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ceur des mœurs, la simplicité, mais la facilité, la grace, et même l'élégance. Il ne fuyait ni les plaisirs ni les fêtes, il allait aux noces, il voyait les femmes, il jouait avec les enfants, il aimait les parfums, il mangeait chez les financiers. Ses disciples ne jeûnaient point; son austérité n'était point fàcheuse. Il était à la fois indulgent et juste, doux aux faibles et terrible aux méchants. Sa morale avait quelque chose d'attrayant, de caressant, de tendre; il avait le cœur sensible, il était homme de bonne société. Quand il n'eût pas été le plus sage des mortels, il en eût été le plus aimable.

Certains passages de saint Paul, outrés ou mal entendus, ont fait bien des fanatiques, et ces fanatiques ont souvent défiguré et déshonoré le christianisme. Si l'on s'en fût tenu à l'esprit du maître, cela ne serait pas arrivé. Qu'on m'accuse de n'être pas toujours de l'avis de saint Paul; on peut me réduire à prouver que j'ai quelquefois raison de n'en pas être; mais il ne s'ensuivra jamais de là que ce soit par dérision que je trouve l'Évangile divin. Voilà pourtant comment raisonnent mes persécuteurs.

Pardon, monsieur ; je vous excède avec ces longs détails, je le sens, et je les termine: je n'en ai déjà que trop dit pour ma défense, et je m'ennuie moimême de répondre toujours par des raisons à des

accusations sans raison.

LETTRE IV.

L'auteur se suppose coupable; il compare la procédure à la loi.

Je vous ai fait voir, monsieur, que les imputations tirées de mes livres en preuve que j'attaquais la religion établie par les lois étaient fausses : c'est cependant sur ces imputations que j'ai été jugé coupable, et traité comme tel. Supposons maintenant que je le fusse en effet, et voyons en cet état la punition qui m'était due..

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Ainsi que la vertu le vice a ses degrés.

Pour être coupable d'un crime, on ne l'est pas de tous. La justice consiste à mesurer exactement la peine à la faute; et l'extrême justice elle-même est une injure, lorsqu'elle n'a nul égard aux considérations raisonnables qui doivent tempérer la rigueur de la loi...

Le délit supposé réel, il nous reste à chercher quelle est sa nature, et quelle procédure est prescrite en pareil cas par vos lois.

• Si j'ai violé mon serment de bourgeois, comme on m'en accuse, j'ai commis un crime d'état, et la connaissance de ce crime appartient directement au Conseil; cela est incontestable.

Mais si tout mon crime consiste en erreur sur la doctrine, cette erreur fût-elle même une impiété, c'est autre chose. Selon vos édits, il ap

partient à un autre tribunal d'en connaître en premier ressort.

Et quand même mon crime serait un crime d'état, si, pour le déclarer tel, il faut préalablement une décision sur la doctrine, ce n'est pas au Conseil de la donner. C'est bien à lui de punir le crime, mais non pas de le constater. Cela est formel par vos édits, comme nous verrons ci-après.

Il s'agit d'abord de savoir si j'ai violé mon serment de bourgeois, c'est-à-dire, le serment qu'ont prêté mes ancêtres quand ils ont été admis à la bourgeoisie; car pour moi, n'ayant pas habité la ville, et n'ayant fait aucune fonction de citoyen, je n'en ai point prêté le serment. Mais passons.

Dans la formule de ce, serment, il n'y a que deux articles qui puissent regarder mon délit. On promet, pår le premier; « de vivre selon la réfor<<mation du saint Évangile; » et par le dernier, «< de « ne faïre, ne souffrir aucunes pratiques, machi«nations ou entreprises contre la réformation du << saint Évangile. »>

Or, loin d'enfreindre le premier article, je m'y suis conformé avec une fidélité et même une hardiesse qui ont peu d'exemples, professant hautement ma religion chez les catholiques, quoique j'eusse autre fois vécu dans la leur; et l'on ne peut alléguer cet écart de mon enfance comme une infraction au serment, surtout depuis ma réunion authentique à votre Église en 1754, et mon rétablissement dans mes droits de bourgeoisie, notoire à tout Genève, et dont j'ai d'ailleurs des preuves positives.

On ne saurait dire, non plus, que j'ai enfreint ce premier article par les livres condamnés, puisque je n'ai point cessé de m'y déclarer protestant. D'ailleurs, autre chose est la conduite, autre chose sont les écrits. Vivre selon la réformation, c'est professer la réformation, quoiqu'on se puisse écarter par erreur de sa doctrine dans de blâmables écrits, ou commettre d'autres péchés qui offensent Dieu, mais qui, par le seul fait, ne retranchent pas le délinquant de l'Église. Cette distinction, quand on pourrait la disputer en général, est ici dans le serment même, puisqu'on y sépare en deux articles ce qui n'en pourrait faire qu'un, si la profession de la religion était incompatible avec toute entreprise contre la religion. On y jure, par le premier, de vivre selon la réformation; et l'on y jure, par le dernier, de ne rien entreprendre contre la réformation. Ces deux articles sont très-distincts, et même séparés par beaucoup d'autres. Dans le sens du législateur, ces deux choses sont donc séparables : donc, quand j'aurais violé ce dernier article, il ne s'ensuit pas que j'aie violé le premier. Mais ai-je violé ce dernier article?

Voici comment l'auteur des Lettres écrites de la campagne établit l'affirmative, page 30:

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<< Le serment des bourgeois leur impose l'obligation de ne faire, ne souffrir étre faites aucunes pratiques, machinations ou entreprises contre la « sainte réformation évangélique. Il semble que c'est « un peu a pratiquer et machiner contre elle, que

а

a Cet un peu, si plaisant et si différent du ton grave et décent

« de chercher à prouver dans deux livres si sédui<«<sants, que le pur Évangile est absurde en lui

« même et pernicieux à la société. Le Conseil était « donc obligé de jeter un regard sur celui que tant « de présomptions si véhémentes accusaient de cette << entreprise. >>

Voyez d'abord que ces messieurs sont agréables! Il leur semble entrevoir de loin un peu de pratique et de machination: sur ce petit semblant éloigné d'une petite manoeuvre, ils jettent un regard sur celui qu'ils en présument l'auteur; et ce regard est un décret de prise de corps.

«

Il est vrai que le même auteur s'égaie à prouver ensuite que c'est par pure bonté pour moi qu'ils m'ont décrété: « Le Conseil, dit-il, pouvait ajour<«< ner personnellement M. Rousseau, il pouvait l'assigner pour être ouï, il pouvait le décréter.... De << ces trois partis, le dernier était incomparable«ment le plus doux.... ce n'était au fond qu'un <«< avertissement de ne pas revenir, s'il ne voulait << pas s'exposer à une procédure, ou, s'il voulait s'y «<exposer, de bien préparer ses défenses (page 31).

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Ainsi plaisantait, dit Brantôme, l'exécuteur de l'infortuné don Carlos, infant d'Espagne. Comme le prince criait et voulait se débattre : « Paix, monseigneur, lui disait-il en l'étranglant, tout ce qu'on en fait n'est que pour votre bien. » .

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Mais quelles sont donc ces pratiques et machi

du reste des Lettres, ayant été retranché dans la seconde édition, je m'abstiens d'aller en quête de la griffe à qui ce petit bout, non d'oreille, mais d'ongle, appartient.

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