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(Vifs applaudisements à gauche et dans les tribunes.)

M. Charlier. Je demande que la lettre de M. Roland au roi soit imprimée et insérée au procès-verbal.

M. Quinette. J'ai deux propositions à faire, et il suffira de les énoncer pour qu'elles soient senties, je ne dis pas généralement, mais par cette imposante majorité.... (Murmures à droite.) Plusieurs membres à gauche : Oui! oui ! (Applaudissements.)

M. Quinette.... qui applaudit aux vérités fortes et nécessaires à prononcer répandues dans la lettre de M. Roland. Je demande: 1° que vous rendiez commun à MM. Roland et Clavière, ministres patriotes, le décret rendu en faveur de M. Servan (Applaudissements.); 2° que vous ordonniez l'impression de la lettre de M. Roland et qu'elle soit envoyée avec le décret aux 83 départements. (Applaudissements.)

M. Jean Debry (de Paris). Ce sera une pièce célèbre dans l'histoire de la Révolution et des ministres.

M. Lasource. Je demande que l'Assemblée consacre la mémoire d'un ministre qui a osé dire au roi toute la vérité.

Plusieurs membres à droite: L'ajournement!

M. Henry Larivière. Il est du devoir des représentants du peuple de prendre des renseignements sur l'existence des grands complots qui s'annoncent. Je demande la question préalable sur l'ajournement. (Applaudissements.)

M. Masuyer. Je m'oppose à l'envoi aux 83 départements et je demande à motiver la question préalable sur cette proposition. (Murmures.)

(L'Assemblée ordonne l'impression, l'insertion au procès-verbal et l'envoi aux 83 départements de la copie de la lettre écrite au roi par M. Roland.)

M. Charlier. Je demande que le décret rendu en faveur de M. Servan s'étende à MM. Roland et Clavière.

(L'Assemblée, après avoir décrété l'urgence, décrète que M. Roland sortant du ministère, emporte les regrets de la nation.)

Plusieurs membres : L'ajournement à l'égard de M. Clavière !

M. Broussonnet. Je ne crois pas qu'un citoyen qui a préféré la place de ministre à celle de député, puisse emporter.... (Murmures.)

M. Charlier. M. Clavière a donné à la France entière une grande preuve de dévouement à la chose publique en préférant un poste où l'on est responsable à celui où on ne l'est pas. (Les murmures couvrent la voix de l'orateur.)

M. Guadet. M. Clavière a donné deux grands

exemples de patriotisme. Le premier, en acceptant une place périlleuse (Murmures.); le second, en partageant la disgrâce des ministres patriotes qui sont dans le même cas que lui. C'est pourquoi, afin que l'exemple d'aujourd'hui soit salutaire et que les intrigants sachent bien que leurs manœuvres ne l'emporteront pas sur la volonté de la majorité de l'Assemblée, je demande que le décret rendu en faveur de MM. Servan et Roland soit commun à M. Clavière. (Applaudissements.)

(L'Assemblée, après avoir décrété l'urgence, décrète que M. Clavière, sortant du ministère, emporte les regrets de la nation.)

M. le Président. La parole est à M. le ministre de la guerre.

M. Dumouriez, ministre de la guerre, ci-devant ministre des affaires étrangères. Je vais donner connaissance à l'Assemblée d'une lettre que je viens de recevoir du général Lafayette.

Rapport de M. Lafayette. Au camp retranché de Maubeuge, le 11 juin, l'an IV de la liberté.

« Je vous ai rendu compte, Monsieur, des mouvements sur Maubeuge. Avant-hier, pendant que je reconnaissais le pays entre mon camp et Mons, il s'engagea une escarmouche de nos troupes légères avec celles des ennemis, où ceux-ci perdirent 3 hommes, et où il y eut de part et d'autres quelques blessés. Ce matin, les ennemis ont attaqué mon avant-garde, qu'ils espéraient sans doute surprendre; mais, averti à temps, M. Gouvion a renvoyé ses équipages sur Maubeuge, et a commencé, en se repliant, un combat où son infanterie était continuellement couverte par des haies, et où les colonnes ennemies ont beaucoup souffert du feu du canon, et particulièrement de 4 pièces d'artillerie à cheval, sous le capitaine Barrois. Les 3 et 11° régiments de chasseurs et le 2o de hussards ont bien manœuvré; celui-ci a fort maltraité un détachement de hulans qui s'était aventuré. Un ouragan très violent ayant empêché d'entendre les signaux du canon, a retardé pour nous la connaissance de l'attaque. Aussitôt qu'elle est parvenue au camp, une colonne d'infanterie, sous M. Ligneville, et de la cavalerie, sous M. Tracy, ont été conduites par M. Narbonne sur le flanc gauche des ennemis. Tandis que la réserve de M. Maubourg se portait au secours de l'avant-garde, j'ai fait marcher les troupes en avant; et les ennemis, nous abandonnant le terrain, une partie de leurs morts et de leurs blessés, se sont retirés dans leur ancien camp. Nous avons dépassé de plus d'une lieue celui de l'avant-garde, qui a repris tous ses postes.

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Je n'aurais donc qu'à me féliciter du peu de succès de cette attaque, si, par la plus cruelle fatalité, elle n'avait pas enlevé à la patrie un de ses meilleurs citoyens; à l'armée, un de ses plus utiles officiers, et à moi un ami de 15 ans, M. Gouvion... (Un mouvement désordonné et de nombreuses exclamations témoignent de la douleur profonde qu'éprouve l'Assemblée en apprenant cette nouvelle.) Un coup de canon a terminé une vie aussi vertueuse. Il est pleuré par ses soldats, par toute l'armée, et par tous ceux qui sentent le prix d'un civisme pur, d'une loyauté inaltérable, et de la réunion du courage aux talents. Je ne parle pas de mes chagrins personnels, mes amis me plaindront.

Les deux lieutenants-colonels du départe

ment de la Côte-d'Or excitent de justes regrets. L'un, M. Cazotte, âgé de 75 ans, et connu par 50 ans de services distingués dans l'artillerie, avait, dans la dernière affaire, concouru avec M. Gouvion à l'action vigoureuse qui sauva du milieu des ennemis une pièce démontée. Notre perte d'ailleurs se borne à 25 hommes blessés. Le nombre des morts est peu considérable. Les ennemis en ont laissé beaucoup plus que nous et en ont beaucoup emporté. Nous avons fait quelques prisonniers, et je n'ai aucune connaissance que nous en ayons perdus.

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Telle est, Monsieur, la relation que je m'empresse de vous envoyer en rentrant au camp; elle est aussi exacte que je le puis avant d'avoir reçu des détails officiels.

« Signé le général d'armée LAFAYETTE. »

M. Pastoret. M. Lafayette vous annonce que M. Gouvion est pleuré par tous les soldats; il l'est sans doute également par tous les bons citoyens. (Applaudissements.) Il l'est particulièrement par tous ceux qui, depuis le 14 juillet 1789, l'ont vu à Paris défendre constamment la cause de la liberté. (Applaudissements.) Je demande que le comité d'instruction publique soit chargé de vous présenter demain un moyen de donner à sa mémoire un témoignage de l'estime et de la reconnaissance publiques.

M. Basire. Je demande que l'on comprenne dans la motion de M. Pastoret les deux lieutenants colonels de la Côte-d'Or.

M. Carez. Je demande que les regrets de l'Assemblée seront inscrits d'avance dans son procèsverbal. On fera droit ensuite à la proposition de M. Pastoret.

M. Mathieu Dumas. L'Assemblée trouvera juste sans doute, et tout à fait digne du sentiment qui l'occupe en ce moment, que son président soit chargé de faire connaître à la famille de M. Gouvion, et surtout à son père qui vient de perdre ses deux fils, l'un combattant pour la loi, l'autre contre les ennemis de la patrie, (1) les justes regrets que donne à sa mémoire le Corps législatif.

(L'Assemblée, à l'unanimité, décrète que le comité d'instruction publique sera chargé de présenter à l'Assemblée les moyens de rendre à la mémoire de M. Gouvion et des deux lieutenants colonels du bataillon de la Côte-d'Or, les honneurs qu'ils ont mérités. Elle ordonne en outre qu'il sera fait mention au procès-verbal des justes regrets que l'Assemblée a éprouvés par la perte de ces 3 militaires également recommandables par leur civisme et par leur courage et que M. le Président sera chargé d'adresser, au nom de l'Assemblée, aux familles de ces infortunés défenseurs de la patrie, la vive expression de sa douleur.)

M. Dumouriez, ci-devant ministre des affaires étrangères et actuellement ministre de la guerre. Monsieur le Président, (2) il est instant que l'As

(1) Le frère de M. Gouvion avait été tué à l'affaire de Nancy. M. Gouvion, qui était député de Paris à l'Assemblée législative, avait donné sa démission lors du décret qui accordait les honneurs de la séance aux Suisses de Chateauvieux et avait rejoint son poste à l'armée. (Voy. Archives parlementaires, 1 série, t.XLI, séance du 15 avril 1792, page 697.)

(2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Militaire, tome II, no 63.

semblée prête la plus sérieuse attention aux importantes vérités que j'ai cru devoir consigner dans le mémoire que je vais lire sur le ministère de la guerre, il est dépouillé de toute personnalité, comme de toute influence. Les ministres pour mériter la confiance de la nation doivent être purement hommes d'Etat, et repousser tout esprit de parti. Pour soutenir la liberté, ils doivent présenter des opinions libres, pour soutenir la Constitution, ils doivent présenter des opinions légales, telle doit être la marche des personnes qui composent le conseil du roi. Vous-mêmes, Messieurs, vous devez vous dépouiller de toutes vos affections et de toutes les passions humaines.

Les ministres sont citoyens comme vous, ils méritent les mêmes égards que vous. (Murmures à gauche).

M. Guadet. Après avoir obtenu le renvoi des ministres patriotes, M. Dumouriez se croit-il déjà autorisé à donner des leçons à l'Assemblée ?... M. Boullanger. M. Guadet se démasque.

M. Delacroix. Je demande que l'Assemblée entende en silence les vérités qu'on promet de lui dire, elle prononcera après.

M. Dumouriez, ministre de la guerre. Ils ont de plus la responsabilité, ainsi vous devez les regarder comme vos frères. La grandeur du danger n'admet plus de soupçons, car c'est à ces soupçons et à l'agitation perpétuelle, qu'ils occasionnent, que nous pouvons imputer l'état désastreux dont notre union nous fera sortir avec gloire.

MÉMOIRE

Sur le département de la guerre.

Les généraux se plaignent avec raison de la faiblesse et du délabrement de leurs armées, partout il manque des armes, des habits, des munitions, des chevaux de pelotons, des effets de campement, etc.

Le non-complet des 4 armées, pour les seules troupes de ligne, s'élève à plus de 40,000 hommes, et 8 ou 10,000 chevaux.

La plupart des places sont aussi démantelées qu'en état de paix, dans la plupart il n'y a ni vivres ni munitions suffisantes.

Plusieurs commandants, plusieurs officiers des différentes armes sont, ou suspects ou ennemis. Une partie du corps des commissaires des guerres, de celui des commis et des gardes magasins, surtout d'artillerie, sont, ou vendus ou suspects. Plusieurs municipalités frontières sont dans le même cas; et si les choses subsistent dans cet état, il sera facile à nos nombreux ennemis d'enlever plusieurs de nos places frontières et de pénétrer dans l'intérieur du royaume.

Les bureaux de la guerre sont au moins reprochables par la lenteur des expéditions, par le désordre des détails, par l'espèce des marchés, dont plusieurs, comme celui des chevaux de pelotons, par exemple, sont frauduleux et dont la plupart restent sans exécution. Rien n'est inspecté par des personnes autorisées à punir des fautes aussi graves, et à réparer sur-le-champ, sur les lieux, le déficit de cette inexécution.

Cependant le dernier ministre qui s'en est rapporté à ses agents, malgré leur infidélité ou leur incapacité reconnues, puisque ce sont les mêmes agents qui, sous les 3 précédents ministres, ont aidé à tromper la nation, et à ré

duire la force armée à un point de faiblesse effrayante, malgré une dépense énorme, est demeuré responsable, tant de la comptabilité que des suites funestes que peut entraîner cette désorganisation de la force armée, et par une espèce de solidarité très injuste, les autres minisires partagent cette responsabilité quoiqu'ils ne puissent apporter aucun remède à ces maux, tant que l'organisation du ministère du département de la guerre restera en cet état.

constituante décréta 100,000 auxiliaires, ce qui était une très bonne mesure, pour compléter l'armée de ligne, elle perdit tout le fruit de celte mesure, en décrétant 90,000 hommes formés en bataillons volontaires, parce que ceux-ci absorbèrent les premiers, et qu'on ne put jamais réussir à lever les auxiliaires.

Rappelons-nous aussi que plus de 6 mois ont été employés à cette levée des volontaires, que faute de précautions, leur habillement et leur armement ont été d'une longueur insupportable, et que plusieurs d'entre eux manquent encore des équipements les plus nécessaires et sont à organisés.

Revenons à présent à l'état de forces que nous donnent sur le papier les nouvelles levées proposées ou décrétées depuis 6 semaines :

Le dernier ministre de la guerre a montré des vues très patriotiques, et beaucoup de zèle pour remonter l'état militaire, mais je lui demanderais si les moyens qu'il a employés lui parais-peine sent suffisants. Il a dit, et je le pense tout comme lui, qu'il faut que toute la nation se lève à la fois et prenne les armes, mais cette levée générale, si elle n'est ni bien ordonnée, ni successive, ne peut pas augmenter la force de l'armée, et ne peut opposer aux troupes aguerries des despotes, qu'une tourbe sans ordre et par conséquent sans force, qui rassemblée tumultuairement, aura le sort de ces immenses armées indiennes que quelques hommes aguerris dissipaient facilement.

D'ailleurs, que la nation se lève tout entière présente une grande idée très énergique, mais elle manque de précision, et elle est inexécutable, parce qu'il n'y a ni assez d'armes ni assez de provisions de bouche, ni assez de munitions pour cette immense multitude; et c'est par un pareil moyen que l'imprudent Van der Noot a détruit, dans 15 jours, toutes les ressources des Belges, contre une poignée d'Autrichiens; il poussa le même cri de guerre, 80,000 hommes au moins se rassemblèrent à sa voix, avec promptitude, et furent dissipés encore plus promptement par 12 ou 15,000 Autrichiens.

Suivons les opérations qui, depuis 6 semaines, ont été faites et décrétées par l'Assemblée, sur les propositions de MM. de Grave et Servan."

M. de Grave n'ayant aucun état de situation des régiments de ligne, et persuadé sans doute que les 51,000 hommes que M. de Narbonne avait annoncé manquent à l'armée, étaient plus que complétés par le recrutement volontaire, qu'on avait annoncé à l'Assemblée nationale monter à plus de 100,000, ne s'est point occupé du recrutement des régiments de ligne.

Il a proposé une augmentation de 50 bataillons de volontaires nationaux. Cette proposition a été modifiée d'une manière avantageuse par le comité militaire, qui a fait décréter par l'Assemblée que tous les bataillons précédemment levés, soient portés à 800 hommes effectifs, pour être assimilés aux bataillons de guerre des troupes de ligne, et que, de plus, il serait créé 34 nouveaux bataillons de la même force de 800 hommes, ce qui porterait le nombre total des bataillons de gardes nationales volontaires à 214.

Bientôt après, M. Servan a proposé à l'Assemblée nationale la levée de 1,000 hommes par département.

Enfin, il vient de proposer la levée de 5 hommes par canton, dont 1 à cheval, l'Assemblée a décrété 20,000 hommes de pied.

Il a proposé pareillement de tirer de chaque brigade de la gendarmerie nationale, un homine monté, qui sera remplacé par un autre homme choisi par le département.

Récapitulons la somme totale de toutes ces levées proposées ou décrétées coup sur coup; et rappelons-nous d'abord que lorsque l'Assemblée

1° Il faut mettre en ligne de compte pour le recrutement de l'armée 50,000 hommes;

2o Pour le complètement de 180 bataillons existants, 226 hommes par bataillon, pour les porter à 800, 40,680 hommes;

3o Pour la levée de 34 nouveaux bataillons, 27,200 hommes;

4o Pour la levée de 1,000 hommes par département, 83,000;

5o Pour la levée de 5 hommes par canton, à peu près 27,800 hommes, dont 5,000 de cavalerie, réduits à 20,000;

6o Pour le tirage d'un homme par brigade de la gendarmerie nationale, 1,600 hommes de cavalerie;

7° Pour la levée de 3 légions, environ 12,000 hommes;

8° Pour la levée de 54 compagnies franches de 200 hommes, 10,800.

Art. 1er.

50,000 hommes.

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245,280 hommes

dont, à peu près, 1,600 chevaux.
Procédons actuellement avec méthode sur cette
prodigieuse levée.

A-t-on commencé par assigner des fonds pour chaque objet? Sans contredit, le premier de tous est le recrutement de l'armée de ligne ou, au moins, le complètement de 180 bataillons de volontaires, qui forment le fonds de nos 4 armées, et qui, par leur bon esprit, sont l'espoir de notre résistance.

C'est ce dont nos généraux ont le besoin le plus pressant, pour renforcer leurs faibles armées, quelque plan qu'ils aient adopté, soit d'attaque, soit de défense.

Si M. Servan s'est contenté d'avoir fait décréter cet objet, s'il s'en est rapporté aux soins des départements distincts et municipalités, qui ne peuvent rien entendre à la partie militaire, il n'a pas diminué sa responsabilité; mais, au contraire, il l'a surchargée de toutes les lenteurs que ces corps administratifs mettront dans cette levée, qui ne sera pas effectuée de toute l'année, puisque la première levée des volontaires nationaux a duré plus de 6 mois, et qu'alors il y avait dans le royaume des draps bleus, de la buffleterie et des armes, il en est de même pour

le troisième article, c'est-à-dire la levée des 34 bataillons, décrétée par l'Assemblée.

Ces 3 articles marchent ensemble, et il me paraît que, pour les exécuter, il eut fallu: 1° que M. Servan écrivit une circulaire à tous les corps administratifs du royaume, pour leur donner des instructions sur la manière la plus prompte d'exécuter cette levée, qui, pour les 3 articles, monte à 117,880 hommes, pour lesquels il aurait dù d'avance connaître ses ressources sur l'habillement et l'armement.

De ces 118,000 hommes, 50,000 hommes étant destinés pour compléter l'armée de ligne. M. Servan a dû s'occuper de ce qui manque à chaque régiment en habillement et armement, pour le porter au grand complet de guerre, afin que les recrues, en arrivant au dépôt de chaque régiment, y trouvent ce qui leur est nécessaire; en outre, il a dû s'occuper de l'armement et de l'habillement de tous les régiments qui sont distribués dans les 4 armées, et il doit être étonné lui-même, de ce que, non seulement les généraux font continuellement de justes et d'inutiles plaintes sur le dénuement absolu de leurs soldats, mais aussi de ce que tous les rapports de personnes de confiance, que lui et moi avons envoyées sur les frontières, sont parfaitement conformes aux plaintes des généraux et prouvent clairement le désordre et la mauvaise foi des agents et des bureaux.

Il semble que, dès qu'un décret est rendu pour une formation de troupes quelconques, le ministre devrait avoir présenté, en même temps, l'aperçu de la dépense résultant de ce décret, et faire décréter la somme de cet aperçu :

1° Pour être assuré de pouvoir fournir sur-lechamp à cette dépense;

2o. Pour régler sa comptabilité et ne pas l'embrouiller, en confondant plusieurs objets;

3° Pour pouvoir rendre compte à tout moment, à l'Assemblée si elle l'exige, de l'état de sa dépense et du progrès de sa formation.

Dans l'aperçu, le compte de chaque objet, l'habillement, l'armement, les frais d'engagement, les frais de route et de rassemblement, la solde, doivent former autant d'états séparés; sans quoi, toutes les parties tombent dans la confusion, aucune n'est mise en règle, et le ministre lui-même, victime du désordre de ses bureaux, ne peut plus se retrouver.

D'après ces principes, comme le premier besoin est de porter au grand pied de guerre, les 4 armées qui sont sur les frontières, la mesure la plus pressante, dont le ministre de la guerre doit s'occuper, est d'engager l'Assemblée nationale, soit par un décret, soit par une invitation pressante aux 83 départements, de remettre en vigueur leur recrutement, qui a cessé tout d'un coup parce qu'on a exagéré sa réalité et qu'on a craint qu'il ne fût trop considérable.

Il faut que le ministre de la guerre présente à l'Assemblée un état de cette dépense et qu'il en fasse sur-le-champ décréter les frais particuliers; il faut, en même temps qu'il fasse dresser un état exact de ce qui manque à chaque régiment de toute arme, en armement et habillement, tant pour les hommes existants dans les régiments, que pour les recrues qui doivent y rentrer.

Il faut qu'en combinant l'état des masses de chaque régiment, il dresse un état de la somme qu'il doit y ajouter pour l'habillement et qu'il fasse décréter cette somme. Il faut en outre que, pour la cavalerie, il tienne tout prêts les mar

chés nécessaires pour l'augmentation de la remonte et le remplacement des chevaux, et qu'il y ajoute un fonds permanent d'au moins 6,000 chevaux, pour la consommation indispensable dans les 4 armées.

Quant à l'armement, il faut d'abord qu'il mette assez d'ordre dans les manufactures nationales pour s'assurer d'au moins 50,000 fusils par an, outre le complet des 4 armées. Il ne doit pas négliger de faire des marchés avec l'étranger, il ne doit pas craindre de se trouver surchargé de fusils, parce que effectivement, s'il faut que la nation, un jour se lève tout entière en armes, elle ne peut le faire que lorsque chaque citoyen aura une arme, indépendamment du double armement de la force militaire soldée.

C'est d'après ce principe que, pour faire trouver des armes pour les habitants des frontières, M. Servan avait proposé une très bonne mesure, celle de donner 24 livres à tout citoyen des frontières menacées, qui se présenterait à la défense de sa patrie, pourvu d'une déclaration de sa municipalité, qui prouverait que son arme lui appartient et est un bon fusil de guerre, armé de sa baïonnette. Le ministre de la guerre doit présenter l'état de ces différents marchés avec la précaution seulement de ne pas indiquer nominativement ceux des pays étrangers.

Il doit donner un aperçu de la somme totale et annuelle de l'armement, et il doit demander à l'Assemblée nationale un décret pour l'augmentation de dépense de l'armée.

Il en doit faire autant pour l'artillerie, la poudre, les ustensiles et les munitions de guerre de toute espèce, et, d'après ces états, il doit demander à l'Assemblée nationale un décret pour l'augmentation de dépense pour avoir les sommes toutes prêtes, à sa disposition.

Il est à remarquer que, dans toutes les dépenses qui exigent des marchés ou des entreprises, il faut que le ministre puisse faire des

avances.

L'article 4, pour la levée de 1,000 hommes par département, n'ayant été que proposé et point décrété, le ministre peut se dispenser d'en présenter les détails à l'Assemblée nationale.

L'article 5, qui concerne le dernier décret rendu pour la levée de 20,000 hommes, pris sur tous les cantons de la France, et destinés à former un ou deux camps intermédiaires entre Paris et les frontières du Nord, exige que le ministre présente un état très circonstancié de l'armement, habillement et objets de campement de ces 20,000 hommes, et avec le même état, l'aperçu de la dépense de leur formation et rassemblement, pour que l'Assemblée nationale décrète et mette tout de suite à sa disposition, les fonds nécessaires pour cette levée.

L'article 6, qui concerne le rassemblement d'un homme par brigade de la gendarmerie nationale, doit être accompagné d'un état de dépense, tant pour le rassemblement de cette cavalerie, que pour le remplacement d'un gendarme monté par brigade. La somme totale de cette dépense doit être pareillement décrétée d'avance, et mise à la disposition du ministre de la guerre.

L'article 7, qui concerne la levée de 3 légions pour les 3 armées du Nord, du centre et du Rhin (on ne voit pas pourquoi on n'en lève pas une quatrième dans l'armée du midi) aurait dû être également accompagnée de l'état de dépense de ces 3 ou 4 légions, pour que, d'après un décret, la somme totale de cette dépense pût être mise tout de suite à la disposition du ministre.

C'est par d'aussi graves négligences que les levées ordonnées ne s'exécutent pas, ou s'exécutent trop lentement. C'est pour parer à cet inconvénient, que le ministre des affaires étrangères, quoique cela ne fût pas de son département, a cru devoir prendre sur lui d'avancer, dans les premiers jours du mois de juin, 700,000 francs pour la formation d'une légion hollandaise, destinée pour l'armée du maréchal Luckner, et pour l'achat de 6,000 fusils.

Ce n'est qu'avec cet ordre et cette précision, que le ministre de la guerre peut parvenir à faire exécuter les décrets de l'Assemblée nationale, et à donner à la nation une force armée imposante, et capable de repousser les ennemis, en quelque nombre qu'ils soient.

Jamais un décret, soit pour l'augmentation de l'armée, soit pour celle de la force navale, ne doit être rendu, sur la proposition d'un de ces deux ministres, sans être accompagné d'un état de dépense et d'un décret qui en fixe la somme et la mette à la disposition de ce ministre.

L'Assemblée nationale aime trop la Constitution et la liberté, pour ne pas juger que le temps des économies est passé, et qu'il vaudrait mieux vivre libres et ruinés que de rentrer dans l'esclavage et de faire présent aux despotes et à nos rebelles des millions que nous aurions épargnés.

Si nous faisons une grande dépense, tout n'est pas perdu; l'industrie, les manufactures et les arts repomperont, par 1,000 canaux, les sommes que nous coûtera notre armement, et les rappor teront à la masse. Soyons libres, et bientôt, nous deviendrons riches, non pas de cette richesse mal partagée qui faisait tant de pauvres et de malheureux, mais de cette aisance plus égale, qui distribue sur un plus grand nombre d'individus utiles, le fruit de l'industrie et du travail.

Tout ce qui sera dépensé avec ordre, le sera utilement il n'y a que le désordre qui puisse passer pour de la dissipation.

Pour arriver à cet ordre, il faut s'assurer du patriotisme, du zèle et des talents des agents administrateurs du département de la guerre.

Je suis obligé de dire avec chagrin, que le corps des commissaires des guerres excite des plaintes générales par son incivisme ou par son défaut de lumières.

On a dégoûté beaucoup d'anciens serviteurs, qu'on a forcés de prendre des retraites qui surchargent l'Etat. On les a remplacés par des jeunes gens sans expérience, qui ne connaissent aucune des parties de leur administration, et ne leur a donné aucune instruction sur leurs importantes fonctions. C'est parmi les quartiersmaîtres qu'il eut fallu choisir les nouveaux commissaires des guerres; c'est aussi dans ce corps qu'il faut choisir les commis du bureau de la guerre, à mesure qu'on se verra obligé de les renouveler. Ces officiers, accoutumés à tous les détails, et choisis par leurs régiments, sont les seuls qui puissent faire marcher l'administration du département de la guerre.

Quant aux subsistances, c'est au ministre à choisir des hommes intègres et éclairés, ainsi que pour toutes les parties en régie, ou en entreprise.

Il doit avoir le courage, non seulement de dénoncer les fautes quand elles sont graves et qu'elles décèlent de la mauvaise foi; mais il doit sur-le-champ destituer les coupables, et les remplacer pour que le service n'en souffre pas.

Des hommes de confiance doivent continuel

lement visiter toutes les armées, toutes les places de guerre, tous les magasins, arsenaux, manufactures, etc...

Chacun de ces inspecteurs, dès qu'il trouve un délit, de quelque nature qu'il soit, doit le faire constater, ou par les généraux, ou par la municipalité, envoyer sur-le-champ un courrier au ministre avec les preuves du délit; et le ministre doit, avec la même promptitude, suspendre ou destituer, et remplacer le coupable.

Tel est le moyen de pouvoir supporter sa grande responsabilité, en la subdivisant.

Quant à l'ordre dans les armées, il n'existera pas, tant que la subordination ne descendra pas de grade en grade, depuis le général, jusqu'au dernier soldat.

Une subordination qui monte de grade en grade, s'arrête toujours à l'échelon où commence l'aristocratie. C'est ainsi que l'impunité des chefs ramasse sur leurs têtes coupables la licence, et quelquefois la vengeance des subordonnés; c'est ainsi que, pendant que le soldat ne peut pas s'éloigner de son drapeau sans être puni, les officiers et surtout les généraux et les supérieurs, consomment impuněment à Paris, la solde de la nation.

Comment peut-on compter sur la discipline, lorsque l'exemple de l'indiscipline vient des chefs eux-mêmes?

Que le ministre de la guerre ait le courage, une fois pour toutes, de prescrire un terme fatal à tout officier, pour aller joindre le poste auquel il est nommé, et que, sans s'embarrasser des murmures, il destitue celui qui aura manqué à son devoir; qu'en cas de plainte, il le renvoie à la décision de l'Assemblée nationale; bien peu d'entre les coupables oseront y porter leurs vaines réclamations.

Qu'en traitant les officiers généraux et supérieurs avec cette rigueur, de grade en grade, qu'il se persuade bien, et que l'Assemblée se le persuade pour lui, que la responsabilité d'un ministre consiste plus dans la grandeur des plans qu'il doit produire, que dans les petites erreurs, soit de calcul, soit d'arbitraire, qui tiennent à la faiblesse humaine.

Tout homme qui craint la responsabilité, tout homme que la responsabilité peut empêcher de prendre de grandes mesures dans une crise aussi forte que celle qui nous occupe, est incapable d'être le sauveur de l'Etat.

L'Assemblée, de son côté, doit encourager les ministres, lorsque la confiance publique les désigne comme propres à leur place. Les dénonciations, les attaques indiscrètes ne peuvent que dégoûter l'homme d'honneur, si elles ne le découragent pas, et, en même temps, elles compromettent l'Assemblée, qui perd, à les écouter, un temps précieux.

Il est temps que toutes les factions se taisent devant le danger de la patrie.

Ne ressemblons pas aux matelots qui s'enivrent au plus fort de la tempête et qui laissent submerger le vaisseau.

Réunissons-nous tous autour de l'arbre de la liberté; surtout n'ébranlons pas la Constitution : ce livre sacré doit nous réunir tous.

C'est au Corps législatif à maintenir l'intégrité des pouvoirs constitués, et il doit veiller sur l'exécution des lois; il doit donc soutenir l'autorité du pouvoir exécutif. C'est par la force armée que notre liberté peut fleurir, il faut donc que les représentants de la nation portent toute leur attention sur cette partie importante du gouver

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