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me détourner de l'essentiel: je m'y suis attaché avec tout le zèle de mon cœur ; je me suis indigné, récrié de voir cette sainte doctrine ainsi profanée, avilie, par nos prétendus chrétiens, et surtout par ceux qui font profession de nous en instruire. J'ose même croire, et je m'en vante, qu'aucun d'eux ne parla plus dignement que moi du vrai christianisme et de son auteur. J'ai là-dessus le témoignage, l'applaudissement même de mes adversaires, non de ceux de Genève, à la vérité, mais de ceux dont la haine n'est point une rage, et à qui la passion n'a point ôté tout sentiment d'équité. Voilà ce qui est vrai; voilà ce que prouvent et ma Réponse au roi de Pologne, et ma Lettre à M. d'Alembert, et l'Héloïse, et l'Émile, et tous mes écrits, qui respirent le même amour P'Évangile, la même vénération pour Jésus-Christ. Mais qu'il s'ensuive de là qu'en rien je puisse approcher de mon maître, et que mes livres puissent suppléer à ses leçons, c'est ce qui est faux, absurde, abominable; je déteste ce blasphème, et désavoue cette témérité. Rien ne peut se comparer à l'Évangile; mais sa sublime simplicité n'est pas également à la portée de tout le monde. Il faut quelquefois, pour l'y mettre, l'exposer sous bien des jours. Il faut conserver ce livre sacré comme la règle du maître, et les miens comme les commentaires de l'écolier.

pour

J'ai traité jusqu'ici la question d'une manière un peu générale; rapprochons-la maintenant des faits, par le parallèle des procédures de 1563 et de 1762,

et des raisons qu'on donne de leurs différences. Comme c'est ici le point décisif par rapport à moi, je ne puis, sans négliger ma cause, vous épargner ces détails, peut-être ingrats en eux-mêmes, mais intéressants, à bien des égards, pour vous et pour vos concitoyens. C'est une autre discussion; qui ne peut être interrompue, et qui tiendra seule une longue lettre. Mais, monsieur, encore un peu de courage; ce sera la dernière de cette espèce dans laquelle je vous entretiendrai de moi.

LETTRE V.

Continuation du même sujet. Jurisprudence tirée des procédures faites en cas semblables. But de l'auteur en publiant la Profession de foi.

la né

Après avoir établi, comme vous avez vu, cessité de sévir contre moi, l'auteur des Lettres prouve, comme vous allez voir, que la procédure faite contre Jean Morelli, quoique exactement conforme à l'ordonnance, et dans un cas semblable au mien, n'était point un exemple à suivre à mon égard; attendu, premièrement, que le Conseil, étant au-dessus de l'ordonnance, n'est point obligé de s'y conformer; que d'ailleurs mon crime, étant plus grave que le délit de Morelli, devait être traité plus sévèrement. A ces preuves l'auteur ajoute qu'il n'est pas vrai qu'on m'ait jugé sans m'entendre, puisqu'il suffisait d'entendre le livre même, et que la flétrissure du livre ne tombe en aucune

façon sur l'auteur; qu'enfin les ouvrages qu'on reproche au Conseil d'avoir tolérés sont innocents et tolérables en comparaison des miens.

Quant au premier article, vous aurez peut-être peine à croire qu'on ait osé mettre sans façon le petit Conseil au-dessus des lois. Je ne connais rien de plus sûr pour vous en convaincre que de vous transcrire le passage où ce principe est établi, et, de peur de changer le sens de ce passage en le tronquant, je le transcrirai tout entier.

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(Page 4.) « L'ordonnance a-t-elle voulu lier les <«<mains à la puissance civile, et l'obliger à ne réprimer aucun délit contre la religion qu'après «< que le consitoire en aurait connu? Si cela était, il << en résulterait qu'on pourrait impunément écrire «< contre la religion, que le gouvernement serait << dans l'impuissance de réprimer cette licence, et « de flétrir aucun livre de cette espèce; car si l'or« donnance veut que le délinquant paraisse d'a« bord au consistoire, l'ordonnance ne prescrit pas « moins que, s'il se range, on le supporte sans diffame. Ainsi, quel qu'ait été son délit contre la religion, l'accusé, en faisant semblant de se ran«<ger, pourra toujours échapper; et celui qui au« rait diffamé la religion par toute la terre, au moyen d'un repentir simulé, devrait être supporté « sans diffame. Ceux qui connaissent l'esprit de sé« vérité, pour ne rien dire de plus, qui régnait lorsque l'ordonnance fut compilée, pourront-ils «< croire que ce soit là le sens de l'article 88 de l'or<< donnance?

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<<< Si le consistoire n'agit pas, son inaction en«< chaînera-t-elle le Conseil? ou du moins sera-t-il << réduit à la fonction de délateur auprès du consis<< toire? Ce n'est pas là ce qu'a entendu l'ordon<< nance, lorsque après avoir traité de l'établisse<< ment, du devoir et du pouvoir du consistoire, elle conclut que la puissance civile reste en son << entier, en sorte qu'il ne soit en rien dérogé à <«< son autorité, ni au cours de la justice ordinaire, « par aucunes remontrances ecclésiastiques. Cette << ordonnance ne suppose donc point, comme on « le fait dans les représentations, que dans cette <«< matière les ministres de l'Évangile soient des juges plus naturels que les Conseils. Tout ce qui <«< est du ressort de l'autorité en matière de religion << est du ressort du gouvernement. C'est le principe des protestants; et c'est singulièrement le « principe de notre constitution, qui, en cas de dispute, attribue aux Conseils le droit de décider << sur le dogme.

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Vous voyez,

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monsieur dans ces dernières lignes le principe sur lequel est fondé ce qui les précède. Ainsi, pour procéder dans cet examen avec ordre, il convient de commencer par la fin.

<< Tout ce qui est du ressort de l'autorité en ma<< tière de religion, est du ressort du gouvernement. >> Il y a ici dans le mot gouvernement une équivoque qu'il importe beaucoup d'éclaircir; et je vous conseille, si vous aimez la constitution de votre patrie, d'être attentif à la distinction que je vais faire : vous en sentirez bientôt l'utilité.

Le mot de gouvernement n'a pas le même sens dans tous les pays, parce que la constitution des états n'est pas partout la même.

Dans les monarchies, où la puissance exécutive est jointe à l'exercice de la souveraineté, le gouvernement n'est autre chose que le souverain luimême, agissant par ses ministres, par son conseil, ou par des corps qui dépendent absolument de sa volonté. Dans les républiques, surtout dans les démocraties, où le souverain n'agit jamais immédiatement par lui-même, c'est autre chose. Le gouvernement n'est alors que la puissance exécutive, et il est absolument distinct de la souveraineté,

Cette distinction est très-importante en ces matières. Pour l'avoir bien présente à l'esprit, on doit lire avec quelque soin dans le Contrat social les deux premiers chapitres du livre troisième, où j'ai tâché de fixer, par un sens précis, des expressions qu'on laissait avec art incertaines, pour leur donner au besoin telle acception qu'on voulait. En général, les chefs des républiques aiment extrêmement à employer le langage des monarchies. A la faveur de termes qui semblent consacrés, ils savent amener peu à peu les choses que ces mots signifient. C'est ce que fait ici très-habilement l'auteur des Lettres, en prenant le mot de gouvernement, qui n'a rien d'effrayant en lui-même, pour l'exercice de la souveraineté, qui serait révoltant, attribué sans détour au petit Conseil.

C'est ce qu'il fait encore plus ouvertement dans un autre passage (page 66), où, après avoir dit

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