Page images
PDF
EPUB

1821

Cet empressement fut encore fatal à plusieurs. La misère et le chagrin de deuils si multipliés frappèrent souvent ceux qu'avait épargnés la contagion. Les vents d'hiver purifièrent enfin un air si long-temps infecté. Barcelonne avait perdu vingt mille habitans, sur cinquante à soixante mille qui Ꭹ étaient restés. A Tortose, la population

avait été diminué de moitié. Rentrés dans leur patrie, les médecins français et les sœurs de la charité y trouvèrent toutes les âmes exaltées, attendries de leur courage. Pendant les trente-sept jours qu'ils passèrent à Barcelonne, on attendait leurs bulletins avec la même anxiété qu'on eût attendu ceux d'une armée française. On déplorait la mort du jeune Mazet comme on eût déploré celle d'un jeune héros espoir de la nation. Le roi fit une pension à sa malheureuse mère. Les autres médecins et les sœurs de Sainte-Camille reçurent également les bienfaits du monarque. Leur dévouement fut célébré sur tous les théâtres; à l'Académie française, deux petits poëmes sur ce sujet obtinrent un grand succès dans le public; l'un était celui de M. Alletz qui fut couronné; mademoiselle Delphine Gai en célébrant le dévouement des sœurs de Sainte-Camille annonça un talent

dont l'éclat égale la pureté. On frappa une médaille en l'honneur des médecins et des sœurs hospitalières. Les esprits alors étaient éloignés du pressentiment d'une guerre prochaine contre l'Espagne. On sentait que, si les lumières et la liberté ne suffisent pas toujours pour rapprocher les nations, le malheur et le secours doivent encore mieux les rallier.

Et pourtant la politique et de cruelles circonstances trompèrent ces voeux. Le cordon sanitaire des Français, loin de se disperser ou de s'affaiblir après la cessation du fléau, alla toujours se fortifiant et prit la forme d'une armée. Le ministère de M. de Richelieu fut dissous à la fin de cette année 1821. M. de Villèle, âme de la nouvelle administration, quoiqu'il n'en fût pas encore déclaré le chef, était alors loin de vouloir une agression ouverte contre l'Espagne; mais il était obligé de montrer de la déférence à un parti qui recueillait les plaintes et les murmures des prêtres et des nobles espagnols. Le cordon sanitaire habituait les esprits à l'idée d'une invasion. D'un autre côté on pouvait condamner l'excès plutôt que la prolongation de cette mesure. Le fléau dompté par l'hiver ne pouvait-il renaître au prin

1821

Guérillas royalistes.

1821.

temps soit à Barcelonne soit à Tortose, soit dans des lieux plus rapprochés encore de nos frontières? Bientôt le fatal cordon sanitaire devient un point d'appui pour des insurrections royalistes et surtout monacales, qui n'avaient pu prendre encore depuis deux ans une ferme consistance. Les bandes du curé Merino erraient dans la Vieille-Castille. Les cruautés qu'il avait exercées sous le nom de représailles le rendaient odieux aux habitans des villes. Un général constitutionnel, Lopès Banos, l'avait battu souvent sans pouvoir l'anéantir. Mais la Catalogne, bordée par les troupes françaises et remplie de ces audacieux miquelets habitués à divers genres de rapines, de fraudes et trop souvent à des meurtres, offrait un point favorable à la Vendée espagnole dont on rêvait le plan dans tous les couvens et dans un grand nombre de châteaux. Les insurgés, lorsqu'ils étaient vainqueurs, appelaient les Français à marcher sur Madrid; vaincus, ils se repliaient sur les lignes des Français, savaient qu'ils n'y seraient point reçus en ennemis, ni en pestiférés et se promettaient de reparaître munis de bonnes armes, de secours d'argent, de vivres et d'habits. Trois personnages importans, l'archevêque de Tarragone, le marquis de

Mataflorida et le baron d'Éroles s'étaient unis pour diriger un plan si formidable. Ce dernier avait une âme noble et chevaleresque. Il avait d'abord embrassé les principes constitutionnels. Les dangers du roi l'émurent et il résulut d'exposer pour lui sa fortune et sa vie. L'idée d'obtenir une gloire semblable à celle des Larochejaquelin, des Lescure, le séduisait vivement; mais avec des contrebandiers, des vagabonds et des moines enrôlés, il produisit quelque chose de pis que la chouanerie. La malheureuse Catalogne passa presque sans intervalle du fléau de la fièvre jaune à celui de la guerre civile provoquée et bénie par des moines. L'un d'eux, letrappiste don Antoine Maramon, parut à la tête des guérillas le fouet dans une main et le crucifix dans l'autre. Il avait été militaire avant de se dévouer aux plus effrayantes austérités de la pénitence; mais, ignorant ou dédaignant la tactique, il semblait n'attendre que du ciel et de son intrépidité des moyens de succès. On voyait près de lui un aventurier français, nommé Bessières, qui avait été condamné dans l'Espagne constitutionnelle comme fauteur d'un plan de république; maintenant il se montrait affamé de despotisme.Misas et Mosen-Anton commandaient

1821.

1821

dans la Catalogne d'autres guérillas. Quesada s'apprêtait à remuer la Navarre. Tous comptaient sur la France. Il était dans l'esprit de M. de Villèle de préférer une agression indirecte et masquée à une attaque ou

verte.

L'intérieur de l'Espague offrait des troubles d'un autre genre. La seconde assemblée des cortès s'éloignait un peu de la modération qu'avait montrée la première. Martinez de la Rosa, l'une de ces belles âmes chez lesquelles le génie littéraire exalte les vertus, était l'âme du ministère. Le général Morillo, commandant de la garde naționale, s'unissait avec lui dans des pensées d'ordre. Arguellès, le comte de Torreno, Calatrava, Sancho et plusieurs autres orateurs s'étudiaient à modérer les cortès. Leur patriotisme était judicieux, sans cesser d'être ardent. On a cru qu'ils s'étaient proposé de rendre la constitution des cortès plus monarchique, plus semblable à celle de la France; on a supposé même (et cette allégation a retenti en Espagne comme en France) qu'ils avaient médité avec le roi Ferdinand un mouvement militaire pour atteindre à ce but; mais c'est un fait que ces illustres personnages désavouent; ils ne vou laient corriger les lois que par les lois mêmes.

« PreviousContinue »