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tions trop fréquentes? Que feroit-ce fi chaque Particulier étoit le maître d'introduire de fa propre autorité & fans aucune circonfpection, toutes les nouveautés que fon caprice lui dicteroit ? La liberté d'inventer de nouveaux mots entraîneroit celle de bannir les anciens, & pafferoit bientôt à innover dans les tours & dans les façons de parler les plus éffentieles à la Langue. On a beau dire que cela faciliteroit l'expreffion des penfées; car fuivant ce raifonnement il faudroit multiplier les mots à l'infini; & une langue ne feroit plus qu'un amas de fynonymes & un vocabulaire intariffable, qui ne s'arrêteroit jamais. Les langues les plus riches n'ont-elles point manqué de certains termes ? Nous en avons dans le François, qui ne fe trouvent ni dans le Grec ni dans le Latin; & malgré l'abondance de ces deux Langues, croit-on que ceux qui les parloient, n'avoient jamais de peine à exprimer leurs idées, & qu'ils trouvoient d'abord dans la multitude des mots que leur Langue leur fourniffoit, dequoi peindre fans travail tout ce que leur efprit concevoit? Ce n'eft guères la difette des mots qui embaraffe, c'est la difficulté de les bien arranger, de les

appliquer avec jufteffe, d'en faire réfulter le nombre & l'harmonie, enfin de créer des tours fins & hardis, ou tendres & gracieux qui forment une image vive & naturelle de ce qu'on veut repréfenter. Or cette difficulté fe rencontre également dans toutes les Langues; dans les plus fécondes comme dans les autres & elle ne peut être vaincue que par la force de l'efprit, & la beauté de l'imagination. Il fuit de ces raisonnemens que lorfqu'une Langue a une fois pris fa forme, & qu'elle fuffit à bien exprimer tout ce qui fe peut penfer, il faut s'y tenir, & fe contenter d'employer ingénieufement les termes qu'elle pofléde, fans fonger à la furcharger de fuperfluités embarraffantes. Le Latin a commencé à fe corrompre quand on a voulu pouffer fa fertilité jusqu'à caractcrifer fubtilement les divifions les plus délicates de la penfée; & il ne s'eft gâté tout-à-fait, que parce que les Ecrivains du Bas-Empire ont reçu inconfidérément les différens termes des Nations étrangères qui ravageoient leur pays: après avoir adopté leurs mots, on en eft venu bientôt à fe fervir de leurs façons de parler; on a en même temps oublié les véritables

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termes, & les vrais tours du fiécle d'Augufte; jufques-là que de cette Langue fi pure, fi noble, & fi abondante on en a enfin compofé un jargon méconnoiffable. Nous fommes peut-être menacés du même danger. L'on n'a deja que trop affecté d'introduire de nouveaux termes, qui malgré la profcription publique ne laiffent pas de reparoître de temps en temps, & c'est ce qui donne à certains Ouvrages cet air fade & précieux qui infpire tant de dégoût aux efprits raisonnables. Rien n'eft fi pitoyable en fait de ftyle que l'affectation marquée de préférer aux termes ufités, des mots inconnus & nouvellement forgés. Si l'on fe bornoit fimplement à inventer dans notre Langue quelques termes d'une utilité confidérable, qui fuffent éxpreffifs, harmonjeux, & conformes à l'analogie, il n'y auroit point fans doute d'inconvénient à les admettre. Horace permettoit aux Auteurs de fon temps de hafarder quelquefois de nouveaux mots quand ils avoient à traiter des matières nouvelles & jufqu'alors inconnues; mais il vouloit en même temps que l'étymologie en fût claire, qu'on en ufât fobrement avec circonfpe&ion, & toujours en cas

de néceffité. Quand toutes ces circonf tances fe rencontrent, on peut tolérer un nouveau mot, pourvu qu'il foit enfuite ratifié par l'ufage, qui n'eft autre chofe que l'approbation de ceux qui parlent & qui écrivent bien. Cependant comme la multitude l'emporte d'ordinaire, il est toujours à craindre que la facilité qu'on auroit à admettre les nouveautés, ne dégénerât dans une licence qui corromproit tout: ainfi il y a beaucoup plus à craindre qu'à efpérer ; & c'eft pourquoi l'on ne fçauroit trop fe tenir en garde, ni trop fe roidir contre toute efpéce d'innovation, & l'on ne doit jamais s'en relâcher qu'avec une grande précaution, & lorfque la néceffité, ou du moins l'utilité reconnue des nouveaux termes exige qu'on les adopte fans fcrupule.

Par M.... de la Société Littéraire d'Arras.

LETTRES Secrettes de CHRISTINE, Reine de Suede aux Perfonnes illuftres de fon fiècle, dédiée au Roi DE PRÙSSE; avec cette Epigraphe : La Vérité n'offenfe point le Sage. A Genève, chez les Frères Cramer & à Paris, chez Desain junior Quai des Auguftins. Brochure, petit in-8°. 1762.

S'IL

,

IL eft vrai que dans les Lettres familières des Grands Hommes, on découvre fans peine leur caractère & leur génie, rien n'eft plus propre à faire connoître l'âme de la Reine de Suéde, que l'Ouvrage que nous annonçons. L'accueil favorable que le Public avoit déja fait aux Lettres choifies de cette Princeffe, imprimées chez Humblot, Libraire, rue S. Jacques, en 1760, annonce à celles-ci un fort pour le moins auffi heureux. Elles font au nombre de foixante-fix; & les perfonnes à qui Chriftine les a écrites, font la plupart d'illuftres fçavans ou des gens de Lettres

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