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(La lecture de ce mémoire a été souvent interrompue par les applaudissements de la gauche et des tribunes.)

M. le Président. L'Assemblée examinera le compte que vous venez de lui rendre et vous permet de vous retirer.

M. Brival. Je demande l'impression du discours de M. Bertin, à la suite de celui de M. Rebecqui, son collègue.

(L'Assemblée décrète l'impression de ce mémoire et en ordonne le renvoi aux comités chargés de l'examen de cette affaire.)

M. CAMUS, garde des archives de la nation, est admis à la barre. (Applaudissements.) Il lit, au nom des citoyens de la section des Tuileries, une adresse dans laquelle ils demandent que chacun soit tenu de monter sa garde en personne. (Vifs applaudissements.)

M. le Président lui répond, et lui accorde les honneurs de la séance.

M. Camus rentre dans la salle. (Applaudissements unanimes.)

M. Lacuée. Je demande le renvoi de la pétition au comité militaire et je promets de présenter son travail dans huit jours.

(L'Assemblée ordonne le renvoi de la pétition au comité militaire.)

Une députation de citoyens est admise à la barre.

L'orateur de la députation lit un mémoire relatif aux subsistances et demande une loi contre les accaparements de grains.

M. le Président répond à la députation et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée ordonne le renvoi de ce mémoire aux comités d'agriculture et de commerce réunis.)

Un citoyen, au nom des officiers, sous-officiers et volontaires du 4° bataillon de Seine-et-Oise, en garnison à Sierck, est admis à la barre.

Le pétitionnaire donne lecture d'une pétition tendant à prohiber toute espèce d'exportation de marchandises, dont le commerce pourrait diminuer les ressources pour la guerre. Il dénonce des exportations fréquentes de munitions hors des frontières. Le 2 juin, le bataillon de Seine-et-Oise, arrivant à Sierck, fut instruit par les habitants de cette ville, qui lui témoignérent leurs inquiétudes, qu'on envoyait des subsistances à l'ennemi, tandis qu'ils étaient sans pain. Ils les engagèrent à arrêter le bateau. Le commandant était absent; le bateau était prêt d'entrer dans le territoire ennemi. Ils coururent après, l'arrêtèrent et le ramenèrent à Sierck. En ayant fait la visite avec des officiers municipaux, il fut vérifié que les ballots renfermait des uniformes, des boutons et des livres sur l'art de tracer des plans de campagne. Les officiers municipaux expédièrent une ordonnance au maréchal de camp Wimpffen pour prendre ses ordres. Ce dernier ayant donné l'ordre de

laisser partir le bâteau pour Thionville, les volontaires s'y opposèrent d'abord, mais les officiers municipaux ayant commandé au nom de la loi et sur les ordres du directoire du district de Thionville, ils obéirent, mais en se réservant de porter plainte à l'Assemblée nationale. « Les volontaires français, d'ailleurs, ne pillent pas les ennemis, ils les tuent.

Le pétitionnaire prie l'Assemblée de vouloir bien prendre ces faits en considération et lui demande que les volontaires employés à la défense des frontières soient autorisés à visiter tout ce qui sort du royaume. Il remet la liste des effets trouvés dans le bateau arrêté.

M. le Président. L'Assemblée vous accorde les honneurs de la séance et prendra votre demande en grande considération.

(L'Assemblée ordonne le renvoi de cette pétition aux comités militaire et de commerce réunis.)

Une délégation de 150 citoyens garçons marchands de vins est admise à la barre.

L'orateur de la délégation, au nom de ses camarades, fait don à la patrie de 26 livres en espèces; 445 livres en assignats, et 53 livres 3 sols en billets de confiance.

M. le Président répond et accorde à la délégation les honneurs de la séance.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements, et en décrète la mention honorable au procès-verbal, dont un extrait sera remis aux donateurs.)

M. Crestin, au nom des commissaires chargés de se rendre chez M. Grangeneuve pour recevoir sa déposition. Messieurs, les commissaires que vous avez nommés pour prendre la déclaration de M. Grangeneuve, se sont acquittés avec exactitude de cette commission sitôt après que le décret a été remis (1). Nous avons trouvé M. Grangeneuve dans son lit, mais je crois devoir dire à l'Assemblée nationale, pour sa tranquillité, qu'il nous a paru être dans un état

très rassurant.

Voici, Messieurs, le procès-verbal de la déclaration qu'il nous a faite, ainsi que des témoins qu'il a indiqués. Je vais avoir l'honneur de vous en faire la lecture:

L'an 1792, le 15 juin, environ 4 heures de relevée, nous, députés à l'Assemblée nationale, nommés par elle commissaires par décret de ce présent jour, à l'effet de recevoir la déclaration de M. Grangeneuve sur l'événement qui a eu lieu hier au soir entre lui et un député à l'Assemblée et prendre l'indication des témoins qu'il désire être entendus sur les circonstances de cette affaire; nous sommes transportés au domicile de M. Grangeneuve, sis rue Saint-Thomas-duLouvre, no 18, où nous l'avons trouvé dans son lit.

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se portant alors très près du déclarant lui dit : Cent hommes comme vous ne me feraient pas

dans la salle de l'Assemblée nationale, mais qui n'eurent aucune suite, par l'entremise de quelques députés dont le déclarant ne se rappellefuir, et j'en ferais fuir cent comme vous. Le dépas les noms.

«< 2° Que le déclarant a été chargé du rapport de l'affaire d'Arles, au défaut de M. Delpierre, qui s'en est démis; qu'à l'époque où le déclarant fut chargé de ce rapport, on arrêta pour la première fois, dans les comités réunis, que le rapporteur ne serait point autorisé à présenter un rapport tout dressé, mais qu'il serait tenu de porter sur le bureau toutes les pièces et d'en faire la lecture; que le déclarant, ne pouvant pas se dissimuler qu'il n'obtenait pas la même confiance que ses collègues, fut le premier à demander que toutes les parties, intéressées au rapport, fussent présentés à l'exposé des faits et qu'elles eussent la liberté de faire leurs observations; ce qui fut accordé.

;

3° Qu'entre tous les points de discussion que présenta l'affaire d'Arles-il s'agit de savoir si le directoire du département des Bouches-du-Rhône est ou n'est pas blâmable, pour avoir abandonné le lieu de ses séances, lorsqu'une troupe armée sortie de Marseille fut entrée dans la ville d'Aix; que le déclarant ayant, à cet égard, manifesté son opinion dans le comité, elle a paru à M. Jouneau celle d'un homme de mauvaise foi; que le déclarant a été insulté dans le comité par le sieur Jouneau, qu'il en a pour témoins MM. Basire, Taillefer, Chabot et Maribon-Montaut; que le jour de la Fête-Dieu, s'étant rendu au comité dans la matinée, comme il en était convenu, il fut encore question du directoire du département des Bouches-du-Rhône, en attendant que le comité fut assez nombreux pour ouvrir la séance; qu'alors, sur ce qu'on disait, que les administrateurs du département des Bouches-du-Rhône avaient couru le risque de perdre la vie, et qu'ils étaient par conséquent bien excusables de s'être cachés, le déclarant répondit qu'il ne croyait à de pareils risques, que lorsqu'il voyait les craintes réalisées, et c'était en parlant à M. Jouneau qu'il tenait ce langage.

«Que le jour d'hier, vers les 7 heures et demie du soir, attendant que les membres des comités réunis fussent en assez grand nombre pour pouvoir ouvrir leur séance, il se promenait dans l'allée du jardin des Feuillants, sous les murs du comité des pétitions. Qu'après avoir causé quelques moments avec M. Coustaud, il fut abordé par quelques membres du directoire des Bouches-du-Rhône, et encore par M. Lacuée. Qu'entre eux tous il fut encore question de la conduite du directoire à l'époque ci-dessus rapportée. Qu'on en parlait moins pour fixer son opinion, que pour en faire un sujet d'entretien. Que M. Lacuée, particulièrement, en prit occasion de rapporter, en plaisantant, ses anciennes relations avec M. Villardi, l'un des membres de ce directoire. Que M. Jouneau, se mêlant alors à la conversation, et interpellant M. Lacuée, lui dit écoutez donc un peu l'opinion de M. Grangeneuve; il nous disait l'autre jour qu'il ne pouvait pas croire que des administrateurs eussent couru risque de perdre la vie, dans l'exercice de leurs fonctions, à moins qu'il ne les vit morts.

« A cette interpellation, rendue à peu près dans les mêmes termes qu'employa M. Jouneau, M. Lacuée répondit: il a raison. Alors le déclarant, sur le même ton qui régnait dans la conversation, dit à M. Jouneau que s'il était étonné de cela, il y a apparence qu'il aurait pris le même parli que les membres du directoire. M. Jouneau 1re SÉRIE. T. XLV.

clarant répondit à M. Jouneau : vous ne ferez fuir personne. A cet instant, quelques-unes des personnes présentes se mirent entre eux deux. M. Jouneau dit au déclarant qu'il était un insolent et le déclarant lui répondit par une expression équivalente. On se sépara à l'instant et on demanda de se rendre au comité. Réunis en très petit nombre au comité, les membres présents attendirent que quelques-uns de leurs collègues vinssent se réunir à eux: il était alors 9 heures. On attendit en vain et l'on délibéra de se réunir sans faute samedi. Le déclarant reprit alors les pièces de son rapport; il les mit sous son bras et se retira par le même passage du jardin des Feuillants, qui a été ci-dessus indiqué. Il était entre M. Jacquier et M. Barbaroux, députés extraordinaires de la ville d'Arles. Derrière lui venait M. Jouneau qui, l'ayant atteint, lui dit d'un ton fort modéré qu'il avait à l'entretenir en particulier. Le déclarant quitta alors le sieur Barbaroux et le sieur Jacquier, qui continuèrent leur route, et il alla à M. Jouneau, qui lui dit Je n'entends pas que cette affaire se passe comme la première (en parlant de la querelle qu'il avait faite au déclarant à propos de l'opinion énoncée, il y a 3 mois, à l'Assemblée nationale). J'espère, continua M. Jouneau, que vous vous trouverez demain au Bois de Boulogne, à 9 heures, avec des pistolets. Le déclarant répondit : Je n'irai point au Bois de Boulogne à 9 heures, mais je serai à 10 heures à l'Assemblée nationale. (Applaudissements). Sur cela, M. Jouneau donna un soufflet au déclarant, le frappa de plusieurs coups de canne, qu'il avait à la main, laquelle canne était pliante et formée de plusieurs joncs réunis, et comme le déclarant voulait le saisir, il le terrassa.

་་

Après la déclaration faite et prête à être signée, j'observe à l'Assemblée que M. Grangeneuve avait oublié de parler des coups de pied qu'il avait reçus de M. Jouneau. Cette mention se trouve par renvoi à la marge et approuvée de lui.« le terrassa, lui donna des coups de pied et prit la fuite. »

Le déclarant indique pour témoins des faits ci-dessus : Mme Daigremont, tapissière de l'Assemblée nationale, sur le jardin des Feuillants; MM. Barbaroux et Jacquier, députés extraordinaires de la commune d'Arles, logés hôtel de la République de Gênes, rue Sainte-Anne; MM. Saint-Huruge et Régnier, rue Bourbon-SaintGermain, no 690.

« Lecture prise par M. Grangeneuve de la présente déclaration, il a été par nous, interpellé de la signer à chaque page et à la fin, ce qu'il a fait et l'avons également signée. »>

M. Jouneau. Messieurs, au moment où je suis entré ce matin dans l'Assemblée nationale, j'étais tellement ému d'entendre taxer d'assassinat une rixe à laquelle j'ai été provoqué par l'insulte la plus forte qu'on puisse faire à un brave homme, j'avais si fort à cœur d'éviter à l'Assemblée nationale les détails de cette affaire, que je me suis contenté de protester contre les intentions criminelles que quelques membres paraissaient me supposer, et de demander à être renvoyé à un comité qui prendrait tous les renseignements nécessaires et vous ferait ensuite son rapport.

Mais puisque l'Assemblée a jugé à propos

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d'entendre les témoins à sa barre et de se faire donner lecture de la déclaration de M. Grangeneuve, je la supplie de me permettre de lui faire le récit sincère de ce qui a précédé et suivi la voie de faits que je me suis permise dans un moment où le premier mouvement est si difficile à contenir.

Je me rendais vers les 8 heures du soir aux comités qui sont chargés de vous faire un rapport sur les affaires d'Arles. Je rencontrai, dans la grande allée du jardin des Feuillants, MM. Lacuée, Delaizire et Grangeneuve, qui causaient avec quelques administrateurs du directoire du département des Bouches-du-Rhône. Je m'approchai d'eux, et la conversation étant tombée, je ne sais comment, sur la manière dont les membres de ce directoire avaient été chassés du lieu de leurs séances, par un attroupement venu de Marseille, je dis à M. Lacuée que j'allais lui raconter la réponse que M. Grangeneuve avait faite à ces Messieurs, le jour où ils lurent les pièces qui constataient les violences qu'on leur avait fait éprouver que dans une espèce de sainte colère, il leur avait dit, que jamais il ne croirait que les administrateurs eussent couru le moindre danger, tant qu'il ne les verrait pas sur le carreau. M. Lacuée dit bravo. M. Grangeneuve, en m'adressant la parole, répliqua : « Vous voyez, Monsieur, que je n'ai pas tort, et si vous avez une autre opinion, c'est que vous fouteriez le camp.

:

Je demande pardon à l'Assemblée si je me sers des mêmes expressions.

Plusieurs membres: Lisez, lisez !

M. Jouneau. C'est que vous fouteriez le camp au premier aperçu du danger. Je dis alors à M. Grangeneuve avec infiniment de modération (Murmures à gauche.) que si nous en étions là, il verrait que je ne fouterais pas le camp; sur quoi M. Lacuée dit qu'il me servirait bien de caution. M. Grangeneuve récidiva encore, et avec un ton qu'il me serait impossible de décrire. Alors je lui dis: Monsieur, je vous ai dit qu'aucun danger ne pourrait me faire fuir, et j'ajoute que 100 hommes tels que vous ne me feraient pas perdre un pouce de terrain. M. Grangeneuve, à cet instant, sans que j'eusse mis aucune affectation insultante en prononçant cette dernière phrase, me dit que j'étais un foutu viedase. (Bruit.) A peine il eut proféré cette révoltante injure, que M... qui préside quelquefois le comité de pétitions (j'ignore son nom) me prit par le bras, en me conjurant de ne pas faire d'esclandre et me tira à l'écart. Il pourra dire si je fis la moindre résistance à suivre son conseil. Un moment après, nous entrâmes au comité et ne nous voyant que cinq ou six membres en comptant M. Grangeneuve, on proposa, vers 9 heures, de nous ajourner à un autre jour, ce qui fut adopté.

M. Grangeneuve sortit avec une ou deux personnes qui portaient une partie des papiers de son rapport. Je le suivis par le même chemin qu'il avait pris, et lorsque nous fùmes à peu près au même endroit où il m'avait insulté, je lui dis que je voudrais lui parler en particulier. Nous nous éloignâmes de quelques pas des personnes qui étaient avec lui. Là, je lui dis Monsieur, j'espère que cette affaire ne se terminera pas comme la première que nous avons eue ensemble. Il me demanda ce que je voulais dire. Je lui répondis: Vous avez fini l'autre par une mauvaise plaisanterie, il n'en sera pas de même de celle-ci. Vous venez de m'insulter indignement

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M. Jouneau. Il me demanda à quelle heure. Je lui dis que ce serait à 9 heures du matin, à moins qu'il ne m'en indiquât une autre qui lui convint mieux. Il me répliqua alors, en m'interrogeant avec ironie: A neuf heures, Monsieur ? Oui, Monsieur. Avec des pistolets? — Oui, Monsieur. Alors s'approchant de moi, au point que nos poitrines se touchaient, il m'assura qu'il n'irait pas au bois de Boulogne, non plus que dans un autre endroit avec moi. Je lui représentai, sans sortir des bornes de la modération, qu'un homme qui en a insulté un autre ne peut refuser de lui en rendre raison. Il persista dans son refus. Je lui observai que cette conduite serait incroyable et passerait pour celle d'un lâche. Alors se tenant toujours près de moi, il me dit du ton le plus outrageant, que j'étais un Jeanfoutre. (Murmures.)

Je l'avoue, Messieurs, à ce propos que je devais d'autant moins attendre, que je n'avais pas perdu un seul instant les égards qu'on se doit mutuellement, je ne fus pas maître de mon premier mouvement, je donnai un souffet à M. Grange

neuve.

Il ramassa incontinent un pavé qui se trouvait près de lui, me le lança et ne m'ayant pas atteint, il courut à moi et me saisit au collet. Après m'être dégagé de ses mains à l'aide d'une badine que j'avais à la main et dont je lui donnai un seul coup sur le bras pour lui faire lâcher prise, j'eus à éviter une seconde fois un pavé qu'il me lança de nouveau en criant : Arrêtez cet assassin!

C'est dans ce moment que je fus enveloppé par des hommes, qui sous prétexte de me séparer de M. Grangeneuve, dont je m'étais déjà éloigné, se portèrent à d'indignes violences. Je courus risque d'être assassiné, nommément par le sieur Saint-Huruge (Murmures.) qui, me surprenant et me saisissant par derrière, me renversa sur la palissade du jardin, dont les extrémités pointues percèrent mes habits et me blessèrent légèrement.

Je ne fus arraché à ce danger que par M. Calvet et quelques autres de mes collègues dont j'ignore le nom; la brave garde nationale, le commandant du poste, à qui j'ai particulièrement à témoigner ma reconnaissance, en imposa aux furieux qui m'entouraient et protégea ma retraite.

La suite de cette rixe vous est connue par les dépositions que vous avez entendues (j'ignore si elles ont été faites) et par les pièces qui sont entre vos mains. Il ne fallait pas moins que mon respect pour la vérité et ma soumission pour l'Assemblée nationale, pour me faire surmonter le dégoût d'une telle narration. L'aveu de ma violence et du tort que j'ai eu de ne pas savoir me commander ne me coûte rien, mais le malheur d'avoir été l'objet du scandaleux débat qui afflige l'Assemblée ne sortira jamais de ma mémoire. (Applaudissements.)

M. Saladin. Je désire faire observer à l'Assemblée que la déclaration de M. Grangeneuve étant remise sur le bureau, la justification de M. Jouneau devrait y être également déposée

après avoir été préalablement signée par lui. M. Jouneau signe sa justification et la dépose aussitôt sur le bureau de l'Assemblée nationale. M. Gamon. Je crois que l'Assemblée nationale doit d'abord commencer par entendre les témoins et ensuite je me charge de lui démontrer qu'elle doit à la Constitution, qu'elle se doit à elle-même de faire un grand exemple de justice et de sévérité. (Vifs applaudissements des tribunes.)

M. Viénot-Vaublanc. Avant de commencer la discussion, je prie Monsieur le Président d'enjoindre aux tribunes de ne point se mêler dans les malheureuses discussions qui peuvent avoir lieu dans l'Assemblée et qui nous affligent tous. (Quelques applaudissements des tribunes.) C'est d'une indécence qu'il n'est plus possible de supporter. Elle est déplorable. (Silence.)

M.Laureau. On demandera un comite général. M. le Président. Messieurs, j'ai déjà annoncé à l'Assemblée nationale que le règlement défendait à ses membres tout signe d'approbation ou d'improbation. Je crois que l'exemple de l'Assemblée suffira pour en imposer aux citoyens qui sont témoins de cette délibération et qu'ils ne s'écarteront pas du respect qu'ils doivent à la loi.

M. le Président cède le fauteuil à M. Bigot de Préameneu, ex-président.

PRÉSIDENCE DE M. BIGOT DE PRÉAMENeu.

M. SAINT-HURUGE, l'un des témoins de M. Grangeneuve, est introduit à la barre.

M. le Président. Monsieur, l'Assemblée nationale vous a mandé pour savoir si vous aviez connaissance d'une affaire qui s'est passée hier, entre M. Grangeneuve et M. Jouneau. Votre nom?

M. SAINT-HURUGE. Je me nomme André-Victor Saint-Huruge de La Farge, mais je ne le porte que comme on porte celui de Champagne et de Picard.

M. le Président. Votre âge?

M. SAINT-HURUGE. 49 ans, bientôt.

M. le Président. Où demeurez-vous?

M. SAINT-HURUGE. Rue Montmartre, hôtel d'Angleterre.

M. le Président. Votre profession? M. SAINT-HURUGE. Ancien officier d'infanterie, après cela mousquetaire et ensuite aide de camp. M. le Président. On va vous lire la déclaration de M. Grangeneuve.

M. Jaucourt. Je demande, Monsieur le Président, que vous interrogiez M. Saint-Huruge sur ce qu'il a vu.

M. Charlier. On n'interroge pas des témoins. On doit faire lecture de la déclaration et on doit demander au témoin ce qu'il sait sur la déclaration faite.

Un membre: Jamais on n'a fait à un témoin lecture de la déclaration d'un accusé; mais on lui demande ce qu'il sait.

Un membre: C'est la déclaration de M. Guadet dont on doit faire lecture et non la déclaration des déclarants, car ce serait faire le thème aux témoins. Je m'oppose formellement à ce qu'on donne communication aux témoins des déclarations. Je demande, au contraire, qu'on leur

donne communication de la dénonciation de M. Guadet.

Un membre: Tout le monde sait que les témoins ne sont entendus que sur la lecture de la plainte; or, la déclaration de M. Grangeneuve équivaut à une plainte.

Plusieurs membres: Non! non!

M. Becquey. L'Assemblée nationale a déjà entendu un grand nombre de témoins et je n'ai jamais vu qu'on ait commencé par lire aux témoins, soit des dénonciations, soit des déclarations. J'ai toujours vu que M. le Président, au nom de l'Assemblée, a été chargé de demander aux témoins s'ils avaient quelques connaissances sur les faits successifs qu'il était intéressant d'éclaircir; jamais il n'a été lu aucune espèce de déclaration. Je demande, Messieurs, si vous vous écarterez des principes. Je demande si, quand vous aurez entendu des témoins, il a été fait lecture de toutes les déclarations. Dans la circonstance présente (Bruit.) ce que je dis est d'autant plus essentiel, que M. Grangeneuve, dans sa déclaration, et M. Jouneau, dans la sienne, ont donné l'indication des dépositions des différents témoins; qu'ainsi vous guideriez pour ainsi dire à l'avance les réponses. J'ajoute qu'il faut bien éviter de faire connaître à M. SaintHuruge les déclarations.

(M. SAINT-HURUGE fait des gestes à M. Becquey.) Plusieurs membres: A l'ordre!

M. Becquey. J'ajoute que M. Jouneau l'accuse; on ne doit donc pas lire la déclaration.

M. Saladin. Les témoins doivent rapporter les faits dont ils ont connaissance, sur ce qui s'est passé entre M. Grangeneuve et M. Jouneau. Il y à une dénonciation faite. Cette dénonciation est signée par M. Grangeneuve; voilà le fait. Voilà ce qui doit servir de base aux dépositions des témoins, je demande qu'on en donne lecture. C'est sur cette déclaration que les témoins doivent être entendus. Je soutiens que, dans la marche ordinaire, il faut que le témoin soit entendu sur les faits énoncés dans la déclaration de M. Grangeneuve, sauf à M. Jouneau à lui répliquer ensuite.

(L'Assemblée décrète la clôture de la discussion.)

M. Marant. Il est temps de terminer cette trop malheureuse discussion et les ennemis du bien public doivent bien rire de nous voir perdre un temps précieux à nous occuper d'une simple rixe et à des discussions oiseuses. Je demande que l'on fasse cette question à la personne qui est à la barre. Que savez-vous sur l'affaire qui s'est passée hier entre MM. Grangeneuve et Jouneau? (Applaudissements.)

(L'Assemblée adopte la proposition de M. Marant.)

M. le Président. Avez-vous connaissance d'une affaire qui s'est passée hier entre M. Grangeneuve et M. Jouneau?

M. SAINT-HURUGE. Oui, Monsieur le Président, la voici :

J'étais avec plusieurs bons patriotes comme moi à discuter sur les savantes manœuvres de M. le maréchal Luckner, au café de l'Assemblée nationale. Nous avons entendu plusieurs personnes crier: A l'assassin! à l'assassin! A ces mots le café sortit. Je me suis trompé de porte, et j'ai passé par la porte qui va entre le treillage et le couloir de l'Assemblée rationale. A

peine ai-je été à cette place, que j'ai entendu : Arrêtez l'assassin de M. Grangeneuve, qui vient de lui donner 100 coups de pied dans le ventre, des coups de canne, et qui l'a terrassé. Je n'ai point vu le premier fait : M. Grangeneuve le poursuivait; il n'a pas pu passer. M. Grangeneuve s'est arrêté; l'autre s'est retourné, et lui a donné plusieurs coups de canne, jusqu'au moment où 2 bons patriotes l'ont arrêté; et moi je le tenais devant moi sur la palissade, comme ça (en rapprochant ses mains de sa poitrine). Voilà, Messieurs, tout ce que je sais, tout ce que j'ai vu. Plusieurs députés de l'Assemblée sont venus; il y en a un qui m'a dit: Mon cher Saint-Huruge, c'est un député de l'Assemblée nationale; grand dieu! j'ai dit : je croyais que c'était un assassin. Je le lâche bien vite, c'est une personne sacrée. (Applaudissements.) Sur cela M. Calvet a dit qu'il était son ami, et je n'ai pas eu de peine à le croire. Voilà tout ce que je sais.

M. le Président. L'Assemblée vous permet de vous retirer.

Mme DAIGREMONT, l'un des témoins de M. Grangeneuve, est introduite à la barre.

M. le Président. Madame, l'Assemblée nationale vous a mandée pour savoir si vous aviez connaissance d'une affaire qui s'est passée entre M. Grangeneuve et M. Jouneau.

Votre nom?

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M. le Président. Avez-vous connaissance des faits relatifs à une affaire qui s'est passée hier entre M. Grangeneuve et M. Jouneau?

Mme DAIGREMONT. Oui, Monsieur, cela s'est passé à côté de moi; c'était hier soir. J'étais assise alors à la porte du garde-meuble de l'Assemblée et j'ai vu sortir ces messieurs du comité. Ils passèrent près de moi, M. Grangeneuve avait des papiers sous son bras, ainsi qu'à sa main, dont il m'en est resté, que j'ai ramassés par terre, et je me suis aperçue que c'était des affaires d'Arles. M. Grangeneuve était avec M. le député dont je n'ai pas l'honneur de connaître le nom. Alors le député s'est tourné devant lui, et lui a frappé 2 coups de canne dans la figure. M. Grangeneuve s'est trouvé étourdi, et a laissé tomber les papiers, que j'ai remis à un député extraordinaire, nommé M. Jacquier, d'Arles. Voilà ce que j'ai vu.

M. le Président. L'Assemblée vous permet de Vous retirer.

M. BARBAROUX, l'un des témoins de M. Grangeneuve, est introduit à la barre.

M. le Président. Monsieur, l'Assemblée nationale vous a mandé pour savoir si vous aviez connaissance d'une affaire qui s'est passée hier entre M. Grangeneuve et M. Jouneau.

Votre nom?

M. BARBAROUX. Charles Barbaroux. M. le Président. Votre âge?

M. BARBAROUX. 25 ans.

M. le Président. Votre état?
M. BARBAROUX. Homme de loi.
M. le Président. Votre demeure?

M. BARBAROUX. Hôtel de la République de Gênes' rue Sainte-Anne.

M. le Président. Quelle connaissance avezvous des faits qui se sont passés hier au soir entre MM. Jouneau et Grangeneuve, députés?

:

M. BARBAROUX. Monsieur le Président, je vais vous les dire: hier, à neuf heures du soir, nous sortions du comité de pétition, où je m'étais rendu fort tard; les députés et les citoyens qui s'y trouvèrent se divisèrent en deux troupes, l'une passa par le cloître des Feuillants, M. Grangeneuve, M. Jacquier, député extraordinaire de la commune d'Arles, et moi, descendimes par le jardin. Arrivés dans la grande allée, je ne vis personne, si ce n'est une dame qui était assise à la porte d'un des pavillons. A peine avions-nous fait quelques pas dans la grande allée pour parvenir à l'allée couverte, que M. Jouneau parut; je ne puis pas attester s'il a suivi la même route que nous, ou s'il est venu par une porte opposée, mais il s'approcha de nous, et portant la parole à M. Grangeneuve avec beaucoup d'aménité, il lui dit Grangeneuve, j'ai quelque chose de particulier à vous dire. M. Grangeneuve se détacha du milieu de nous, et s'approcha de M. Jouneau. Ensemble ils s'avancèrent du côté de la muraille; nous n'avons point entendu ce qu'ils disaient, parce que nous détournâmes un peu à gauche. A peine avions-nous fait quelques pas (il ne s'était pas écoulé une demi-minute) que j'entendis frapper un coup; je me tournai, et je vis M. Jouneau frapper M. Grangeneuve. Il lui donna un coup de poing de la main droite, un coup d'une canne fort peu épaisse de la main gauche, et un coup de pied. Il le terrassa ensuite sur un tas de pierres avec la même main de laquelle il tenait sa canne. M. Grangeneuve poussa un cri, il se releva, et il tenait dans ses mains une pierre. M. Jouneau prit à l'instant la fuite, M. Grangeneuve le poursuivit, et lui jeta la pierre qui ne l'atteignit pas. M. Grangeneuve criait: Arrêtez, il m'a frappé, il m'a frappé; d'autres cris partirent à l'instant, et ils disaient: A l'assassin, à l'assassin; j'accourus, j'atteignis M. Jouneau à quelques pas de la buvette; je l'arrêtai; je lui dis: Monsieur, je vous arrête, quoique je vous connaisse député, parce que je vous ai vu en flagrant délit. M. Jouneau ne fit d'autre défense contre moi que celle d'un homme qui veut se débarrasser, mais sans frapper; plusieurs personnes sortirent à l'instant du café de la buvette et nous entourèrent.

M. Grangeneuve arriva, toujours poussant des cris lamentables, et prit l'habit de M. Jouneau. Il disait à la garde: il m'a frappé. Dans cet état, M. Jouneau lui lança encore deux coups de la canne qu'il tenait à la main. On criait beaucoup les uns disaient, il est inviolable; d'autres disaient, il a été pris en flagrant délit. Il faut le conduire chez le juge de paix. Cependant la garde arriva, et nous mimes M. Jouneau dans ses mains.

Je me retournai ensuite pour voir ce qu'était devenu M. Grangeneuve, et pour retrouver mon

chapeau que j'avais perdu. Je retrouvai M. Grangeneuve dans une salle où sont étalées les cartes topographiques. Il était dans un état affreux. Je lui offris une voiture pour le conduire chez lui. Il la refusa, mais il accepta mon bras, et je le conduisis, ou pour mieux dire je le portai chez lui, conjointement à M. Jacquier. Arrivé chez lui, M. Grangeneuve eut un mal de cœur qui dura trois quarts d'heure, sans qu'il eût aucune

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