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vengeances, et quelquefois de toutes les opinions. Si j'avais voulu acheter des éloges, ou du moins le silence sur quelques actes de mon administration, constamment dénaturés et calomniés, ma position me l'eût permis. Assez ordinairement, les hommes capables d'accueillir, de publier sciemment des mensonges, sont accessibles à la vénalité; mais j'avais adopté cette vieille devise: Fais ce que dois, advienne que pourra. Je regardais comme une chose indigne de moi de capituler avec des écrivains que je n'estimais pas..

Qu'on ne croie pas, toutefois, que j'aie décliné la compétence des publicistes honorables avec ceux-là je me serais fait un devoir de discuter la cause et la moralité des mesures prises par moi, parce que j'eusse attaché du prix à leur approbation; mais il y avait impossibilité matérielle, par la multiplicité de mes travaux, d'engager une polémique de cette nature: je devais agir; j'agissais, me reposant sur l'avenir du soin d'éclairer mes détrac

teurs.

D'ailleurs, dévoué à mes fonctions et devenu le point de mire des plus violentes attaques, je me considérais comme la sentinelle avancée du pouvoir; les coups qui m'étaient portés ne me semblaient pas s'adresser à ma personne, mais au soldat d'une cause nationale et sainte.

C'eût été, selon moi, ne pas bien juger la valeur

intrinsèque de certains journaux par lesquels j'étais quotidiennement harcelé, que de capituler avec eux. Moins que tout autre, je devais en faire cas; et, pour que mes lecteurs puissent apprécier jusqu'où pouvait aller mon dédain, il suffira de rappeler qu'à l'époque où je renvoyai de la préfecture tous les repris de justice qui faisaient partie des agens, plusieurs d'entre eux trouvèrent le moyen de faire insérer contre moi, dans les feuilles les plus passionnées, quelques diatribes admises avec un empressement mesuré à leur exagération.

Chaque jour m'apportait de nouveaux témoignages de cet empressement à publier comme vrais les renseignemens les plus erronés, toutes les fois qu'ils tendaient à me décrier.

S'il est indispensable qu'un chef d'armée, pour assurer l'exécution de ses plans, ne confie qu'en partie, aux officiers sous ses ordres, la volonté qui imprime une direction, cette réserve est d'une nécessité plus absolue, peut-être, dans une administration comme celle que je dirigeais. Là, surtout, le secret devient une condition du succès: d'où il suit que mes agens les plus dévoués ignoraient tout ce qui s'éloignait du point sur lequel ils devaient agir; que même aucun des employés supérieurs n'était initié à la partie secrète des moyens de police; qu'aucun ne connaissait l'ensemble de l'organisation des services, et qu'à deux exceptions

près, tous restaient étrangers à la pensée politique. Je donne ces explications en passant, pour détruire des préjugés accrédités dans le public on croit assez généralement qu'il suffit d'appartenir à la préfecture de police pour être dépositaire de nombreux secrets; c'est une erreur : c'est une erreur : chaque employé, sans en excepter les commissaires de police, n'a qu'un cercle plus ou moins étroit dans lequel il peut se mouvoir; le préfet seul tient dans sa main le moteur principal et tous les rouages secondaires; c'est du moins ainsi que les choses se sont passées de mon temps, et c'est ainsi qu'on devra agir toutes les fois que l'on voudra avoir une administration homogène et forte.

Et cependant, l'esprit de parti aveugle les hommes à tel point, que l'on croyait avoir fait une conquête importante en corrompant un de mes agens subalternes; l'on accueillait ses confidences comme des révélations graves qui dévoilaient les mystères dont moi seul j'avais la clef. Combien de fois les journaux hostiles n'ont-ils pas été dupes de quelques misérables instrumens de bas étage, et n'ontà leur tour trompé leurs lecteurs !

ils

pas

En définitive, j'aurais pu, comme beaucoup d'autres, me servir de la presse pour me faire une réputation usurpée ou juste : je ne l'ai pas voulu; car, sous le fardeau de mes occupations, je n'avais pas le temps d'expliquer mes actes au public, ni même

aux personnes qui m'entouraient, et parce que je dédaignais un moyen trop souvent employé au profit de la médiocrité : le charlatanisme peut cependant établir une brillante réputation; mais moi, je ne voulais faire la mienne que par la réalité et l'étendue de mes services; il répugne à mon caractère de rechercher l'éloge, même quand il me semble mérité.

J'ajouterai encore que c'eût été commettre des indiscrétions préjudiciables à l'action de la justice, en révélant par anticipation les causes qui me faisaient agir, et nuire, dans un intérêt personnel, aux intérêts de la chose publique.

Mais la réserve que je me suis imposée m'a été funeste sous beaucoup de rapports; elle a fortifié les dires de ceux qui me décriaient; elle a changé en préventions les sentimens de reconnaissance ou d'estime que je crois mériter de la part des bons citoyens.

J'ai donc fait à mon détriment l'épreuve de la puissance que les journaux exercent sur l'opinion publique, et je crois rendre service aux fonctionnaires qui, dans une position équivalente à la mienne, seraient tentés de suivre mon exemple, en mettant sous leurs yeux le danger de n'opposer aux détracteurs que la force d'inertie et le calme d'une conscience irréprochable.

Je leur dirai: Si vous n'avez point la pratique des

affaires, si vous êtes plus disposes à solliciter des faveurs qu'à vous en rendre dignes, moins préoccupés de l'intérêt de vos administrés que du soin de votre propre élévation, si enfin, soit inapplication, soit incapacité, soit défaut d'énergie, vous sentez que vous n'êtes pas à la hauteur de vos devoirs, il vous sera facile d'acquérir la réputation d'un praticien consommé, d'un magistrat indépendant, d'un administrateur courageux, intègre, doué de talens supérieurs, et sacrifiant ses goûts, sa fortune, sa santé, pour se dévouer tout entier à l'accomplissement de ses devoirs.

La recette est toute simple : faites votre cour à quelques hommes influens dans les journaux ; mettez autant que possible à leur disposition le pouvoir dont vous êtes investi; soyez humbles et flatteurs · jusqu'à la bassesse; déclinez la solidarité de tous les actes qui les blesseraient; enfin, prenant envers eux l'attitude d'un protégé, efforcez-vous de leur persuader que vous partagez leurs doctrines, que vous vous guidez par leurs inspirations.

En même temps, achetez le dévouement de ces frelons littéraires qui s'agitent dans une sphère moins élevée, et qui mettront à votre service le sel piquant de leurs bons mots.

Par cette double combinaison, vous agirez à la fois d'une manière efficace sur l'opinion des hommes graves, des hommes politiques, et sur l'esprit

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