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nale pour l'éclairer sur les dangers dont elle était menacée, et l'invita, de la manière la plus énergique, à faire un appel aux bons, aux véritables citoyens, qui n'attendaient qu'un signal pour voler à son secours et la délivrer de la tourbe de facțieux par qui elle allait être opprimée.

Ces assurances de fidélité, et la certitude acquise du complot contre une partie de la représentation nationale, déterminèrent la commission des Douze à lancer un mandat d'arrêt contre le substitut de la commune, Hébert. C'était un aventurier, ancien receveur de contremarques dans les petits spectacles, et qui depuis quelque tems publiait, sous le nom du père Duchêne, la feuille la plus dégoûtante, la plus ordurière et la plus infàme qui eût jamais existé. Il ne cessait d'y prêcher le meurtre, le pillage et l'athéisme, et renchérissait encore sur les turpitudes de son digne confrère Marat. Ce fut pourtant l'arrestation de ce misérable et de trois ou quatre séditieux chargés de crimes, qui décida les journées du 31 mai et du 2 juin.

Hébert, instruit du danger qui le menaçait, courut en rendre compte à la commune. A la nouvelle de ce qu'il regarde comme un noir attentat, le conseil se soulève, et se déclare en permanence. Hâtons-nous de dire ici, pour l'honneur de la France, que ce conseil était presque tout composé d'étrangers. Le maire, Pache, était Suisse; Marat était de Neufchâtel; Guzman était Espagnol; I'Italie comptait dans la commune de Paris Pio et Dufourny; l'Autriche y avait envoyé Proly et les frères Frey; la Belgique; Pereyra; l'Angleterre, Arthur; l'Amérique même y avait jeté le fameux Fournier dit l'Américain.

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Malheureusement il s'y trouvait aussi un Chaumette, confrère d'Hébert : Chaumette embrassa son ami, et sortit de la commune en l'assurant que sous peu il irait le rejoindre.

En effet, il court à toutes les sections, à toutes les sociétés populaires pour leur annoncer l'arrestation du rédacteur du père Duchéne, d'un magistrat du peuple. << Quel magistrat! dit à cette occasion Rabaut-Saint» Étienne, l'un de la commission des Douze; républi>> cains, élevés à l'école des Grecs et des Romains, est-ce » là l'idée que vous avez prise du magistrat de la répu

blique? Celui qui, par son langage et par sa conduite, » devrait ignorer les termes obscènes et bas des lieux de » prostitution et de débauche; qui devrait même s'effor» cer d'ennoblir et d'épurer la langue des hommes libres, » pour ennoblir et épurer leurs mœurs; ce grand ma>>gistrat s'occupe tous les jours à nourrir le peuple de » cet aliment de corruption, et se sert de la langue.des >> prostituées pour former les hommes à l'assassinat (1).»

Il était évident qu'Hébert avait, dans son journal et dans son style grossier, provoqué le massacre d'un certain nombre de députés : concurremment avec les conspirateurs, il avait annoncé que les ennemis du peuple étaient dans la Convention; que c'étaient les girondins, les brissotins; qu'il y avait trois cents citoyens de trop, et que quand ils n'y seraient plus on pourrait faire le bien.

Ainsi, les poignards se fabriquaient et s'aiguisaient : la commission jugea que cet écrivain était complice du complot qui se tramait; qu'à bonne ou mauvaise inten-.

(1) Voyez l'APPENDICE, notes et renseignemens historiques, pièce A.

tion, ses écrits provoquaient au meurtre des représentans du peuple; que, composés dans un style dont le genre attire une certaine classe de lecteurs, ils étaient criés le matin et le soir dans tous les quartiers de Paris et jusqu'à la porte de la Convention en conséquence elle le déclara coupable de provocation au meurtre de plusieurs de ses membres.

Jamais tribunal n'avait agi moins arbitrairement que la commission des Douze, en ordonnant l'arrestation d'Hébert; mais les factieux de la commune qualifièrent cette mesure d'attentat contre la liberté de la presse, et la considérèrent comme un événement fâcheux pour tous les bons citoyens. Ils résolurent d'enyoyer sur l'heure une adresse à la Convention, pour réclamer la mise en liberté d'Hébert, et la firent couvrir de signatures quêtées dans toutes les sections.

La Convention était alors occupée d'une adresse des trente-deux sections de la commune de Marseille, dans laquelle les Marseillais, «< en se félicitant que la tête du despotisme fût tombée, demandaient que les ambitieux, les traitres, les tyrans subalternes éprouvassent le même sort. » Ce fut au moment où Marseille réclamait le retour de l'ordre public et le règne des lois, que la commune de Paris se présenta à la barre de la Convention pour réclamer Hébert.

Isnard, qui présidait, lui répondit avec indignation par ces paroles, qui servirent de prétexte à l'insurrection projetée par la commune, et qui furent un titre de proscription pour ce député courageux. «La Convention, qui a >> fait une déclaration des droits de l'homme, ne souffrira >> point qu'un citoyen reste dans les fers s'il n'est pas cou

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» pable. Croyez que vous obtiendrez une prompte justice; » mais écoutez les vérités que j'ai à vous dire : la France » a mis dans Paris le dépôt de la représentation natio>> nale; il faut que Paris le respecte; il faut que toutes » les autorités constituées de Paris usent de tout leur » pouvoir pour lui assurer ce respect. Si jamais la Con» vention était avilie, si, par une des circonstances qui, » depuis le ro mars, se renouvellent sans cesse, et dont » les magistrats n'ont jamais averti la Convention...... si, » par ces insurrections, toujours renaissantes, il arrivait » que l'on portât atteinte à la représentation nationale, » je vous le déclare, au nom de la France entière, » Paris serait anéanti; oui, la France entière tirerait » une vengeance éclatante de cet attentat, et bientôt » on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a » existe. »

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Ces menaces ne firent aucune impression sur les membres de la commune. Ils s'en retournèrent mécontens de n'avoir rien obtenu; mais les sections succédèrent à la commune, et l'une d'elles tint à l'assemblée le langage lé plus impérieux : « Le tems de la plainte est passé, dit >> celui qui était chargé de porter la parole, nous venons » vous avertir de sauver la république, ou la nécessité » de nous sauver nous-mêmes nous forcera d'agir. Tra>> duisez au tribunal révolutionnaire les membres de la >> commission des Douze; songez qu'il s'agit de venger » la liberté presque au tombeau : le peuple veut bien ̧» vous accorder la priorité. »

Des jeunes gens, des enfans même se trouvaient en grand nombre parmi ces motionnaires. Isnard leur dit que la Convention pardonnait à l'égarement de leur jeu

nesse, et annonça à la section que la Convention s'occuperait de la pétition dans un autre moment.

A ces mots, des cris violens se font entendre contre le président et les girondins. Bourdon, Marat, Thureau, Couthon et Danton lui crient qu'il est un tyran, un infâme tyran. « Je vous le déclare, dit Danton, tant d'impudence commence à nous peser, nous vous résisterons.>>> Couthon demande que le président soit cassé, pour avoir compromis sciemment la liberté.

La lutte était des plus vives, lorsque le ministre de l'intérieur, Garat, qui ignorait toutes les ramifications de cette affaire, arriva à la Convention pour affirmer que tout était calme dans Paris, qu'il n'existait point de conspiration, point de mouvement dont l'assemblée dût s'effrayer, et finit en disant « qu'arrêter un citoyen pour ses opinions, c'était attenter à la liberté de la presse. »

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Cette conclusion du ministre fit voir que la séance allait tourner au désavantage des girondins; ils s'en aperçurent, et demandèrent qu'elle fût levée mais le parti contraire s'y opposa. Hérault de Séchelles occupa le fauteuil ; une partie de la nuit se passa à recevoir de nouvelles députations des sections qui venaient réclamer Hébert. Ces députations poussèrent l'insolence et la hardiesse jusqu'à traiter de lâches les membres de la Montagne qui ne se prononçaient pas, et à leur offrir cent mille bras, dans le cas où ils ne seraient pas assez forts. Enfin, après un long et épouvantable tumulte, Hérault de Séchelles mit aux voix la suppression de la commission des Douze, et l'élargissement d'Hébert. Ces deux décrets passèrent à une majorité douteuse.

On remarqua que, dans cette journée, Marat avait re

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