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ler cherchant avec une maligne exactitude toutes les erreurs, toutes les propositions équivoques, suspectes, ou inconsidérées, toutes les inconséquences qui peuvent échapper dans le détail à un auteur surchargé de sa matière, accablé des nombreuses idées qu'elle lui suggère, distrait des unes par les autres, et qui peut à peine assembler dans sa tête toutes les parties de son vaste plan; s'il était permis de faire un amas de toutes ses fautes, de les aggraver les unes par les autres, en rapprochant ce qui est épars, en liant ce qui est isolé: puis, taisant la multitude de choses bonnes et louables qui les démentent, qui les expliquent, qui les rachètent, qui montrent le vrai but de l'auteur, de donner cet affreux recueil pour celui de ses principes, d'avancer que c'est là le résumé de ses vrais sentiments, et de le juger sur un pareil extrait? Dans quel désert faudrait-il fuir, dans quel antre faudrait-il se cacher pour échapper aux poursuites de pareils hommes, qui, sous l'apparence du mal, puniraient le bien, qui compteraient pour rien le cœur, les intentions, la droiture partout évidente, et traiteraient la faute la plus légère et la plus involontaire comme le crime d'un scélérat? Y a-t-il un seul livre au monde, quelque vrai, quelque bon, quelque excellent qu'il puisse être, qui pût échapper à cette infame inquisition? Non, monsieur, il n'y en a pas un, pas un seul, non pas l'Évangile même : car le mal qui n'y serait pas, ils sauraient l'y mettre par leurs extraits infidèles, par leurs fausses interprétations.

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« Nous vous déférons, oseraient-ils dire, un livre << scandaleux, téméraire, impie, dont la morale est « d'enrichir le riche et de dépouiller le pauvre; d'apprendre aux enfants à renier leur mère et leurs << frères, de s'emparer sans scrupule du bien d'au« trui ©, de n'instruire point les méchants, de peur qu'ils ne se corrigent et qu'ils ne soient pardon« nés d, de haïr père, mère, femme, enfants, tous << ses proches ; un livre où l'on souffle partout le << feu de la discorde, où l'on se vante d'armer le fils « contre le père s, les parents l'un contre l'autre " << les domestiques contre leurs maîtres i, où l'on ap<< prouve la violation des lois, où l'on impose en de<< voir la persécution, où, pour porter les peuples << au brigandage, on fait du bonheur éternel le prix << de la force et la conquête des hommes violents".»

Figurez-vous une ame infernale analysant ainsi tout l'Évangile, formant de cette calomnieuse analyse, sous le nom de Profession de foi évangélique, un écrit qui ferait horreur, et les dévots pharisiens prônant cet écrit d'un air de triomphe comme l'abrégé des leçons de Jésus-Christ. Voilà pourtant jusqu'où peut mener cette indigne méthode. Quiconque aura lu mes livres, et lira les imputations de ceux qui m'accusent, qui me jugent, qui me condamnent, qui me poursuivent, verra que c'est ainsi que tous m'ont traité.

III,

a Matth., XIII, 12; Luc, XIX, 26. Matth., xII, 48; Marc, 33.. c Ibid., x1, 2; Luc, xix, 3o.d Marc, Iv, 12; Jean, e Luc, xiv, 26. —ƒ Matth., x, 34; Luc, XII, 51, 52. g Matth., x, 35; Luc, XII, 53. h Ibid. Matth., x, 36.

XII, 40.

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k Matth.,

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Luc, XIV, 23.

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m Matth., XI, 12.

Je crois vous avoir prouvé que ces messieurs ne m'ont pas jugé selon la raison : j'ai maintenant à vous prouver qu'ils ne m'ont pas jugé selon les lois. Mais laissez-moi reprendre un instant haleine. A quels tristes essais me vois-je réduit à mon âge! Devais-je apprendre si tard à faire mon apologie? Était-ce la peine de commencer ?

LETTRE II.

De la religion de Genève. Principes de la réformation. L'auteur entame la discussion des miracles.

J'ai supposé, monsieur, dans ma précédente lettre, que j'avais commis en effet contre la foi les erreurs dont on m'accuse, et j'ai fait voir que ces erreurs, n'étant point nuisibles à la société, n'étaient pas punissables devant la justice humaine. Dieu s'est réservé sa propre défense et le châtiment des fautes qui n'offensent que lui. C'est un sacrilége à des hommes de se faire les vengeurs de la Divinité, comme si leur protection lui était nécessaire. Les magistrats, les rois, n'ont aucune autorité sur les ames; et pourvu qu'on soit fidèle aux lois de la société dans ce monde, ce n'est point à eux de se mêler de ce qu'on deviendra dans l'autre, où ils n'ont aucune inspection. Si l'on perdait ce principe de vue, les lois faites pour le bonheur du genre humain en seraient bientôt le tourment; et, sous leur inquisition terrible, les hommes,

jugés par leur foi plus que par leurs œuvres, seraient tous à la merci de quiconque voudrait les opprimer.

Si les lois n'ont nulle autorité sur les sentiments des hommes en ce qui tient uniquement à la religion, elles n'en ont point non plus en cette partie sur les écrits où l'on manifeste ces sentiments. Si les auteurs de ces écrits sont punissables, ce n'est jamais précisément pour avoir enseigné l'erreur, puisque la loi ni ses ministrés ne jugent pas de ce qui n'est précisément qu'une erreur. L'auteur des Lettres écrites de la campagne paraît convenir de ce principe". Peut-être même en accordant que la politique et la philosophie pourront soutenir la liberté de tout écrire, ie pousserait-il trop loin (page 50). Ce n'est pas ce que je veux examiner ici.

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Mais voici comment vos messieurs et lui tournent la chose pour autoriser le jugement rendu contre mes livres et contre moi. Ils me jugent moins comme chrétien que comme citoyen; ils me regardent moins comme impie envers Dieu que comme rebelle aux lois; ils voient moins en moi le péché que le crime, et l'hérésie que la désobéissance. J'ai, selon eux, attaqué la religion de l'état; j'ai donc encouru la peine portée par la loi contre ceux qui l'attaquent. Voilà, je crois, le

a « A cet égard, dit-il, page 22, je retrouve assez mes maximes « dans celles des représentations. Et page 29, il regarde comme

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«< incontestable que personne ne peut être poursuivi pour ses idées « sur la religion. »

sens de ce qu'ils ont dit d'intelligible pour justifier leur procédé.

Je ne vois à cela que trois petites difficultés : la première, de savoir quelle est cette religion de l'état; la seconde, de montrer comment je l'ai attaquée; la troisième, de trouver cette loi selon laquelle j'ai été jugé.

Qu'est-ce que la religion de l'état? c'est la sainte réformation évangélique. Voilà, sans contredit des mots bien sonnants. Mais qu'est-ce, à Genève aujourd'hui, que la sainte réformation évangélique? Le sauriez-vous, monsieur, par hasard? En ce cas, je vous en félicite : quant à moi, je l'ignore. J'avais cru le savoir ci-devant; mais je me trompais ainsi que bien d'autres, plus savants que moi sur tout autre point, et non moins ignorants sur celui-là.

Quand les réformateurs se détachèrent de l'Église romaine, ils l'accusèrent d'erreur; et pour corriger cette erreur dans sa source, ils donnèrent à l'Écriture un autre sens que celui que l'Église lui donnait. On leur demanda de quelle autorité ils s'écartaient ainsi de la doctrine reçue:ils dirent que c'était de leur autorité propre, de celle de leur raison. Ils dirent que le sens de la Bible étant intelligible et clair à tous les hommes en ce qui était du salut, chacun était juge compétent de la doctrine, et pouvait interpréter la Bible, qui en est la règle, selon son esprit particulier; que tous s'accorderaient ainsi sur les choses essentielles; et que celles sur lesquelles ils ne pourraient s'accorder ne l'étaient point.

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