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(L'Assemblée renvoie ces pièces au comité des décrets.)

10° Lettre de M. Duranthon, ministre par intérim des contributions publiques, accompagnant un mémoire de l'administration des ponts et chaussés, qui a pour objet d'être autorisé à acquérir une maison sise à Cherbourg, dont la démolition entre dans les travaux du port.

(L'Assemblée renvoie cette lettre et ce mémoire au comité de la marine.)

Une députation de la section de la Fontaine Montmorency est admise à la barre.

L'orateur de la députation présente 6 de ses concitoyens qui vont à la frontière prendre la place de ceux de leur section qui sont tombés pour la patrie. (Applaudissements.) Il donne lecture d'une adresse et d'un arrêté de cette section, qui contiennent une protestation contre la pétition présentée à l'Assemblée pour la révocation de son décret relatif au camp de 20,000 hommes. Il demande que l'Assemblée décrète que les citoyens seront tenus de faire leur service de garde national en personne. Il annonce enfin qu'il partage la douleur de tous les bons citoyens sur la mort de M. Gouvion, et s'associe aux regrets que l'Assemblée a donnés aux ministres renvoyés. (Applaudissements.)

M. le Président répond à la députation et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie la pétition aux comités de législation et de surveillance réunis et au comité militaire.)

M. Chéron-La-Bruyère. L'Assemblée a 2 fois renvoyé au comité la motion que j'ai faite que tous les citoyens montassent en personne leur garde. J'insiste sur cette motion, et je prie Monsieur le Président de la mettre sur-le-champ aux voix.

(L'Assemblée ne statue pas.)

Le sieur Lefebvre, receveur du districi de Gournay, département de la Seine-Inférieure, est admis à la barre. Il fait hommage, pour subvenir aux frais de la guerre, d'une somme de 300 livres, provenant de son traitement actuel, et d'un quart de son ancien traitement en qualité de percepteur de l'impôt de la gabelle. Il offre cette somme comme une expiation de ces dernières fonctions, et se plaint de ce que le directoire exige, sous peine de déplacement, qu'il présente un cautionnement en immeubles situés dans l'étendue du département.

M. le Président accorde à M. Lefebvre les honneurs de la séance.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal, dont un extrait sera remis au donateur, puis elle renvoie sa pétition au comité de l'ordinaire des finances.

Une députation des amis de la Constitution de Rouen est admise à la barre.

L'orateur de la députation s'exprime ainsi :

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« Les citoyens qui nous envoient vers vous, Messieurs, savent combien vos moments sont précieux, et sont loin de vouloir les ravir à la patrie. Cependant ils nous ont enjoint de ne point nous retirer de cette auguste enceinte sans vous

assurer:

« Qu'ils garderont éternellement le souvenir de vos travaux et de vos vertus;

« Qu'ils n'oublieront jamais que, par de courageux efforts, et en restant nuit et jour à son gouvernail, vous venez de sauver le vaisseau de Ï'Etat, de la tempête horrible qui le menaçait de toutes parts;

« Qu'ils regardent le décret par lequel vous ordonnez la levée de 20,000 patriotes, pour former un camp à quelque distance de Paris, comme un puissant moyen d'assurer la tranquillité de cette capitale, et d'étouffer les coupables espérances de ceux qui se flattent de voir s'anéantir notre sainte Constitution, au milieu des troubles d'une guerre civile. Loin de pouvoir donner de l'ombrage ou des inquiétudes à cette brave et infatigable garde parisienne, qui, depuis la Révolution, n'a cessé de bien mériter de la patrie, une armée fidèle, sous les murs de Paris, ne doit servir qu'à resserrer de plus en plus les liens avec les gardes nationales de l'Empire.

"

Oui, Messieurs, vos sages décrets et nos communs efforts assureront bientôt le triomphe de cette Constitution sublime, pour le maintien de laquelle nous renouvelons tous le serment de vivre libre ou de mourir.» (Applaudissements.)

M. le Président répond à la députation et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements, et décrète la mention honorable et l'insertion de cette pétition au procès-verbal, dont un extrait sera remis à la députation.)

Une députation de la section de la Bibliothèque et du bataillon des Filles-Saint-Thomas est admise à la barre.

L'orateur de la députation donne lecture de l'adresse suivante (1):

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« Législateurs,

Le brave Gouvion est mort, la patrie, la liberté, la Constitution, perdent un appui, les malheureux un bienfaiteur; nous lui destinions des lauriers, sa mort les change en cyprès, nous espérions célébrer ses victoires, nous sommes réduits à pleurer sa perte.

« Les citoyens de la section de la Bibliothèque et ceux qui composent le bataillon des FillesSaint-Thomas, ont un motif de plus pour le regretter, il a servi avec eux en qualité de fusilier, depuis qu'il a cessé d'être major général de la garde nationale parisienne jusqu'au moment où il a quitté l'Assemblée législative pour se rendre à l'armée.

« Ces citoyens, pour honorer la mémoire de ce brave général, de ce vertueux camarade, feront célébrer lundi prochain, à 9 heures du matin, un service dans l'église Saint-Augustin. Législateurs, permettez que ces citoyens vous supplient de nommer une députation pour assister à ce douloureux hommage.

"

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Signé G. TASSIN, BEVARD, PARIZOT, C. BOSQUE, ANGIBAULT. »

(1) Archives nationales, Carton 152, dossier n° 270. 15

M. le Président. L'Assemblée nationale partage vos sentiments de douleur et vous accorde les honneurs de la séance.

M. Mayerne. Je convertis en motion la proposition des pétitionnaires.

M. Mathieu Dumas. Je demande que la députation soit de 24 membres, comme pour les convois.

M. Chéron-La-Bruyère. Je demande qu'elle soit de 48; ce n'est pas là un convoi ordinaire. M. le Président. Je consulte l'Assemblée. (L'Assemblée décrète qu'une députation de 24 membres assistera au service célébré en l'église Saint-Augustin pour honorer la mémoire du général Gouvion.)

M. Emmery. Les amis de la Constitution de Dunkerque offrent 605 livres en assignats.

M. Bousquet. Les amis de la Constitution d'Agde donnent à la patrie 1,101 liv. 10 s., dont 29 liv. 9 s. eu espèces. Ils annoncent à l'Assemblée que, dans leurs séances publiques, ils inspirent à leurs concitoyens le respect pour les propriétés, l'amour de la liberté et de l'égalité, la soumission aux lois et aux autorités constituées et que, par leurs soins et leurs exemples, les lois sont exécutées dans leur canton, les contributions y sont acquittées et que tous leurs concitoyens sont prêts à voler où le besoin de la patrie les appellera. Je demande qu'il soit fait mention honorable de cette adresse dans le procès-verbal.

(L'Assemblée accepte ces deux offrandes avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal, dont un extrait sera remis aux deux municipalités. En ce qui concerne les amis de la Constitution d'Agde, elle décrète, en outre, qu'il sera fait mention honorable de leur adresse dans le procès-verbal.)

M. Gaston, Le corps municipal de la ville de Foix, département de l'Ariège, m'a chargé de déposer sur l'autel de la patrie un don de 400 livres en assignats. Il envoie également l'état du payement des contributions de l'année 1791, duquel il résulte que, sur 33,351 livres de leur moutant, 24,196 livres ont été versées dans la caisse du receveur du district.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements, et décrète qu'il en sera fait mention honorable dans le procèsverbal, ainsi que du civisme de cette municipalité. Un extrait en sera remis au corps municipal de Foix.

Un de MM. les secrétaires donne lecture des lettres suivantes contenant des dons patriotiques :

1o Lettre du sieur Jacques Delacroix, apothicaire et soldat-citoyen de Puris, qui proteste contre la signature qu'on lui a surprise contre le décret, et envoie 60 livres en assignats dont 10 au nom du sieur Saint-Léger, son pensionnaire, pour l'équipement d'un citoyen du camp de 20,000 hommes, qu'il s'engage à nourrir et à blanchir.

2o Lettre du sieur Sauvegrain, grenadier du bataillon du petit Saint-Antoine, qui offre 36 livres en espèces, et retracte également la signature qu il a apposée au bas de la pétition faite contre le rassemblement de 20,000 hommes.

M. Jean Debry. Je déclare et aucun de ceux qui sont ici et qui ont voté le décret des

20,000 hommes ne me démentira pas, que jamais nous n'avons eu l'intention de priver la brave garde nationale parisienne de ses armes et de ses canons. (Murmures.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour !

3° Lettre du sieur Robert, marchand boucher de Rouen, qui fait don de sa lettre de maîtrise, d'un capital de 75 livres.

(L'Assemblée accepte ces offrandes avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal dont un extrait sera remis aux donateurs.)

M. LOUVET, député des amis de la Constitution de la ville de Chaumont, est admis à la barre. Il s'exprime ainsi :

Législateurs,

<< Ceux qui m'ont envoyé vers vous pour protester dans le temple de la loi de leur dévouement à notre sainte Constitution, m'ont chargé de vous exprimer quels sont leurs sentiments inspirer le respect aux autorités constituées; démontrer la nécessité d'acquitter exactement les contributions publiques; donner l'exemple de ce devoir sacré; préférer à un honteux esclavage la mort la plus cruelle. Voilà ce qu'ils ont juré. Ils tiendront leur serment; leurs bras sont à la patrie et en attendant l'heureux moment de les employer, ils déposent la faible somme de 24 livres en or, 25 livres en espèces et 250 livres en assignats, pour subvenir aux frais de la guerre déclarée aux tyrans, ennemis de l'égalité.

M. le Président répond à M. Louvet et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements et décrète la mention honorable et l'insertion de cette adresse au procèsverbal, dont un extrait sera remis à M. Louvet pour les amis de la Constitution de la ville de Chaumont.)

M. le Président. Voici, Messieurs, le résultat du scrutin pour la nomination des commissaires chargés d'examiner les comptes des ministres de la guerre (1):

Membres MM. Crublier d'Optère.
Cambon fils aîné.

Delacroix.

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1

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En conséquence, je les proclame secrétaires. M. le Président. M. Guadet a la parole.

M. Guadet. Avant d'énoncer à l'Assemblée le fait sur lequel j'ai demandé la parole, j'offre à l'Assemblée nationale le don patriotique de 24 livres en or de M. Marquant, citoyen de Bordeaux.

J'appelle l'attention de l'Assemblée nationale sur un très grave attentat commis contre l'un de ses membres. Depuis longtemps des listes de proscription se répandent dans la ville de Paris; depuis longtemps quelques patriotes sont désignés au fer des assassins; les représentants du peuple ne devaient pas s'attendre sans doute que ces assassins se trouveraient parmi eux. Cependant, c'est ce qui est arrivé hier au soir à 9 heures, M. Grangeneuve a été assassiné par M. Jouneau. Plusieurs membres : C'est faux! D'autres membres : Est-il mort? (M. Calvet monte à la tribune.) Plusieurs membres: A bas! à bas!

M. Calvet. Je n'étais monté à la tribune que pour demander la parole après M. Guadet.

M. Guadet. J'atteste à l'Assemblée que M. Calvet ne s'est approché que pour me dire qu'il demandait la parole après moi. J'ai entendu demander si M. Grangeneuve était mort. Non, Messieurs, il n'est pas mort, mais ce n'est pas la faute de l'assassin. (Bruit.)

J'ai dit qu'hier au soir à 9 heures et demie, M. Grangeneuve a été assassiné par M. Jouneau. Je ne vous dirai point quelles sont les circonstances de cet assassinat. Les témoins que vous entendrez, j'espère, à cette barre les mettront sous vos yeux. Je me bornerai seulement à vous dire premièrement que M. Grangeneuve sortait du comité des pétitions où il était réuni avec quelques-uns de ses collègues à l'occasion de l'affaire d'Arles dont il est rapporteur, qu'il sortait du comité sans avoir pu entretenir ses collègues de cette affaire, et qu'il s'en allait chez lui, après avoir pris les papiers sous le bras, par l'une des allées qui conduisent à l'allée couverte des Feuillants. M. Jouneau coupa son chemin et le rencontra sur le bord de l'allée. Alors M. Grangeneuve était en compagnie de deux particuliers qui s'étaient réunis à lui.

M. Jouneau, sentant bien qu'il ne pouvait pas exécuter son projet, tant que M. Grangeneuve serait réuni à deux particuliers, l'attire à lui avec l'air de l'amitié, en lui disant: « M. Grangeneuve, j'aurais à vous parler. Alors, et par discretion, les deux particuliers qui l'accompagnaient s'éloignèrent et prirent un chemin inverse. Mais bientot après, attirés par les cris de M. Grangeneuve qui criait à l'assassin, ils revinrent sur lui, le trouvèrent terrassé, faisant quelques efforts pour se relever. Ils coururent après celui qui venait de l'assassiner ainsi. Ils le saisirent à l'une des portes qui entrent dans les couloirs de la salle. La gendarmerie nationale et la garde nationale s'emparèrent de M. Jouneau; mais sur les observations de quelques-uns de nos collègues, qui étaient accourus aussi aux cris de M. Grangeneuve, sur ces observations, dis-je, que M. Jouneau était inviolable, et qu'on ne pouvait pas l'arrêter,

quoiqu'il fût saisi en flagrant délit, la gendarmerie nationale crut faire son devoir eu relâchant M. Jouneau.

Voilà les circonstances qui m'ont été attestées par les deux témoins qui étaient de la compagnie de M. Grangeneuve, et par quelques personnes qui purent aussi voir ce qui se passa. Je vous observerai encore que M. Grangeneuve a été souvent provoqué par M. Jouneau, sans qu'il pût y avoir de la part de celui-ci d'autres motifs que le dissentiment de leurs opinions sur l'affaire d'Arles; c'est-à-dire, parce que M. Grangeneuve regardait comme contre-révolutionnaires ceux des habitants de la ville d'Arles qui avaient mis cette ville en état de rébellion ouverte, et qu'au contraire, M. Jouneau prenait ou sem lait prendre un grand intérêt à ceux que M. Grangeneuve regardait comme des rebelles. M. Grangeneuve n'a jamais répondu aux provocations. Connaissant sa dignite, fidèle à ses devoirs, sachant bien que le département qui l'a nominé pour être le représentant du peuple français, ne l'a pas envoyé ici pour s'exercer dans l'art de l'escrime, mais bien pour défendre la Constitution et la liberté contre tous les ennemis qui cherchent à lui porter atteinte.

Messieurs, je demande vengeance de cet attentat, non pas au nom de M. Grangeneuve, mais je le demande au nom du peuple français.

Plusieurs membres : Oui, oui! (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Guadet. Je le demande au nom du peuple français, dont la représentation a été compromise; si le peu le français doit perdre ses représentants, faites au moins que ce ne soit pas par des assassins; faites surtout une justice d'autant plus éclatante que la représentation du peuple a été violée par celui-là même qui devait le plus la respecter. Je demande que surle-champ MM. Barbaroux et Jacquiet, députés extraordinaires de la ville d'Arles, Coudernet, volontaire national, rue Sainte-Croix-la-Bretonnière, no 61, M. Douet, lieutenant du bataillon des Blancs-Manteaux, et M. Saint-Huruge. (Murmures.) soient entendus à la barre comme témoins.

M. Lameth. Je demande qu'avant d'entendre les témoins, on entende M. Jouneau.

M. Lejosne. Je demande que vous envoyiez un huissier chez M. Jouneau, pour l'inviter à se rendre à son poste.

Plusieurs membres: Mandé, mandé.

M. Rühl. Oui, mandé à la barre. (Murmures.)

M. Calvet. Je n'aurais jamais pensé qu'on vint distraire l'Assemblée de ses importantes fonctions, pour s'occuper d'un fait particulier dont j'ai été témoin, et que j'ai bien vu. Ce n'était qu'une rixe particulière entre deux députés hors de leurs fonctions. Ils étaient dans la classe et dans la catégorie des autres citoyens. Mais puisque l'on veut en faire une affaire générale et publique, je vais dire ce que j'ai vu.

J'étais hier, à 8 heures du soir, avec deux messieurs et un chevalier de Saint-Louis, qui a une affaire au comité militaire. (Murmures.) Si vous voulez entendre ceux qui n'ont pas vu, et ne pas entendre ceux qui ont vu, certai nement vous ne saurez pas la vérité.

A 8 heures je fus joint par M. Becquey et un monsieur de Bordeaux, dont je ne sais pas le nom. Nous causâmes longtemps d'abord sur l'affaire qui concernait l'officier. Tout à coup,

j'entends la voix de M. Grangeneuve, qui criait : à l'assassin. Par un mouvement spontané, j'accours, j'abandonne les deux personnes avec qui j'étais, et je vole à M. Grangeneuve, dont je ne reconnais que la voix, parce qu'il faisait sombre dans ce moment-là.

J'ai vu M. Grangeneuve qui criait: on m'assassine, avec deux particuliers et un autre que je ne connaissais pas, parce qu'on lui cachait la figure avec les poings. Je me suis mis entre M. Grangeneuve et le particulier; mon habit même était tout couvert de poudre, parce que je saisissais les deux messieurs par la tête. Le particulier qui avait la figure cachée par les poings de M. Grangeneuve et des deux acolytes de M. Grangeneuve, ce particulier, c'était M. Jouneau qui se débattait, et voulait sortir des mains de 3 personnes qui le tenaient. Je dis à M. Grangeneuve: qui est-ce qui vous assassine mon cher Grangeneuve ? Au même instant on sépara les combattants. Oh ciel! m'écriai-je, c'est-vous, mon cher Jouneau, que je ne reconnus qu'alors!... Ma position était cruelle; je me trouvais entre deux de mes collègues, dont l'un disait être assassiné par l'autre.

Alors, quelque chose d'infiniment plus sérieux vint me distraire: j'aperçus cinq ou six particuliers, dont je ne connais que M. Saint-Huruge, qui criaient dans les corridors des Feuillants: On assassine les députés patriotes; ce sont les gueux de Feuillants qui les assassinent. J'ai dit à M. SaintHuruge vous me connaissez et je vous connais aussi, pourquoi criez-vous et faites-vous un esclandre, vous savez l'intérêt qu'inspirent les députés, M. Grangeneuve est bien fait pour l'inspirer; mais je vous en prie, ensevelissons cette affaire-là, qui n'est qu'une affaire particulière. (Murmures à gauche.)

En voulant empêcher une guerre civile, si j'ai failli, punissez-moi; mais j'ai fait, avec M. Thuriot et plusieurs autres, des efforts impuissants pour empêcher les sept ou huit quidams de crier, d'exciter le feu dans tout Paris; je leur ai même dit qu'ils étaient de mauvais citoyens; je leur ai dit qu'il n'y avait que des aristocrates qui pouvaient donner de la publicité à une scène scandaleuse entre deux députés; et je le répète encore, il n'y a que Coblentz qui puisse se réjouir de cette affaire. Je suis étonné que M. Guadet. qui, je crois, est patriote, soit venu dénoncer cette affaire-là ici (Murmures violents à gauche.); elle aurait dû être ensevelie dans les ténèbres. (Bruit.)

M. Gnadet. Est-il plus simple de se laisser assassiner?

M. Dumas. Je demande que M. Calvet soit entendu avec autant de silence que l'a été M. Guadet.

M. Hua. J'observe qu'il ne s'agit pas de vengeance, mais de justice, et que la justice s'exerce par les tribunaux. Il est honteux qu'on occupe l'Assemblée nationale de pareilles choses. Ce n'est qu'un moyen d'exalter le peuple. (Bruit.)

M. Calvet. J'ai donc fait des efforts impuissants avec M. Cazes et M. Thuriot à qui je dois rendre justice et qui a été de mon avis, qu'il fallait assoupir cette affaire. Nous avons fait des efforts impuissants, et je me suis retiré, parce que je ne pouvais réussir. Voyant que M. Bel'égarde, quí etait venu se joindre à nous, mettait encore plus le feu dans cette affaire, je lui en fis le reproche publiquement. Il ne

s'est pas conduit comme il devait le faire. (Murmures.)

M. Delacroix parle dans le bruit.

M. Calvet. Je récuse le témoignage de M. SaintHuruge, et j'interpelle M. Thuriot. «M. Thuriot, je vous interpelle de dire si M. Saint-Huruge peut avoir vu comme vous et moi. » Quant aux autres citoyens je ne récuse pas leur témoignage, je ne les connais pas.

M. Fressenel. J'arrive à cette tribune, vivement pénétré de regret, tout à la fois, d'avoir été presque le témoin de cette scène vraiment affligeante qui s'est passée entre deux de nos collègues, et du regret de ne pouvoir pas aujourd'hui l'ensevelir dans le plus sombre oubli, du regret peut-être, j'ose le dire, de la voir s'envenimer par des couleurs qui sont étrangères aux vraies circonstances de cette affaire, quelque désolante, quelque affligeante qu'elle puisse être.

Hier je me rendais au comité de pétitions où trois comités étaient réunis pour l'examen de l'affaire d'Arles. Je ne m'approchai pas d'un groupe où je distinguai très bien MM. Grangeneuve et Jouneau, en sorte que je ne sais point ce qui s'y est passé, sinon par ouï-dire, et par les plaintes que j'ai entendu faire à M. Jouneau contre M. Grangeneuve qui, selon que le répétait M. Jouneau, et selon que cela me paraît constant d'après tout ce que j'ai entendu, avait injurié M. Jouneau, s'était même servi d'un mot que je ne répéterai pas, mais que M. Jouneau pouvait bien prendre pour une injure grave.

Jusque-là je ne vis pas que l'affaire dût avoir d'autres suites. Je me rendis au comité, ces deux messieurs y étaient; nous ne nous trouvâmes pas en nombre suffisant pour nous occuper de l'affaire d'Arles. Nous fùmes donc obligés de nous séparer, et je crois qu'il était alors neuf heures ou neuf heures et demie. Je sortais avec un de mes collègues, dont je ne me rappelle pas le nom, tant l'émotion que me causa la suite de cette affaire me troubla. J'étais éloigné de deux personnes auprès desquelles paraissaient être deux autres personnes que je ne connaissais pas. J'entendis M. Grangeneuve crier: On m'assassine, à la garde! arrêtez ! je criai moi-même, arrêtez! arrêtez ces messieurs! Enfin j'arrivai au groupe et je trouvai M. Jouneau et M. Grangeneuve avec deux messieurs qui étaient à une certaine distance de ces premiers. L'un est, je crois, M. Barbaroux, qui vient d'être nommé par M. Guadet, et que je connais pour l'avoir vu au comité. Là, je trouvai M. Jouneau aux prises avec M. Grangeneuve, et je me rappelle très bien que pour les séparer, je me saisis de M. Grangeneuve. Il vint beaucoup de monde du café. M. Saint-Huruge et autres, qui, j'ose le dire comme M. Calvet, firent, je crois, trop de bruit; mais enfin ils furent effrayés du danger qu'avait couru un député, et ce bruit est peut-être pardonnable. On parvint, à l'aide de la gendarmerie, de la garde nationale et de plusieurs députés, à séparer ces messieurs, et je ne sais où ils passèrent. Je me retirais avec un de mes collègues, et nous étions déjà très éloignés du lieu de la scène, lorsqu'on nous dit que le bruit recommençait. Nous revinmes encore pour apporter les hold, et séparer ces messieurs, s'il y avait lieu encore à quelque rixe. Nous ne trouvâmes plus personne, tout était tranquille. Je n'en sais pas davantage.

M. Dubois de Bellegarde. Je me trouvai

geneuve, mon ami, avait été assassiné. Il n'y a aucun de nous, Messieurs, qui n'ait été affecté de ça. Je trouvai sur ces entrefaites, M. Jouneau, qui était avec M. Calvet. Il est vrai que je me portai à dire des propos fort durs à M. Jouneau, en ce qu'il était scandaleux qu'un député, qu'un représentant du peuple se portât jamais à l'extrémité de porter les mains sur un de ses collègues. Voilà, Messieurs, à peu près ce que j'ai dit.

Un membre: Comme membre des comités réunis qui devaient préparer hier au soir le rapport de l'affaire d'Arles, je me rendis au comité vers les huit heures et demie du soir; je n'y trouvai personne, mais on me dit que M. le rapporteur était avec plusieurs de ses collègues dans l'allée des Feuillants à attendre une plus grande réunion; j'y descendis. Je vis un groupe dont je m'approchai, aussitôt j'entendis M. Grangeneuve tenir un propos de défi à M. Jouneau. Il paraissait que M. Jouneau lui avait fait auparavant quelque menace, et à l'instant je vis un mouvement de M. Jouneau, qui marquait qu'il allait tomber sur M. Grangeneuve ; je le saisis aussitôt au bras. Il voulut bien se mettre à l'écart avec moi, et je lui tins le langage le plus propre à le modérer. M. Jouneau parut prendre plaisir qu'on s'employât à les calmer; M. Lacuée et M. Coustard vinrent aussitôt nous rejoindre, et il me parut que M. Jouneau s'apaisait. Cependant il se plaignit que M. Grangeneuve l'avait provoqué par des propos dans plusieurs circonstances, et lorsque nous comptions que l'affaire était parfaitement arrangée, nous nous séparâmes de MM. Lacuée et Coustard, M. Jouneau et moi, pour nous rendre au comité. J'ai pourtant, Messieurs, le regret de vous dire qu'au même moment où nous nous en allions, M. Jouneau nous laissa comprendre que l'affaire n'était pas finie, et qu'il aurait quelque prise avec M. Grangeneuve. Nous revinmes au comité où nous ne trouvâmes pas un assez grand nombre de membres pour nous occuper du rapport; et après avoir resté quelques instants pour attendre s'il en arriverait d'autres, nous nous ajournâmes à samedi soir. Ce fut sur la proposition de M. Jouneau lui-même. La séance se passa très décemment entre MM. Grangeneuve et Jouneau. Je me retirai par la grande allée des Feuillants; je vis que M. Grangeneuve me suivait, accompagné de 2 Arlésiens qui devaient être présents à la discussion. Je vis M. Jouneau les suivre. Quand je fus arrivé près la porte des corridors de l'Assemblée, j'entendis au bout de l'allée des Feuillants un éclat qui me parut être un coup donné à plat de main sur le visage. (Rires et murmures.)

M. Lasource. Je ne conçois pas comment on peut rire d'un récit aussi affligeant.

Le même membre: Je dis, Messieurs, que comme je rentrais dans le corridor, j'entendis un éclat qui me parut être un coup donné à plat de main sur un visage quelconque. Je m'arrêtai, croyant bien que ce pouvait être l'exécution de la menace que M. Jouneau avait faite à l'égard de M. Grangeneuve. Je vis M. Jouneau courir le plus qu'il lui était possible dans l'allée ouverte, s'avançant de mon côté, et j'entendis la voix de M. Grangeneuve qui criait à la garde! qu'on arrête cet homme! c'est un assassin! Mais à peine M. Jouneau était-il arrivé à la cour, vis-à-vis le libraire, qu'entendant crier après lui, à l'assassin! à la garde! il se replie vers M. Grangeneuve, l'accroche de nouveau, le précipite contre la

palissade du jardin des Feuillants. Alors je m'approchai pour m'empresser de les séparer; mais je fus prévenu par un groupe qui sortit du café, et qui s'employa à les séparer. J'appelai moimême la gendarmerie nationale pour les séparer aussi.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Lacuée. Il est infiniment pénible de voir les représentants du peuple français, dans un moment tel que celui où se trouve l'Etat, perdre en des objets particuliers, un temps qu'ils doivent à la chose publique. Pour ménager vos moments je dois vous rendre compte des faits dont j'ai été le témoin.

Hier, vers les 7 heures et demie ou 8 heures du soir, je me rendais à mon comité : je trouvai dans la grande allée plusieurs députés réunis avec d'autres députés étrangers. Je m'approchai d'eux. Nous causâmes fort indifféremment. Ces messieurs allaient à leur comité pour l'affaire d'Arles. Ils n'étaient pas assez nombreux; l'affaire était ajournée. MM. Jouneau et Grangeneuve étaient d'avis différents. Il s'agissait de savoir si le directoire avait ou non bien fait d'abandonner son poste? L'un prétendait qu'il devait mourir là; l'autre prétendait que lorsque la force vient, un fonctionnaire public qui ne peut l'empêcher pouvait se retirer. Sur cette question les esprits s'échauffèrent : chacun partageait les opinions suivant sa manière particulière de voir. Les opinions s'échauffèrent. M. Grangeneuve (je dois un hommage à la vérité) tint à M. Jouneau des propos bien violents.

Un membre: Dites-les!

D'autres membres : Non, non !

M. Lacuée. Alors, dans le moment, je me jetai entre ces 2 messieurs; j'entraînai M. Grangeneuve d'un côté, pendant que quelques autres personnes entraînaient M. Jouneau. Je tâchai de ramener l'esprit de M. Grangeneuve en lui faisant sentir que je croyais qu'il avait eu tort de tenir de pareils propos.

Quelques instants après on vint dire à M. Grangeneuve qu'il y avait assez de monde dans le comité. M. Grangeneuve s'y rendit. Je n'en ai pas su davantage. Ainsi qu'on l'a dit, M. Jouneau me parut très aigri, et il dit qu'il voulait de M. Grangeneuve une explication des propos qu'il avait tenus. Voilà les faits. Je n'entre pas dans l'affaire entre M. Jouneau et M. Grangeneuve, c'est leur affaire particulière; mais il y a des voies de fait; ces messieurs doivent, pour leur affaire litigieuse, se retirer par devers quel tribunal ils jugeront convenable; mais comme M. Jouneau est coupable de voies de fait, je demande qu'il soit condamné à 3 jours d'Abbaye.

M. Basire. Je ne crois pas que l'Assemblée nationale puisse passer à l'ordre du jour, et nous faire rentrer aussi inutilement dans l'ordre naturel. Je suis bien loin de partager l'opinion de ceux qui ont osé dire à cette tribune qu'il faut être aristocrate pour crier quand on assassine un député. Je suis bien loin de partager l'opinion de ceux qui pensent qu'une assertion d'un membre qui dit avoir été insulté par M. Grangeneuve suffit dans cette affaire, et encore moins que dans le cas où il aurait été injurié, cette injure eut autorisé des procédés aussi atroces que ceux que M. Jouneau s'est permis. Je suis loin de penser comme ceux qui veulent qu'on traite aussi légèrement une chose qui tient aussi essentiellement à la liberté pu

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