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à revêtir ces vérités, jufqu'ici abftraites, des form. mes les plus propres à les promulguer; &, quoi qu'en puiffent dire les préjugés puissans qu'il n'a pu éviter de choquer, cet Ouvrage n'eft point le fruit d'un efprit de perturbation, mais d'un amour réfléchi de l'ordre & de l'humanité.

Après la lecture on demandera comment, en 1784, l'on a eu idée d'un fait arrivé feulement en 1790. Le problême eft fimple : dans le premier plan le Législateur étoit un être fictif & hypothétique ;, dans celui-ci, l'on y a fubftitué un Législateur exiftant, & le fujet y a gagné l'intérêt de la réalité.

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INVOCATION.

Je vous falue, ruines folitaires, tombeaux faints, murs filencieux! c'est vous que j'invoque; c'est à vous que j'adreffe ma priere. Oui! tandis que votre aspect repouffe d'un fecret effroi les regards du vulgaire, mon cœur trouve, à vous contempler, le charme de mille fentimens & de mille pensées. Combien d'uti les leçons, de réflexions touchantes ou fortes n'offrez-vous pas à l'efprit qui vous fait confulter! C'est vous qui, lorfque la terre entiere

afservie se taisoit devant les tyrans, proclamież déjà les vérités qu'ils détestent, & qui, confondant la dépouille des Rois à celle du dernier efclave, atteftiez le faint dogme de l'égalité. C'eft dans votre enceinte, qu'amant folitaire de la liberté, j'ai vu fortir des tombeaux fon ombre, &, par une faveur inefpérée, prendre fon vol, & rappeller mes pas vers ma Patrie ranimée.

O tombeaux ! que vous poffédez de vertus! Vous épouvantez les tyrans; vous empoisonnez d'une terreur fecrete leurs jouiffances impies; ils fuient votre incorruptible afpect, & les làches portent loin de vous l'orgueil de leurs palais. Vous puniffez l'oppreffeur puiffant ; vous raviffez l'or au concuffionnaire avare, & vous vengez le foible qu'il a dépouillé ; vous pauvre compenfez les privations du en flé triffant de foucis le fafte du riche; vous confolez le malheureux en lui offrant un dernier afile; enfin, vous donnez à l'ame ce jufte équilibre de force & de fenfibilité, qui conftitue la

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fageffe, la fcience de la vie. En confidérant qu'il faut tout vous reftituer, l'homme réfléchi néglige de fe charger de vaines grandeurs, d'inutiles richeffes; il retient fon cœur dans les bornes de l'équité; & cependant, puifqu'il faut qu'il fourniffe fa carriere, il emploie les inftans de fon existence, & ufe des biens qui lui font accordés. Ainfi, vous jettez un frein falutaire fur l'élan impétueux de la cupidité! Vous calmez l'ardeur fiévreufe des jouiffances qui troublent les fens; vous repofez l'ame de la lutte fatigante des paffions; vous l'élevez au-deffus des vils intérêts qui tourmentent la foule; & de vos fommets, embraffant la fcene des peuples & des tems, l'esprit ne se déploie qu'à de grandes affections, & ne conçoit que des idées folides de vertus & de gloire. Ah! quand le fonge de la vie fera terminé, à quoi auront fervi fes agitations, fi elles ne laiffent la trace de l'utilité!

O ruines! je retournerai vers vous prendre vos leçons! je me replacerai dans la paix de

vos folitudes, & là, éloigné du spectacle affligeant des paffions, j'aimerai les hommes fur des fouvenirs; je m'occuperai de leur bonheur, & le mien fe compofera de l'idée de l'avoir hâté.

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