question préalable!

M. le Président. Je mets aux voix la question préalable sur l'envoi aux 83 départements.

(Après un moment d'agitation, l'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'envoi aux 83 départements.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture des deux lettres suivantes :

1° Lettre de M. Terrier, par laquelle il informe l'Assemblée que le roi l'à nommé ministre de l'intérieur. Cette lettre est ainsi conçue (1):

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J'ai l'honneur d'instruire l'Assemblée nationale qu'il est survenu de nouveaux troubles à Avignon à l'occasion de l'élection à la place de maire qui a été déférée au sieur Duprat, le cadet. (Mouvement d'indignation.) Je vous enverrai, sitôt terminée, copie de la lettre que je viens de recevoir des commissaires des Bouches-du-Rhône et de la Drôme réunis pour l'organisation des districts de Vaucluse et Louvaise, et du procèsverbal qu'ils ont dressé. On est occupé à cette heure à faire les copies des procès-verbaux. « Je suis avec respect etc...

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ment son rapport. Les circonstances où nous nous trouvons ne permettent pas de le différer. Je demande qu'il soit fait après-demain, ou bien que, si elle n'est pas prête, ceux qui seront prêts aient la parole. (Murmures.)

Plusieurs membres: Nous connaissons cette tactique. Nous demandons l'ordre du jour.

M. Vergniaud. Je m'étonne que l'on puisse demander l'ordre du jour sur les moyens d'arrêter l'éclat qui se prépare. Au nombre des mesures que pourrait vous proposer la commission, if en est certainement de provisoires que vous ne pouvez pas retarder de 3 jours sans compromettre le salut public; et si la commission n'est pas prête, moi je demande la parole après-demain.

M. Boullanger. Je m'y oppose. (Nouveaux murmures.)

M. Daverhoult. M. Vergniaud dit qu'il a un projet prêt; je demande que M. Vergniaud, s'il n'est pas de la commission, soit adjoint à cette commission. (Murmures.)

M. Lagrévol. J'observe à l'Assemblée que cette commission n'est pas formée et qu'on ne peut lui imputer aucun retard. J'ajoute que le délai prescrit par M. Vergniaud n'est pas suffisant pour donner à la commission le temps de présenter un bon travail. Je demande donc que la discussion sur cette affaire soit ajournée à vendredi prochain.

(L'Assemblée décrète cet ajournement.) (La séance est levée à quatre heures.)

PREMIÈRE ANNEXE (1).

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU LUNDI 18 JUIN 1792, AU MATIN.

OPINION non prononcée DE M. CHOUTEAU (1), député de Maine-et-Loire, sur le projet de supprimer, sans indemnité, les droits casuels, eventuels, etc.

Messieurs,

Je n'examine point si originairement les droits qu'on propose de supprimer, sans indemnité, ont été justement ou iniquement établis. Quelle que soit leur origine, je ne les puis voir en ce moment que sous le double esprit de l'intérêt national et individuel et sans celui de la justice qui doit toujours être le régulateur de toutes nos délibérations.

L'intérêt national, l'intérêt individuel, exigentils ce qu'on propose? la justice le permet-elle ?

L'état financier de la nation française, loin de nous permettre d'indiscrets sacrifices pécuniaires, nous impose au contraire l'obligation de n'en faire qu'autant qu'ils sont impérieusement commandés par l'équité ou l'utilité la mieux constatée.

Le sacrifice qu'on vous propose de faire est-il utile à la nation, à tous les individus ? Non. Ce

(1) Voy. ci-dessus, même séance, page 336, le texte definitif du décret sur les droits féodaux.

(2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative. Féodalite, B.

sacrifice n'est point profitable à la nation, car lorsque l'Assemblée constituante déclara que les biens dont jouissaient les ecclésiastiques appartenaient à la nation, celle-ci se trouva propriétaire d'une indemnité de revenus casuels, etc.

Je n'ai point été à portée d'en calculer la valeur capitale; ne fût-elle que d'un million, (et peut-être est-elle d'un milliard) toujours est-il vrai que ce serait une perte d'un million pour la nation; et cette abolition sans indemnité nuirait à une infinité de citoyens qu'elle priverait de leurs possessions. Nous n'avons donc pas le droit de la décréter, à moins que la justice ne la commande. Mais elle commande le contraire et la Constitution l'exige. Voici comme elle s'implique au titre Ier de l'article 3: La nation garantit l'inviolabilité des propriétés ou une juste et préalable indemnité de celles dont l'utilité publique, légalement constatée, exige le sacrifice. »

Si donc ceux qui jouissent de ces produits casuels, etc., en sont propriétaires, vous ne les en pouvez dépouiller sans indemnité, sans outrager la justice, les droits de l'homme et blesser cruellement la Constitution. Oh! je le demande, celui qui de bonne foi a acheté sous l'égide des lois, sous la garantie de la coutume de plusieurs siècles, est-il propriétaire de l'objet acheté? Il faudrait avoir perdu toute idée de justice pour soupçonner la négative. La propriété n'est que le droit exclusif à un objet en vertu de la loi. Je suis donc réellement propriétaire de l'objet que j'ai légalement acquis, et, aux termes de la Constitution, je n'en puis êre privé qu'après une préalable indemnité. Ceux donc qui osent proposer l'abolition, sans indemnité, des droits casuels, etc... proposent expressément de violer la Constitution qu'ils ont juré demain tenir dans toute son intégrité. Qu'ils se parjurent, puisque tel est leur malheureux sort! mais que le prestige de leur fallacieuse éloquence, que l'étalage pompeux de leurs récits scientifiques n'éblouissent pas les âmes honnêtes, les cœurs droits, les vrais amis de la Constitution. Soyons justes.

Eh! qu'on ne nous dise pas, pour autoriser cette violation de la Constitution, que l'Assemblée constituante a aboli sans indemnité les banalités, les droits de chasse, etc... qui étaient aussi des propriétés. Car quel est l'homme de bonne foi qui ne sente pas l'extrême différence entre ces droits qui captivaient la liberté de tous ceux qui y étaient sujets, et ceux dont il est question en ce moment? Quel est l'homme de bonne foi qui, pensant que l'Assemblée constituante aurait fait une injustice, se croirait autorisé à l'imiter en faisant ainsi? Quel est l'homme de bonne foi qui n'aperçoit pas enfin que l'Assemblée constituante ne se parjurait pas en abolissant sans indemnité les droits de banalités et autres, puisque lors de cette abolition, la Constitution n'était pas faite; mais que nous, qui avons juré de la maintenir, de ne rien proposer ni consentir qui la contrariât, nous ne pouvons prononcer cette abolition sans nous couvrir pour jamais de l'opprobre du parjure et de l'injustice la plus révoltante. Ce n'est pas par un aussi perfide abus du pouvoir dont nous avons été investis par nos commettants, que nous parviendrons à rallier irrévocablement les Français à la Constitution. Non, ce n'est point en la sapant dans ses bases que nous l'affermirons. Je laisse à l'écart bien des considérations politiques toutes concluantes contre la

suppression, sans indemnité, parce qu'elles n'ont pas même besoin d'être présentées pour être aperçues.

Mais, Messieurs, par caractère comme par réflexion, ennemi de tout usurpateur, j'en sollicite la punition; qu'on en fasse justice! Que non seulement on les prive des objets qu'ils ont usurpés, mais qu'on répète encore tous les produits qu'ils en ont perçus! j'en fais la motion expresse. Mais gardons-nous de confondre les loyaux acquéreurs, les honnêtes propriétaires avec les usurpateurs. Rendons justice aux uns comme aux autres; c'est l'obligation du législateur qui doit savoir s'élever et planer avec assurance au-dessus des nuages que forment les exhalations vénéneuses des embarras, de la prévention, du ressentiment et de la mauvaise foi. Je dis donc, dans l'intérêt d'un grand nombre de citoyens, celui de la nation, qui a besoin de toute l'étendue de ses ressources, défend l'abolition sans indemnité des droits casuels, etc... La justice de la Constitution la réprouve; donc vous ne la devez pas décréter. Mais la justice veut qu'on prive et punisse les possesseurs de leurs criminelles usurpations; donc il les en faut tout au moins dépouiller.

J'ajoute, Messieurs, que s'il est juste de conserver les droits à leurs légitimes possesseurs, il est également raisonnable d'accorder à chaque redevable la faculté de s'en libérer proportionnellement, chacun pour ce qui le concerne.

En conséquence, je propose le décret suivant :

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale, considérant que l'état des finances nationales ne permet point de faire aucun sacrifice pécuniaire, s'il n'est impérieusement commandé par l'utilité publique ou par la justice;

«Considérant qu'il est de son devoir de faire jouir tranquillement tout citoyen de ses véritables propriétés; il est également de sa justice de faire restituer aux usurpateurs ce qu'ils ont injustement envahi;

Considérant que parmi les propriétaires des droits casuels, tels que lods, ventes, rachats, etc... il en est dont la possession est des plus légitimes, et d'autres dont la jouissance, peut n'être qu'une véritable usurpation, soit à raison de la nature desdits droits, soit à raison de leur quotité;

Considérant enfin, que la faculté de racheter lesdits droits, telle qu'elle a été décrétée par les articles..... de la loi du..., est presque illusoire, attendu l'impossibilité pour un grand nombre de redevables de liquider plus que leur quotepart, ou plusieurs à la fois, décréte ce qui suit :

Art. 1er. Tous droits féodaux casuefs, éventuels, etc.... à la réserve de ceux qui sont le résultat d'une concession de fonds ou d'une acquisition faite de bonne foi et dans les formes légales, sont déclarés supprimés sans indemnité, comme ayant été usurpés.

Art. 2. Si l'usurpation est prouvée par le possesseur actuel, il sera tenu de restituer tout ce qu'il aura perçu en conséquence de son usurpation, à ceux de qui il l'aura reçu ou à leurs représentants.

Art. 3. En conséquence de l'article 1er, ceux qui se prétendront propriétaires desdits droits, seront tenus d'en communiquer aux redevables les pièces justificatives, soit à raison de la concession de fonds, soit à raison d'une acquisition

légale et, en cas de contestation, les tribunaux prononceront sur la légitimité ou l'illégalité de leurs prétentions.

Art. 4. Lesdits droits, qui auront été déclarés légitimes et dont conséquemment la propriété sera conservée à leurs possesseurs, seront néanmoins divisément rachetables et à raison de la quote-part de chaque redevable.

Nota. Je suis bien aise de dire à ceux qui se complaisent aux suppositions gratuites et aux préventions injurieuses, que l'abolition, sans indemnité, ne me causerait aucune perte, qu'elle me serait, au contraire, d'un avantage assez conséquent.

DEUXIÈME ANNEXE (2)

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU LUNDI 18 JUIN 1792, AU MATIN.

OPINION NON PRONONCÉE DE M. LABOISSIÈRE, député du Lot (2), sur les droits féodaux casuels.

Messieurs,

Rien n'est plus variable que l'origine des fiefs, puisqu'ils dérivent de différentes causes. Il n'en est pas de même de leur accroissement, de leurs surcharges. Il n'est presque pas de fiefs qui, par succession de temps, ne soient devenus une propriété usurpée, sinon en tout, du moins en partie.

Les droits casuels, surtout, portent avec leur étymologie la preuve d'un droit nouveau. Car un prétendu droit qui tient du hasard et qui est supérieur à l'acte d'inféodation, n'est pas une propriété originaire, à moins que le contraire ne soit prouvé par le titre d'inféodation: et vous remarquerez que, dans la jurisprudence même de l'ancien régime, le seigneur qui, après avoir pris un fonds qui lui faisait rente, le vendait ou l'inféodait de nouveau, ne pouvait prétendre les droits casuels, à moins qu'il ne les eut réservés par exprès (3), ce qui prouve évidemment que cette prétention est hors du droit commun et ne peut pas se présenter par une seule reconnaissance des droits et devoirs seigneuriaux, mais seulement par la disposition expresse du titre primordial.

Ainsi, l'Assemblée constituante (sauf le respect qui lui est dû) est tombée en défaut, lorsqu'elle a fait marcher le cens ou la rente du pair avec les lods et ventes; c'est encore pis lorsqu'elle a émulativement soumis au rachat l'un et l'autre, et jamais l'un sans l'autre. Cette idée est inconcevable.

Si l'on consulte la jurisprudence des xv et XVIe siècles, il fallait plus de 2 reconnaissances pour établir le droit de fief (4) et vous observerez, qu'en tout état de cause, le censitaire était reçu à prouver l'usurpation ou la surcharge contre toute espèce de reconnaissance et d'adminicule.

Comment se peut-il donc que les décrets de

(1) Voy. ci-dessus, même seance, page 336, le texte définitif du décret sur les droits féodaux.

(2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative. Féodalite, C.

(3) Dolive, liv. II, chap. 19. Dumoulin, Hodie, 78. Voy. Cambalas, Magner, Catelan et Boyer.

l'Assemblée constituante aient attribué aux seígneurs, par deux reconnaissances, un droit positif qu'ils n'avaient jamais osé prétendre? C'est à l'Assemblée législative à réparer cette lacune insupportable.

Ce n'est pas, Messieurs, que je pense qu'il faille obliger les ci-devant seigneurs à rapporter judaïquement le titre primordial de leur prétendu fief. Une nation libre doit être juste et généreuse; et il faut convenir que, sur la foi de nos lois et de nos usages, ils peuvent avoir négligé ou méprisé leurs titres primordiaux, à la faveur des nouvelles reconnaissances ou autres adminicules, et dès lors, il serait injuste de subordonner leurs propriétés à une négligence qui semblait être permise. Ils ne manqueraient pas de dire que, par un traitement si rigoureux, vous avez voulu venger la nation de ce qu'ils ont pris les armes contre elle.

Il faut donc, Messieurs, réduire cette question à son véritable point de vue et juger nos ennemis comme s'ils étaient à la barre; vous leur diriez que leurs prétendus droits casuels ne se présument, ni ne peuvent se présumer dans la personne du seigneur, ni dans celle du tenancier, qui, n'étant dûs de leur nature ni par leur premier, ni par le dernier possesseur du fonds, ils ne sauraient exister sans une convention expresse, que n'étant ni possessoires ni incorporels, ils ne sauraient être acquis par la prescription; enfin, que le droit de mutation ne tenant point essentiellement à la glèbe, c'est au ci-devant seigneur à prouver qu'il a été dérogé au droit

commun.

Il n'en est pas de même du cens ou de la rente; elle tient à la glèbe, elle fait suite à une possession continue; quoique le fonds ait changé de main, c'est toujours le même fonds tenu en fief. La rente, le champart, etc... peuvent être exagérés, ils l'ont presque toujours été; mais il existe un droit de seigneurie qui doit être aujourd'hui ce qu'il était lorsque le rachat a été décrété. Il ne s'agit que d'employer un mode de rachat qui, en respectant le droit de propriété, éteigne à jamais un régime inconciliable avec la Constitution du royaume; des mesures qui ne seraient à cet égard que partielles ou individuelles, ne sauraient atteindre à ce but essentiel. Il faut que la nation se charge de ses affranchissements; que la grande famille confonde et réunisse dans ce grand intérêt les divers intérêts particuliers; sans cela, il ne saurait y avoir, parmi nous, de régénération parfaite; sans cela le régime féodal renaîtra quelque jour de sa cendre.

Observez, Messieurs, que dans notre hypothèse, c'est en général le pauvre qui est le débiteur du riche, que ce riche a le plus grand intérêt de le maintenir dans ce genre d'esclavage, qu'il se complait déjà, dans les arrérages de 5 années, qui absorbent les capitaux de la plus grande partie des malheureux cultivateurs; et vous savez qu'on en vient jusqu'à se flatter que cette grande question devait être subordonnée au sort de nos armées.

Dans cet état de choses, j'ai l'honneur de proposer à l'Assemblée de décréter ces deux principes, sauf les lois de détail :

1° Les droits casuels demeurent supprimés, sans indemnité, à moins que les propriétaires des ci-devant fiefs ou seigneuries ne fournissent des titres primordiaux portant convention expresse du droit de lods ou autres droits équipollents.

2o La nation demeurera chargée du remboursement des cens, rentes, champarts, etc... suivant le mode qui sera déterminé, sauf son recours, ainsi qu'elle avisera.

TROISIÈME ANNEXE (1)

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU LUNDI 18 JUIN 1792, AU MATIN.

OPINION NON PRONONCÉE DE M. JOURNU-AUBER, député de la Gironde (2), sur le projet de supprimer les droits casuels sans indemnité.

Messieurs,

On vous propose de supprimer les droits casuels déclarés rachetables, par le décret de l'Assemblée constituante du 15 mars 1790.

Les préopinants ont trop approfondi les questions historiques sur les époques auxquelles les publicistes font remonter l'origine des fiefs, pour que je me permette encore des développements de ce genre. Ce que ces orateurs m'ont paru le mieux prouver, c'est que l'incertitude des bases permet à chacun d'élever sur le même fond des systèmes totalement opposés.

J'ai donc cru qu'il s'agissait moins de raisonner sur ce qui a dû être, dans tel ou tel siècle, que sur ce qui existe réellement aujourd'hui ; aussi laisserai-je de côté la carrière de l'érudition pour ne traiter la question que sous ses rapports avec la Constitution et avec l'état actuel de nos finances.

Votre comité féodal, avant d'entamer cette discussion, avant de s'engager dans des recherches qui se perdent dans l'obscurité des temps, où l'écriture n'était presque pas en usage, et aurait dû, ce me semble, consultant les circonstances présentes, se faire à lui-même ces questions essentielles :

1° Quelle est l'étendue du sacrifice proposé? 2o La situation de nos finances peut-elle souffrir, en ce moment, la privation d'une ressource aussi majeure?

3° La Constitution permet-elle de violer les droits de propriété ? et n'impose-t-elle pas à la nation l'obligation d'indemniser ceux de qui l'intérêt public exige quelque sacrifice?

Je crois fermement que si votre comité avait discuté la matière sous ces rapports, il aurait, ou ajourné son projet à l'époque de la fin de lá guerre, ou dirigé son travail vers un nouveau mode de rachat plus facile et plus déterminant pour les redevables.

Nous savons, par l'expérience de nos prédécesseurs, qu'il est plus aisé de détruire que de recréer; il faut donc mesurer l'étendue de ce sacrifice, et bien connaitre quelles autres ressources vous mettrez à la place d'un revenu aussi effectifque nécessaire, avant d'en priver la nation.

Si l'Assemblée constituante, en détruisant toutes les vicieuses formes d'impositions anciennes (dans la persuasion que les nouvelles y supplée. raient), a conservé cependant les droits incorporels; si elle n'a pas cru pouvoir priver l'Etat de cette ressource précieuse, sommes-nous donc

(1) Voy. ci-dessus, même séance, page 336, le texte définitif du décret sur les droits foodaux.

(2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative. Féodalité, D.

dans une meilleure position? Avons-nous donc augmenté nos recettes et diminué nos dépenses, pour nous croire en mesure d'être prodigues, quand elle s'est cru forcée d'être économe?

Le contraire n'est que trop évident. Cette même Assemblée n'a cependant pas cru pouvoir se dispenser de conserver ces droits, parce qu'elle a craint, d'une part, d'affaiblir trop les revenus publics, et que, de l'autre, elle a reconnu la justice et la nécessité d'indemniser les particuliers qui, par cette suppression, seraient dépouillés de leurs propriétés, propriétés peut-être envahies dans des temps anciens par les premiers possesseurs, mais nullement usurpées par les titulaires actuels, acquises au contraire légitimement par eux à prix d'argent, ou en partage de succession, comme toutes les autres propriétés particulières, acquises même sous la garantie des lois, en payant à l'Etat tous les droits exigés pour valider les acquisitions les plus authentiques.

Je sais qu'on faisait valoir les mêmes raisons pour conserver les droits de justice, de chasse, de banalité et mille autres plus ridicules encore mais quelle différence! C'est leur immoralité flétrie depuis longtemps par les lumières de la raison et du bon sens, qui les a fait proscrire par la Constitution; et les auteurs de cette même Constitution, voyant l'impossibilité d'aller plus loin, sans tout renverser, sans tout conipromettre, s'attachèrent à tracer la ligne de démarcation entre les droits honorifiques, tenant de la domination ou de la supériorité personnelle, et ceux qui, étant essentiellement des propriétés utiles, pouvaient être dégagés de tous les caractères de la servitude, ils déclarèrent donc les droits incorporels de véritables propriétés; ils les consacrèrent à ce titre par la loi qui en permet le rachat; et en même temps, fidèles au principe de l'égalité des droits, ils en séparèrent tout ce que la vassalité avait d'odieux, tout ce que les formes féodales avaient d'humiliant; tellement qu'aujourd'hui ce ne sont plus des prerogatives de seigneur à vassal: les personnes n'y sont plus rien; ce n'est plus que l'intérêt d'une possession dans une autre; c'est le droit du créancier sur le débiteur; et, grâce au décret du 5 mars 1790, celui-ci peut forcer celui-là à le libérer de toute redevance, par des offres déterminées par la loi.

Les prétentions des ci-devant seigneurs à accorder ou refuser, à ceux qu'ils qualifiaient de leurs vassaux, la permission de vendre leurs fonds; l'exercice du droit de retrait et de celui de prélation, tout cela est anéanti; il n'existe plus ni patronage, ni prérogatives personnelles, ni enfin aucun titre, aucun droit honorifique. Ainsi, voir dans les débris de ce colosse renversé des vices et des dangers qui exigent des mesures promptes et des sacrifices précipités, c'est créer des fantômes pour avoir le plaisir de les combattre.

Il serait plus satisfaisant sans doute, pour tous les Français, d'arracher jusqu'aux dernières racines des ronces de la feodalité, d'anéantir jusqu'au souvenir du régime des abus; mais il est sage d'en différer l'époque jusqu'à celle où nos moyens pourront le permettre sans injustice.

Si votre comité se fùt borné à vous proposer des moyens sagement combinés de faciliter les rachats, d'accélérer toutes les libérations, en permettant de les morceler et de les diviser au gré des débiteurs, rien ne m'eût paru plus juste,

et j'y aurais applaudi avec toute l'Assemblée; ou peut-être mieux encore, si, comme l'orateur qui le premier a parlé ici, après le rapporteur, le comité eût proposé que la nation conservât les droits casuels et censuels qu'elle possède déjà, et qu'elle y réunit aussi ceux dont les divers particuliers jouissent dans tout le royaume (à la charge de les indemniser), il aurait sans doute trouvé un grand nombre de partisans. C'est là, Messieurs, un système que vous ne devez pas négliger d'examiner, c'est peut-être le seul moyen équitable d'ensevelir les vestiges de l'édifice féodal, sans blesser les propriétés particulières, et sans compromettre une portion importante des revenus publics.

Mais ce plan exige de sages combinaisons et, certes, le moment n'est pas favorable pour son exécution.

Aujourd'hui, affermissons la Constitution par la victoire; et aussitôt que nous aurons triomphé de nos ennemis, que notre crédit aura acquis toute la consistance que nous devons présager, aussitôt que notre garantie en indemnité, envers les particuliers à priver de leurs droits, ne pourra pas être taxée de problématique par les malveillants, c'est alors que vous pourrez donner carrière à toute la générosité française.

Aujourd'hui, vos comités des finances, en recueillant toutes les ressources effectives et toutes les ressources d'espérance de la nation, vous offrent la perspective consolante de la parité entre l'actif et le passif, mais ils n'ont pas encore fait connaître les moyens de pourvoir au déficit des revenus annuels. Je ne doute pas que l'amour ardent de la patrie, et les dispositions de tous les Français libres, n'opèrent des prodiges toutes les fois que leurs représentants reconnaîtront la nécessité d'imposer de nouvelles contributions. Mais avec quelle réserve ne faut-il pas recourir à de nouveaux moyens? Est-il quelque mesure plus importante que celle de conserver les sources qui concourent à vivifier le Trésor public, lorsqu'il s'écoule par torrents pour les dépenses extraordinaires? Et c'est dans ce moment que votre comité féodal vous propose d'abandonner un capital infiniment précieux, dont le produit (de son propre aveu) a rendu 900 et quelque mille livres par mois, depuis l'époque où les rachats forcés ont été décrétés, ce qui dé à passe 10 millions par an. Mais je suis informé que, depuis quelque temps, la recette s'est fort accrue; j'en donnerai la preuve dans un moment.

Pourquoi donc votre comité, en vous proposant cette suppression pour les fiefs appartenant à la nation, ne vous présente-t-il pas l'évaluation des sommes énormes qu'exigeraient les indemnités à a louer aux particuliers qui ont des propriétés de la même nature? Il serait plus commode, sans doute, de supprimer tout sans indemnité; mais peut-on le proposer de sangfroid? Quand on doit savoir que plusieurs familles de l'Europe n'ont, pour ainsi dire, pas d'autre patrimoine; que pour nombre d'autres, c'est la portion la plus essentielle de leur revenu; que le décret qui opérerait leur ruine en ferait autant d'ennemis implacables de la Constitution; que ces propriétés ne sont pas exclusivement affectées aux ci-devant nobles: que l'égalité des droits appelle tous les citoyens indistinctement à les posséder, comme toutes les autres richesses; et qu'enfin, par l'effet de l'aliénation des domaines nationaux, il y en a déjà dans le commerce, dont la nation a reçu et dé

pensé le prix. Remarquez qu'on ne poursuit ici que l'ombre de la féodalité; car il est bien évident, encore une fois, qu'il n'y a plus ni seigneur, ni censitarié le titulaire n'est plus que le porteur d'un contrat de rente fixe, ou d'une rente éventuelle sur un débiteur ordinaire, sur un débiteur qui peut se libérer malgré son créancier. Or, l'amour de l'égalité (de quelque prestige qu'on puisse l'entourer) ne s'étendra pas, j'espère, jusqu'à proposer la suppression des contrats et des dettes; et ce n'est cependant, Messieurs, que cette proposition même, en d'autres termes, que celle de la suppression des droits casuels et censuels, sans indemnités, qui vous a été faite par un des préopinants. Il est donc impossible de se déguiser que ce fut là une injustice révol

tante.

Le comité vous propose seulement, article 6, d'indemniser ceux à qui la nation a vendu quelques-uns des droits qu'il vous invite à supprimer; mais il n'en évalue ni n'en connaît le montant. Je sais qu'il ne s'est pas fait de ces sortes de ventes de droits féodaux isolément, pour des sommes fort considérables; mais je sais aussi qu'il s'est vendu beaucoup de grands biens nationaux, avec et y compris en bloc, tous les droits casuels et censuels qui y étaient attachés et j'en suis très certain, parce que j'ai vu, dans l'administration dont j'étais membre, que le cumul de ces accessoires avec les fonds territoriaux ont fait porter les achats à des prix très supérieurs à ceux qu'on en eût obtenus sans l'adjonction de cette partie essentielle de la propriété. Ce ne fut que pour les ventes postérieures au décret du 9 mars 1791, que les droits incorporels cessèrent d'être compris dans l'aliénation des fonds: mais alors une grande partie des terres rentées, qui avaient les premières fixé l'attention des capitalistes, n'était plus à vendre. Le comité a-t-il donc oublié que, par les décrets des 14 et 25 juin 1790, déclarant que tous les biens nationaux seraient vendus francs et exempts de ces charges, la nation s'est obligée à indemniser elle-même les propriétaires auxquels ils sont dûs?

De deux choses l'une, ou votre comité entend que vous devez manquer à cet engagement sacré, ou que vous devez y satisfaire. Dans le premier cas, vous n'accueillerez certainement pas une proposition qui, foulant aux pieds tous les principes, serait une tache pour cette législature. Dans le second cas, il devait préalablement vous présenter un tableau général et vérifié par vos comités des finances, qui indiquât, au moins par approximation, la masse des remboursements à faire aux nombreux propriétaires, qui, évidemment lésés par une disposition contraire, feraient entendre leurs justes réclamations. Il en est de plusieurs classes, savoir:

1° Ceux à qui la nation a vendu des droits censuels et casuels isolément; ils ont une valeur connue, c'est celle de l'adjudication;

2o Ceux à qui elle a vendu des possessions territoriales avec tous les droits y attachés, et qui ont été estimés en commun avec le fonds;

3o Ceux qui, depuis le décret du 15 mars 1790, signalant leur confiance dans la stabilité des lois nouvelles, ont acheté à prix d'argent un affranchissement que vous rendriez aujourd'hui général et gratuit;

4° Ceux en très grand nombre, dans la mouvance de qui étaient les biens nationaux vendus

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