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vaux que dans sa correspondance, furent rendus publiquement. 23 registres qu'il déposa la veille dans cette Assemblée, le rapport des commissaires, citoyens équitables, prouvent qu'il n'a fait le maniement d'aucun argent; mais qu'il lui était dû 68,000 francs; suivant l'usage ordinaire de son état, il ne les réclama pas, il n'en exigea pas le payement, il en fit l'abandon, de même que les créances qui pouvaient lui être dues sur les émigrés, et plusieurs autres qu'il abandonna pour don patriotique; à ce sujet, il est porteur de plusieurs de vos décrets, qui prouvent l'emploi honorable qu'il fit de sa fortune.

Il s'est servi de ces débris mêmes, qu'il a acquis de ce colosse informe (dont il nous a présenté quittance), pour en perpétuer l'effroi dans tous les départements de l'Empire, par différentes allégories, comme gravures, médailles, etc. Il envoya par un brave (un de ses compatriotes), armé et équipé à ses frais dans chaque chef-lieu de département, l'hommage renfermé dans des caisses, objet très dispendieux, et qui passe l'étonnement pour un particulier.

Il ne fit cet envoi qu'avec l'approbation du pouvoir exécutif; vous avez été témoins ocufaires du nombre infini d'ouvriers qu'il a occupés à ce sujet; toutes les sections de Paris lui ont envoyé des députations, même les départements se sont empressés d'aller admirer ses travaux, dans ses ateliers, avant qu'ils fussent emballés; que de malheureux, sans ouvrage, n'a-t-il pas alimentés! il empêcha par là les émeutes populaires, il chargea ses missionnaires qui conduisaient ces palladiums de la liberté (que vous avez qualifiés d'apotres lorsqu'ils vinrent à votre barre au retour de leur mission, au nombre de 83), d'annoncer cette insurrection générale; forcé par la circonstance, il la proclama dans tout l'Empire, par des discours pleins de véhémence, et par cette précaution, il fit et prépara le calme sur tous les points de la France; il ramena la gaîté, c'était autant de commissaires sans qu'il en coutât à l'Etat.

Comme Deucalion, avec ce talisman universel il fit en quelque sorte, sortir de terre des défenseurs pour la patrie; à la vue de cet envoi, il sut inspirer et organisa les esprits timorés, timides, égoïstes et insouciants; toutes les classes du peuple en furent instruites; nos ennemis même ont applaudi à son zèle, malgré qu'ils ne respectaient pas son ouvrage. Ces envoyés ont suggéré des fêtes sans nombre; ce n'est pas au seul chef-lieu seulement où se sont bornés ses sacrifices, mais aux districts, aux cantons, aux communes; ces productions furent répandues au même instant et reçues avec le même enthousiasme; il fit prêcher cette liberté sans licence, il en expliqua les causes en y mettant toujours l'inspiration pour la soumission aux lois, respect aux autorités constituées; il refusa toutes espèces de gratifications quelconques; les procésverbaux des administrations qui vous ont été distribués, le justifie. Il n'est aucun papier public, aucun homme de lettre qui n'ait écrit à l'avantage de M. Palloy; il n'est aucun étranger qui n'ait voulu avoir de lui ses hochets civiques, qu'il a eu l'art de métamorphoser sous différentes formes; tout l'univers par lui fut instruit par ces tableaux parlants, des causes de la Révolution de France, car les pierres de la Bastille ont été au delà des mers, à Londres, et dans d'autres Etats. Ce modèle très exact et conforme de cette Bastille, ainsi que plusieurs tableaux,

livres et objets destinés à conserver la mémoire de sa prise, de sa destruction, qui fixe la génération française, furent portés en triomphe, comme en France. On ne peut rendre le sentiment et la sensation que cela fit, tant cette forteresse était en horreur dans le monde entier.

Il a purifié, d'ailleurs, tous les éléments qui la composaient, en faisant de ses chaînes des médailles civiques dont vous vous êtes décorés, et dont vous avez décrété la médaille donnée par lui, que porte vos huissiers, en gravant sur ses pierres, l'image des bienfaiteurs de la patrie. Il envoya le portrait du roi, sculpté, à chaque chef lieu, de même que ceux des premiers présidents des Assemblées constituante et législative; voyez votre procès-verbal du 30 septembre 1791, et la lettre de votre président, chargé par votre arrêté de lui témoigner votre assentiment. L'histoire connaîtra les monuments qu'il fit également ériger à ses frais, par des comparaisons justes et utiles, comme ceux de Mirabeau et Chevert, Désille et Dassas, et tant d'autres; il saisit sans cesse toutes les occasions pour rendre à nos neveux les faits glorieux de la Révolution, pour en perpétuer la mémoire. Il n'est guère dé cabinet de savant où il n'y ait de ses œuvres; vos archives, celles de tous les directoires des départements, en ont le témoignage, par les dépôts qui existent, on doit le regarder comme le monumentaire de la Révolution.

Aujourd'hui, il vous propose de purifier le terrain même qui porta ce tombeau vivant, en y formant une place qui s'appellerait Place de la Liberté, et au milieu de laquelle s'élèverait une colonne simple et majestueuse. La première pierre en serait posée, le 14 juillet, par une députation de l'Assemblée nationale.

Le plan de la colonne, de la place, des rues nouvelles qui y aboutiraient, a été mis sous vos yeux par M. Palloy. Il pourrait être chargé des préparatifs nécessaires pour poser la première pierre le 14 juillet prochain; mais votre comité ne croit devoir se livrer à aucun détail sur la construction en elle-même. Ce sera au pouvoir exécutif à combiner les différents plans, et à les comparer avec ceux qui ont été présentés ou qui pourraient l'être. Le concours nous a paru le moyen le plus naturel d'exciter les talents et de choisir entre eux. Nous avons pensé qu'il ne devait pas être borné aux artistes de Paris; tous ceux de l'Empire ont un droit égal à consacrer leur génie à ce monument triomphal de la liberté. La France entière l'a conquise cette liberté : les citoyens de la France entière seront admis à en éterniser la mémoire.

Vous nous avez encore chargés de vous présenter le moyen de donner à M. Palloy un témoignage (ce sont les propres termes de votre décret) un témoignage de la reconnaissance nationale, dans les vues de récompenser son zèle, le payer en quelque sorte, de ses idées ingénieuses, autant que morales, de son désintéressement, de son dévouement patriotique, inébranlable; votre. comité, en cela, ne remplit que vos intentions, et n'émet que le vœu général de la France.. Déjà plusieurs départements vous ont fait passer la réception de ces envois avec des pétitions qui recommandaient ce citoyen à votre justice, à votre bienveillance, pour être tout à la fois bonoré, applaudi et gratifié par les représentants de la nation. Une concession dans le terrain de la Bastille est la récompense la plus simple et la plus honorable. L'étendue en sera déterminée quand la valeur le sera elle-même; et vos co

mités réunis, d'instruction publique et des domaines, vous en proposeront la fixation, dès qu'ils auront reçu du ministre de l'intérieur les éclaircissements nécessaires.

Alors aussi, Messieurs, vous prononcerez sur la vente ou l'emploi du vaste emplacement qui formait l'enceinte de la Bastille ou qui l'environnait. Il produira 5 à 6 millions, si nous en croyons M. Palloy; et selon lui encore, 500,000 livres peuvent suffire pour lui donner une destination nouvelle. Le mémoire qui fait suite de ses plans, le programme et le calcul de son projet qu'il vous a distribués, le démontrent. M. Palloy ajoute même, que plusieurs citoyens offrent d'y concourir, comme ils ont déjà, il y a 3 ans, concouru par leurs efforts civiques, à détruire le séjour de l'esclavage; mais, d'ici à ce moment, vous penserez sans doute qu'il est indispensable de faire démolir, jusqu'en leurs fondements, ces tours, monument honteux de servitude et de vengeance. Il ne faut pas qu'un seul de ces débris, dans sa forme antique, puisse encore épouvanter les regards et la pensée des citoyens timides, ni flatter, dans les ennemis de la raison et de la justice, une espérance inutile et criminelle.

Voici le projet de décret que je suis chargé de vous présenter:

Décret d'urgence

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité d'instruction publique sur la pétition présentée le 11 mars dernier par le patriote Palloy, architecte-entrepreneur pour l'érection d'un monument consacré à la liberté, et sur la manière de donner à ce citoyen un témoignage de la reconnaissance nationale; considérant que l'époque du 14 juillet est très prochaine, décrète qu'il y a urgence. »

Décret définitif.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

Art. 1er.

Il sera formé sur l'ancien terrain de la Bastille une place qui portera le nom de Place de la Liberté.

Art. 2.

" II sera élevé au milieu de cette place une colonne surmontée de la statue de la liberté.

Art. 3.

«La première pierre des fondations sera posée, le 14 juillet prochain, par une députation de l'Assemblée nationale, dans le lieu sur lequel la colonne sera élevée. Le pouvoir exécutif donnera à cet égard les ordres nécessaires.

Art. 4.

« Les plans, dessins et devis de Pierre-François Palloy sont renvoyés au pouvoir exécutif, pour les examiner, les comparer avec tous ceux qui ont été présentés ou qui pourraient l'être, et en rendre compte ensuite à l'Assemblée nationale.

Art. 5.

« Il sera ouvert à cet effet, pendant 4 mois, un

concours auquel seront invités les artistes de tous les départements de l'Empire.

Art. 6.

« L'Assemblée nationale voulant, conformément à son décret du 11 mars dernier, donner à Pierre-François Palloy un témoignage de la. reconnaissance publique, lui accorde une portion du terrain qui formait l'emplacement de la Bastille; cette portion sera déterminée par un décret particulier, sur le rapport des comités réunis des domaines et d'instruction publique.

Art. 7.

« L'Assemblée nationale se réserve de statuer sur la vente ou l'emploi de tout le reste du terrain, d'après les plans qui lui seront présentés pour la formation de la place.

Art. 8.

« La démolition des tours de la Bastille sera incessamment achevée. »

Plusieurs membres demandent la question préalable.

(L'Assemblée décrète qu'il y a lieu à délibérer.) M. Dusaulx. Il est donc enfin arrivé le moment où la place de cette Bastille, dont la chute sert d'époque à la régénération de notre Empire, va présenter à l'univers cette colonne, signe de liberté conquise, signe éternel de l'expédition mémorable sans doute, mais diversement envisagée, selon que l'on hait ou que l'on regrette la tyrannie. Les vainqueurs de cette forteresse, nos Parisiens, secondés de nos braves gardes françaises, à qui nous devons peut-être tout ce que nous sommes (Applaudissements), ont déjà et plusieurs fois paru dans cette enceinte nationale, au bruit des acclamations. Il s'agit aujourd'hui d'un de leurs dignes camarades, du généreux Palloy. L'amour de la patrie le ravit, le transporta de joie, lorsque le 14 juillet 1789, la ville de Paris, réveillée de sa trop longue léthargie, osa fixer d'un œil intrépide le fantôme menaçant d'un despotisme insupportable et prêt à s'évanouir. L'honneur de démolir la forteresse qu'il avait assiégée lui était bien dù. Aussi cet honneur lui fut-il décerné d'une voix unanime par les électeurs dont l'histoire parlera. A son exemple, je ne parlerai ni de son zèle, ni de son désintéressement; je ne parlerai pas non plus du sacrifice d'une fortune assez considérable et bien acquise, fortune qu'il a tout entière et sans. réserve employée au gré de sa passion dominante, c'est-à-dire à semer d'un bout de la France à l'autre, et dans les pays lointains, les membres de ce colosse infâme qui effrayait jusqu'à l'innocence.

Mais qu'a-t-il donc fait, dira-t-on? Il a déposé dans les 83 départements le simulacre révoltant de la Bastille; il l'a promenée dans nos hameaux, sur le sol de nos braves cultivateurs, dont la plupart ne se doutaient pas de l'existence inouïe de ce château funeste digne de Cacus. Saisis d'horreur à cet aspect, ils s'écrièrent tous : « Vivre libres ou mourir! »

Palloy a influé sur l'opinion publique, Palloy a donc bien mérité de la patrie. Voilà le plébéien dont s'applaudit la France triomphante, voilà le rare citoyen que nous avons à couronner. Les Grecs et les Romains, on n'en saurait douter, auraient souri au projet de votre comité. Je

pense que ces deux nations, fières, mais reconnaissantes, auraient encore doté la fille de Palloy. Je demande donc que les articles du comité soient mis aux voix, et, si je l'osais, je demanderais qu'il fût accordé à la fille de Palloy une gratification nationale.

M. Cambon. Je crois qu'il ne convient pas au Corps législatif, qui veut être libre, de décréter une dépense sans savoir ce qu'elle coûtera. Il est temps qu'on s'élève avec courage contre cette dilapidation qui se fait dans la capitale, qui n'apporte aucun secours aux contributions publiques. Je demande donc, au nom de la liberté, que le projet du comité soit imprimé et qu'on nous fasse connaître le montant de cette dépense.

M. Thuriot. L'Assemblée nationale est pénétrée d'une grande vérité, c'est qu'il est très important de célébrer l'époque où a été conquise la liberté française. On ne peut donc être divisé que sur un seul point, c'est la dépense; et le système d'économie de M. Cambon, louable dans toutes les circonstances, ne l'est point dans ce moment-ci, d'abord parce qu'il s'agit de conserver un des monuments les plus précieux pour la France, et, en second lieu, parce qu'il ne s'agit point encore de dépense.

Faites bien attention que votre comité vous propose de charger le pouvoir exécutif de faire comparer les plans afin de choisir celui qui sera le plus simple et le moins dispendieux. C'est alors seulement, Messieurs, que vous aurez à discuter le plan et le montant de la dépense. Et, dans ce moment, on vous propose seulement de décréter que le jour, où la conquête de la liberté a été faite, doit être célébré, et qu'il faut, pour en rappeler jamais le souvenir, élever une colonne simple à la liberté.

(L'Assemblée décrète l'urgence et adopte le projet de décret.)

Un membre: Je demande que non seulement on achève de démolir les tours de la Bastille, mais que le patriote Palloy, sous l'inspection de la municipalité, soit chargé du soin de cette entreprise.

Plusieurs membres: L'ordre du jour! (L'Assemblée sur cette motion passe à l'ordre du jour.)

Des citoyens gardes nationales du Pont-au-Pecq, près Saint-Germain-en-Laye, sont admis à la barre.

Ils prient l'Assemblée nationale d'ordonner que les fils des citoyens actifs, qui auront fait constamment le service de la garde nationale, depuis le commencement de la Révolution, soient admis à concourir à la nomination de leurs officiers. M. le Président leur accorde les honneurs de la séance.

Un membre: L'Assemblée Constituante, dans la loi sur l'organisation de la garde nationale, s'est expliquée à cet égard. Je demande sur ce motif qu'on passe à l'ordre du jour.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. Léopold, au nom du comité de législation de l'ordinaire des finances et de division réunis, fait un rapport et présente un projet de décret (1) sur la pétition présentée, le 27 mars 1792, par le conseil général de la commune de Paris; il s'exprime ainsi :

(1) Bibliothèque nationale Assemblée législative, Administration, tome I, n° 39.

Messieurs, le conseil général de la commune de Paris a présenté le 29 mars (1) une pétition, dans laquelle il s'est plaint du directoire du département de Paris. Il a dépeint ce directoire au Corps législatif, comme ayant excédé la ligne de démarcation tracée par les lois entre le département et la municipalité de Paris; il a demandé que le directoire fût concentré dans ses fonctions de surveillance, et que les fonctions du directoire du district fussent confiées à la municipalité.

Le directoire du département a été admis à présenter à l'Assemblée des observations sur l'adresse de la municipalité; et vous avez entendu, le 3 avril, le mémoire apologétique du directoire (2). Vous avez entendu avec intérêt et la pétition et la réponse; vous avez ordonné l'impression de l'une et de l'autre; et vous avez chargé vos comités de législation, de l'ordinaire des finances et de division, de vous présenter un rapport à ce sujet. La municipalité a fourni à vos comités des mémoires très détaillés; le directoire leur a fait aussi parvenir les moyens; et je viens vous présenter, en leur nom, le résultat unanime de l'examen le plus attentif, et de la délibération la plus réfléchie.

Les griefs de la municipalité se réduisent à cinq (3).

Le premier a pour objet la prétention du comité contentieux du département, qui s'est cru autorisé à donner directement son avis sur les réclamations de la contribution patriotique, qui seraient jugées définitivement par le directoire.

Le second est fondé sur un arrêté du directoire du 17 octobre 1791, qui donne aux commissaires contentieux le droit de vérifier et rendre exécutoires tous les rôles des contributions directes de la ville de Paris. Ce second grief s'étend à la proclamation du roi approbative de cet arrêté.

Le troisième se motive sur un autre arrêté du directoire, du 23 février 1792, qui déclare que les fonctions attribuées, en matière de fonctions directes, aux directoires de district, doivent être exercées dans leur plénitude par les commissaires du contentieux.

La quatrième a trait à la nomination des visiteurs de rôles dans l'étendue de la municipalité de Paris.

Le cinquième enfin, est une prétention motivée à l'administration immédiate des hôpitaux et autres établissements publics de Paris, administration qui, jusqu'à ce moment, est confiée au département.

Vous voyez, Messieurs, par ces différents chefs de plainte, qu'il n'existe entre deux corps adminisnistratifs de Paris qu'un seul et unique point de division. Le département croit pouvoir conserver ou déléguer les fonctions administratives des districts; la municipalité prétend que ces fonctions lui doivent être cédées et abandonnées.

(1) Voy. Archives parlementaires, 1e série, tome XL, séance du 29 mars 1792, page 680, l'adresse de la municipalité de Paris.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1 serie, t. XLI, séance du 3 avril 1792, page 163, le mémoire du directoire du département de Paris.

(3) Nous insérons aux annexes de la séance. (Voy. ciaprès, page 284) un rapport de la commission municipale des imposition en réponse à l'arrêté du département du 15 mars 1792. Ce rapport contient un long exposé des griefs de la municipalité contre les commissaires du contentieux et le requisitoire du procureur général syndic Roederer.

La loi du 5 novembre 1790 a statué qu'il n'y aurait point à Paris d'administration de district. Cette exception a-t-elle été calculée sur les règles de la prudence, de la raison et de la convenance? Ne pourrait-on pas dire que plus la municipalité de Paris est un corps puissant, plus elle a de droits à la confiance du peuple, et par les éléments qui la composent, et par les fonctions qu'elle exerce, plus aussi les lois de la liberté et de l'égalité semblaient exiger que les ressorts puissants qu'elle possède, et qu'elle doit encore acquérir, ne fussent pas affranchis du contrepoids de l'autorité intermédiaire si sagement établi dans le reste du royaume? Quelle que soit l'importance de cette question, elle ne doit pas occuper en ce moment l'Assemblée nationale. La seule chose qui soit soumise à sa décision, c'est la valeur des réclamations de la municipalité contre l'attribution conférée par le département de partie des fonctions administratives de district.

Pour être à portée de prononcer en pleine connaissance de cause, il faut d'abord se pénétrer des principes, prendre ensuite une connaissance exacte des faits, et juger enfin les faits et leurs conséquences par les principes.

Je suivrai cette division méthodique, et je me ferai d'abord cette question.

Dans quel corps établi par la Constitution réside essentiellement le pouvoir administratif? Ouvrons l'Acte constitutionnel et les lois, et ce problème cessera d'en être un.

L'article 1er de la section 2 du titre IV de la Constitution, est ainsi conçu «Il y a dans chaque département une administration supérieure, et dans chaque district une administration subordonnée ».

L'article 4 de cette section porte que « les administrateurs sont essentiellement chargés de répartir les contributions directes, et de surveiller les deniers provenant de toutes les contributions et revenus publics dans leur territoire ».

Enfin l'article 6 de cette même section confère aux administrateurs du département le droit d'annuler les actes des sous-administrateurs de district, contraires aux lois ou aux arrêtés des administrateurs, etc.

L'article 28 de la section 2 de la loi du 28 janvier 1790 s'exprime ainsi : « Les administrations et directoires de district seront entièrement subordonnés aux administrations et directoires de département. »

L'article 31 veut que « les directoires de district soient chargés de l'exécution dans les ressorts de leur district et sous l'autorité et la direction du département et de son directoire, et qu'ils ne puissent faire exécuter aucuns arrétés du conseil de district en matière d'administration générale, s'ils n'ont été approuvés par l'administration du département. »

Enfin, après avoir réglé dans les deux premiers articles de la section 3 quelles seront les fonctions des assemblées administratives, la même loi porte, article 3: « Les administrations de district ne participeront à toutes ses fonctions que sous l'autorité interposée des administrations de département ».

Des citations que je viens de faire, il résulte je crois, bien clairement, d'abord que la Constitution ne considère comme administrateurs que les membres des départements, ensuite, que le pouvoir administratif réside essentiellement dans l'administration du département, et que les sous

administrations de district ne participent à ce pouvoir que par émanation et sous l'autorité interposée du département.

Voyons actuellement quand, comment, et à quelle condition les municipalités peuvent participer aux fonctions administratives.

Après avoir réglé, par l'article 50, quelles sont les fonctions propres au pouvoir municipal, la loi du mois de décembre 1789 désigne ainsi dans l'article 51 les fonctions propres à l'administration générale, qui peuvent être déléguées aux corps municipaux, pour les exercer sous l'autorité des assemblées administratives.

« La répartition des contributions directes entre les citoyens, dont la commune est composée.

«La perception de ces contributions.

"Le versement de ces contributions dans les caisses du district ou du département.

«La direction immédiate des travaux publics dans le ressort de la municipalité.

« La régie immédiate des établissements publics, destinés à l'utilité générale.

« La surveillance et l'agence nécessaires à la conservation des propriétés publiques.

L'inspection directe des travaux de réparation ou de reconstitution des églises, presbytères et autres objets relatifs au service du culte religieux. »

Il est évident, d'après l'expression formelle et positive de la loi, qu'outre les fonctions qui leur sont directement et nominativement attribuées, les corps municipaux n'en peuvent exercer ni prétendre aucune, sans une délégation expresse des corps administratifs.

Mais, dira-t.on, il n'y a point à Paris d'administration subordonnée; donc la municipalité de Paris se trouve dans une exception particulière, donc elle doit subsister et remplacer dans cette ville l'administration du district.

Ce raisonnement est d'abord réfuté par la loi générale, qui interdit aux municipalités toutes fonctions administratives sans une délégation expresse; mais nous n'aurons pas à raisonner par induction, puisque le corps constituant a réglé par deux lois particulières les fonctions propres au département et à la municipalité de Paris.

La première de ces lois est du 27 juin 1790. L'article 51 du titre lor de cette loi détaille les fonctions propres à la municipalité de Paris; ces fonctions sont absolument les mêmes que celles attribuées aux municipalités en général, par la loi citée du mois de décembre 1789.

L'article 52 met au nombre des fonctions propres à l'administration générale, que la municipalité de Paris pourra avoir par délégation, et sous l'autorité du département :

1° La direction de tous les travaux publics dans le ressort de la municipalité, qui ne seront pas à la charge de la ville;

2o La direction des établissements publics, qui n'appartiennent pas à la commune, ou qui ne sont pas entretenus de ses deniers;

3o La surveillance et l'agence nécessaires à la conservation des propriétés nationales;

4° L'inspection directe des travaux de réparation ou reconstruction des églises, presbytères, et autres objets relatifs au culte.

Il ne sera pas inutile de remarquer ici, que cet article de la loi du 27 juin 1790, plus circonscrit en cela que l'article 51 de la loi de décembre 1789, ne place pas même la répartition, la perception et le versement des contributions

au rang des fonctions, qui pourront être déléguées à la municipalité de Paris.

Enfin, l'articte 11 de la section 4o de la même loi du 27 juin 1790, autorise le département à charger les commissaires de section de la répartition des impôts dans leurs sections respectives, et cette disposition me semble expliquer l'omission que je viens d'avoir l'honneur de Vous faire remarquer,

La municipalité de Paris s'est principalement appuyée dans sa pétition, des dispositions de la loi du 5 novembre 1790; je me crois donc obligé de vous remettre très scrupuleusement cette loi sous les yeux.

Elle porte: Art. 1er. Il n'y aura point à Paris d'administration de district.

«Art. 2. La municipalité de Paris fera pour l'année 1791 la répartition des impositions directes de cette ville; et si l'administration du département de la capitale juge à propos de confier cette répartition aux commissaires de section, conformément à l'article 11 du titre IV du décret sur l'organisation de la municipalité de Paris, cette disposition ne pourra avoir lieu qu'à partir 1792.

Art. 3. L'administration du département, après avoir nommé son directoire, choisira, parmi les 28 membres restants, 5 commissaires domiciliés à Paris, lesquels, dans les cas qui vont être déterminés, rempliront les fonctions attribuées aux directoires de district.

Art. 8. L'administration ou le directoire du département, pourra charger exclusivement les 5 commissaires des examens ou véritications, qui pourront être utiles au service de l'administration générale. »

Après avoir examiné la théorie de ces différentes lois; après avoir réfléchi sur l'inconvenance et le danger de cumuler les fonctions administratives, surtout en matière de contributions dans les mains des corps municipaux, il n'est pas possible de se dissimuler que la loi du 5 novembre 1790, en statuant qu'il n'y aurait pas de district à Paris, a voulu simplement que les fonctions administratives auxquelles, dans l'universalité de l'Empire, les districts ne participent que par émanation, restassent concentrées à Paris dans l'administration du département; et la preuve la plus frappante de la vérité de cette opinion, c'est la disposition de cette même loi, qui extrait du sein même du département une commission pour remplir les fonctions de district dans plusieurs cas où l'intérêt des administrés exige trois degrés de juridiction. C'est cependant en citant la loi du 5 novembre, que la municipalité de Paris prétend et soutient que les fonctions des administrations de département doivent se borner à la surveillance; que toutes les fonctions administratives doivent être exercées par les districts; et qu'à Paris où il n'y a pas de district, les fonctions de ce corps administratif doivent être exclusivement exercées par la municipalité, sauf dans les cas d'exception prévus par des lois positives.

Avoir établi les principes et rapproché les lois, c'est avoir réfuté la municipalité de Paris, c'est avoir démontré, combien peu sont fondés, les 3 premiers chefs de sa réclamation. En effet, si le pouvoir administratif réside essentiellement dans les départements, si les districts n'y participent que par émanation et sous l'autorité interposée du département, si les municipalités ne peuvent jamais y participer qu'en vertu d'une délégation spéciale, si le département de Paris a pu charger,

exclusivement, les 5 commissaires contentieux des examens ou vérifications utiles au service de l'administration générale, si ces examens ou vérifications, joints aux opérations relatives aux contributions, forment la totalité des fonctions attribuées aux districts, la municipalité n'a pas eu de raison pour critiquer les opérations du département de Paris. Ce département n'a rien fait que de très conforme aux principes, à la Constitution et aux lois, en permettant que son comité contentieux donnât directement son avis sur les réclamations de la contribution patriotique, en donnant à ce comité contentieux le droit de vérifier et de rendre exécutoires tous les rôles de contributions directes de Paris, en déclarant, enfin, que les fonctions attribuées en matière de contributions directes aux directoires de district, doivent être exercées dans leur plénitude par les commissaires contentieux.

Le quatrième chef de réclamation n'est pas plus fondé. Quoiqu'il n'y ait point à Paris d'administration de district, il n'en est pas moins vrai que, géométriquement parlant, la ville de Paris forme seule un district. La loi du 9 octobre 1791 n'exempte point le district ou la ville de Paris, de l'établissement ou de la présence des visiteurs des rôles. Le département, en plaçant à Paris des visiteurs de rôles, en employant ces visiteurs auprès de la municipalité de Paris, dont les rôles étaient notoirement en retard, n'a donc fait que se conformer scrupuleusement aux termes précis de la loi.

La cinquième réclamation de la municipalité est fondée sur une disposition de l'article 50 de la loi du mois de décembre 1789, qui met au rang des fonctions propres, aux corps municipaux, l'administration des établissements qui appartiennent à la commune, qui sont entretenus de ses deniers, ou qui sont particulièrement destinés à l'usage des citoyens dont elle est composée. Cette disposition est précise; il ne s'agit que d'examiner si la municipalité en fait une juste application.

Les établissements publics, dont la municipalité prétend avoir l'administration immédiate, sont l'Hôtel-Dieu, l'hôpital Saint-Louis, les Incurables, la Charité, 3 maisons de religieuses hospitalières, l'hospice de Saint-Sulpice et ceux de quelques autres paroisses, la Salpêtrière, Ja Pitié, Bicêtre, et autres dépendances de l'Hôpital-Général, les Petites-Maisons, l'hôpital de la Trinité, celui des Gent-Filles, et quelques maisons religieuses qui offrent aux passants un asile momentané. Les motifs de cette prétention sont: 1° que la plupart de ces établissements ont été fondés par des citoyens et pour des citoyens de Paris; 2o qu'ils ont été administrés par les chefs de la commune de Paris; 3° qu'ils sont alimentés par les bienfaits des citoyens de Paris; 4° qu'ils sont entretenus par des contributions levées sur la ville de Paris.

De ces 4 motifs, je dois le dire à l'Assemblée nationale, aucun n'est appuyé sur des preuves satisfaisantes, ou plutôt il n'en est aucun qui ne soit contredit et détruit par les faits et par la nature des choses. D'abord, Messieurs, le premier motif ne peut pas en être sérieusement un. Un établissement public n'appartient pas à une municipalité, pour cela seul qu'il a été fondé par un citoyen domicilié dans cette municipalité; mais on tire, du mémoire même de la municipalité, la preuve que cette assertion n'est pas exacte. On y convient que l'Hôtel-Dieu a été fondé par un évêque de Paris, qui n'appartient

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