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craindre que, si les impressions du vice précèdent les leçons de la vertu, l'homme parvenu à un certain âge ne manque de courage ou de volonté pour résister au vice? Une heureuse expérience ne prouve-t-elle pas tous les jours qu'après les déréglements d'une jeunesse imprudente et emportée on revient enfin aux bons principes qu'on a reçus dans l'enfance?

XI. Au reste, M. T. C. F., ne soyons point surpris que l'auteur d'Émile remette à un temps si reculé la connaissance de l'existence de Dieu, il ne la croit pas nécessaire au salut. « Il est clair, dit-il par l'organe d'un personnage chimérique, il <«<est clair que tel homme, parvenu jusqu'à la vieillesse sans <«< croire en Dieu, ne sera pas pour cela privé de sa présence << dans l'autre, si son aveuglement n'a point été volontaire, et je dis qu'il ne l'est pas toujours. » Remarquez, M. T. C. F., qu'il ne s'agit point ici d'un homme qui serait dépourvu de l'usage de sa raison, mais uniquement de celui dont la raison ne serait point aidée de l'instruction. Or une telle prétention est souverainement absurde, surtout dans le système d'un écrivain qui soutient que la raison est absolument saine. Saint Paul assure qu'entre les philosophes païens plusieurs sont parvenus, par les seules forces de la raison, à la connaissance du vrai Dieu. « Ce qui peut être connu de Dieu, << dit cet apôtre, leur a été manifesté, Dieu le leur ayant fait « connaître, la considération des choses qui ont été faites dès << la création du monde leur ayant rendu visible ce qui est in«< visible en Dieu, sa puissance même éternelle et sa divinité ; << en sorte qu'ils sont sans excuse, puisque ayant connu Dieu, <«< ils ne l'ont point glorifié comme Dieu et ne lui ont point « rendu graces: mais ils se sont perdus dans la vanité de leur raisonnement, et leur esprit insensé a été obscurci; en sc «< disant sages, ils sont devenus fous a. »

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XII. Or, si tel a été le crime de ces hommes, lesquels, bien

a « Quod notum est Dei manifestum est in illis : Deus enim illis manifestavit. Invisibilia enim ipsius, à creaturâ mundi, per ea quæ facta sunt, intellecta conspiciuntur, sempiterna quoque ejus virtus et divinitas, ità ut sint inexcusabiles, quià cùm cognovissent Deum, non sicut Deum glorificaverunt, aut gratias egerunt, sed evanuerunt in cogitationibus suis, et obscuratum est insipiens cor eorum; dicentes enim sc esse sapientes, stulti facti sunt. >> Rom., cap. I, v. 19, 22.

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qu'assujettis par les préjugés de leur éducation au culte des idoles, n'ont pas laissé d'atteindre à la connaissance de Dieu, comment ceux qui n'ont point de pareils obstacles à vaincre seraient-ils innocents et justes au point de mériter de jouir de la présence de Dieu dans l'autre vie? Comment seraient-ils excusables (avec une raison saine telle que l'auteur la suppose) d'avoir joui durant cette vie du grand spectacle de la nature, et d'avoir cependant méconnu celui qui l'a créée, qui la conserve et la gouverne?

XIII. Le même écrivain, M. T. C. F., embrasse ouvertement le scepticisme par rapport à la création et à l'unité de Dieu. « Je sais, fait-il dire encore au personnage supposé qui « lui sert d'organe, je sais que le monde est gouverné par une « volonté puissante et sage; je le vois, ou plutôt je le sens, et «< cela m'importe à savoir. Mais ce même monde est-il éternel <«< ou créé ? y a-t-il un principe unique des choses? y en a-t-il << deux ou plusieurs, et quelle est leur nature? Je n'en sais rien, et que m'importe ?... Je renonce à des questions oi«seuses, qui peuvent inquiéter mon amour-propre, mais qui <«< sont inutiles à ma conduite et supérieures à ma raison. » Que veut donc dire cet auteur téméraire? Il croit que le monde est gouverné par une volonté puissante et sage; il ayoue que cela lui importe à savoir, et cependant « il ne sait, dit-il, s'il n'y <«< a qu'un seul principe des choses » ou s'il y en a plusieurs, et il prétend qu'il lui importe peu de le savoir. S'il y a une volonté puissante et sage qui gouverne le monde, est-il concevable qu'elle ne soit pas l'unique principe des choses? et peut-il être plus important de savoir l'un que l'autre? Quel langage contradictoire ! Il ne sait « quelle est la nature » de Dieu, et bientôt après il reconnaît que cet Être suprême est doué d'intelligence, de puissance, de volonté, et de bonté. N'est-ce donc pas là avoir une idée de la nature divine? L'unité de Dieu lui paraît une question oiseuse et supérieure à sa raison; comme si la multiplicité des dieux n'était pas la plus grande de toutes les absurdités! « La pluralité des dieux, dit énergiquement Tertullien, est une nullité de Dieu a

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; » ad

4 « Deus cùm summum magnum sit, rectè veritas nostra pronunciavit : Deus si non unus est, non est. » Tertul. advers. Marcionem, lib. 1.

mettre un Dieu, c'est admettre un Être suprême et indépendant auquel tous les autres êtres soient subordonnés. Il implique donc qu'il y ait plusieurs dieux.

XIV. Il n'est pas étonnant, M. T. C. F., qu'un homme qui donne dans de pareils écarts touchant la Divinité s'élève contre la religion qu'elle nous a révélée. A l'entendre, toutes les révélations en général « ne font que dégrader Dieu en lui donnant << des passions humaines. Loin d'éclaircir les notions du grand « Être, poursuit-il, je vois que les dogmes particuliers les em<< brouillent; que, loin de les ennoblir, ils les avilissent; qu'aux << mystères inconcevables qui les environnent, ils ajoutent des <«< contradictions absurdes. » C'est bien plutôt à cet auteur, M. T. C. F., qu'on peut reprocher l'inconséquence et l'absurdité. C'est bien lui qui dégrade Dieu, qui embrouille et qui avilit les notions du grand Être, puisqu'il attaque directement son essence en révoquant en doute son unité.

XV. Il a senti que la vérité de la révélation chrétienne était prouvée par des faits; mais les miracles formant une des principales preuves de cette révélation, et ces miracles nous ayant été transmis par la voie des témoignages, il s'écrie : « Quoi! « toujours des témoignages humains! toujours des hommes qui « me rapportent ce que d'autres hommes ont rapporté ! Que << d'hommes entre Dieu et moi!» Pour que cette plainte fût sensée, M. T. C. F., il faudrait pouvoir conclure que la révélation est fausse dès qu'elle n'a point été faite à chaque homme en particulier; il faudrait pouvoir dire: Dieu ne peut exiger de moi que je croie ce qu'on m'assure qu'il a dit, dès que ce n'est pas directement à moi qu'il a adressé sa parole. Mais n'estil donc pas une infinité de faits, même antérieurs à celui de la révélation chretienne, dont il serait absurde de douter? Par quelle autre voie que par celle des témoignages humains l'auteur lui-même a-t-il donc connu cette Sparte, cette Athènes, cette Rome dont il vante si souvent et avec tant d'assurance les lois, les mœurs et les héros? Que d'hommes entre lui et les événements qui concernent les origines et la fortune de ces anciennes républiques! Que d'hommes entre lui et les historiens qui ont conservé la mémoire de ces événements! Son scepticisme n'est donc ici fondé que sur l'intérêt de son incrédulité.

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XVI. Qu'un homme, ajoute-t-il plus loin, vienne nous tenir ce langage: Mortels, je vous annonce les volontés du Très-Haut; reconnaissez à ma voix celui qui m'envoie. J'or« donne au soleil de changer sa course, aux étoiles de former « un autre arrangement, aux montagnes de s'aplanir, aux flots << de s'élever, à la terre de prendre un autre aspect : à ces mer<«< veilles qui ne reconnaîtra pas à l'instant le maître de la na<«<ture? » Qui ne croirait, M. T. C. F., que celui qui s'exprime de la sorte ne demande qu'à voir des miracles pour être chrétien? Écoutez toutefois ce qu'il ajoute : « Reste enfin, dit-il, <«<l'examen le plus important dans la doctrine annoncée................. « Après avoir prouvé la doctrine par le miracle, il faut prou« ver le miracle par la doctrine.... Or que faire en pareil cas? « Une seule chose revenir au raisonnement, et laisser là les « miracles. Mieux eût-il valu n'y pas recourir. » C'est dire: Qu'on me montre des miracles, et je croirai; qu'on me montre des miracles, et je refuserai encore de croire. Quelle inconséquence! quelle absurdité! Mais, apprenez donc une bonne fois, M. T. C. F., que dans la question des miracles on ne se permet point le sophisme reproché par l'auteur du livre de l'Éducation. Quand une doctrine est reconnue vraie, divine, fondée sur une révélation certaine, on s'en sert pour juger des miracles, c'est-à-dire pour rejeter les prétendus prodiges que des imposteurs voudraient opposer à cette doctrine. Quand il s'agit d'une doctrine nouvelle qu'on annonce comme émanée du sein de Dieu, les miracles sont produits en preuves; c'està-dire que celui qui prend la qualité d'envoyé du Très-Haut confirme sa mission, sa prédication, par des miracles qui sont le témoignage même de la Divinité. Ainsi la doctrine et les miracles sont des arguments respectifs dont on fait usage selon les divers points de vue où l'on se place dans l'étude et dans l'enseignement de la religion. Il ne se trouve là ni abus du raisonnement, ni sophisme ridicule, ni cercle vicieux. C'est ce qu'on a démontré cent fois; et il est probable que l'auteur d'Émile n'iguore point ces démonstrations: mais, dans le plan qu'il s'est fait d'envelopper de nuages toute religion révélée, toute opération surnaturelle, il nous impute malignement des procédés qui déshonorent la raison ; il nous représente comme

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des enthousiastes, qu'un faux zèle aveugle au point de prouver deux principes l'un par l'autre sans diversité d'objet ni de méthode. Où est donc, M. T. C. F., la bonne foí philosophique dont se pare cet écrivain?

XVII. On croirait qu'après les plus grands efforts pour décréditer les témoignages humains qui attestent la révélation chrétienne, le même auteur y défère cependant de la manière la plus positive, la plus solennelle. Il faut, pour vous en convaincre, M. T. C. F., et en même temps pour vous édifier, mettre sous vos yeux cet endroit de son ouvrage : « J'avoue « que la majesté de l'Écriture m'étonne; la sainteté de l'Écri<«<ture parle à mon cœur. Voyez les livres des philosophes : « avec toute leur pompe, qu'ils sont petits auprès de celui-là ! << Se peut-il qu'un livre, à la fois si sublime et si simple, soit l'ouvrage des hommes? se peut-il que celui dont il fait l'his«< toire ne soit qu'un homme lui-même ? Est-ce là le ton d'un enthousiaste, ou d'un ambitieux sectaire? Quelle douceur! quelle pureté dans ses mœurs ! quelle grace touchante dans «< ses instructions! quelle élévation dans ses maximes! quelle << profonde sagesse dans ses discours! quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses réponses ! quel empire sur ses passions! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir, souffrir et mourir sans faiblesse et sans ostentation?.... Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et « la mort de Jésus sont d'un Dieu. Dirons-nous que l'histoire << de l'Évangile est inventée à plaisir?.... Ce n'est pas ainsi qu'on << invente; et les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont «< moins attestés que ceux de Jésus-Christ. Il serait plus incon«< cevable que plusieurs hommes d'accord eussent fabriqué ce

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livre, qu'il ne l'est qu'un seul en ait fourni le sujet. Jamais « les auteurs juifs n'eussent trouvé ce ton ni cette morale; et « l'Évangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, « si parfaitement inimitables, que l'inventeur en serait plus « étonnant que le héros. » Il serait difficile, M. T. C. F., de rendre un plus bel hommage à l'authenticité de l'Évangile. Cependant l'auteur ne la reconnaît qu'en conséquence des témoignages humains. Ce sont toujours des hommes qui lui rapportent ce que d'autres hommes ont rapporté. Que d'hommes

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