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ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du samedi 9 juin 1792, au soir. PRÉSIDENCE DE M. LEMONTEY, ex-président. La séance est ouverte à six heures du soir. M. Cambon, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du jeudi 7 juin 1792, dont la rédaction est adoptée.

M. Rougier-La-Bergerie, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du samedi 9 juin 1792, au matin, dont la rédaction est adoptée.

M. MICHEL BABOIS, citoyen du Havre, est admis à la barre et offre, au nom de la Société des Amis de la Constitution du Havre, 198 livres en espèces; 570 livres en assignats; 33 livres, en billets de confiance et une quittance de liquidation s'élevant à 9 livres 15 sols; il offre ensuite en son propre nom deux lettres de maîtrise, dont une est du capital de 225 livres, l'autre est de 450 livres. (Applaudissements.)

M. le Président accorde à M. Michel Babois les honneurs de la séance.

Un jeune citoyen, qui veut rester inconnu, est admis à la barre et offre 24 livres en or.

M. le Président accorde à ce citoyen les honneurs de la séance.

Quatre invalides de la marine de Toulon sont admis à la barre et offrent deux écus de 6 livres en argent.

M. le Président accorde à ces citoyens les honneurs de la séance.

Un de MM. les secrétaires annonce les dons patriotiques suivants:

1° Un inconnu envoie 35 sols en assignats;

2o Les adjudants-majors du dixième bataillon de la sixième légion de la garde nationale parisienne envoient 50 livres en assignats pour remplir l'engagement qu'ils ont contracté de fournir chaque mois pareille somme;

3o La dame Riberaud Adrien, veuve Lamothe, envoie 50 livres en assignats.

(L'Assemblée accepte toutes ces offrandes avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal dont un extrait sera remis aux donateurs qui se sont fait connaître.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture des lettres, adresses et pétitions suivantes :

1° Lettre de M. Roland, ministre de l'intérieur, qui instruit l'Assemblée de la découverte faite par le directoire du département de Mayenneet-Loire d'un rassemblement criminel qui a eu lieu le 8 mai dernier dans la commune de La Poitevinière. Les intentions de ce rassemblement, composé d'une vingtaine de maires et officiers municipaux, parurent suspectes aux administrateurs et il a été constaté, en effet, qu'il avait pour but de concerter le soulèvement de 40 à 50 paroisses pour chasser les prêtres assermentés et réintégrer les prêtres réfractaires. Cette conduite ayant paru au directoire avoir tous les caractères d'une sédition, il fit arrêter les 20 maires et officiers municipaux et les dénonça aux tribunaux. Le ministre demande à l'Assemblée de vouloir bien statuer sur le genre du délit et de l'accusation.

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité de surveillance, avec charge de faire son rapport dans 3 jours.)

2o Pétition individuelle de plusieurs invalides de la marine relative à l'exécution des décrets des 28 et 30 avril 1791.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comité de marine.)

3o Lettre de M. Duranthon, ministre de la justice, par laquelle il prie l'Assemblée de prendre en considération la demande faite par le commissaire du roi, par intérim, près le tribunal de cassation, de deux commis pour le seconder.

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité de l'ordinaire des finances avec le mémoire y joint.) 4° Pétition du sieur Argon, qui réclame des avances et une récompense pour des services qu'il a rendus à l'Etat.

(L'Assemblée renvoie cette lettre aux comités de liquidation et militaire réunis.)

5° Lettre de M. Duranthon, ministre de la justice, qui fait passer à l'Assemblée les pièces d'une procédure instruite contre Antoine Vidalenche, de Beaucaire, et qui la prie de décider deux questions auxquelles cette procédure donne lieu.

(L'Assemblée renvoie les pièces au comité de législation.)

6° Lettre de M. Roland, ministre de l'intérieur, qui adresse à l'Assemblée un rapport et plusieurs pièces relatives aux caisses patriotiques ou billets de confiance, avec la copie d'une lettre aux maire et officiers municipaux de Paris, sur le même sujet.

(L'Assemblée renvoie les pièces au comité de l'ordinaire des finances.)

7° Pétition de la dame Stchoudi qui réclame contre les mesures prises à son égard, comme émigrée.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au pouvoir exécutif.)

8° Réclamation du conseil général de la commune et de la garde nationale de La Loupe, département d'Eure-et-Loir, contre le dernier décret de l'Assemblée, sur le complément de l'organisation de la gendarmerie nationale et l'emplacement particulier d'une brigade (1).

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

9° Lettre du sieur Guichard, grenadier du bataillon de Nazareth, électeur de la section du Temple, relative à une dénonciation contre M. Duport, lue par M. Merlin; elle est ainsi conçue (2):

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de faire rejeter la nomination de M. Duport du Tertre à la place d'accusateur public (1).

Je suis le seul grenadier électeur du département de Paris ayant nom Guichard; la signature ne pouvant s'appliquer qu'à moi, je déclare que je n'ai aucune part à la dénonciation faite par M. Merlin, qu'il est faux que j'ai annoncé à mes collègues électeurs les faits qu'elle contient puisqu'ils ne sont venus à ma connaissance que par la dénonciation de M. Merlin. Je déclare en outre que je ne connais pas M. Merlin, que je n'ai jamais approuvé son écriture, encore moins appuyé de ma signature. (Applaudissements.)

J'ai l'honneur, etc.

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M. Chéron-La-Bruyère. Je demande que l'infamie qui a été commise, quel qu'en soit l'auteur, soit cousignée dans le procès-verbal.

MM. Albitte, Delacroix et plusieurs autres membres s'élèvent contre cette proposition.

M. Thuriot. Je demande à M. Chéron s'il connaît la signature?

M. Chéron-La-Bruyère. Je dis qu'il y a une infamie de la part du réclamant, si la signature est vraie, ou de la part de M. Merlin, si la signature est fausse. Il est nécessaire que celui des deux, de M. Guichard ou de M. Merlin, qui a commis un faux, en porte la peine et la honte.

Un membre: J'atteste à l'Assemblée que j'étais au comité de surveillance, lorsque 2 grenadiers s'y sont présentés et ont déclaré ce qui vous a été rapporté par M. Merlin. L'un d'eux a dit s'appeler Guichard.

M. Delacroix. Je demande l'ordre du jour, fondé sur ce que cette lettre est controuvée, comme la lettre qui vous a été envoyée, il y a quelque temps, par un marchand de sucre. Au surplus, si la réalité de la lettre et de la signature est attestée par un membre de l'Assemblée, je demande l'ordre du jour.

M. Merlin. Je n'ai pas entendu parler d'un grenadier du bataillon de Nazareth, mais d'un sieur Guichard, du bataillon de l'Oratoire. (Murmures.)

M. Chéron-La-Bruyère. Je demande que l'imposteur, qui est l'auteur de cette calomnie contre M. Duport, soit puni. (Bruit.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!
(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

Une députation du bataillon des Petits-Augustins, de garde près l'Assemblée nationale, demande à être admise à la barre, pour dénoncer un fait qui intéresse la tranquillité publique. (L'Assemblée décide que la députation sera admise sur-le-champ.)

La députation est introduite.

Un officier, orateur de la députation, s'exprime ainsi :

Messieurs, nous venons faire part à l'Assemblée nationale d'une lettre circulaire, accompagnée d'un projet d'adresse qui ont été envoyés aux

(1) Voy. Archives parlementaires, 1r série, t. XLIV, séance du 5 juin 1792, page 593, la dénonciation de M. Merlin.

différents bataillons de la garde nationale. Nous prions l'Assemblée de nõus en permettre la (1).

Lettre adressée aux officiers du bataillon.

Messieurs, un grand nombre de citoyens de la garde nationale, désirant présenter à l'Assemblée nationale les vœux exprimés dans cette adresse, vous êtes priés de là présenter aux citoyens de votre bataillon qui désireraient se réunir à vous, et la nantir de votre signature. Nous vous en envoyons plusieurs exemplaires, afin que la réunion des signatures puisse se faire plus promptement. Vous voudrez bien les renvoyer dimanche matin, avant 8 heures, au secrétariat de l'état-major à l'Hôtel-de-Ville; et vous pouvez prévenir les signataires que la pétition sera portée à l'Assemblée dimanche à midi.

Adresse individuelle des citoyens-soldats de la garde nationale parisienne.

Messieurs, la garde nationale parisienne a constamment rempli les devoirs de son institution; composée de ces mêmes citoyens qui les premiers déployèrent l'étendard de la liberté sous les auspices de l'Assemblée constituante, elle a les mêmes vertus, la même force.

Législateurs, elle est dans la douleur.

Le ministre de la guerre vous a dit : « La brave garde nationale consultant plus son zèle que ses forces, se soumet avec empressement à un service qui l'honore, mais qui est trop fort pour les circonstances. >>

Sur un point il a dit vrai. La garde nationale n'a pas voulu consulter ses forces; si elle l'eût fait, les malveillants dont il se plaint eussent depuis longtemps disparu devant elle.

Sans doute aussi nous n'avons fait que notre devoir, mais nous l'avons fait. Nous avions volontairement contracté de grandes obligations, et nous les avons acquittées.

Nous n'approfondirons pas les motifs du ministre. Sa proposition enlève à la fois, et l'honneur et les droits que la Constitution nous donne. A-t-il pensé que l'idée de la fédération voilerait à nos yeux, les idées plus naturelles que son projet a fait naître?

Nos frères d'armes, tous les Français ont eu confiance en nous; pourquoi le ministre voudrait-il faire penser que nous l'avons perdue? Avons-nous démérité? Et ne savent-ils pas, nos frères d'armes, que notre immense population suffit à nos dangers quels qu'ils soient? On craint des brigands! C'est nous qu'ils craignent. Que l'on nous commande; la réquisition de la loi fera taire l'épouvante qui demande du se

cours.

Nos armes sont à nous; nos canonniers sont nos frères; leurs armes et les nôtres forment un faisceau indivisible comme nos cœurs.

Union, force, respect pour la loi, assistance aux autorités constituées, surveillance, maintien de la propriété, guerre aux factieux de tous les genres; nous le jurons.

Législateurs, nous demandons le rapport du décret que le ministre de la guerre a seul provoqué.

Les citoyens du bataillon des Petits-Augustins ont juré de maintenir la Constitution, et de n'exécuter que les décrets de l'Assemblée nationale; (Vifs applaudissements des tribunes :) aujourd'hui ils viennent vous supplier de prendre en consi

dération les pièges que l'on cherche à tendre à d'honnêtes gens. (Applaudissements des tribunes.) Nous supplions l'Assemblée de vouloir bien prendre en considération nos observations et toutes les mesures nécessaires pour n'être point trompés. Nous avons juré de ne reconnaître que vos décrets, de n'obéir qu'à la loi; nous répétons en ce moment ce serment sacré (Applaudissements), que nous jurons de conserver.

Les gardes nationales: Oui! Oui! nous le jurons! M. le Président répond à la députation et lui accorde les honneurs de la séance.

Les gardes nationales déposent sur le bureau un exemplaire imprimé du projet d'adresse et de la lettre d'envoi et traversent la salle au milieu des applaudissements des tribunes et de la gauche de l'Assemblée.

M. Delmas. La dénonciation qui vient de vous être faite mérite toute l'attention de l'Assemblée nationale. (Applaudissements des tribunes.) Je considère les pièces qui viennent de vous être lues par ces bons citoyens comme un acte de rebellion, comme une violation manifeste de la Constitution (Murmures); et je dis que ce sont tous les malveillants qui cherchent à égarer le civisme des bons citoyens qui composent la garde nationale de Paris. Elle ne s'est jamais démentie et n'a jamais cessé de donner des preuves de sa soumission à la loi. Je demande que le pouvoir exécutif soit tenu de prendre des mesures pour découvrir les auteurs de cette machination perfide; et de plus, qu'il soit tenu de rendre compte dans les 24 heures, des moyens qu'il aura pris pour connaître les auteurs de ces écrits.

Quelques membres : Appuyé.

D'autres membres : L'ordre du jour !

M. Guadet. Je m'empresserai d'abord de payer le juste tribut d'éloges que tout homme doit aux citoyens soldats qui sont venus apporter l'adresse proposée par les agitateurs de la garde nationale parisienne. Déjà depuis longtemps un système s'est annoncé, non seulement dans les journaux vendus aux ennemis de la Constitution; mais encore chez tous ceux qui se couvrent du masque du patriotisme, pour mieux tromper les amis de la liberté; ce système, c'est, Messieurs, de diviser la garde nationale et les citoyens; c'est d'essayer, ce à quoi ils ne parviendront jamais, de tuer le véritable esprit patriotique qui anime la garde nationale parisienne. (Applaudissements.) C'est ce même système, Messieurs, qu'on reproduit aujourd'hui. Mais je le prédis'; non, les espérances de ces malveillants ne se réaliseront jamais. La garde nationale saura toujours distinguer ses véritables amis de ceux qui ne la flattent que pour la tromper.

Au reste, Messieurs, il n'est peut-être pas inutile de profiter de cette occasion pour détromper ceux des bons citoyens qui pourraient être en alarmes sur les mesures que vous avez décrétées. Rien n'est si simple que le projet qui vous a été proposé par le ministre de la guerre. Ce projet, j'ose le dire, a été inspiré par le patriotisme le plus pur, et il est avoué par la prudence: de quoi s'agit-il, en effet ? Sans doute, personne n'a pu douter de tout le zèle, de tout le patriotisme de la garde nationale parisienne livrée à ses propres sentiments; mais d'un côté le général Lafayette nous a fait connaître le désir qu'il avait, qu'une partie de la garde nationale parisienne vint renforcer son camp; c'est un nouveau titre

d'honneur qu'il veut lui donner; car, sans doute, c'en sera toujours un pour les véritables amis de la liberté, que d'être préférés pour marcher à l'ennemi. (Applaudissements. D'un autre côté, quelques insurrections s'étaient manifestées dans les départements qui avoisinent Paris, et on devait craindre qu'au moment des moissons les insurrections ne se renouvellassent. Or, vous avez été témoins, Messieurs, que plusieurs détachements de la garde nationale ont été forcés de quitter leurs drapeaux pour aller rétablir l'ordre soit à Soissons, soit à Etampes, et qu'ils ont produit les meilleurs effets dans les émeutes à la répression desquelles ils ont été employés. Enfin depuis longtemps on annonce que les Autrichiens ont formé le projet d'établir un camp dans un endroit d'où ils pourraient facilement entrer sur notre territoire; car il n'y a pas loin du camp indiqué par les Autrichiens à Soissons, et de Soissons à Paris. Il était donc nécessaire (et tous les bons militaires en conviennent) de former dans les environs de Paris, un camp qui pût former une seconde ligne; et c'est là ce que le ministre de la guerre a vu d'essentiel dans les circonstances actuelles, c'est ce qu'il a proposé. Sans doute, ni l'Assemblée nationale, ni le ministre de la guerre n'ont pas pu, n'ont pas voulu entendre que les citoyens appelés des divers départements pussent venir à Paris pour y remplacer la garde nationale qui serait en activité. C'est là une infernale invention de la part des ennemis de la chose publique; invention aussi calomnieuse pour la garde nationale de Paris, que pour les citoyens qui seront appelés à former un camp dans les environs de la capitale. Cependant vous voyez les espérances que les ennemis de la chose publique ont fondées sur ce projet. Il ne s'agit de rien moins pour eux que d'en profiter pour semer la discorde entre la garde nationale parisienne et les braves gardes nationales des différents départements. C'est là, Vous ne pouvez vous le dissimuler, le principal objet de l'adresse que l'on se propose de vous présenter; et s'il est vrai, comme on l'annonce (car le moment de dire toute la vérité est venu) s'il est vrai que la sanction de votre décret n'a été retardée que par cela même, qu'on a annoncé qu'il y aurait dimanche à votre barre une pétition de toute la garde nationale de Paris, vous pouvez voir aisément quels sont ceux qui dirigent cette infernale et atroce manœuvre.

Mais, je le répète, les espérances des malveillants seront déjouées. Il ne leur en reviendra que la honte de les avoir conçues. La garde nationale parisienne se ralliera autour de vous et autour de la loi; et jamais elle n'abandonnera la véritable cause du patriotisme et de la liberté. (Applaudissements.) Cependant, en rendant cet hommage éclatant à la garde nationale parisienne, nous devons en distínguer ceux qui cherchent à l'égarer contre votre décret, en essayant de faire violer les premiers principes de vos lois. Cette manoeuvre mérite d'être éclaircie. Elle tient peut-être à plus d'un projet dont la connaissance intéresse essentiellement la sûreté publique. Je demande donc, non pas comme M. Delmas, que le pouvoir exécutif soit chargé de prendre des renseignements sur cet objet; mais que le commandant général de la garde nationale de Paris, aujourd'hui de service, soit mandé à la barre à l'instant pour vous donner sur cette pétition et la lettre de l'état-major, tous les renseignements qui sont en son pouvoir. (Applaudissements.) Il n'appartient pas à un corps,

à un corps militaire de faire des pétitions coldectives. C'est attenter à la Constitution, qui porte expressément qu'elles seront individuelles.

M. Jouneau. Je demande l'ordre du jour sur la motion de M. Guadet et je vais le motiver. Vous ne pouvez voir autre chose, dans la pétitition qui vous a été lue, que l'exercice du droit qu'a la garde nationale de vous faire des représentations sur un décret rendu. Je crois que le droit de pétition doit être sacré... (Murmures). M. Thuriot. Je demande à lire la Constitution. Un membre: Je demande que l'on rappelle à l'ordre M. Thuriot.

M. Jouneau. C'est une raison pour ne pas mander le commandant de service à la barre. Je sais que la garde nationale parisienne n'a pas le droit de délibérer, mais je crois que tous les citoyens ont le droit de prendre une détermination et d'apporter une pétition à l'Assemblée; si c'était là un crime, je serais le premier à faire la motion que le commandant de la garde nationale fût mandé à la barre, mais il ne peut y en avoir et c'est pourquoi je demande que l'Assemblée nationale, avant de prendre aucune mesure, veuille bien réfléchir. Je propose donc l'ordre du jour sur la proposition de M. Guadet.

M. Gensonné. On vient de déposer sur le bureau de l'Assemblée une lettre circulaire imprimée, à laquelle est joint un projet d'adresse, prétendue individuelle, également imprimée, faite au nom des gardes nationales de Paris. J'observe, ce qui est très essentiel, qu'il est dit dans la lettre : « Vous voudrez bien renvoyer avec Vos signatures l'adresse, dimanche matin, avant « 8 heures, au secrétariat de l'état-major de « l'Hôtel-de-ville de Paris. » Or, j'observe, Messieurs, que cette démarche tend à faire faire une pétition à toute la garde nationale de Paris comme corporation (Murmures) puisque les signatures seront déposées à l'état-major de l'Hôtel-de-ville.

Un second fait encore plus important et qu'une personne digne de confiance m'a attesté (Rires.), c'est que cette lettre et cette adresse ont été distribuées à l'ordre. C'est donc sur ces deux faits que vous devez demander des éclaircissements. Il n'y a point d'inculpation sur eux, tels qu'ils sont énoncés; mais il est du devoir de l'Assemblée de les approfondir. C'est du commandant de la garde nationale qu'il faut savoir s'il a connaissance d'une adresse et d'une circulaire distribuées à la garde nationale, dont la minute originale devait être déposée demain au secrétariat de l'état-major; s'il a connaissance que cette lettre et cette adresse aient été distribuées à l'ordre. Je demande que l'Assemblée prenne des éclaircissements de celui-là seul qui doit les lui donner, c'est-à-dire (du commandant général de service. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes).

M. Merlin. Il y a plusieurs personnes dans les bataillons qui vont mendier les signatures de porte en porte.

M. Daverhoult. Je demande la parole pour un fait. J'observe que l'Assemblée doit passer à l'ordre du jour, d'autant plus que, par une subversion de tous les principes, il y a eu des pétitions présentées ici par des citoyens qui s'annonçaient et s'instituaient présidents et secrétaires de corporations. L'Assemblée nationale ayant fermé les yeux jusque aujourd'hui sur cet abus... (Murmures.)

Un membre: Un des pétitionnaires ici présent, observe que la pétition qui a été lue leur a été envoyée ce matin par l'état-major.

Plusieurs voix : La discussion fermée! (Bruit.) Un membre: Comment voulez-vous fermer la discussion; on n'a encore entendu que des accusateurs à la journée.

M. Boulanger. Il faut donc s'en aller, si vous fermez la discussion.

:

Plusieurs voix La question préalable sur la clôture!

M. Calvet. Je demande que l'on entende quelqu'un en faveur de la garde nationale. (L'Assemblée décrète que la discussion n'est pas fermée.)

M. Becquey. On vous annonce une pétition de la part d'un grand nombre de citoyens de Paris sur le décret que vous avez rendu hier et on ajoute que cette pétition doit être signée par des gardes nationales.

Je conviens du principe qu'aucun garde national ne doit présenter de pétition. Comme garde national, il fait partie de la force publique, il doit alors être obéissant; ce n'est que comme citoyen qu'un homme peut présenter une pétition au Corps législatif et à toutes les autorités constituées. Ainsi, s'il vous était présenté une pétition par des gardes nationales, vous ne devriez pas admettre à votre barre ceux qui la présenteraient. Voilà quels sont les principes de la Constitution, et voilà, par conséquent, quels sont les miens. ( Murmures.)

Mais on annonce qu'il a été colporté dans Paris un modèle d'adresse à signer par les bataillons, et que l'état-major a dicté cette adresse. Sans doute, aucune influence étrangère ne doit dicter les pétitions présentées aux autorités. Cependant, au moment où l'on proclame ce très juste principe, qu'aucun garde national ne peut faire de pétition, je pourrais, Messieurs, m'étonner qu'une pétition présentée par les gardes nationaux qui sont devant vous, donnât lieu à refuser une pétition que veulent présenter d'autres gardes nationaux.

Je pense que l'Assemblée ne peut prendre aucune décision sur un objet de ce genre que quand réellement il y a eu un délit commis. Or, y a-t-il un délit commis? J'examine les faits. On vous fait une dénonciation et l'on vous présente deux imprimés. Or ce délit est pour moi, comme pour beaucoup de membres, une chose très incertaine (Murmures) et je demande si l'Assemblée peut prendre une délibération sur un imprimé en blanc, qu'on dit avoir été envoyé par l'état-major de Paris. Ne faut-il pas à l'Assemblée nationale d'autres preuves que cet imprimé en blanc, pour affirmer qu'en effet c'est l'état-major de la garde nationale qui l'a adressé à tous les bataillons, qui l'a donné comme une loi qui devait être suivie par toutes les gardes nationales, et n'estce pas vous compromettre que de mander à votre barre le commandant qui est peut-être étranger à tout cela?... (Murmures.)

Au surplus, Messieurs, qu'a donc d'effrayant une pétition qui serait faite par un grand nombre de citoyens sur un décret rendu par l'Assemblée? Si la gårde nationale se présente en cette qualité, vous ne devez pas lui permettre de lire une pétition sur l'un de vos décrets; mais, si ce sont des citoyens, que l'influence leur en ait été donnée, soit par l'état-major, soit par tout autre, vous délibérerez sur les moyens qui y seront dé

veloppés. Si ces moyens sont sages, s'ils étaient capables de vous faire délibérer une seconde fois sur votre décret, votre devoir serait de le faire.

Plusieurs voix : Ah! ah!

M. Becquey. Il n'importe, quelle que soit l'influence qui aurait dirigé les réclamations qui vous seraient faites sur un décret, si ces motifs étaient sages, votre devoir serait de les examiner et de les peser; s'ils n'étaient au contraire, comme vous le pensez, que de vaines déclamations, ne serait-il pas toujours temps de passer à l'ordre du jour? Si ceux qui veulent vous présenter une pétition, n'en ont pas le droit, vous les rejetterez de votre barre.

Je pense donc que les mesures que l'on vous propose, surtout celle de mander à la barre le commandant de la garde nationale, sont des mesures plus que prématurées, inutiles; et que demain, si l'on vous présente la pétition annoncée, il sera temps d'éloigner la proposition qui vous est faite, où de la rejeter, si la mesure qui vous est proposée ne doit pas faire revenir sur le décret. En conséquence, je demande l'ordre du jour.

M. Thuriot. M. Becquey a rendu hommage aux motifs sur lesquels s'est appuyé M. Guadet. Il est convenu formellement qu'aux termes de la Constitution, la force armée était essentiellement obéissante, et n'avait pas le droit, de délibérer. Mais ensuite M. Becquey s'est trompé, en voulant faire l'application de cette loi, et en annonçant que la pétition était faite au nom de citoyens, et non pas au nom de la garde nationale. La pétition, Messieurs, est au nom de la garde nationale. M. Becquey vous demande où existe le délit. Le délit existe dans les expressions mêmes contenues dans la pétition... (Murmures) et ensuite.....

Un membre: Vous ne l'avez pas lue.

M. Thuriot. Je l'ai entendue. Il y a des choses importantes dans la pétition, et qui exigent principalement l'attention de l'Assemblée; c'est la perfidie d'annoncer à la garde nationale de Paris, l'intention de lui enlever ses canons et ses armes. Jamais l'Assemblée n'a eu une pareille intention. Elle a formellement décrété hier, que le pouvoir exécutif serait chargé de faire armer les gardes nationales volontaires qui se rendraient pour le 14 juillet à Paris. C'est donc une imposture combinée criminellement pour tâcher de soulever la garde nationale. (Applaudissements.) Il y a une grande vérité que l'Assemblée ne doit pas perdre de vue, c'est que, d'après cette dénonciation, celui qui a rédigé la pétition est, à mon sens, coupable d'un grand plan de conjuration. (Applaudissements à gauche.) Plusieurs membres à droite: C'est affreux de parler ainsi!

M. Thuriot. Ce qui doit confirmer mon idée, et convaincre l'Assemblée qu'il est réellement criminel, c'est que, connaissant l'intention de la loi, il n'a pas signé la circulaire qui accompagnait la pétition. Hé! Messieurs, on vous dit dans le moment que ce n'est point l'universalité de la garde nationale que l'on a voulu déterminer à présenter une pétition à l'Assemblée. Je dis que c'est vouloir s'éblouir sur ce point qui a été bien démontré. Car la pétition a été donnée à l'ordre, et envoyée à tous les bataillons de Paris, et à tous les capitaines, avec l'invitation de recueillir les signatures de tous les membres de la garde nalonale. Or, je vous demande si ce n'est pas là un

délit grave; si ce n'est pas déclarer hautement à la France entière que l'on veut que la garde nationale de Paris fasse la loi à l'Assemblée nationale. (Applaudissements.) Oui il est impossible de se dissimuler cette vérité; c'est que ceux qui ont combiné cette pétition, n'ont pas eu d'autres objets que d'armer la garde nationale de Paris contre l'Assemblée nationale. (Murmures à droite. Applaudissements dans les tribunes.)

Voix dans les tribunes: Oui! oui!

Plusieurs membres : A l'ordre à l'ordre!

M. Thuriot. Je suis le premier à louer la garde nationale de Paris, et je ne crains pas que l'on vienne à bout d'altérer son patriotisme; mais je dis que le plan qui a été formé est un crime contre la sûreté et la liberté de l'Assemblée. Je demande donc que la proposition de M. Guadet soit mise aux voix, et qu'on sache enfin quel est l'homme assez criminel pour avoir créé une pareille pétition, et l'avoir envoyée dans tous les quartiers de la capitale.

M. Cambon, secrétaire. Voici une lettre relative à cette affaire :

"Charlemagne, citoyen, prie M. le Président de vouloir bien faire lire à l'Assemblée une adresse qui accompagne sa lettre. »

Quelques membres : La lecture de l'adresse ! M. Cambon, secrétaire, donne lecture de cette adresse qui est ainsi conçue :

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Législateurs, il va donc renaître pour nous le beau jour de la fédération; le jour où nous verrons renouveler cette fraternité entre la garde nationale de Paris et celle des autres départements. (Applaudissements.) Le ministre de la guerre vient d'ajouter à l'idée que l'on s'était formée de son patriotisme, par sa démarche auprès du Corps législatif pour solliciter cette fédération générale. Vous, Messieurs, vous avez adopté avec enthousiasme cette idée; votre décret existe : il est applaudi de tous les vrais amis de la chose publique. Il n'est pas étonnant que nos ennemis, que cette horde de brigands que Paris renferme, n'ait pas vu avec satisfaction la réunion prochaine de 20,000 patriotes qui viennent entourer leurs conciliabules secrets. Ils intriguent en tous sens pour faire avorter vos projets. Ils calomnient les intentions du ministre. Ils trompent la religion des citoyens les plus crédules. Ils ont été assez adroits pour attirer à eux une partie de l'état-major de la garde nationale parisienne, qui (il's'en faut) n'est pas animée d'un patriotisme aussi pur que celui qui anime les citoyens soussignés. (Applaudissements.) Ils les ont engagés à se concerter pour mettre obstacle à l'exécution de votre décret, et en voici la preuve. Cet état-major s'est assemblé, et, sans mission, il a fait rédiger et imprimer une adresse au nom de la garde nationale, où les inductions les plus atroces sont tirées de la proposition du ministre. Elle est terminée par la demande qu'il fait du rapport du décret. Il fait circuler cette adresse aux citoyens des différentes sections pour mendier leurs signatures. Quelle conduite astucieuse! Législateurs, quand il vous fera parvenir cette adresse, ne croyez pas que ce soit le vœu de la garde nationale. Vous verrez au bas quelques signatures surprises à la bonne foi de quelques personnes crédules et faibles, et d'autres données par des êtres parasites qui n'ont jamais fait, et qui ne font pas leurs services. Législateurs, vous n'y verrez pas la nôtre. Zélés défenseurs de vos lois, et admirateurs du

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