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refusent de remplir les places vacantes par démission ou autrement.

(L'Assemblée renvoie cette délibération au comité de division, pour en faire incessamment son rapport.)

6o Pétition de 60 citoyens-soldats engagés dans le 32° régiment, qui exposent que plusieurs régiments sont portés au delà du complet et que les 4 compagnies détachées à Blois présentent un excédent de plus de 200 individus, et demandent à être admis à servir dans le bataillon de Loir-et-Cher.

Un membre: Je demande que cette pétition soit renvoyée ou au comité chargé de l'examen du rapport de M. Dumouriez, ou au pouvoir exécutif, pour lui montrer jusqu'à quel point ses amis le trompent sur le prétendu non-recrutement de l'armée.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comité des Douze, chargé de l'examen du compte des ministres.)

Quatre citoyens du département de la Vendée sont admis à la barre. Il viennent protester de leur patriotisme, offrir leurs bras pour la défense de la liberté et déposer sur le bureau une offrande à la patrie.

M. le Président leur accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal dont un extrait sera remis aux donateurs.)

Plusieurs gardes nationaux, membres de la cidevant garde du roi, sont admis à la barre. Ils demandent à servir aux frontières.

M. le Président leur accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée décrète la mention honorable et le renvoi de leur pétition au comité militaire.) Plusieurs citoyens de Saint-Germain-en-Laye sont admis à la barre. Ils réclament contre l'exclusion de l'assemblée des citoyens-soldats qui demain doivent nommer leurs officiers.

M. le Président leur accorde es honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie leur pétition au comité militaire.)

Un membre: Je propose de surseoir les élections.

D'autres membres : L'ordre du jour!

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

Le maire de la ville d'Auxerre et son fils sont admis à la barre. Ils déposent sur le bureau, tant en leur nom qu'en celui des amis de la Constitution, des adininistrateurs du district et des preposés au droit d'enregistrement, un don patriotique de 2,025 livres en assignats; 391 livres, 7 sols, en espèces; 3 à 4 onces en argent, estimées 24 livres. Ce maire demande, en outre, que l'Assemblée décrète que la Trésorerie nationale payera à la municipalité d'Auxerre, le seizième qui lui est dù dans la vente des domaines nationaux, afin de pourvoir aux besoins de cette commune.

Un membre: Je demande à convertir cette pétition en motion.

(LAssemblée renvoie cette pétition au comité de l'extraordinaire des, finances, pour faire incessamment son rapport, puis elle accepte avec

les plus vifs applaudissements l'offrande qui lui est faite et en décrète la mention honorable au procès-verbal dont un extrait sera remis aux donateurs.)

M. Lemontey. Messieurs, je vous propose un article additionnel au décret que vous avez rendu le 14 juin 1792, sur quelques faveurs à accorder à la main-d'œuvre nationale. (1) Je demande que les cotons filés en Suisse, pour être ensuite travaillés à la manufacture de Tarare, dans la ci-devant province du Lyonnais, puissent être introduits en France, moyennant un certain droit. Mon article additionnel pourrait devenir l'article IV du décret. Il est ainsi conçu : « Les fabricants de mousselines à Tarare, département du Rhône-et-Loire, sont autorisés à envoyer en Suisse, pour une fois seulement, une quantité de 20 milliers pesant de coton en laine des colonies françaises d'Amérique, à la charge de donner leur soumission, de rapporter le produit dudit coton en fil, qui soit au moins du numéro 50, et de payer 30 livres, par quintal, pour droit de sortie et pareille somme de 30 livres, par quintal, pour droit d'entrée. »

(L'Assemblée décrète l'urgence et adopte l'article additionnel de M. Lemontey.)

M. Demoy. Messieurs, le 14 juillet approche, nous touchons à la fête de la Fédération; toutes les sociétés en établissant des fêtes ont aussi établi la manière et le mode légal de les solenniser. Cependant il y a 3 ans que nous célébrons la fête de la Fédération, et il n'y a encore rien de fixé, rien de statué, rien de déterminé légalement à cet égard. On dit au peuple, vous célébrerez telle fête, tel jour demeurera à jamais consacré pour vous, la loi vous prescrit de le solenniser; mais le comment, le rite, la liturgique, le cérémonial de cette célébration, de cette solennité, il manque. De sorte que ce même peuple, avec tout son patriotisme, son respect, son dévouement pour la loi, se trouve embarrassé dans la manière d'obéir et ne sait comment s'y prendre et à quoi s'en tenir pour l'exécution. Il est temps, Messieurs, de délivrer de cette incertitude toutes les localités, toutes les municipalités de l'Empire; il est temps, si vous voulez que cette fête, l'anniversaire de notre naissance civique, de notre liberté; que cette fête, la commémoration de la chute de nos fers et l'effroi des despotes, subsiste et se soutienne; il est temps, dis-je, de lui donner, de lui imprimer un caractère, un caractère auguste et imposant, une physionomie véritablement solennelle et religieuse. Vous y parviendrez si vous en ordonnez, si vous en consacrez par une loi, les rites, la pompe, en un mot tout le cérémonial.

Sans doute, bientôt aussi, la nation aura des victoires à chanter, des triomphes à célébrer, des héros à honorer; que la loi, Messieurs, consacre donc, d'une manière identique et pour tous les lieux de l'Empire et pour tous les âges, toutes ces sortes de pompes et de solennités; cela tient plus qu'on ne pense à nos mœurs et à l'esprit d'union et d'ensemble qui doit régner chez une grande nation. C'est alors que les fêtes seront vraiment augustes, vraiment religieuses,

(1) Voy. ci-dessus, page 197, le décret relatif à quelques faveurs à accorder à la main-d'œuvre nationale.

L'article additionnel de M. Lemontey a été omis dans le décret soumis à la sanction et a fait l'objet d'un décret particulier à la séance du 20 juillet 1792.

véritablement imposantes et capables de produire des impressions grandes et durables sur le peuple et sur les étrangers qui en seront témoins. Messieurs, quand le peuple est assemblé en vertu de la loi, il faut qu'il sache aussi, en vertu de cette même loi, ce qu'il a à faire et la manière dont il doit alors se mouvoir et agir de concert. Voyez les chrétiens dans leurs temples, les catholiques dans leurs églises, les juifs dans leurs synagogues, les turcs dans leurs mosquées; là, ces sociétés, unies à leurs magistrats sacrés, c'est-à-dire, à leurs ministres, ne font point un pas, ne font point un signe, que ce signe ne soit prescrit et commandé par la loi. Ainsi ce qui se fait dans une synagogue se fait dans toutes au même jour, et presque au même instant; ce qui se fait dans un temple a lieu également dans tous les autres et de la même manière. Certes, si chaque portion d'une société religieuse pouvait séparément, sans consulter et sans l'aveu des autres, ajouter ou retrancher quelque chose à ses rites, à sa liturgie, bientôt il n'y aurait plus d'ensemble parmi ces différentes portions, parmi ces différentes sections; elles s'isoleraient, leur société se dissoudrait, et l'on verrait bientôt autant de cultes différents entre ces portions, qu'elles auraient d'églises, de temples et d'oratoires, où elles s'assembleraient.

Il est temps, Messieurs, de donner à la nation un culte civique qui soit uniforme et constant, autrement vous verrez bientôt la grande société nationale, la grande famille française divisée en autant de sociétés partielles et vouée à autant de cultes différents qu'il y aura de lieux et de circonstances de rassemblement destinés à célébrer quelque fête civique.

Je demande donc que votre comité de législation, s'occupe très incessamment: 1o de vous présenter un cérémonial, c'est-à-dire un mode général et perpétuel de célébration, de solennisation, si je puis parler ainsi, pour la fête de la fédération;

2o Que ce mode de célébration soit envoyé immédiatement dans toutes les municipalités du royaume, afin que la fête de la fédération, cette fête qui veut dire alliance, concorde, ou plutôt pacte d'union et de fraternité, puisse enfin être célébrée, à commencer dès cette année, d'une manière identique dans toute l'étendue de l'Empire français.

(L'Assemblée renvoie cette proposition au comité de législation.)

M. Lasource. Je prie l'Assemblée d'entendre une autre motion d'ordre non moins importante. Le département des affaires étrangères est resté vacant par l'absence de M. Naillac. Je ne crois pas que dans des circonstances aussi orageuses, il y ait un ministre assez présomptueux pour vouloir se charger à la fois de deux dépar

tements.

Je ne présume pas que M. Dumouriez ait gardé les affaires étrangères en même temps que remplacé M. Servan. Mais pour qu'il n'y ait pas de doute à cet égard, je demande que le pouvoir exécutif soit chargé de faire connaître à l'Assemblée nationale celui qui exerce, par intérim, le ministère des affaires étrangères. Je demande si l'Asemblée nationale peut exercer la responsabilité, tandis qu'elle ne connait pas le titulaire de ce portefeuille.

(L'Assemblée adopte cette proposition.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture des deux lettres suivantes :

1° Lettre de M. Dumouriez, ministre de la guerre, dans laquelle ce ministre rappelle que son prédécesseur, à la date du 20 mai 1792, avait adressé à l'Assemblée l'état, par aperçu, des dépenses de l'armée du Midi, et demande que l'Assemblée décrète que les sommes nécessaires au service de cette armée, soient incessamment mises à sa disposition.

(L'Assemblée renvoie cette lettre aux comités militaire et de l'ordinaire des finances, et décrète que le rapport en sera fait incessamment.)

2o Lettre de M. Dumouriez, ministre de la guerre, qui demande que l'armée du Midi soit payée de ses appointements, solde et masse, conformément à la loi du 29 avril 1792 relative aux armées du Nord.

M. Mathieu Dumas. Je convertis en motion la demande du ministre et je demande qu'elle soit décrétée sur-le-champ.

M. Maraut. Je crois que cette proposition mérite d'être examinée et par le comité des finances et par le comité militaire. Je demande qu'elle leur soit renvoyée.

M. Delacroix. Il y aurait de l'injustice à ne point traiter aussi favorablement l'armée du Midi que celle du Nord; elle est exposée aux mêmes besoins. Je demande qu'on mette aux voix la motion de M. Dumas.

M. Charlier. J'appuie cette proposition. (L'Assemblée décrète l'urgence et adopte la proposition de M. Mathieu Dumas.) Suit le texte du décret rendu :

་་

L'Assemblée, considérant que les mêmes motifs qui ont déterminé la loi du 29 avril 1792 en faveur des armées du Nord, sollicitent la même justice en faveur de celle du Midi et que cette justice ne doit pas être plus longtemps attendue, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que l'armée du Midi sera payée de ses appointements, solde et masse, conformément aux dispositions de la loi du 29 avril 1792, relativement aux armées du Nord. »

M. Garreau. Je demande que l'on fasse incessamment le rapport de l'incorporation des cidevant gardes françaises dans les bataillons de gardes nationales de Paris.

(L'Assemblée décrète que ce rapport sera fait, le lundi 18 juin 1792, à la séance du matin.) M. le Président cède le fauteuil à M. Tardiveau, ex-président.

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raux, dont l'un colonel et les 2 autres lieutenants-colonels et 4 aides de camp.

Art. 2. A la paix, le nombre des adjudants généraux et des aides de camp sera réduit. »

M. Mathieu Dumas. Je demande à faire un amendement; c'est qu'on adopte la même mesure qui a déjà été adoptée pour les aides de camp; c'est qu'à l'époque de la réduction, quel que puisse être alors le nombre des officiers employés dans les differents états-majors, soit en France, soit dans les colonies, le nombre soit réduit à 37, qui est le maximum de celui des adjudants généraux.

M. Delmas. Je demande qu'il en soit de même pour les aides de camp.

(L'Assemblée décrète l'urgence et adopte les deux amendements et les articles 1 et 2.) Suit le texte définitif du décret rendu :

Art. 1er.

«L'état-major de l'armée de Saint-Domingue sera composé de 3 adjudants généraux, dont l'un colonel, et les 2 autres lieutenants-colonels, et de 4 aides de camp.

Art. 2.

« A la paix, le nombre des adjudants et des aides de camp sera réduit au nombre fixé par l'Assemblée constituante. »

M. Mathieu Dumas, au nom du comité militaire, fait un rapport (1) et présente un projet de décret (1) sur l'insurrection arrivée au camp de Neuf-Brisach, les 6,7 et 8 juin 1792 (2); il s'exprime ainsi :

Messieurs, pendant que la discipline, l'instruction et l'expérience des actions de guerre font des progrès dans les armées commandées par les généraux Luckner et Lafayette, pendant que l'ordre règne dans leur camp, et que la confiance des troupes s'affermit et se dirige vers les chefs, dont le dévouement civique fonde les espérances des bons citoyens, l'Assemblée nationale entendra sans doute avec peine les détails de l'insurrection du camp sous Brisach, à l'armée du Rhin. Vous avez chargé votre comité militaire de vous en rapporter les détails, et de vous proposer une mesure digne de votre sagesse, et conforme à la résolution que vous avez déjà montrée, de conserver le principe de la forme publique pour l'intégrité de la discipline. La violation de la loi, l'oubli de toute obeissance militaire, les violences exercées contre les chefs des troupes et contre les magistrats du peuple, appellent votre juste sévérité. La conduite ferme, constitutionnelle et vraiment patriotique du général Victor Broglie, et des fonctionnaires publics qui se sont réunis à lui dans cette circonstance, l'inébranlable fermeté des troupes restées fidèles leurs devoirs, solliciteront vos suffrages. Je ne chercherai donc point, Messieurs, à exciter les sentiments que vous avez plusieurs fois manifestés; je me bornerai à mettre sous vos yeux le récit des faits. Je lirai d'abord le compte rendu de concert par les généraux et les admi

(1) Bibliothèque nationale Assemblée législative, Militaire, tome 11, no 66.

(2) Voy. ci-dessus, séance du mardi 12 juin 1792, au matin, page 102, la lettre de M. Lamorlière au sujet des troubles de Neuf-Brisach, et page 104, la lettre du ministre de l'intérieur sur le même objet.

nistrateurs, que le roi vous a fait communiquer par son ministre de la guerre, et auquel sont joints les dépositions, procès-verbaux et autres pièces justificatives. Votre comité a pensé que ce rapport ne pouvait vous être présenté dans un ordre plus clair et d'une manière plus simple; cette pièce est signée par le procureur-syndic du département du Haut-Rhin, Rewbell; par le maréchal de camp, chef de l'état-major de l'armee du Rhin, Victor Broglie, et par le lieutenant général commandant l'armée du Rhin, Lamorlière. Je u'interromprai cette lecture que pour rapporter à l'appui les dépositions et autres pièces authentiques qui peuvent éclairer l'Assemblée et assertiorer les faits.

Détails préliminaires sur les événements qui ont eu lieu à Neuf-Brisach, les 4, 5, 6 et 7 juin 1792, l'an IV de la liberté.

Les désordres qui viennent d'arriver à NeufBrisah ont été précédés et accompagnés de circonstances dont il est nécessaire d'être informé pour remonter à la source des événements. Voici les faits, tels qu'on les a recueillis à Brisach; les plus essentiels sont connus officiellement.

Le directeur général des douanes nationales à Strasbourg, écrivit le 7 mai une circulaire très détaillée, pour recommander à ses subordonnés la surveillance la plus active, et pour qu'ils missent obstacle au passage des marchandises prohibées, notamment aux munitions de guerre; à cette circulaire en succéda, le 23 mai, une autre qui, en attribuant à une erreur de copiste l'esprit et les dispositions de la première, recommande, au contraire, aux préposés des douanes, de laisser au commerce la plus grande liberté; et en énonçant plusieurs marchandises dont l'exportation doit être permise, elle y comprend les fusils, sans ajouter la restriction que porte la loi, qui ne laisse la liberté de l'exportation que pour les fusils de chasse.

Ces lettres, que le directeur des douanes de Strasbourg avait calquées sur celles qu'il avait reçues lui-même de la régie, devinrent publiques elles répandirent l'alarme et la défiance dans les esprits.

Le 4 juin, des voitures passant en transit, se présentèrent, venant de Strasbourg, et allant à Bâle. Les faits auxquels leur passage à Brisach a donné lieu, sont consignés dans les dépositions du maire et de M. d'Arlandes, capitaine au 13° régiment, faisant les fonctions d'adjudant au camp sous Brisach.

Le directoire du département du Haut-Rhin, instruit de ces faits et des circonstances qui les avaient précédés, crut qu'il était de son de voir de remonter à leur source, de faire des voitures l'examen le plus complet, pour découvrir s'il n'existait pas un attentat contre la sûreté publique.

Il sentit aussi que les défiances des soldats étaient trop naturelles; les lois sur les divers genres de commerce trop compliquées pour être saisies par eux; enfin que la sûreté d'une place située à peu de distance de l'ennemi, serait trop compromise par des combats d'autorités, pour qu'il ne fut pas nécessaire de faire taire momentanément la loi, et de ramener le calme et la confiance par la vérification la plus exacte. Il envoya à Neuf-Brisack deux commissaires, leur donna les pouvoirs les plus étendus, pour procéder à

l'examen des voitures, vérifier les faits, et arrêter les coupables, s'il s'en trouvait.

Il ne négligea point en même temps le sort des personnes détenues illégalement, et autorisa les commissaires à les faire sortir de prison: il arrêta, de plus, que le rapport des faits serait adressé à l'Assemblée nationale, et qu'elle statuerait sur le tout.

Les commissaires arrivés à Neuf-Brisach crurent devoir commencer par les opérations les plus propres à calmer les esprits; ils demandèrent que des soldats des différents corps les assistassent dans la vérification du chargement des voitures. Cette verification commençait, lorsque M. Victor de Broglie, chef de l'état-major de l'armée du Rhin, envoyé par le général Lamorlière, pour rétablir l'ordre dans la garnison, arriva avec M. Rewbell, procureur général syndic du département du Haut-Rhin, qu'il avait prié de l'accompagner.

Les chargements paraissent, jusqu'à présent, conformes aux lettres de voitures; elles font mention des armes qu'on a trouvées et les barils que les soldats avaient cru contenir de l'or, étaient pleins de vif argent.

Le maréchal de camp, chef de l'état-major de l'armée du Rhin.

Signé VICTOR BROGLIE.

Relation des événements qui ont eu lieu à NeufBrisach, les 6, 7 et 8 juin 1792, l'an IVe de la liberté.

Monsieur de Lamorlière, lieutenant général, commandant l'armée du Rhin, ayant reçu le 5 juin au matin, une lettre de M. d'Herbigny, commandant de la place de Neuf-Brisach, qui lui rendait compte de ce qui s'y passait, chargea M. Victor de Broglie, chef de l'état-major de de l'armée du Rhin, de se rendre sur-le-champ dans cette place, pour y prendre connaissance des événements qui avaient eu lieu, et procurer le rétablissement de l'ordre. M. Victor Broglie, muni d'un ordre de M. de Lamorlière, partit le mème jour pour Colmar, afin de se concerter avec le directoire du département du Haut-Rhin; il apprit des administrateurs que l'origine des troubles qui avaient eu lieu à Neuf-Brisach, pouvait être attribuée à l'opposition qui avait été remarquée entre deux circulaires du directeur général des douanes nationales, dont la première prescrivait la plus active vigilance sur la circulation et l'exportation à l'étranger de toutes marchandises prohibées, et particulièrement des munitions de guerre et des armes de toute nature, et dont la seconde contenait des dispositions absolument contraires. M. Victor Broglie apprit, en outre, que déjà deux commissaires du directoire du département s'étaient rendus à Neuf-Brisach; il engagea M. Rewbell, procureur général syndic, à l'accompagner. En conséquence, ils y arrivérent tous deux, le 6 juin, à 7 heures du matin.

En descendant chez M. d'Herbigny, et s'y trouvant réunis avec MM. les commissaires du département, les chefs du corps et M. Brunck, commissaire-auditeur de l'armée, MM. Rewbell et Victor Broglie apprirent que M. le maire et M. d'Arlandes, capitaine au 13 régiment d'infanterie, faisant les fonctions d'adjudant général au camp placé sur les glacis, étaient encore l'un et l'autre retenus en prison; que la visite des

voitures arrêtées étaient commencée, et qu'il s'y était effectivement trouvé des canons de fusils de munition, des pistolets, des platines, etc. Ils apprirent, en outre, que l'effervescence de la garnison était encore très vive, et que le 4 bataillon des volontaires de l'Ain, et le 6 du Jura, campé sur les glacis, étaient les plus échauffés. M. Victor Broglie reçut, dans le même moment, de MM. les commissaires du département, une réquisition par écrit, qui prescrivait d'assurer, par tous les moyens de la force publique, l'élargissement de M. le maire et du sieur d'Arlandes, illégalement détenus. M. Victor Broglie crut devoir profiter de l'intervalle qui restait jusqu'au moment fixé, par la réquisition, pour parcourir successivement avec MM. Rewbell et Brunck, les quartiers du 13 régiment, du 1er bataillon de la Haute-Saône, du 8 régiment de chasseurs à cheval, et de l'artillerie. Il rappela aux soldats leur devoir, et après leur avoir fait sentir l'illégalité et les inconvénients de l'arrestation arbitraire des voitures, il insista principalement sur les violences commises contre les personnes du maire de la ville, et de M. d'Arlandes, officier au 13 régiment, et les somma de dénoncer euxmêmes ceux d'entre eux qui en étaient les auteurs. Il les prévint de l'ordre qu'il avait de faire mettre en liberté les prisonniers, et de l'espérance qu'il conservait, que personne n'oserait y mettre obstacle. Ces instructions successives furent écoutées avec attention par les soldats; plusieurs témoignèrent des regrets sincères sur leurs fautes passées, les chasseurs à cheval, qui s'en étaient préservés, prirent, avec M. Victor Broglie, l'engagement qu'ils ont glorieusement tenu, celui de demeurer fidèles à la discipline et dans la plus parfaite soumission à la loi.

Déposition de M. d'Arlandes, capitaine

au treizième régiment d'infanterie. L'an 1792, le sixième jour du mois de juin, nous, commissaire-auditeur des guerres de lá cinquième division, nous étant transporté en la ville de Neuf-Brisach, par ordre de M. de Lamorlière, lieutenant général, commandant l'armée du Rhin, à l'effet d'informer des délits commis par des militaires, ou autres personnes à la suite de l'armée, à l'occasion de l'arrestation faite par les troupes campées sous ladite place, de plusieurs voitures d'effets, destinées pour Bâle, avons reçu la déposition de Louis-FrançoisPierre d'Arlandes, capitaine au treizième régiment d'infanterie, lequel était chargé de faire les fonctions d'adjudant général au camp, qui, après serment de dire la vérité, nous a déclaré que le 4 du présent mois de juin, sur les six heures du soir, ayant été instruit qu'une voiture de roulier était arrêtée à la porte de Bâle et entourée d'un grand nombre de soldats sans armes, il s'y était rendu, et avait demandé la garde, si c'était en conséquence de sa consigne ou d'une réquisition des officiers municipaux, qu'il avait arrêté cette voiture; que le sergent lui répondit qu'il n'avait ni consigne ni réquisitoire à cette fin; que la sentinelle, qui était un soldat du treizième régiment, lui avait dit de la faire arrêter; que lui, sieur d'Arlandes, observa au sergent qu'il n'avait pas d'ordre à recevoir de sa sentinelle, et lui dit qu'il le rendait responsable des effets chargés sur cette voiture, qu'il eût à les garder jusqu'à son retour. Sur quoi et au même instant, le sieur Bailli, adjudant-major du treizième régiment,

informa ledit sieur d'Arlandes, qu'il y avait sur la chaussée, hors et près de la ville, d'autres voitures de rouliers entourées d'un grand nombre de soldats qui voulaient les décharger et en visiter la charge. Le sieur d'Arlandes ordonna audit adjudant d'aller à ces voitures, et d'empêcher qu'on ne les déchargeât jusqu'à nouvel ordre: sur quoi, il alla en rendre compte à M. d'Herbigny, commandant de la place, qui lui dit d'en prévenir le maire, chez qui il se rendit sur-le-champ. Le maire, qui avait déjà été informé de l'arrestation par le sergent de la garde, avait envoyé celui-ci au bureau des douanes nationales, pour s'enquérir du receveur, si les lettres de voiture, acquits-à-caution ou passavants, dont le voiturier était porteur, avaient été vérifiés. Le sieur d'Arlandes requit le maire de passer à la douane, où les commis leur assurèrent que tout était en règle; sur quoi ils allèrent à la porte de Bâle, dire que le voiturier était en règle, et que rien ne devait s'opposer au passage de la voiture, qui, en effet, sortit de la ville. De là ils allèrent, le maire et lui, sur la chaussée, où une grande foule de soldats entourait un convoi de 3 voitures, criant qu'il fallait les visiter. Il demanda un moment de silence, qu'il obtint avec beaucoup de peine, et leur dit que M. le maire présent s'était assuré à la douane, que les papiers des voituriers étaient en règle, et que, conformément à la loi, ils devaient laisser passer les voitures. Ils répondirent à grands cris et confusément, qu'ils voulaient voir si elles ne contenaient pas des armes. Après leur avoir répété plusieurs fois inutilement ce que la loi exigeait d'eux, il leur promit, pour les satisfaire, qu'il allait demander des ordres pour en faire la visite, et exigea qu'en attendant son retour, ils n'y dérangeassent rien ils crièrent que la nuit viendrait et qu'on les ferait partir il ne leur demanda qu'une demi-heure pour être de retour, à quoi ils parurent consentir en battant des mains et criant bravo. Il retourna à la ville, et engagea le maire à se faire accompagner de quelques officiers municipaux revêtus de l'écharpe ainsi que lui, des commis de la douane pour faire la visite; que dans l'intervalle il irait prendre le commandement de la place, pour y assister. I alla trouver le commandant de la place chez M. de Bizy, où se trouvaient plusieurs chefs de corps; il lui rendit compte de ce qui se passait, et lui dit que comme l'attroupement était fort nombreux et les têtes fort échauffées, il lui paraissait convenable de faire monter à cheval le régiment des chasseurs.

Cette mesure ne fut pas jugée nécessaire. Il sortit avec M. d'Herbigny et les deux lieutenants-colonels du 13° régiment; ils rencontrèrent en allant à la porte, le maire et un officier municipal sans écharpes: au même instant ils virent accourir vers eux des soldats armés, suivis d'une grande foule de soldats sans armes, conduisant un charretier qu'ils avaient arrêté, et le menaçant de la lanterne. Dans la crainte que cette troupe très animée ne tit périr le charretier, le sieur d'Arlandes le prit par le bras; il fut repoussé à plusieurs reprises, et parvint cependant à le conduire en prison, après avoir dit aux soldats, que, s'il était coupable, il devait être puni légalement. A peine le charretier fut-il entré en prison, qu'un boucher, au service de l'entrepreneur des vivres, de la viande de l'armée, dit au sieur d'Arlandes, d'un air furieux, qu'il n'aurait pas sauvé la vie à cet homme, s'il n'était pas son complice, et qu'il lui ferait

sauter la tête, n'étant pas venu de cent lieues pour rien. Le sieur d'Arlandes méprisa ce propos. et retourna avec le commandant, qui ne l'avait pas quitté, du côté des voitures qui étaient encore hors de la ville. A la porte, ils apprirent par plusieurs soldats, qui tenaient des canons de fusils à la main, que les voitures étaient chargées d'armes; ils en trouvèrent une que les soldats voulaient conduire au camp. M. d'Herbigny ordonna qu'elles fussent toutes conduites en ville, ce à quoi les soldats se refusèrent, et le même boucher dont il a été parlé ci-dessus, dit à M. d'Herbigny, qu'il lui ferait sauter la tête, s'il s'opposait à ce que les soldats voulaient. Le sieur d'Arlandes fut entouré de soldats furieux, ameutés par le boucher qui l'accusèrent de trahison et d'avoir su que ces voitures étaient chargées d'armes; ils l'entrainèrent au camp en criant qu'il fallait le pendre. Ils prirent un caporal et quatre hommes de volontaires qui se trouvaient sur le glacis pour entourer et garder le sieur d'Arlandes. A mesure qu'on approchait du camp, la foule et la fureur augmentaient : en vain le sieur d'Arlandes cherchait à leur faire entendre qu'il ne s'était conduit que d'après la loi; ils ne lui répondaient que par des injures et des menaces. Arrivés au camp, on le fit passer sur un petit pont d'un canal en avant du camp et on le conduisit dans la tente de la garde d'un des deux bataillons de volontaires. Il demanda à être entendu; il exposa le détail de sa conduite dans toute cette affaire; leur dit que son attachement à la Constitution s'était manifesté dans toutes les occasions et qu'il en appelait au témoignage des soldats du 13 régiment: à quoi plusieurs voix répondirent qu'on l'avait cru jusqu'à ce moment un brave homme, mais qu'il n'en était pas moins un traître. Peu de temps après, M. d'Herbigny parut: il tâcha de calmer les esprits, qui s'enflammèrent encore plus. On n'entendait que les cris de pendre et de lanterne. On enleva la tente, la foule força le peu d'hommes armés qui se trouvaient auprès du sieur d'Arlandes et se jeta sur lui. M. d'Herbigny cria en embrassant M. d'Arlandes qu'il périrait avec lui: la foule le détacha et l'emporta. Le sieur d'Arlandes éprouva alors les traitements les plus atroces; on lui arracha les épaulettes, on déchira son vêtement, on le tirait avec violence par le mouchoir qu'il avait au cou. Les uns voulaient le jeter dans le canal; les autres voulaient l'entraîner sous un arbre à une branche duquel on avait déjà attaché une corde pour le pendre, et un homme était sur l'arbre, il ne peut dire qui c'était.

Pendant qu'il était ainsi tiraillé, un officier de son régiment, le tenant à bras-le-corps et disant qu'il périrait avec lui, plusieurs sous-officiers et soldats du même régiment, qui suivaient, tâchaient de le soustraire à la fureur de la troupe. Enfin la générale battit, les furieux se séparèrent pour courir à leurs armes; le sieur d'Arlandes resta entre les mains de la garde des volontaires et M. Hitan, lieutenant-colonel commandant du camp, envoya un piquet de grenadiers qui s'empara de lui et le conduisit à la tente du capitaine de la compagnie où il fut gardé. M. d'Herbigny y vint, parla aux grenadiers et proposa de conduire le sieur d'Arlandes en prison, ce qui fut accepté: un piquet de grenadiers de son régiment et de volontaires nationaux l'y conduisit par ordre du commandant. Le sieur d'Arlandes ajoute que, pendant qu'il était tiraillé au camp par les soldats, dont les

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