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attestant que les titres ont existé. La question se réduit donc à savoir si, à raison de la prévention qu'on a contre cette espèce de droit, il faut exiger des preuves plus rigoureuses que celles que l'on exige des autres propriétaires. Les droits casuels ne seront-ils exigibles qu'autant qu'on en présentera les titres primitifs? ou bien les censitaires seront-ils obligés de se racheter, d'après la présomption qu'une longue possession établit en faveur des possesseurs des fiefs? et les contestations qu'ils pourraient élever, seront-elles jugées d'après des lois et les coutumes existantes?

Messieurs, pour ne point courir le risque de s'égarer soi-même dans le vague des idées, il importe, avant d'aborder la question, de bien s'assurer de l'état actuel et positif des choses, relativement au système féodal, dont les droits utiles qui en restent sont comme les débris.

Les arrêtés de la nuit du 4 août 1789 avaient proclamé le principe dont les décrets des 15 mars et 3 mai 1790 ont depuis donné le développe

ment.

Abolition du régime féodal;

Suppression sans indemnité des droits féodaux tenant à la servitude personnelle;

Maintien jusqu'au remboursement de ceux purement fonciers.

Telles étaient les bases posées par l'article 1er des arrêtés, qui déclarait en outre, article 6, que que les rentes foncières, quelles qu'en fussent l'espèce et l'origine, seraient rachetables au taux qui serait incessamment fixé.

Tout consistait à bien séparer du régime féodal à jamais proscrit ce qui ne lui appartenait pas essentiellement, afin de rappeler à l'état naturel, et de faire rentrer sous l'empire des lois communes ce qu'il lui avait usurpé! Ainsi l'article 1er du décret du 15 mars porte: « Toutes dictinctions honorifiques, supériorité et puissance résultant du régime féodal sont abolies; quant à ceux des droits utiles qui subsisteront jusqu'au rachat, ils sont entièrement assimilés aux simples rentes et charges foncières. Cette différence, entre les prestations ou services que les ci-devant seigneurs exigeaient à titre de supériorité et de puissance féodales, et les droits purement utiles, est la clef de toutes les difficultés imaginables que cette vaste matière peut fournir.

Tout droit prétendu, qui n'a point ce caractère d'utilité réciproque, n'a pu résulter que de ce qu'on appelait puissance de fief, puissance dont il importe au maintien de la Constitution et de la liberté d'abolir jusqu'aux moindres traces, et c'est aux droits, ou plutôt aux distinctions de cette espèce que s'applique en général la suppression sans indemnité.

Mais un état de choses, réciproquement utile, n'aurait pu, sans blesser les lois éternelles de la justice, être anéanti pour l'un et conservé en même temps pour l'autre. Un bail à rente foncière est, sous ce point de vue, le contrat qui lie le ci-devant censitaire. La loi est devenue égale entre eux; il n'y aura plus de prérogative seigneuriale, il ne peut plus y en avoir.

En un mot, le sort des charges foncières, cidevant seigneuriales, est devenu en tout pareil à celui des rentes et charges foncières ordinaires; elles leur sont entièrement assimilées.

C'est bien dans cette catégorie sans doute, je veux dire dans la classe des droits utiles, naturellement fonciers, que l'on a dû placer les droits casuels, comme les droits fixes, censuels ou féodaux, parce qu'ils frappent sur le fonds et non

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sur les personnes. Ceci résulte du texte formel du décret du 4 août 1789. Ils sont aussi nommé. ment rappelés au troisième chapitre du décret du 15 mars, chapitre qui concerne, comme je l'ai dit, les droits seigneuriaux rachetables. En effet, Messieurs, à quels signes distingue-t-on la servitude personnelle, avec laquelle les malveillants interprètes de cette loi affectaient de confondre ces droits, lorsqu'une loi, en forme d'instruction, du 29 juin 1791, vint éclairer les esprits prévenus?« On entend ce sont en partie les expressions de cette loi que j'emprunte. On entend, par servitude personnelle une sujétion qui a été imposée à la personne, qui ne pèse que sur la personne, et que la personne s'est obligée à subir, par cela seul qu'elle existe, qu'elle habite en certain lieu. » Or, aucun de ces caractères ne convient aux droits casuels, pas plus qu'aux censives, pas plus qu'aux champarts, et à tous droits fonciers par leur nature. Ce n'est pas à la personne qu'ils sont imposés, c'est au fonds; ce n'est pas la personne qui en est grevée, c'est le fonds, et cela est si vrai que l'on cesse d'y être soumis du moment qu'on cesse de posséder le fonds sujet.

La distinction ainsi marquée entre les droits de servitude personnelle, abolis sans rachat, et les droits fonciers rachetables, restait à prévoir l'existence d'une troisième espèce, participant des deux à la fois et formant une sorte d'exception à l'ordre naturel des choses. Des droits purement de servitude par leur nature, et qui ne frappent en apparence que sur les personnes, un droit de banalité, par exemple, ont pu être, dans leur origine, le prix, la récompense d'un fonds; et alors il sera de toute justice, quelque pénible qu'en soit l'exercice, que les possesseurs des fonds concédés avec ces charges, continuent à les acquitter jusqu'au rachat. Les exceptions sont indiquées par 7 des articles qui composent, dans le décret du 15 mars, le titre des droits seigneuriaux rachetables sans indemnité.

Telle est, Messieurs, la théorie des preuves dont les divers droits féodaux rachetables sont, dans l'état actuel, reconnus susceptibles.

Que vous propose le comité féodal? Non pas, je l'ai dit, de les abolir indistinctement, mais d'exiger de ceux qui se prétendront à l'avenir propriétaires de pareils droits, la représentation du titre primitif, portant concession du fonds avec cette charge expresse.

Une singularité bien remarquable qu'offre ce système, et dont on est frappe de prime abord, c'est la rigueur de la preuve exigée pour sauver de la proscription une propriété foncière par sa nature, en présence de la loi, bien moins exigeante, qui concerne les droits de pure servitude, loi que le système du comité respecte. Ainsi, par exemple, pour conserver une corvée, une banalité, à raison de ce qu'elle aura été constituée en récompense de fonds, il suffira de deux déclarations, et, pourvu qu'elles soient énonciatives du titre primitif, on ne sera pas tenu de rapporter ce droit. Telle est la loi du 15 mars 1790 pour ce cas d'exception. Et l'on se verrait dépossédé à jamais, sans indemnité, sans qu'il fut besoin de rachat, d'un droit naturellement foncier, ou présumé tel, dès que c'est au fonds même, sans égard à la personne, qu'il est et demeure inséparablement attaché. Telle serait la contradiction du système de votre comité, trop évidente pour qu'elle puisse se justifier.

Le système de votre comité ne pourrait donc être admis que dans le cas où toute espèce de

propriété devrait être assujettie à la preuve littérale et où la possession ne devrait être comptée pour rien. Attaquez les droits casuels qui portent sur le fonds, et aussitôt toutes les rentes foncières éprouveront le même sort puisqu'elles leur sont assimilées par la loi; et s'il faut des preuves littérales malgré la plus longue possession, les propriétés les plus sacrées, les propriétés nationales elles-mêmes n'échapperont pas à la proscription. Le ci-devant seigneur n'aurait-il pas le même droit de demander au censitaire qui lui refuserait le rachat, à quel titre vous-mêmes possédez-vous ce bien qui de tout temps a été grevé d'une rente envers ma famille ?

Je demande, en outre, pourquoi cet attachement exclusif à la poursuite des droits casuels? Les droits fixes, les cens, les surcens, en un mot les redevances ci-devant seigneuriales, soit en argent, soit en nature, sont de même nature. Ils ont un égal caractère de réalité, une origine commune; les uns, soumis à des périodes réglées, s'acquittent annuellement, les autres sont éventuels; des mutations plus ou moins fréquentes y donnent ouverture et en déterminent le produit; voilà la seule différence : tous sont droits fonciers, et comme tels nécessairement présumés, comme sont présumées légalement les rentes foncières, provenir de concession de fonds. Si donc vous exigiez pour les droits casuels une preuve littérale quelconque, il faudrait, à moins d'inconséquence, exiger la même preuve pour les cens, redevances, et autres droits fixes.

Et, c'est en quoi le système de MM. Couthon et Dorliac me semble supérieur à celui de votre comité. La mesure proposée par l'un, dans son discours du 29 février, par l'autre, dans son opinion prononcée le 11 avril, frappe indistinctement et les droits fixes et les droits casuels, sous la dénomination générique de droits ci-devant seigneuriaux. C'est donc, et puisqu'en tout événement le projet du comité est, par son incohérence, reconnu insoutenable, à ces deux préopinants qu'il faut répondre.

Ils s'accordent sur le principe, et diffèrent peu dans l'application.

Leur principe commun est que la preuve du droit seigneurial doit être exclusivement à la charge du propriétaire.

Quant au genre et au degré de preuve requise, l'un et l'autre, à défaut de titre primitif, consentent que des déclarations ou reconnaissances y suppléent. M. Couthon en exige trois deux, et même une seule suffit à M. Dorliac; mais il veut, de plus que M. Couthon, qu'on ne puisse réclamer une possession annuelle qui remonte à cent

ans.

S'il était dans mon opinion que l'existence d'une charge réelle dût nécessairement dépendre de la preuve littérale, et que la possession dût être désormais comptée pour rien, mon vœu serait pour que la loi, déjà faite à l'égard des droits personnels constitués pour concession de fonds, s'appliquât aux droits naturellement fonciers. A défaut de titre primitif, deux reconnaissances énonciatives de la concession originaire, et la possession actuelle qui remonte sans interruption à 40 ans; ce sont les conditions imposées par l'article 29 du titre II du décret du 15 mars, aux possesseurs des droits personnels par essence, devenus fonciers par exception; et puisqu'on confondrait dans l'hypothèse, ce qui,

par la nature des choses, est absolument distinct, le personnel et le réel; je n'admettrais pas de différence dans le régime ni dans le choix des

preuves applicables à l'une ou à l'autre espèce.

Mais cessant toute supposition, je ne saurais confondre des objets qui diffèrent aussi essentiellement entre eux: je ne saurais, lorsque tout existe, tout vit, tout prospère au milieu de nous sous l'Empire tutelaire de la possession, récuser son témoignage. Je sais qu'une servitude, une servitude personnelle surtout, ne se prescrit jamais; aussi applaudirai-je à la loi qui impose au possesseur l'obligation de prouver qu'une concession de fonds en ait légitimé l'origine. Mais des redevances, mais des droits quelconques acquittés constamment par le propriétaire de fonds, et cessant d'être acquittés par lui lorsqu'il cesse d'être propriétaire, sont des droits essentiellement fouciers; et l'on ne peut s'y soustraire, ou la propriété n'est qu'un vain mot, à moins de prouver que l'apparence est mensungère, et qu'ils doivent leur existence à une autre cause: cette preuve est donc nécessairement à la charge du redevable.

Je pense donc, Messieurs, que quant aux bases de la distinction qu'il a fallu nécessairement établir entre les charges de servitude purement personnelle et les droits purement fonciers, rien de mieux à faire que de s'en tenir à celles posées dans les titres II et IIi du décret du 15 mars 1790.

Mais il n'en saurait être de même de leur application. L'on peut sans doute aussi désirer des amendements au mode du rachat à l'egard des droits qui en sont déclarés susceptibles, et c'est enfin le double objet que MM. Couthon et Dorliac ont eu subsidiairement en vue.

A cet égard, Messieurs, je croirais anticiper sur le juste débat dont ces mesures réglementaires peuvent devenir l'objet, je me reprocherais d'intervertir, pour le moment, l'ordre de la discussion entamée, si je me permettais des développements étrangers au plan de votre comité. Celui des finances appelle toute votre attention; vous ne vous en êtes distraits, pour vous occuper des droits féodaux, qu'afin de savoir s'il était juste ou non de comprendre ce qui en appartient à la nation dans le chapitre consolant de ses ressources. Ce but est atteint; je crois du moins que les doutes élevés sur la légitime propriété des droits féodaux fonciers, casuels ou fixes, se dissiperont bientôt, et que l'Assemblée nationale pourra avec confiance compter la valeur capitale de ces droits pour en avoir de 4 à 500 millions, gage précieux pour les créanciers de l'Etat.

D'après ces considérations, je demande la question préalable sur le projet de décret du comité; mais je propose en même temps qu'il soit chargé de nous présenter ses vues sur les moyens de faciliter les rachats, savoir pour diviser ceux des biens mouvants de la nation, et une composition pour parvenir à l'affranchissement prompt des propriétaires dans tous les degrés de mouvances depuis le premier censitaire jusqu'au suzerain, qui est la nation.

Un membre: Je demande que la discussion ne soit pas fermée, avant que j'aie été entendu dans la discussion que je me propose d'établir sur le rapport des finances de l'Etat. Je prouverai que la suppression sans indemnité des droits casuels priverait le Trésor public d'une ressource de plusieurs centaines de millions.

M. Voisard. Dans une question de droit, il ne s'agit pas de savoir si sa décision peut ou non préjudicier au Trésor public. Je demande donc que Monsieur ne soit entendu que dans le cas où il serait inscrit sur la liste de la parole.

(L'Assemblée adopte la proposition de M. Voisard.)

M. Couthon propose un projet de décret conforme aux principes qui ont fait la base de son opinion (1); il est ainsi conçu:

L'Assemblée nationale décrète :

1° Que tout débiteur de droits ci-devant seigneuriaux conservés pourra en faire le rachat partiel, sans qu'en vertu de la solidarité il puisse être contraint à rembourser au delà de sa quote-part; et ne seront réputés conservés et susceptibles de rachat que ceux desdits droits qui seront établis par titres constitutifs suivis de prestation ou au moins par trois reconnaissances successives également suivies de prestation et dont la plus ancienne rappelle le titre de concession;

2° Qu'il n'y aura lieu au rachat forcé des droits casuels, que dans le cas seulement où après le rachat effectué des droits fixes, il y aurait mutation réelle de propriété par venté ou acte équivalent à vente.

« L'Assemblée dérogeant à toutes lois et dispositions contraires au présent décret.

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M. Mailhe. J'appuie le projet de décret du comité, et je demande qu'il s'étende, non seulement aux droits casuels, mais aux cens. Pourquoi dispenserait-on les ci-devant seigneurs de toutes preuves pour justifier de la propriété de leurs droits casuels ou de leurs rentes à cens, tandis que toutes les présomptions sont contre eux? Les 19 vingtièmes du territoire français sont sujets aux casualités. Pour supposer que toutes les casualités dérivassent d'une concession primitive de fonds, il faudrait supposer une révolution qui aurait soumis la France entière au régime de la féodalité; il faudrait supposer que ce bouleversement se serait fait par droit de conquête, ou bien que toutes les propriétés eussent passé en même temps dans les mains du chef de la nation, qu'il les eût cédées en fiefs, et que de concessions en sous-concessions, ces propriétés eussent enfin passé à titre onéreux dans les mains de la classe nombreuse des censitaires; mais où trouverez-vous le commencement de cette chaîne universelle de distribution féodale? Sera-ce dans les maximes barbares de quelques écrivains honteusement célèbres? Il ne peut résulter de leur applícation aucun titre de propriété.

Sera-ce dans les conquêtes des Romains? Nous trouvons, au contraire, dans leurs lois la proscription totale du régime féodal. Elles conservèrent aux Gaulois leurs propriétés, et présumaient toujours la franchise et l'allodialité des terres. Sera-ce dans les conquêtes des Bourguignons et des Visigoths? Il est vrai que ces peuples s'arrogèrent les deux tiers des propriétés conquises, et qu'ils n'en laissèrent que le tiers aux Gaulois, leurs vaincus. Mais pour supposer que l'établissement du régime féodal ait pu résulter de cet envahissement de propriétés; il faudrait établir que toutes les propriétés des pays conquis eussent été mises en masse, pour être ensuite réparties entre les anciens et les nouveaux habitants, à titre onéreux. Or, qu'on lise les lois de ces pays, on verra qu'aucune redevance seigneuriale n'a été le résultat du partage de terres qui se fit alors. Un Bourguignon et un Visigoth furent associés pour ce partage avec un Gaulois;

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et le lot qui échut au Gaulois ne fut pas plus chargé de redevances ou cens quelconque, que ceux qui échurent aux deux autres. Trouvera-ton à légitimer l'origine du régime féodal dans les effets de la conquête des Francs? Nul historien, nulle loi n'indiquent la moindre trace de biens usurpés sur les Gaulois par les Francs, ou partagés entre eux à charge onéreuse. Quelles étaient, en effet, les terres qui furent données aux Francs pour prix de leurs conquêtes? Il faut savoir que cette tribu qui, sous le roi Clovis, attaqua les Gaules, n'était composée que de 3,000 hommes, lesquels réunis aux 5 à 6 tribus qui s'étaient introduites dans la Germanie, ne formaient qu'environ 20,000 hommes. Or, les Romains et les Gaulois qui périrent dans les batailles de Syagrius, Soissons, Tolbiac, etc., ne laissèrent-ils pas une grande quantité de terres qui suffirent pour enrichir chacun des vainqueurs?

Mais, dit-on, ils reçurent ces biens en partage, seulement à titre précaire et comme simples bénéfices; la loi salique et la loi ripuaire combattent cette objection, elles ne parlent que de simples aleux, et ce mot indiquait toujours des propriétés franches, et ces lois ne parlent même pas d'aleux héréditaires, ce qui exclut l'idée de bénéfice; donc le régime féodal ne résulte pas des partages qui ont été faits en vertu des droits de conquête ce qui est d'autant plus évident, que, quoique les Bourguignons et les Visigoths soient ceux qui ont le plus abusé du droit de conquête, l'allodialité ou la liberté des terres s'y est plus constamment maintenue.

Quelle est donc la source d'où l'Assemblée constituante a pu induire l'établissement universel du régime féodal en France? Voici quel a été le prétexte de ceux qui ont défendu ce système : dès la première race nos rois ont concédé à plusieurs de leurs sujets des terres fiscales, en qualité de bénéfices; mais ces bénéfices, d'abord concédés à vie, furent bientôt rendus héréditaires par une ordonnance de 615. Nous voyons dans cette loi l'origine du système anti-social, connu depuis sous le nom de noblesse; mais quoiqu'on commençât alors à faire des distinctions de personnes, ces terres fiscales restèrent libres après qu'elles furent déclarées héréditaires. La première idée de fief ne remonte qu'au règne de Charles-Martel celui-ci voulant récompenser ses soldats s'empara d'une partie des biens du clergé; il les leur céda à condition qu'ils prendraient les armes à la première réquisition, et qu'ils feraient le service de sa garde. Ces bénéfices devinrent héréditaires à la fin de la seconde race. On entendait par vassaux les officiers du roi, qui bientôt se firent des sous-vassaux; mais ces bénéfices ne furent pas tous cédés à titre de fiefs. Et en supposant même qu'ils l'eussent été, et en y ajoutant les terres fiscales concédées sous la première race, toujours seraitil vrai que ces terres ne formeraient qu'un petit point sur la surface du royaume, et l'on ue pourrait induire de l'inféodation de ce petit nombre de terres, l'introduction de la féodalité universelle en France.

Enfin, la féodalité ne peut pas avoir eu sa source dans les désordres et les révolutions qui eureut lieu dans le commencement et le milieu du neuvième siècle; car alors la France était en grande partie régie par les lois romaines. Elle n'a pas été plus légitimement introduite dans les pays coutumiers puisque même la loi salique supposait l'allodialité. Plusieurs propriétaires, il est

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vrai, se recommandèrent, soit au roi, soit aux seigneurs pour en obtenir protection; mais cette recommandation n'entraînait pas la conversion des aleux en fiefs, comme Montesquieu a voulu l'induire du traité d'union fait entre Charles-leChauve et ses frères, puisqu'une loi postérieure de 9 ans dissout, en cas de conversion forcée de l'aleu, les liens du vasselage.

Je viens de donner des preuves négatives de l'existence d'une féodalité légitime en France, je vais établir par des faits positifs qu'elle n'était qu'une usurpation. La France était divisée en duchés, comtés et centaines; les ducs et les comtes étaient chargés de percevoir l'impôt sous les noms de cens personnels et réels, impôt qui avait été établi par les Romains.

Les magistrats profitant de la faiblesse des derniers Carlovingiens pour rendre leurs places héréditaires, changèrent leur arrondissement en fief. Ils paraissaient gouverner sous l'autorité royale; mais ils établirent en effet un système de gouvernement destructif de toute autorité légitime; ils détruisirent les administrations municipales, firent disparaître la juridiction civile devant l'autorité de leurs tribunaux; ils continuèrent à percevoir, en vertu de leur prétendue souveraineté, mais à leur profit, les cens réels et personnels qu'ils percevaient ci-devant comme délégués du roi; ils établirent, même de leur autorité privée, de nouveaux impôts. Voilà l'origine des cens et autres droits de cette nature. Il en est de même des lods et ventes; ils étaient d'abord le prix du sceau apposé par les officiers seigneuriaux aux actes de mutation.

M. Mailhe entre dans de nombreux détails sur cette dernière partie de son opinion; il s'attache principalement à combattre le système de féodalité établi par Montesquieu, Dubos, Ducange et Mably, puis il continue:"

Donc le système qui supposerait l'établissement universel de la féodalité en France, n'est autre chose que la maxime nulle terre sans seigneur; et cette maxime elle-même ne doit sa naissance qu'au chaos des coutumes, qui étaient l'ouvrage des seigneurs, et aux interprétations que donnaient à ces coutumes les tribunaux composés de seigneurs. La présomption est donc tout entière contre l'existence d'une féodalité résultant d'une concession primitive de fonds.

Ne laissez pas plus longtemps les propriétaires asservis à la preuve négative; mais obligez les ci-devant seigneurs qui réclament le rachat de leurs cens et de leurs droits casuels, à prouver que ces droits résultent originairement d'une concession de fonds; ne vous contentez pas de simples reconnaissances de propriétaires et de déclarations à terriers; ces actes dérivent euxmêmes de la puissance seigneuriale; ils ont été arrachés par la crainte de l'oppression. Une commune contre laquelle un seigneur élevait de pareilles prétentions, était sùre d'être écrasée par des procès qu'elle était sûre de perdre, puisque les tribunaux étaient juges et parties.

Les seigneurs, dit-on, n'ont pu conserver les titres originaires de l'inféodation ou de l'accensement; mais, répondrais-je, comment les communes auraient-elles conservé les preuves de leur allodialité? ces titres restèrent entre les mains d'officiers vendus aux seigneurs. (Applaudissements.)

Les ci-devant seigneurs se plaindront sans doute; mais de quoi ne se plaignent-ils pas? Vous serez absous par les bénédictions des

quatre-vingt-dix-neuf-centièmes de la génération et celles des générations futures. Les terres bénéficiales cédées à fiefs, arrières-fiefs et censives ne faisaient pas la vingtième partie du royaume; dans l'impossibilité de distinguer ces terres des autres propriétés restées libres, faudra-t-il présumer que les autres dix-neuf-vingtièmes ont été légitimement grevés des mêmes droits? On vous a dit que vous priviez le Trésor public d'une ressource très considérable. Pour apprécier cette objection, il faut remarquer que cette ressource s'évanouit du moment où l'injustice de ces droits est prononcée. Les redevables portant leurs espérances sur une législature prochaine, suspendront les rachats.

La destruction sans indemnités de tous les droits, est la pierre qui manque au fondement de la Constitution; elle vous procurera des ressources bien plus solides que le payement des droits eux-mêmes. Quand la nation aura fait pour ses membres tout ce qui est commandé par la justice, alors ils s'empresseront de faire tout ce qui sera commandé par l'intérêt de la patrie; ils courront au-devant de tous les sacrifices pour la liberté, qui déjà est un besoin moral pour les citoyens éclairés, et dont vous aurez fait un besoin physique pour tous les Français. (Applau dissements.)

M. Mailhe propose un projet de décret qui porte en substance que tous les effets de la maxime nulle terre sans seigneur, sont et demeurent abolis; qu'ainsi, toute terre est franche et libre de tous droits féodaux, à moins qu'ils ne soient établis par des titres authentiques; que tous les droits casuels, quint, requint, acapte, arrière-acapte, etc... sont et demeurent pareillement abolis, à moins que ceux qui en ont joui, ne justifient qu'ils ont pour cause une concession de fonds; que les droits seuls stipulés dans l'acte primordial d'inféodation sont déclarés rachetables. Il se réunit à l'avis du comité pour les autres dispositions de son projet de décret (Applaudissements dans les tribunes.)

Plusieurs membres : L'impression!

(L'Assemblée ordonne l'impression du discours de M. Mailhe.) (1).

M. Clavière, ministre des contributions publiques. Je prie l'Assemblée de m'accorder jusqu'à lundi pour satisfaire à son décret du 4 de ce mois qui m'ordonne de rendre compte des causes qui ont retardé la confection des matrices de rôles et de présenter le tableau du recouvrement d'impositions pour la ville de Paris. J'ai besoin de ce délai parce que je n'ai reçu que ce matin le mémoire fait à ce sujet par le procureur-général-syndic du département.

(L'Assemblée accorde la demande de M. Clavière.)

M. Clavière, ministre des contributions publiques, lit un mémoire, pour obéir au décret du 8 de ce mois par lequel l'Assemblée demandait dans les 24 heures un compte par écrit, de l'état de la fabrication des petites coupures d'assignats. Il rappelle d'abord les décrets rendus sur les secours accordés à la ville de Paris, et sur l'examen à faire des caisses patriotiques. Un seul article le regarde. C'est celui qui excepte

(1) Nous donnons ici un extrait du discours de Mailhe emprunté au Moniteur. Malgré nos recherches, il nous a été impossible de trouver le texte exact de ce docu

ment.

des fabrications prohibées, certaines caisses déjà mises sous la surveillance des corps administratifs, et dont les fonds sont déposés. Ici le ministre a retracé ce qu'il fit, comme citoyen, lors de l'émission des billets de confiance, pour provoquer celle des petits assignats de 5 livres. Il prévoyait, dès lors, le vide que pourraient laisser un jour des établissements particuliers dans ce genre. Enfin, un article de la loi renvoie l'exécution au ministre de l'intérieur; M. Clavière ne pouvait donc, à cet égard, donner aucun renseignement.

Le fer mai un 'décret ordonna, au ministre des contributions publiques, de rendre compte de l'état de la fabrication des coupons d'assignats. Il s'en acquitta. Il donna alors des espérances; rien n'a changé depuis. On met la plus grande célérité possible dans la fabrication, et fe moment de l'émission des billets de 15 et de 10 sous est très prochain. Les imprévoyances inséparables d'une aussi grande entreprise sont actuellement réparées. Le choix des artistes n'était point de M. Clavière; mais il atteste que l'examen le plus rigoureux ne constaterait pas la plus légère négligence, soit de sa part, soit de celle des agents employés. Il affirme, en outre, qu'il est faux qu'il ait écrit à l'Assemblée qu'on n'aurait point de petits assignats avant 2 ou 3 mois. L'émission la plus éloignée est celle de 50 sous; et l'on conçoit que lorsqu'il a fallu diriger à la fois la fabrication de 10 espèces différentes d'assignats, on a souvent été obligé de retarder les uns pour accélérer également les autres. Il propose comme moyen d'accélération, que l'Assemblée nationale organise l'administration qui lui a été proposée par ses comités réunis de l'extraordinaire des finances et des assignats et monnaies, pour la confection des petites coupures d'assignats et prie l'Assemblée de s'occuper de la loi déjà demandée, par le décret du premier mai, aux comités réunis de législation et des assignats et monnaies sur les billets de confiance.

M. Clavière termine son mémoire par des réflexions générales sur la nécessité de réprimer les émissions des billets de confiance. Il est instant que la loi mette un terme à cette espèce de brigandage. Il a pour résultat la cherté des denrées qui naît toujours d'une trop grande circulation de numéraire ou réel ou fictif.

Le ministre annonce ensuite que M. Lecoulteux ne veut plus se charger du timbrage et de la signature des assignats et il demande qu'au moment où l'une des machines à timbrer sera en pleine activité, ce qui va bientôt arriver, l'Assemblée veuille bien l'autoriser, ou toute autre personne, à se charger de l'exécution du timbrage. (Applaudissements.)

M. Fouquet. Les faits énoncés dans le mémoire du ministre annoncent la nécessité de prendre en considération les vues qui vous ont été présentées par vos comités de l'extraordinaire des finances et des assignats et monnaies réunis relativement à la nouvelle administration pour la confection des petites coupures d'assignats. Je vous observai que M. Lecoulteux s'est chargé de cette opération qui n'était point dans ses fonctions et qu'il a demandé, il y a 6 mois, qu'on l'en déchargeât. Je vous propose donc d'adopter la proposition de son comité.

M. Cambon. Il n'est pas au pouvoir de M. Lecoulteux de quitter à volonté les fonctions qu'il a remplies jusqu'alors sous l'empire des lois exis

tantes et de dire à un ministre qu'il ne veut plus d'une si grande responsabilité. Je demande qu'il reste chargé de surveiller le timbrage des nouveaux assignats jusqu'à ce que la loi soit changée.

M. Marbot. J'appuie la proposition de M. Fouquet. Il y a plus de 6 mois que M. Lecoulteux a demandé à être déchargé de cette responsabilité à laquelle il n'est tenu par aucun décret.

M. Kersaint. Je rappelle à l'Assemblée que M. Lecoulteux ne s'est chargé de ce travail que par une suite de son zèle et de son patriotisme. C'est pour ce seul motif qu'il a, en acceptant cette mission, sacrifié son repos et compromis sa fortune. L'Assemblée doit, en toute justice, lui accorder sa demande et je m'étonne que M. Cambon, qui sait aussi bien que tout autre, les services que M. Lecoulteux a rendus gratuitement à l'Etat, lui marque une telle opposition.

Divers membres présentent des observations à ce sujet.

Plusieurs membres : La discussion fermée ! (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Fouquet. Je propose le décret suivant: « L'Assemblée nationale décrète que le ministre des contributions publiques sera chargé provisoirement, et jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné, de suivre toutes les opérations relatives au timbrage des petits assignats; et de faire dans celui des bâtiments nationaux qui sera jugé le plus convenable, toutes les dispositions nécessaires pour la suite desdites opérations. >>

(L'Assemblée décrète l'urgence et adopte la rédaction de M. Fouquet.)

M. Carnot-Feuleins, le jeune. Le moyen le plus certain de faire disparaître les billets de confiance de la circulation est d'accélérer la fabrication de la nouvelle monnaie de billon. On a déjà fabriqué onze millions de sols avec le métal des cloches, ce qui donne environ neuf sols pour chaque individu et suffit à tous les besoins journaliers dans les temps ordinaires. Mais l'émission très prochaine des subdivisions d'assignats va accroître la masse des effets au porteur, et il en résultera un mal au-dessus des avantages que promettent les petites coupures. Je demande donc à l'Assemblée d'entendre ce soir le rapport du comité des assignats et monnaies sur la fabrication d'une nouvelle monnaie de billon.

(L'Assemblée décrète la proposition de M. CarnotFeuleins, le jeune.)

Un membre demande que l'Assemblée s'occupe sans interruption de la discussion sur les droits féodaux jusqu'à ce qu'elle ait été terminée par un décret.

(L'Assemblée décrète cette proposition.)

Un de MM. les secrétaires fait lecture d'une lettre de M. Servan, ministre de la guerre, par laquelle il fait part à l'Assemblée que le roi ayant donné les ordres pour faire rendre à l'armée du Nord le bataillon des gardes nationales du département de la Sarthe, et le deuxième de la Haute-Vienne, ces bataillons doivent passer endeçà de la distance de 30,000 toises du lieu des séances du Corps législatif, et il prie l'Assemblée d'autoriser leur passage.

(L'Assemblée accorde l'autorisation demandée.) (La séance est levée à trois heures et demie.)

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