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blique et à l'indépendance de la représentation nationale. Messieurs, quelles que soient les déclarations qui viennent de vous être faites, je ne connais point de témoins plus irréprochables et plus dignes de confiance que l'examen même de la déplorable situation où se trouve aujourd'hui M. Grangeneuve après cet assassinat. Cet examen en dit plus que tout ce que l'on vient de vous annoncer à cette tribune. Je suis bien loin de penser que M. Saint-Huruge, pour s'être livré à un mouvement bien naturel, de crier quand on assassinait un député, puisse être récusé comme témoin. J'appuie la motion d'entendre à la barre les témoins.

(M. Jouneau entre dans la salle.) Plusieurs membres: A la barre!

M. Th. Lameth. Quels sont ceux qui veulent mander les représentants à la barre?

M. Basire. Il ne nous appartient pas de mander à la barre un député prévenu d'un délit. Ce serait préjuger la question de savoir s'il en sera convaincu. Ce n'est qu'à la tribune qu'il doit parler sur cette inculpation. (Applaudissements.)

M. Bréard. Je demande que M. Jouneau soit entendu avant tout.

M. Jouneau. Je demande la parole.

M. le Président. M. Jouneau a la parole pour s'expliquer à la tribune.

M. Jouneau. J'arrive du bureau des affaires étrangères, où j'etais avec les 3 comités qui s'y réunissent tous les jours; je ne sais donc point ce qui a été dit contre moi avant ce moment. Je suis entré dans l'instant où l'on taxe d'assassinat la rixe qui a eu lieu entre M. Grangeneuve et moi. Je supplie l'Assemblée de vouloir bien me dispenser de rendre compte ici de ce qui s'est passé entre M. Grangeneuve et moi; mais je la supplie aussi, et je crois que c'est une justice à me rendre, ainsi qu'à M. Grangeneuve, de nous renvoyer l'un et l'autre devant un comité, où nous nous expliquerons. (Murmures à gauche. Non! non!)

-

M. Beugnot. Il est incroyable qu'on interrompe quelqu'un qui se défend.

M. Jouneau. Je fais cette proposition seulement pour économiser le temps de l'Assemblée, et lui éviter le désagrement d'entendre un récit qui serait très affligeant pour elle. Ce récit ne pourrait être fait que dans les mêmes termes que nous avons employés, M. Grangeneuve et moi. Vous savez qué dans les disputes particulières il se lâche des mots qui ne sont pas faits pour être répétés dans cette Assemblée. Moimême, je l'avoue, je n'aurai pas le courage de les lui répéter, à moins qu'elle ne l'exige par décret. Je promets de ne rien cacher; je my engage sur mon honneur...

Plusieurs membres à gauche : Ah! ah!

D'autres membres à droite: Ils ne connaissent donc pas l'honneur!

M. Jouneau. Il est permis à un homme qui n'a jamais manqué à l'honneur, d'invoquer ce mot-là ici, et je n'y ai jamais manqué. (Applaudissements à droite.)

Je demande donc que cette affaire, qui ne doit point du tout, selon moi, occuper l'Assemblée, ne lui soit soumise qu'après qu'un comité lui aura fait son rapport de ce que M. Grangeneuve et moi aurons pu dire pour notre justification mutuelle. Je demande aussi que le comité en

tende les personnes qui ont été témoins de l'insulte qu'il m'a faite, et de tout ce qui s'est passé. Après je me soumettrai avec la plus grande résignation, comme je le ferai dans ce moment-ci à tout ce que l'Assemblée ordonnnera sur mon sort; mais je ne concois pas comment mes collègues, en supposant que j'aie beaucoup de tort, ont pu qualifier ce qui s'est passé entre M. Grangeneuve et moi, d'un lâche assassinat. (Murmures à gauche.)

Plusieurs membres : C'est une horreur.

M. Jouneau. Ils porteront un autre jugement sur moi quand ils me connaîtront; mais quant à présent ils ne me connaissent pas.

Plusieurs membres : Nous demandons la clôture de la discussion et le renvoi au comité des Douze.

M. le Président. Je consulte l'Assemblée. (L'Assemblée décrète la clôture de la discussion et le renvoi au comité des Douze.)

MM. Basire, Chabot, Delaporte, Gaston et quelques autres membres, réclament vivement. (Violents murmures.)

M. Ducos fils. Si on ne fait pas justice d'un pareil crime, je déclare que la résistance à l'oppression étant de droit naturel, je brûlerai la cervelle au premier qui m'attaquera.

M. Dusaulx. Je demande la parole pour un fait. (Bruil.)

M. le Président. Vous avez la parole.

M. Dusanlx. Je ne réclame pas, et je ne réclamerai jamais contre un décret. Il est de mon devoir de vous avertir que dans le moment où je vous parle, il se fait un tumulte qui peut avoir les suites les plus fâcheuses parmi le peuple. (Murmures violents à droite. Applau dissements dans les tribunes.)

Un membre: Vous avez bonne grâce de nous menacer du peuple de Paris.

M. Montaut-des-Isles. Je demande que M. Dusaulx soit entendu. (Applaudissements.)

M. Dusaulx. Messieurs, vous ne m'avez pas entendu; l'un de ces messieurs tout à l'heure m'a dit : Vous avez bonne grâce de nous menacer du peuple de Paris. Sans doute le peuple de Paris est bon; le peuple de Paris est juste, et je ne vous menace point de sa colère, mais je vous menace, Messieurs, des grandes injustices qu'on pourrait lui faire commettre, parce que le peuple indigné n'est plus peuple, il devient... (Applaudissements des tribunes.)

Je ne suis point monté à cette tribune pour exciter des troubles, mais bien pour les prevenir, et je crois qu'il y a des mesures à prendre et de très promptes.

Je vous ai dit, Messieurs, qu'il y avait du mouvement; cela est certain si vous renvoyez à votre comité, il est de la plus grande importance que ce comité fasse promptement son rapport, afin que vous sachiez à quoi vous en tenir pour ou contre, et que promptement le public, qui est toujours juste, sache que vous avez rendu justice à l'un et à l'autre. (Applaudissements.)

M. Delaporte. Une dénonciation grave vient d'être faite à cette tribune. L'Assemblée a renvoyé l'examen de cette dénonciation à un de ses comités. Plusieurs membres ont prétendu que c'était au comité que devaient être entendus les témoins; et moi, Messieurs, je viens

demander la parole pour représenter à l'Assemblée nationale que les témoins ne peuvent être régulièrement entendus qu'à la barre. (Applaudissements à gauche.) C'est à la barre qu'il convient aux représentants du peuple d'entendre les témoins, c'est donc à la barre qu'ils doivent être entendus. Monsieur le Président, je vous prie de le mettre aux voix. (Applaudissements des tribunes.)

M. Boullanger. Avant que l'on ait fermé la discussion j'avais la parole, et je ne l'avais abandonnée que parce que l'Assemblée s'était décidée à renvoyer l'affaire devant un de ses comités, sans doute afin de punir celui de ses membres qui était en faute. Je crois, Messieurs, que stricteinent cette affaire n'est pas du ressort de l'Assemblée; il est constant qu'il y a eu une rixe entre 2 de nos collègues, il y a tout lieu de croire qu'il y a eu des voies de fait; c'est donc un delit, et si c'est un délit, il faut instruire, il faut entendre des témoins. Vous n'êtes ni jurés, ni juges qui puissent en connaître, il faut porter un jugement; je crois donc que cette affaire-là est du ressort des tribunaux. Je demande le renvoi devant les tribunaux.

M. Guadet. Messieurs, j'ai dénoncé à l'Assemblée un délit national. (Murmures à droite.) Plusieurs membres à droite: Est-ce un délit national?

M. Boisrot-de-Lacour, fils. Je demande si M. Guadet a pouvoir de M. Grangeneuve pour dénoncer le fait?

M. Guadet. Je vous prie, Monsieur le Président, de me maintenir la parole. Je suis, Messieurs, bien étonné d'entendre ici demander si c'est un délit national qu'un attentat commis envers un représentant du peuple. Si un citoyen avait porté des mains sacrilèges sur le roi des Français, délibéreriez-vous pour savoir si ce serait un délit national, et s'il y aurait lieu à un décret d'accusation contre celui qui se serait permis un tel excès? (Bruit à droite.) Eh bien, Messieurs, si je parle ici, comme je n'en doute pas, à des hommes qui ont le sentiment de leur dignité, de la puissance dont le peuple français les a investis, ils doivent convenir qu'ils sont les représentants du peuple comme le roi l'est luimême par la Constitution. Si donc vous ne délibérez pas dans le premier cas, dont j'ai parlé, comment pourriez-vous délibérer dans le second? Messieurs, toute la question se réduit ici à ce point. Est-ce un véritable attentat? est-ce un assassinat commis sur la personne d'un député? Je m'attendais bien qu'on descendrait dans des détails capables de faire envisager cette affaire comme une rixe particulière. Je demande que les témoins du fait que j'ai dénoncé, soient entendus, parce qu'il n'y a qu'eux qui puissent vous fixer sur la véritable nature du crime que vous avez à punir.

En ce qui me concerne, je dénonce que M. Grangeneuve sortait du comité de surveillance, avec quelques particuliers; que M. Jouneau qui l'attendait sur le chemin, l'en a écarté; qu'il l'a terrassé; et qu'il lui a donné des coups de bâton sur la tête. Voilà, Messieurs, les faits que je dénonce à l'Assemblée nationale, voilà les faits pour lesquels je demande vengeance, non pas au nom de M. Grangeneuve, mais au nom du peuple français.

Messieurs, ceux qui m'ont accusé d'avoir voulu donner à cette affaire une publicité qu'elle n'au

rait jamais dû acquérir, ignorent donc que déjà depuis hier au soir tout Paris était instruit (Bruit à droite.) de l'attentat commis sur la personne d'un de vos membres, et la sollicitude du peuple de Paris annonce assez, Messieurs, que vous n'avez ici aucun risque à courir, si, surtout, vous savez punir dans votre propre sein ceux qui se portent à des excès aussi coupables. Ils ignorent donc que j'ai eu peut-être moi-même le bonheur de préserver M. Jouneau de quelques excès que, dans le premier mouvement, le peuple aurait pu se permettre. (Murmures à droite.)

M. Foissey. Monsieur le Président, je vous invite, en vertu du décret qui a été rendu, à terminer une déclamation incendiaire, dont l'objet ne peut être que de faire assassiner M. Jouneau, et allumer la guerre civile.

M. Guadet. Messieurs, je m'entends accuser de vouloir et de chercher à exciter des troubles.

Un grand nombre de membres à droite: Oui, oui! (Murmures.)

M. Guadet. Si ceux-là veulent le trouble qui demandent l'exécution des lois, ceux-là veulent perdre la patrie qui demandent que des attentats nationaux soient vengés.

Plusieurs membres: Allons donc.

M. Guadet. Si c'est là vouloir le trouble, je me félicite d'avoir ces sentiments, et je saurai mourir, s'il le faut, pour les maintenir. Messieurs, je le répète, c'est un délit national que je vous dénonce; c'est un attentat envers la représentation du peuple. Déjà vous l'avez jugé ainsi envers le sieur Larivière, qui n'avait que momentanément suspendu la liberté de plusieurs de vos collègues. Je demande si celui qui a failli priver le peuple français d'un de ses représentants, doit être moins coupable à vos yeux. Or, Messieurs, votre marche est tracée par la loi; elle vous dit que dans tous les cas où le délit doit être poursuivi par l'Assemblée nationale, elle peut entendre les témoins à sa barre; et j'ose dire que c'est méconnaître la loi elle-même que de vouloir renvoyer à un de vos comités les interrogats à faire. (Applaudissements des tribunes et d'une partie de l'Assemblée.)

Plusieurs membres : C'est décrété!

Un membre: M. Guadet parle contre un décret; c'est insulter l'Assemblée.

Un membre: Je demande si, lorsque MM. Barnave et Cazalès se sont battus, on est venu entretenir l'Assemblée de cette querelle : les Lameth se sont battus, et jamais ils n'en ont rien dit à l'Assemblée.

M. Guadet descend de la tribune.

Un membre: Je demande que la discussion soit fermée; cela nous couvre d'infamie.

M. Jouneau, M. Guadet vous a dit que M. Grangeneuve, sortant du comité des pétitions, avait été rencontré par moi, qui avais passé par un chemin détourné après que je l'eus rencontré.

J'observe, Messieurs, que j'étais dans le comité avec M. Grangeneuve; M. le Président y était aussi, M. Fressenel et 5 ou 6 autres députés. J'ose attester ici que M. Grangeneuve sortit le premier, et que je ne fus pas pour l'attendre, comme l'on dit. (Murmures à gauche.) Je veux prouver que je n'ai pas été attendre M. Grangeneuve comme M. Guadet l'a dit. C'est cela seulement dont je voulais me justifier. Je n'entrerai point dans les explications que j'ai eues avec M. Gran

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geneuve, parce que ces détails ne peuvent pas être soumis à l'Assemblée. Mais je dois dire dans ce moment-ci, pour ma justification, que j'avais été insulté par M. Grangeneuve avant d'entrer au comité. Un membre que je ne connais pas, et qui est président au comité, me prit sous le bras tout de suite, et me dit : « Ne donnez point de suite à cela; laissez cela.» J'ai dit : Ce n'est pas le moment d'en parler à M. Grangeneuve. Il y a trop de monde. Certainement je ne lui en parlerai pas. » Nous entrâmes au comité. Ne s'y étant trouvé que 6 ou 7 députés, on décida que le rapport serait renvoyé à un autre jour. M. Grangeneuve sortit alors du comité. Je ne tardai pas à le suivre; mais je n'allai pas l'attendre, comme on l'a dit : nous passâmes par le même chemin. J'ose attester que je suivais ses pas. Lorsque nous fùmes arrivés à cette allée qui est en bas des murs, je tirai M. Grangeneuve en particulier. Je lui dis..... (Murmures.)

Je vous dis les choses que les témoins ne pourraient pas vous dire, parce qu'ils ne peuvent pas l'avoir entendu; mais je m'en rapporte assez à la véracité de M. Grangeneuve, pour croire qu'il ne les démentira pas.

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Je dis à M. Grangeneuve: «Monsieur, je voudrais vous dire un mot. » Nous nous mimes près du mur, et je lui dis : « J'espère que cette affaire ne finira pas comme l'autre, que nous avons eue ensemble. Que voulez-vous dire? - Je veux dire que celle-ci ne finira pas par une mauvaise plaisanterie; vous m'avez insulté publiquement; je suis sûr que vous êtes un galant homme. Oui, Monsieur. - Que vous êtes un brave homme.

Oui, Monsieur. Eh bien, Monsieur, j'espère, dans ce cas-là, que vous voudrez bien vous trouver demain au Bois de Boulogne, avec des pistolets.» (Murmures d'un côté.)

J'ai promis, Messieurs, de vous dire la vérité, de ne rien cacher, et dût cette vérité, me faire paraître encore plus coupable à vos yeux, je ne vous tairai rien. Messieurs, M. Grangeneuve me dit : « A quelle heure? A neuf heures, à moins que vous n'ayez une heure plus commode. Eh bien, Monsieur, soit, à neuf heures. Au Bois de Boulogne, n'est-ce pas? Oui, Monsieur. Avec des pistolets? Oui, Monsieur. Eh bien, Monsieur, je ne veux pas m'y trouver. » (Murmures.)

Alors je dis: «Comment est-il possible que vous me teniez ce langage; vous venez de me dire que vous étiez un galant homme; vous ne disconvenez pas que vous m'avez insulté d'une manière outrageante, et que vous l'avez fait publiquement; et actuellement, vous me refusez de me donner la satisfaction que des honnêtes gens se donnent entre eux? » M. Grangeneuve, en s'approchant très près de moi, rasa ma poitrine avec la sienne, me dit : « Non, Monsieur, je ne m'y trouverai pas, et je ne veux pas m'y trouver. >> Je supplie l'Assemblée de croire que je ne change ríen aux expressions de M. Grangeneuve.

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Non, Monsieur, dit-il, je ne veux pas m'y trouver, ni là, ni ailleurs. » Je lui dis: « Cette conduite n'est pas celle d'un galant homme, c'est celle d'un làche. Car, toutes les fois qu'un homme en insulte un autre, il a mauvaise grâce à lui dire qu'il ne lui rendra pas raison. - Et vous, Monsieur, me dit M. Grangeneuve, vous êtes un... » Je vous demande pardon, il s'est servi d'une expression aussi forte qu'il soit possible d'insulter un homme d'honneur. Je vous demande la permission de ne pas continuer.

M. Lamarque. Je viens réduire la question à son véritable point. Je ne dirai rien sur cet aveu, que vient de faire M. Jouneau, ni sur cette inorale qui fait consister l'honneur, c'est-à-dire, la vertu, dans l'art du spadassin; de cette morale, d'après laquelle tout homme qui ne va pas avec des pistolets au Bois de Boulogne, n'est point un brave homme (Quelques applaudissements des tribunes.); de cette morale d'après laquelle tous les intrigants, tous les scélérats qui vont au Bois de Boulogne avec des pistolets, sont des braves gens. (Applaudissements des tribunes.) Je ne dirai rien de cet honneur, qui est l'honneur de Coblentz. (Applaudissements des tribunes et à gauche.)

M. Lejosne. C'est l'honneur de la noblesse.

M. Lamarque. Je crois qu'il est, parmi les citoyens qui refusent les combats des spadassins, des hommes d'un vrai courage, d'une véritable fermeté, qui, sur le champ du véritable honneur, seraient plus stables et plus fermes que ceux qui parlent de ce faux honneur, et qui n'en ont présentement pas l'ombre.

Je reviens à la question: puisque l'Assemblée s'occupe de cette affaire, elle ne peut s'en occuper que comme exerçant un acte de discipline sur ses membres, ou comme prononçant comme juré d'accusation. Dans l'un ou dans l'autre cas, chacun des membres de l'Assemblée doit suspendre l'indignation qu'excitent les faits graves, les délits affreux qui ont été dénoncés à cette tribune. Ils doivent prononcer en juré. La dénonciation laisse entière la réputation de l'homme dénoncé. On ne sait point encore s'il est coupable. Nous ne devons point le présumer. Mais, si l'Assemblée nationale exerce ici un acte de discipline, il est incontestable que cela est étranger aux tribunaux. Tout le monde en convient. Mais, dit-on, c'est un délit; c'est un fait criminel; et pour les faits criminels, c'est aux tribunaux à en connaitre, ce n'est point à l'Assemblée nationale. Ceci est une très grande erreur. Vous l'avez déjà prouvé par le décret rendu au sujet du sieur Larivière. A moins qu'un membre de l'Assemblée nationale ne soit saisi en flagrant délit, il est absolument interdit à tous les tribunaux de connaître de toute plainte qui le concerne. (Murmures à gauche.)

M. Becquey. C'est faux; cela n'empêche pas l'instruction.

M. Lamarque. Voici la Constitution. Les représentants de la nation.

J'entends dire que ce n'est pas seulement pour flagrant délit mais, Messieurs, si vous décidez qu'un membre de l'Assemblée nationale, même lorsqu'il n'a pas été pris en flagrant délit, et sur le simple mandat d'arrêt, peut être déféré aux tribunaux; ou plutôt, si vous décidez qu'on peut décerner le mandat d'arrêt contre un membre de l'Assemblée nationale, même lorsqu'il n'aura pas été pris en flagrant délit, je vous le demande, que devient l'inviolabilité des membres de l'Assemblée? (Murmures à droite.)

M. Vergniaud. Je demande la parole pour un fait.

M. Lamarque. Ici le délit a été commis dans l'enceinte de l'Assemblée. Vous avez ordonné, par un premier décret, qu'un de vos comités vous ferait le rapport de cette affaire; mais sous ce point de vue j'ai l'honneur de vous observer que le comité n'a pas le droit d'entendre les témoins: par conséquent, même en mettant à exécution

le premier décret que vous venez de rendre, il faut de toute nécessité que les témoins soient entendus à la barre.

M. Barris fils. Si l'Assemblée veut descendre dans les détails scandaleux de cette affaire, je crois qu'il est du devoir de tous ses membres qui en ont été témoins, de lui en rendre compte. C'est donc, Messieurs, par principe d'honneur et de conscience que je me présente à la tribune pour vous dire qu'hier au soir sortant du comité des pétitions, le premier objet qui frappa notre vue fut un groupe de 6 ou 7 personnes, dans lequel étaient MM. Grangeneuve et Jouneau. Il me parut entendre M. Grangeneuve dire des injures à M. Jouneau; mais ce que je vis bien, Messieurs, ce fut des gestes menaçants et proVoquants de la part de M. Grangeneuve; et de la part de M. Jouneau un flegme, une tranquillité et une modération dont je ne pus m'empêcher de témoigner ma surprise à M. Vergniaud qui était avec moi.

M. Carnot-Feuleins le jeune. De quelque côté que j'envisage la question soumise à la délibération de l'Assemblée, je ne peux pas me dissimuler qu'il existe un délit, et un délit très grave. Sans doute, Messieurs, les principes ne doivent pas composer avec les préjugés, et lorsque M. Jouneau à cette tribune (sans doute dans le trouble où l'a jeté l'affaire dont on s'occupe dans ce moment), vous a dit qu'il avait provoqué en duel un de ses collègues; je pense qu'il ne s'est pas même souvenu de la manière dont cette affaire avait été traitée. Je n'envisage dans cette affaire ni la provocation d'un duel, ni un assassinat prémédité je n'y vois que la provocation d'un citoyen contre un autre, faite par des insultes, et repoussée par des voies de fait. Voilà tout ce qu'il est possible d'y voir, à un homme parfaitement impartial. (Applaudissements.) Mais cette affaire s'est passée dans votre enceinte entre deux députés de l'Assemblée nationale; mais cette affaire vous est dénoncée par un député à l'Assemblée nationale. Que devez-vous donc faire? Vous devez examiner la question; voir s'il y a provocation au duel ou assassinat prémédité; ou au contraire une simple rencontre et des propos insultants repoussés par des voies de fait. C'est de ce fait seul que doit dépendre votre détermination.

L'état de la question se réduit donc à savoir si c'est devant l'Assemblée nationale, ou devant ses comités, ou devant les tribunaux que l'information sera faite.

Je dis d'abord qu'il serait possible que vous la renvoyiez aux tribunaux ordinaires, car la Constitution vous en donne le droit; et la Constitution donne le droit aux tribunaux de décerner des mandats d'arrêt, pourvu qu'ils en instruisent à l'instant le Corps législatif. Ainsi, quand même vous n'auriez pas rendu de décret à cet égard, il serait possible qu'un des tribunaux de la capitale fût saisi de l'affaire ; il ne serait même pas étonnant qu'il y eût déjà des mandats d'arrêt décernés. (Murmures.)

Je ne dis pas que cela soit, mais je dis que cela pourrait être, je dis encore que cela devrait être.

Mais laissant de côté cette question, que les tribunaux ne peuvent pas connaitre de cette affaire parce qu'elle s'est passée dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, je passe aux deux propositions subséquentes.

Est-ce devant l'Assemblée ou devant ses co

mités que doit se faire l'information ? je pense que c'est devant l'Assemblée nationale. Il est urgent de prononcer sur cette affaire. En la renvoyant à un comité, vous ne feriez que prolonger la délibération' sans aucun fruit; car, que pourrait faire votre comité ? entendre des témoins que vous serez obligés d'entendre après eux, puisque vos comités n'ont point qualité pour entendre des témoins; l'Assemblée nationale a seule cette qualité. Je penserais donc à cet égard-là que le décret qui renvoie à un comité doit être rapporté, et qu'on devrait entendre les témoins à la barre.

Mais, Messieurs, dans mon opinion, je ne regarde ni comme provocation au duel, ni comme un assassinat prémédité, mais comme une simple rencontre, ce qui s'est passé hier entre nos deux collègues. (Murmures à gauche.) Tel est mon avis. Ainsi, d'après la persuasion où je suis que l'Assemblée doit être instruite de cette affaire, je demande que l'Assemblée nationale décrète que MM. Grangeneuve et Jouneau seront, l'un et l'autre, conduits à l'Abbaye, et y tiendront prison pendant 3 jours. (Murmures à gauche.) J'ai commis une erreur...

M. Guadet parle dans le bruit.

M. Isuard. Je demande que l'on rappelle à l'ordre M. Carnot, parce qu'il veut ici traiter cette affaire comme on l'aurait traitée au tribunal des maréchaux de France.

M. Carnot-Feuleins le jeune. Je reconnais que j'ai commis une erreur lorsque j'ai proposé que nos deux collègues fussent envoyés à l'Abbaye, ce n'était pas là mon intention. (Murmures dans les tribunes.)

M. Lejosne. Ecoutez un membre qui a le courage de se rétracter quand il a dit une sottise.

M. Ramond. Il faut instruire l'interlocuteur, que ce sont les tribunes qui ont murmuré.

M. Carnot-Feuleins le jeune. Les opinions exaltées de mes collègues, dans la circonstance, et que je suis bien loin de taxer de malveillance, n'empêcheront pas la liberté de mon opinion à cette tribune. Oui, lorsque j'ai proposé que nos deux collègues fussent envoyés à l'Abbaye, ce n'était point mon intention; j'ai demandé, où j'ai voulu demander que M. Jouneau, qui a repoussé par des voies de fait des injures, fut envoyé pendant 3 jours à l'Abbaye. Mais je voulais demander aussi que celui qui l'avait provoqué fut mis pendant 3 jours aux arrêts chez lui. (Bruit à gauche.)

Monsieur le Président. Si nous n'avons pas la liberté d'opinions, nous ne sommes pas les représentants du peuple. (Applaudissements.)

On a fait entendre dans cette Assemblée que mon opinion était calquée sur l'ancienne jurisprudence des tribunaux des maréchaux de France; et moi je crois, et j'en appelle à tous ceux qui connaissent le mécanisme de la loi des jurés, si mon opinion n'est pas calquée sur l'instruction des jurés.

Un membre: Ce n'est pas vrai !

M. Carnot-Feuleins le jeune. Lorsqu'un citoyen est provoqué, soit dans sa maison, soit dans une maison étrangère, soit dans les voies publiques par un autre citoyen, la défense légitime ne lui est-elle pas permise? La déclaration des droits ne lui assure-t-elle pas le droit de repousser l'offense? Quel est donc le membre de cette Assemblée, et surtout ceux qui ont

donné le plus d'appui à la liberté qui voulut dans cette provocation répondre d'être maître de ses premiers mouvements? Que s'agit-il donc de savoir ici? Si l'action de M. Jouneau a été faite de sang-froid. Qui doit juger dans le doute, si ce n'est pas un juré? Or, si dans la position où nous sommes, nous pouvons être et nous sommes le juré, c'est à nous à voir si l'action commise par M. Jouneau est l'effet du premier mouvement, ou si au contraire c'est une action préméditée. (Bruit à gauche.)

Un membre: Je déclare à l'Assemblée que j'ai été provoqué plusieurs fois dans cette salle, et que je ne l'ai pas déclaré à l'Assemblée, que cependant il y a 100 témoins dans l'Assemblée.......

M. Basire, jeune. M. Grangeneuve n'est point l'agresseur; que l'on envoie recevoir sa déclaration. Il est faux qu'il ait injurié M. Jouneau. (Bruit à droite.) C'est par une longue suite d'injures de M. Jouneau lui-même... (Bruit à droite.)

M. Carnot-Feuleins le jeune. Je demande qu'on entende sur-le-champ les témoins à la barre; mais en attendant que l'Assemblée nationalc soit instruite, et pour que cette affaire se termine aussi promptement que l'Assemblée nationale le désire, je demande que M. Jouneau soit envoyé 3 jours à l'Abbaye; (Murmures à gauche.) que M. Grangeneuve soit mis pendant le même temps aux arrêts chez lui.

M. Lasource. Il suffit de lire la loi pour déterminer l'Assemblée nationale. La loi porte expressément : « Le Corps législatif a le droit de police dans l'enceinte de ses séances, et dans l'enceinte extérieure qu'il aura déterminée? Qu'est-ce que c'est que la police? La loi elle-même l'a définie en disant que c'était l'action du gouvernement appliquée à l'ordre public. Or, la police dans l'Assemblée nationale est l'action de l'Assemblée nationale appliquée à l'ordre qui doit régner dans son sein. L'Assemblée nationale doit donc uniquement s'en tenir à des mesures de police; et quelles sont-elles? C'est d'abord de recevoir la dénonciation faite; c'est ensuite de constater les faits; et vous ne pouvez les constater que par l'audition des témoins, c'est ensuite sur la déposition des témoins, de prendre vis-à-vis du prévenu telle mesure qu'il paraîtra convenable.

Je pose ces principes pour réfuter M. Carnot; car la mesure qu'il vous a proposee serait une subversion de tous les principes; ce serait une mesure uniquement de discipline sur vos membres, mais ce ne serait point du tout une mesure de police; formalités que la Constitution distingue très soigneusement. Il ne s'agit donc point de prendre cette mesure avant que vous ayez su de quelle nature est l'action qu'on vous a dénoncée; si c'est simplement une faute par laquelle un membre a contrevenu à l'ordre qui devait régner dans l'Assemblée, ou au respect qui lui est dù, alors c'est le cas de la discipline; mais si c'est un fait criminel, mais si c'est un attentat qui doive être frappé du glaive de la loi, alors il ne s'agit plus de prendre une mesure de discipline, mais il s'agit de prendre la mesure de police, qui consiste dans l'audition des témoins; ainsi donc vous préjugeriez la question, vous feriez envisager l'attentat de M. Jouneau comme une simple faute d'indiscipline, comme on vient de vous le proposer.

Or, je vois dans cet attentat un crime bien caractérisé. (Murmures à droite.) Je ne veux point considérer la question sous ce dernier rapport; mais après l'exposition des principes constitutionnels,

puisque l'Assemblée ne juge point à propos de juger le fond dans ce moment, je demande que les témoins soient entendus. (Applaudissements.)

M. Bigot de Préameneu. On vous a dénoncé d'une part un crime; de l'autre on vous a dit qu'il y avait des voies de fait, et qu'elles présentaient des idées d'un assassinat prémédité. On vous a dit qu'il y avait provocation; que d'une part une injure très grave avait été faite, et de l'autre on avait passé aux voies de fait; de là, Messieurs, résultent trois degrés différents de culpabilité. Y a-t-il assassinat? y a-t-il violence criminelle? y a-t-il simple provocation? J'examinerai d'abord le cas de la provocation. (Murmures à gauche.)

Un membre: Monsieur le président, imposez silence à ceux qui insultent sans cesse les membres de l'Assemblée.

M. Marant. La première qualité de l'Assemblée est de rester dans le calme, de juger avec impartialité et d'entendre tous les membres qui veulent parler.

M. Couthon. Messieurs, il n'est pas ici question..... (Murmures.)

Plusieurs membres: Vous n'avez pas la parole. La clôture! (Bruit.)

D'autres membres: Nous demandons, au con traire, la continuation de la discussion.

(L'Assemblée décrète que M. Bigot continuera son opinion.)

Plusieurs membres: Vous avez surpris ce décret.

M. le Président. Le décret est rendu et je le maintiendrai.

Un membre: On ne peut pas discuter sur des faits qui ne sont pas connus.

M. Bigot de Préameneu. Je dis qu'il n'est personne qui n'ait été convaincu dans son impartialité, qu'il est un degré d'injures atroces auquel il est impossible qu'un mouvement de... (Bruit d'un côté.)

M. Saladin. Je demande la parole. (Grand bruit.)

M. Bigot de Préameneu. Je disais à l'Assemblée que s'il y eût eu, d'une part, une provocation d'injures atroces, et de l'autre un mouvement qu'on n'eût pu contenir, ce fait serait alors dans le cas de la police correctionnelle de l'Assemblée; dans les deux autres hypothèses, ce serait un crime. Je crois, Messieurs, qu'il n'est aucun de nous qui ne préfère que, dans des dénonciations, la vérité soit le moindre délit; il n'y personne qui, avec impartialité, ne doive être pénétré de ce sentiment-là. Eh bien, si vous entendez dans ce moment des témoins à la barre, vous donnez l'appareil d'une procédure criminelle, et jamais il n'y a eu d'exemple dans aucune assemblée quelconque que, lorsqu'il s'agit d'une correction fraternelle, on ait entendu les témoins à la barre. Commencez par nommer des commissaires. (Murmures à gauche.) Si vos commissaires vous déclarent que le fait est susceptible d'être poursuivi criminellement, c'est alors que la loi vous indique d'entendre des témoins à la barre. Je crois donc qu'il convient de maintenir le décret qui renvoie au comité, et de lui ordonner de faire le rapport le plus promptement possible.

M. Conthon. Puisque toutes les preuves ne sont pas acquises, il s'agit d'examiner seulement

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