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constamment sous les yeux le tableau déchirant de toutes les passions humaines déchaînées, se heurtant avec fureur; je vais trouver des tigres altérés de sang, parmi ces hommes dont la première idée avait été l'abolition de la peine de mort; je vais apprendre en frémissant jusqu'à quels excès peut se porter l'ambition de quelques hypocrites couverts du masque du républicanisme; et je vais connaître les funestes effets de l'anarchie. Heureusement, je rencontrerai encore sur la grande scène politique quelques véritables amis de la liberté, quelques hommes vertueux ; j'aurai à raconter des traits d'un patriotisme désintéressé, d'un républicanisme sans tache. Je parlerai de nos jeunes soldats, de nos camps, où l'honneur français semblait s'être réfugié à cette époque déplorable; je dirai aussi quels furent l'activité, l'énergie et le courage de la Convention dans les momens de danger; les prodiges qu'elle fit pour sauver la patrie de l'invasion étrangère, et de la guerre civile allumée au sein de la France; les innovations philosophiques qu'elle introduisit dans notre système astronomique, statistique, politique et religieux: alors l'étonnement succédera à l'indignation, et l'on se demandera si c'étaient des hommes ordinaires ceux qui d'une main renversaient les trônes, les autels et les croyances les plus révérées, tandis que de l'autre ils repoussaient l'Europe entière armée contre eux, et faisaient trembler toutes les têtes couronnées. Pour fonder cette république, contre laquelle s'étaient ligués tous les rois de la chrétienté, il fallait montrer une audace inouie; il fallait braver la terre et le ciel : la Convention nationale le fit sans pâlir!

Le jour même de l'exécution de Louis XVI, la Con

vention, après avoir décrété une adresse au peuple, commençant par ces mots : Citoyens, le dernier roi des Français n'est plus, s'occupa, sans diversion, d'intérêts généraux. Mais il fut aisé de s'apercevoir que, quoique l'objet de discorde n'existât plus, les partis étaient loin de s'être réconciliés. L'intervalle qui les séparait restant vide, tous les coups qu'ils se destinaient allaient porter, et retentiraient dans toute la France.

Les jacobins ne doutaient pas qu'il n'y eût encore un levain de royalisme dans ceux qui s'étaient opposés à la mort du roi, ou qui avaient voté pour l'appel au peuple; mais, enhardis par la facile exécution de l'infortuné monarque, ils se vantèrent d'avoir sauvé la cause de la révolution. Les girondins, parmi lesquels on comptait trois ministres, Roland, Clavières et Lebrun, semblaient touchés du sort de la grande victime, et commençaient à s'apercevoir que la victoire de leurs adversaires serait le prélude d'un système inexorable et sanguinaire : ils se découragèrent. Roland, persuadé qu'il ne pourrait plus retenir les fureurs des septembriseurs, donna sa démission. Ce fut une grande faute dont les jacobins se réjouirent. La Gironde perdit en lui son point d'appui et de ralliement, et devint une proie plus facile pour ses adversaires, qui redoublèrent leurs dénonciations jusqu'à ce qu'on eût écarté du gouvernement ce qu'ils appelaient les intrigans, c'est-à-dire, les hommes connus par leurs liaisons avec les girondins, qu'on désignait encore sous les noms de rolandins, brissotins, etc.

Le seul avantage que les girondins obtinrent dans cette réorganisation ministérielle fut le renvoi du ministre de la guerre Pache, qui, par sa faiblesse envers les jacobins,

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leur avait laissé envahir toutes les places. Il eut pour successeur Beurnonville, surnommé l'Ajax français: ce général était fort lié avec Dumouriez, ce qui n'empêcha pas que, quelque tems après, Dumouriez ne le livrât aux Autrichiens.

Pache avait tout désorganisé Beurnonville, sévère sur la discipline militaire, essaya de rétablir l'ordre, et se trouva contrarié par le génie désordonné des jacobins. Il fallait cependant se préparer à lutter contre toute l'Europe; car, si la mort de Louis XVI attira à la Convention des adresses d'adhésion et de félicitation des départemens et des sociétés populaires pour le renversement du trône et du tyran, cette nouvelle jeta l'alarme dans les cabinets étrangers, avec lesquels la république conservait encore un simulacre de paix. La nation française tout entière sentit alors que la responsabilité du coup s'étendait sur elle, et qu'il fallait être la première des nations, sous peine de devenir la dernière. Le sentiment de l'honneur national prévalut sur toutes les craintes ; l'idée d'être dominé commanda et obtint tous les sacrifices. Réquisitions d'hommes et de propriétés, perte du commerce et de l'agriculture, privations, souffrances, disettes, on supporta tout plutôt que d'être avili.

Le danger commun parut, pour un moment, rallier tous les membres de la Convention, comme il ralliait tous les citoyens. Le 24 janvier tous ces représentans jurèrent sur la tombe de Lepelletier, assassiné par un ex-gardedu-corps, le soir de l'exécution de Louis XVI, d'oublier toutes leurs dissentions, et de ne plus s'occuper que du salut de la patrie. Malheureusement la première partie de ce serment fut bientôt oubliée.

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Toutefois, il fut enjoint aux comités de redoubler de travail et d'activité. Celui de défense générale fut chargé de Janvier. proposer l'organisation d'un pouvoir exécutif provisoire. Ce travail fut fait par une commission, ou plutôt par l'abbé Sieyes, célèbre, dans l'Assemblée constituante, par la profondeur de ses vues et la précision mathématique de ses rapports. Il proposa un économat national, et un directoire formé d'un ministre, d'un administrateur, d'un directeur et d'un conseil intime pour les approvisionnemens de terre et de mer. Ce plan ne fut pas adopté, parce qu'il faisait sortir le pouvoir des mains de la Convention, et qu'elle voulait tout réunir, législation, administration,

exécution.

Dix jours après la mort du roi, la Convention décréta la réunion du comté de Nice et de la principauté de Monaco à la république française une et indivisible. Eile en forma le département des Alpes-Maritimes. C'était peu de chose sous le rapport de la population; mais, sous le rapport topographique et militaire, la république faisait une acquisition avantageuse : elle donnait à la France ses limites naturelles des Alpes, forçait les Piémontais à se retirer au-delà du Col-de-Tende, enlevait aux Anglais la rade et le bassin de Villefranche, et enfin, elle se procurait la libre entrée sur le territoire de la république de Gênes. Depuis cette époque, cet ex-département français est devenu beaucoup plus important encore pour la France, à cause de la belle route dite de la Corniche, qui de Nice conduit à Gênes, par le littoral de la mer, qu'on ne pouvait suivre autrefois que par des chemins affreux, où la cavalerie avait beaucoup de peine à

passer.

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I

Le lendemain, c'est-à-dire le 1er février, la Convention prit un parti violent et téméraire, celui de déclarer la guerre à l'Angleterre et à la Hollande. Cette guerre existait de fait depuis long-tems, du moins de la part de l'Angleterre. Son ministre, Pitt, répandait l'or à profusion, pour susciter des ennemis à la France ; mais quoique la guerre dût lui donner une grande influence personnelle en Europe, il avait eu la politique de ne pas la déclarer lui-même, afin de ne point irriter une partie de la population de l'Irlande et de l'Angleterre, chaudement prononcées pour les principes qui avaient fait la révolution en France. Aussi, dans le discours prononcé pour en appeler aux armes, Brissot eutil soin de séparer les peuples de leurs gouvernemens, et c'est à ces gouvernemens seuls que la république française déclara la guerre, pour venger les outrages faits aux droits de l'homme.

Au moment où la république semblait provoquer ces deux puissances maritimes, elle ne comptait dans tous ses ports que soixante-six vaisseaux de ligne et quatrevingt-seize frégates ou corvettes, tandis que la Hollande seule avait plus de cent bâtimens de guerre de toutes grandeurs, et que la marine royale anglaise était forte de quatre-vingts vaisseaux de ligne, de cent vingt-cinq frégates, de cent huit cutters, etc. Ajoutons que l'émigration avait privé la France de presque tous ses officiers de marine, et l'on se convaincra que la république ne commençait pas par compter le nombre de ses ennemis, ni les avantages qu'ils pouvaient avoir.

Au mois de février 1793, la situation de la France à l'égard de l'Europe était effrayante : c'était une rupture

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