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général obtint l'élection de la moitié des membres du petit Conseil, et le droit appelé de réélection, c'est-à-dire de pouvoir, chaque année, exclure du Sénat quatre de ses membres, lesquels, après une seconde exclusion de ce genre, n'y pouvaient plus rentrer. Ce droit fut surtout accordé au Conseil général, pour balancer l'abus du droit négatif, sur lequel on ne stipula rien.

«Deux ans après, les dissensions recommencèrent, et cette fois ce furent les prétentions des natifs qui les firent naître. Mais comme, dès ce moment, il n'est plus question de Genève dans aucun écrit de Rousseau, ni dans ses Lettres, ces dissensions deviennent étrangères à notre objet. On sait trop bien d'ailleurs quel en fut le triste et dernier résultat.

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Mais un événement qui se rapporte à ces derniers temps, et que ceux qui lisent les OEuvres de Rousseau ne peuvent qu'apprendre avec intérêt, c'est l'établissement, à Genève, d'une constitution vraiment républicaine, faite pour prévenir à jamais toute dissension nouvelle, offrant tous les avantages attachés à cet ordre de choses dans un petit état, sans les inconvénients qu'on en pourrait craindre dans un plus grand, telle enfin que Rousseau lui-même n'eût osé la prévoir et peut-être l'imaginer, mais qui n'en est que plus conforme à ces principes d'éternelle raison, d'ordre public, et de justice rigoureuse, que ses écrits, entendus et interprétés comme ils doivent l'être, ne pouvaient manquer de rendre en quelque sorte populaires. On peut donc, sous plus d'un rapport, la considérer comme son ouvrage. Le 24 août 1814, la nation génevoise accepta, à une immense majorité de suffrages, un édit constitutionnel maintenant en pleine vigueur. »

Les constitutions ont besoin, pour être dignement louées, de l'expérience et du temps. Des modifications ont été déjà faites à la législation génevoise, malgré tous les éloges donnés par l'auteur; et ce ne seront peut-être pas les seules, ni les dernières. M. P.

AVERTISSEMENT.

genre

C'est revenir tard, je le sens, sur un sujet trop rebattu, et déjà presque oublié. Mon état, qui ne me permet plus aucun travail suivi, mon aversion pour le polémique, ont causé ma lenteur à écrire et ma répugnance à publier. J'aurais même tout-à-fait supprimé ces Lettres, ou plutôt je ne les aurais point écrites, s'il n'eût été question que de moi; mais ma patrie ne m'est pas tellement devenue étrangère, que je puisse voir tranquillement opprimer ses citoyens, surtout lorsqu'ils n'ont compromis leurs droits qu'en défendant ma cause. Je serais le dernier des hommes, si, dans une telle occasion, j'écoutais un sentiment qui n'est plus ni douceur ni patience, mais faiblesse et lâcheté, dans celui qu'il empêche de remplir son devoir.

Rien de moins important pour le public, j'en conviens, que la matière de ces Lettres. La constitution d'une petite république, le sort d'un petit particulier, l'exposé de quelques injustices, la réfutation de quelques sophismes, tout cela n'a rien en soi d'assez considérable pour mériter beaucoup de lecteurs : mais si mes sujets sont petits, mes objets sont grands, et dignes de l'attention de tout honnête homme. Laissons Genève à sa place, et Rousseau dans sa dépression, mais la religion, mais la liberté, la justice! voilà, qui que vous soyez, ce qui n'est pas au-dessous de vous.

Qu'on ne cherche pas même ici dans le style le dé

dommagement de l'aridité de la matière. Ceux que quelques traits heureux de ma plume ont si fort irrités, trouveront de quoi s'apaiser dans ces Lettres. L'honneur de défendre un opprimé eût enflammé mon cœur si j'avais parlé pour un autre: réduit au triste emploi de me défendre moi-même, j'ai dû me borner à raisonner; m'échauffer eût été m'avilir. J'aurai donc trouvé grace en ce point devant ceux qui s'imaginent qu'il est essentiel à la vérité d'être dite froidement, opinion que pourtant j'ai peine à comprendre. Lorsqu'une vive persuasion nous anime, le moyen d'employer un langage glacé? Quand Archimède, tout transporté, courait nu dans les rues de Syracuse, en avait-il moins trouvé la vérité parce qu'il se passionnait pour elle? Tout au contraire, celui qui la sent ne peut s'abstenir de l'adorer: celui qui demeure froid ne l'a pas vue.

Quoi qu'il en soit, je prie les lecteurs de vouloir bien mettre à part mon beau style, et d'examiner seulement si je raisonne bien ou mal: car enfin, de cela seul qu'un auteur s'exprime en bons termes, je ne vois pas comment il peut s'ensuivre que cet auteur ne sait ce qu'il dit.

ÉCRITES

DE LA MONTAGNE.

PREMIÈRE PARTIE,

LETTRE I.

État de la question par rapport à l'auteur. Si elle est de la compétence des tribunaux civils. Manière injuste de la résoudre.

Non, monsieur, je ne vous blâme point de ne vous être pas joint aux représentants pour soutenir ma cause. Loin d'avoir approuvé moi-même cette démarche, je m'y suis opposé de tout mon pouvoir, et mes parents s'en sont retirés à ma sollicitation. L'on s'est tu quand il fallait parler; on a parlé quand il ne restait qu'à se taire. Je prévis l'inutilité des représentations, j'en pressentis les conséquences : je jugeai que leurs suites inévitables troubleraient le repos public, ou changeraient la constitution de l'état. L'événement a trop justifié mes craintes. Vous voilà réduits à l'alternative qui m'effrayait. La crise où vous êtes exige une autre délibératian dont je ne suis plus l'objet. Sur ce qui a été fait vous demandez ce que vous devez faire : vous considérez

que l'effet de ces démarches, étant relatif au corps de la bourgeoisie, ne retombera pas moins sur ceux qui s'en sont abstenus que sur ceux qui les ont faites. Ainsi, quels qu'aient été d'abord les divers avis, l'intérêt commun doit ici tout réunir. Vos droits réclamés et attaqués ne peuvent plus demeurer en doute; il faut qu'ils soient reconnus ou anéantis, et c'est leur évidence qui les met en péril. Il ne fallait pas approcher le flambeau durant l'orage; mais aujourd'hui le feu est à la maison.

Quoiqu'il ne s'agisse plus de mes intérêts, mon honneur me rend toujours partie dans cette affaire; vous le savez, et vous me consultez toutefois comme un homme neutre; vous supposez que le préjugé ne m'aveuglera point, et que la passion ne me rendra point injuste: je l'espère aussi; mais dans des circonstances si délicates, qui peut répondre de soi ? Je sens qu'il m'est impossible de m'oublier dans une querelle dont je suis le sujet, et qui a mes malheurs pour première cause. Que ferai-je donc, monsieur, pour répondre à votre confiance et justifier votre estime autant qu'il est en moi ? Le voici. Dans la juste défiance de moi-même, je vous dirai moins mon avis que mes raisons : vous les pèserez, vous comparerez, et vous choisirez. Faites plus, défiez-vous toujours, non de mes intentions, Dieu le şait, elles sont pures, mais de mon jugement. L'homme le plus juste, quand il est ulcéré, voit rarement les choses comme elles sont. Je ne veux

sûrement pas vous tromper; mais je puis me tromper je le pourrais en toute autre chose, et cela

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