Page images
PDF
EPUB

fussent nés ou non. Leur dénomination seule donne l'idée de leur nullité sous tous les rapports.

<< Si l'organisation civile et politique de l'état de Genève présentait ainsi cinq classes d'hommes, le gouvernement de cet état offrait aussi dans son emsemble cinq ordres ou centres d'autorité dépendants les uns des autres, et dont voici les noms et les attributions.

« 1o Le petit Conseil ou Conseil des vingt-cinq, quelquefois nommé Sénat, composé de membres à vie, avait la haute police et l'administration des affaires publiques, était juge en troisième ressort des procès civils et juge souverain des causes criminelles; il donnait le droit de bourgeoisie, et avait l'initiative dans tous les autres Conseils dont il faisait lui-même partie.

« 2o Quatre syndics élus annuellement par le Conseil général dont il sera ci-après parlé, et choisis parmi les membres du petit Conseil, dirigeaient ce dernier, et se partageaient toutes les branches d'administration. Le premier syndic présidait tous les Conseils.

« 3o Le Conseil qui avait conservé la dénomination du Deux-cents, quoique depuis 1738 le nombre en eût été porté à deux cent cinquante, nommait aux places vacantes dans le petit Conseil, qui présentait lui-même deux candidats pour chacune d'elles. Le Deux-cents à son tour était élu par le petit Conseil, qui faisait une promotion toutes les fois que la mort avait réduit le nombre des membres à deux cents. Il avait le droit de faire grace, de battre monnaie, jugeait en second ressort les procès civils, présentait au Conseil général les candidats pour les premières charges de la république, et faisait au petit Conseil, qui était tenu d'en délibérer, toutes les propositions qu'il jugeait convenables au bien de l'état; mais lui-même ne pouvait délibérer et prendre une décision que sur les questions qui lui étaient portées par le petit Conseil.

« 4° Le Conseil des Soixante, formé des membres du petit Conseil et de trente-cinq membres du Deux-cents, ne s'assemblait que pour délibérer sur les affaires secrètes et de politique extérieure. C'était moins un ordre dans l'état, qu'une espèce

de comité diplomatique, sans fonctions spéciales et sans autorité réelle.

[ocr errors]

5o Enfin, le Conseil général ou Conseil souverain, formé de tous les citoyens et bourgeois sans exception, avait seule-ment le droit d'approuver ou de rejeter les propositions qui lui étaient faites, et rien n'y pouvait être traité sans l'approbation du Deux-cents. D'ailleurs, aucune loi ne pouvait être faite, ni aucun impôt perçu sans la participation du Conseil général, qui de plus avait le droit de guerre et de paix.

« Un Procureur général, pris dans le Conseil des Deuxcents, mais qui n'était attaché à aucun corps en particulier, faisait office de partie publique pour la poursuite des délits, pour la surveillance des tutèles et curatèles, pour défendre et soutenir en toute chose les droits du fisc et du public en général. C'était en un mot l'homme de la loi; et quoique sans autorité personnelle, il jouissait de beaucoup de considération. Il était nommé par le Conseil général, sur une présentation en nombre double, faite par le Deux-cents, et était élu pour trois ans, avec faculté d'être réélu pour trois autres années.

« La surveillance de la police ordinaire et le jugement des causes civiles en première instance appartenaient à un tribunal de six membres nommés Auditeurs, et élus par le Conseil général. Ce tribunal était présidé par un membre du petit Conseil, qui portait le titre de Lieutenant. Deux Chatelains, élus de même, exerçaient dans la campagne le même pouvoir que le tribunal dans la ville.

« Le militaire de la république se composait d'une garnison soldée de sept cent vingt hommes, divisés en douze compagnies, et de quatre régiments de milice bourgeoise, commandés par des membres du petit Conseil. Il y avait en outre trois cents artilleurs et une compagnie de dragons.

<< Tout citoyen en charge était sujet au grabeau, véritable censure, dont l'usage même subsiste encore, mais beaucoup restreint et modifié. Voici quelle en était la forme : chaque Conseil s'assemblait à une époque déterminée pour grabeler ses subordonnés, et même, en certains cas, ses propres membres. En l'absence du grabelé, chaque membre, opinant à son tour, disait ce qu'il pensait du sujet dont il s'agissait, tant en bien

qu'en mal. Un certain nombre d'opinions défavorables était pour le grabelé un titre d'exclusion; mais dans les temps tranquilles, cette exclusion était à peu près sans exemple, et le président du corps grabelant, qui venait rendre compte du résultat de l'opération au grabelé, n'avait, pour l'ordinaire, à lui faire que des compliments. Les candidats, pour un office, étaient également, avant l'élection, grabelés par les corps élisants.

<< Outre cette censure dans l'ordre politique, il en existait une seconde dans l'ordre moral, exercée d'un côté par le Consistoire, de l'autre par la Chambre de réforme. Cette chambre, composée d'un syndic et de quelques membres du petit Conseil et du Deux-cents, veillait uniquement à la répression du luxe et au maintien des lois somptuaires.

[ocr errors]

Quand des citoyens ou bourgeois, réunis en plus ou moins grand nombre, adressaient, sous forme de représentations, soit au petit Conseil, soit au Deux-cents, leurs plaintes ou griefs contre quelque transgression de loi ou empiètement d'autorité, chacun de ces deux Conseils faisait souvent valoir, pour toute raison, ce qu'ils appelaient leur droit négatif, droit par lequel ils se prétendaient autorisés à rejeter, sans être tenus d'en donner aucun motif, les demandes qui leur étaient faites.

<< Tous ces documents nous sont fournis par deux historiens genevois*, et l'un d'eux y ajoute cette observation, que le gouvernement de Genève, sous ces formes populaires en apparence, formait une véritable aristocratie héréditaire. « Un assez petit << nombre de familles patriciennes étaient en possession des << honneurs et des places importantes. Les affaires de l'état se « traitaient presque uniquement dans le petit Conseil ou dans <«< celui des Deux-cents, et le Conseil général n'était assemblé chaque année que pour quelques élections, et encore se trou<< vait-il tellement dans la dépendance du petit Conseil, que son <«< influence était presque nulle.... Son élection, quelle qu'elle «< fût, tombait toujours sur les mêmes familles.... D'ailleurs, il « était composé d'individus dont un grand nombre dépendait, << sous divers rapports, des chefs de l'état; et si quelques citoyens «avaient essayé de remuer et de faire valoir d'anciennes préro

[ocr errors]

* D'YVERNOIS, Tableau des deux dernières Révolutions de Genève, 1789, 2 vol. in-8°; PICOT, Histoire de Genève, 1811, 3 vol. in-8°.

[ocr errors]

gatives, le petit Conseil leur aurait facilement fermé la bouche « par un acte d'autorité. » (PICOT, tom. 111, page 192.)

« A la vérité le même historien nous apprend encore que, Si « les citoyens ne possédaient pas des droits politiques considérables...., un gouvernement paternel ne négligeait rien de ce qui pouvait contribuer à leur bonheur....; ils étaient aussi heureux qu'ils pouvaient raisonnablement le désirer. » ( Ibid., page 193.)

« Cet heureux état de choses se conçoit aisément dans une si petite république; mais il faut dire aussi que cette paternité du gouvernement n'avait aucune garantie réelle, et elle se démentait cruellement elle-même, quand ce gouvernement, ayant reçu des réclamations ou demandes auxquelles il s'était refusé d'accéder, avait pu concevoir quelques craintes pour le maintien de son pouvoir. Les faits que Rousseau rapporte et qui n'ont pas été contestés, et beaucoup d'autres encore non moins graves, et dont il ne parle pas, prouvent trop bien que très-souvent les lois fondamentales et les formes conservatrices de la vie et des propriétés, furent violées de la manière la plus odieuse, notamment lorsqu'en 1707, à l'occasion d'un mouvement populaire, le petit Conseil, s'étant procuré le secours de quatre cents soldats bernois et zurickois, fit fusiller en secret et dans sa prison Pierre Fatio, qui s'était montré le plus ardent défenscur de la liberté à cette époque, et qu'au mépris d'une amnistie solennelle, plus de quatre-vingts personnes furent éxilées et flétries.

<< De nouveaux abus d'autorité excitèrent, en 1738, un mouvement semblable; il y eut prise d'armes et même hostilités ouvertes, pour la cessation desquelles la France, Zurick et Berne offrirent leur arbitrage. Cet arbitrage fut accepté, et il en résulta l'édit, constitutionnel de la même année, auquel les puissances médiatrices ajoutèrent un acte de garantie mutuelle. Enfin, le décret lancé contre Rousseau, en 1762, fut le signal d'une troisième révolution, en donnant lieu à des représentations sur l'inobservation des lois à son égard. Le petit Conseil ne répondit aux représentants que par l'exercice du droit négatif. Ce refus de rendre justice amena de la part des citoyens et bourgeois, réunis en conseil général, celui d'élire

[ocr errors]

des syndics, selon l'usage; ce qui était sans exemple dans les fastes de la république.

« A peu près dans le même temps, un citoyen, nommé Robert Covelle, qui avait encouru les censures ecclésiastiques pour une faute honteuse, refusa de se mettre à genoux devant le Consistoire, suivant l'usage; et ce refus qui, dans un autre temps, eût à peine attiré l'attention, appuyé cette fois par un assez grand nombre de citoyens, fut une cause nouvelle de discorde. Dans ces circonstances, l'affaire de Rousseau et une Réponse aux Lettres écrites de la campagne, brochure composée par quelques représentants, ne contribuèrent pas peu à exaspérer les esprits. « Genève, dit l'historien cité plus haut, retraçait le tableau que Rome avait déjà offert au monde : << d'un côté, les patriciens, formant le petit nombre, entraînés << à des concessions qui devenaient chaque jour plus considérables; de l'autre, le peuple, abusant de sa force et demandant toujours davantage à mesure qu'on lui accordait. »

་་

[ocr errors]

« Quatre ans s'étaient passés ainsi, quand le Sénat, pressé plus vivement que jamais, eut recours aux trois puissances garantes de l'exécution de l'édit de 1738. Les médiateurs n'ayant pu parvenir à accorder les parties contestantes, se retirèrent à Soleure, où ils rédigèrent une espèce de jugement sous le nom de prononcé, auquel le duc de Choiseul tenta de soumettre les Génevois en employant contre eux tous les moyens possibles de contrainte, excepté pourtant la force ouverte *; mais la fermeté des citoyens rendit ces moyens inutiles. Ils allèrent jusqu'à s'armer de pistolets au moment de se réunir en conseil général, menaçant de casser la tête au premier qui consentirait à entendre seulement la lecture de ce prononcé, où ils ne voyaient autre chose que la loi de l'étranger, qu'on voulait leur faire subir. Ils avaient réussi d'un autre côté à intéresser l'Angleterre en leur faveur, et Voltaire lui-même, en prenant intérêt à leur cause, y ajoutait tout le poids de son influence personnelle. Enfin, renonçant à l'emploi de la force, le Sénat entama avec les citoyens des négociations qui amenèrent le traité de 1768, nommé Édit de pacification. Par cet édit, le Conseil * M. Lacretelle se trompe quand il dit dans son Histoire (t. 1v, p. 165) que M. de Choiseul fit entrer un corps de troupes dans Genève.

R. VI.

II

« PreviousContinue »