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par sa défaite. Il croyait qu'à son méconten-
tement répondrait celui de la nation tout
entière; mais, comme elle ne voyait nulle
violence dans les arbitres du pouvoir, elle
était plutôt inquiète qu'irritée. Le parti aris-
tocratique, sous le nom de royaliste, se re-
posait sur la grande victoire obtenue dans
la loi des élections et en attendait les ré-
sultats avec une circonspection inaccoutu-
mée, que lui suggérait l'adroit M. de Villèle
et que
blåmait avec acrimonie M. de la Bour-
donnaye. Le tiers-parti, quoiqu'assis au pou-
voir et représenté par le duc de Richelieu,
ne pouvait plus tenir le gouvernail que d'une
main incertaine; il n'avait pas dans les cham-
bres une majorité qui lui fût propre; tout
lui faisait craindre de passer sous le joug
des royalistes à priviléges. Sans leur man-
quer de foi, il ne les servait qu'avec un peu
de défiance; sans opprimer les libéraux, il
craignait jusqu'au soupçon de paraître ré-
concilié avec eux.

Trois mois s'étaient à peine écoulés depuis les troubles de Paris, qu'un autre danger se présenta, mais il ne fut connu du public que lorsque déjà il n'était plus à craindre.

Un même complot se tramait à la fois dans trois régimens, alors nommés légions,

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celui de la Meurthe, celui des Côtes-du-Nord et celui de la Seine, les deux premiers en garnison à Paris, le troisième à Cambrai. Les conjurés s'étaient ménagé quelques rares et faibles intelligences dans la garde royale. Leur chef était un capitaine nommé Nantil; leur but le plus apparent, était de proclamer Napoléon II sous la régence du prince Eugène de Beauharnais; ils allèrent même jusqu'à envoyer un député à ce héros aimable et judicieux, qui rejeta leurs ouvertures. Voici ce qu'on lit dans l'acte d'accusation : « Un ancien général a proposé d'é>>tablir la constitution de 1791, mais on » lui a représenté que les soldats ne s'inquié» taient guère de constitution, et qu'il valait >>> mieux se contenter de la simple procla»mation de Napoléon II. » Tout paraissait fort confus dans les idées politiques des conjurés; suivant l'acte d'accusation, l'argent ne manquait pas à ce complot; Nantil avait fait à ses compagnons, non- seulement des promesses, mais des offres brillantes. Il prétendait pouvoir disposer d'une caisse qui s'élevait à quatre millions; on ne vit entre ses mains que vingt mille francs en billets de banque, ce qui répond peu à une annonce si fastueuse. Ses libéralités se bornèrent à un

billet de mille francs, et un autre de cinq cents francs, que recurent à titre de prêt deux des accusés, Lavacquerie et Trogolf. Après beaucoup d'irrésolutions sur le but et le jour de l'attentat, les conjurés, suivant l'acte d'accusation, devaient se porter sur le donjon de Vincennes, armer le faubourg Saint-Antoine et attaquer à force ouverte le château des Tuileries. Le même mouvement devait éclater à la fois à Cambrai et à Vitri-le-Français. Quelques officiers de la garde royale avaient été séduits; mais, lorsqu'ils voulurent entraîner des sergens dans leur projet de rébellion, ils excitèrent des craintes, des scrupules. Deux sergens et un caporal se hâtèrent d'aller révéler le complot à leurs supérieurs, et en reçurent l'ordre de paraître se joindre aux conjurés pour surveiller l'étendue de leurs trames. Cette surveillance dura peu. M. de Richelieu, averti du jour où le complot devait s'exécuter, ne voulut point le laisser éclater et refusa ce moyen de constater le crime pour le punir avec plus de sévérité. Parmi les conjurés, plusieurs firent des aveux très-détaillés. Le 20 août, les barrières furent fermées; un grand appareil militaire fut déployé autour du château des Tuileries; plusieurs des conjurés furent

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arrêtés dans leurs casernes par leurs pro-
pres soldats; d'autres le furent dans leur
domicile. Mais le chef du complot, Nantil,
ainsi que plusieurs autres, étaient parvenus
à s'échapper. La légion de la Meurthe fut
dirigée de Paris sur Avesnes; soixante-
quinze individus, pour la plupart militaires,
furent arrêtés. On en comptait peu d'un
grade supérieur. L'opinion de la gravité de
cette affaire fut accrue par la mesure que
prit le gouvernement de traduire les accusés
devant la chambre des pairs. Le public sup-
posa que des généraux et quelques députés
pouvaient être compromis; quelques-uns en
effet étaient cités dans la procédure. On avait
parlé de nommer le général Lafayette chef
du gouvernement provisoire; mais rien n'in-
diquait un consentement de sa part. Deux
députés, MM. d'Argenson et de Corcelles,
avaient été assez vaguement nommés dans
les révélations du chef de bataillon Bérard,
révélations qu'il avait faites dans la matinée
même du 20 août, et qui exposèrent cet of-
ficier à de sévères représailles de la part de ses
coaccusés. Mais de si vagues griefs furent
écartés par la cour des pairs, formée en jury
d'accusation; alors il ne se trouva plus
présence que
des accusés dont le rang n'ap-

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pelait pas un si auguste tribunal. M. de Talleyrand en fit l'observation, et conclut à rejeter une juridiction mal à propos déférée à la cour des pairs, juridiction dont l'exercice n'était point déterminé par une loi, et n'avait encore d'autre antécédent que le jugement de Louvel, qui ne laissait nulle place à l'incertitude; la chambre des pairs se détermina pourtant à obéir au mandat de l'autorité royale. Ce procès l'occupa plus de deux mois. Cent quatre-vingts témoins furent entendus; bientôt la cour réduisit le nombre des accusés de soixante-quinze à trentequatre. Les débats furent conduits avec une haute dignité et une impartialité remarquable par M. le chancelier Dambray. Le public y était admis, à l'exception des femmes. MM. Peyronnet et Vatisménil soutenaient l'accusation; le premier se jeta dans un luxe de déclamations qui fit peu d'effet sur les nobles juges; le second se distingua par une discussion vive, facile et lumineuse. MM. Berville, Odillon-Barrot, Hennequin, et d'autres avocats brillèrent dans la défense des accusés. La discussion entre les pairs était animée; le plus grand effort des débats roula sur les révélations du chef de bataillon Bérard. Ce militaire éprouva le supplice de

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