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d'accusation était basé; mais il fut acquitté. Le président du tribunal avait posé cette question : « Jean-Paul Marat a-t-il eu dans lesdits écrits des intentions criminelles et contre-révolutionnaires? » Le premier juré déclara qu'il ne pouvait supposer des intentions contre-révolutionnaires au défenseur des droits du peuple, et tous les autres jurés répondirent unanimement « que les faits n'étaient pas constans. »>

Proclamé innocent, Marat se loua de l'impartialité du jury, et leur recommanda de punir les coupables, afin de sauver la république. Ce monstre, dont la présence faisait naître cet effroi qu'inspire la vue d'un serpent, fut couronné de chêne et de lauriers par la foule qui assistait à son jugement, et porté en triomphe jusqu'à la salle de la Convention, aux cris de vive la Montagne! vive Marat! Un membre proposa de lever la séance; mais il n'en était plus tems, et la représentation nationale devait s'abreuver du calice d'amertume qui lui était préparé. Marat monta à la tribune pour présenter, dit-il, aux législateurs du peuple français un citoyen inculpé qui s'était pleinement justifié, et leur offrir un cœur pur, qui continuerait à défendre, avec toute l'énergie dont il est capable, les droits de l'homme et du peuple. Le président ne voulut pas lui répondre, et l'on eut assez de peine à faire évacuer la salle; Danton seul eut assez d'ascendant sur les amis de Marat, pour les engager à défiler, ce qu'ils firent alors aux cris de vive Marat!

Cette éclatante victoire, remportée par les jacobins sur l'assemblée nationale, éleva leur puissance, et leur rallia beaucoup d'hommes faibles. Tout ce qui ne voulait pas partager la défaite des girondins se réunit à la Mon

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1793 tagne; et, de ce moment, le parti de la Gironde resta isolé, ou plutôt il n'y eut plus de parti. Les chefs abandonnés demeurèrent en butte à des ennemis implacables; et l'étranger, qui n'avait pu déconsidérer tout-à-fait la Convention, adopta un autre moyen pour la dissoudre, celui de la faire décimer par ses propres membres.

la

Quelques jours d'un calme trompeur succédèrent à ces séances orageuses. Les craintes semblèrent se calmer; le passé s'oubliait, l'avenir restait inaperçu, faute de vouloir ouvrir les yeux; la sécurité tint lieu de toute garantie, et comme il fallait faire diversion aux débats des partis, on commença l'œuvre d'une constitution nouvelle qui ne devait jamais être en activité, mais que Convention destinait à opposer à toute autre constitution que l'on tenterait de promulguer. Robespierre fit, à cette occasion, un discours irréprochable en morale et en principes républicains. Saint-Just parla avec une éloquence pleine d'idées neuves et brillantes; Daunou se fit remarquer par sa logique pressante, et conclut. que les dangers extérieurs ne devaient pas arrêter la marche de l'assemblée, et qu'une bonne constitution faite et reçue serait une des armes à opposer à ces dangers. En peu de jours cette constitution fut faite.

Pendant qu'on y travaillait, les Vendéens remportérent de nouveaux avantages, et s'emparèrent de la ville de Thouars, après un combat où les républicains, au nombre de plus de six mille, furent obligés de mettre bas les armes. Ces mauvaises nouvelles firent proroger les pouvoirs du comité de salut public, qui devait être renouvelé tous les mois. Ce comité prit sur-le-champ un arrêté portant que tous les départemens limitrophes des

pays insurgés étaient en état de réquisition pour combattre les rebelles. A défaut de fusils, le comité ordonna qu'on leur ferait passer soixante mille piques, armes faibles qui fournirent aux Vendéens l'occasion d'obtenir de nouveaux succès. La Convention décréta aussi la création de douze cents millions d'assignats.

La situation financière de la république offrait alors les résultats suivans: les assignats en circulation s'élevaient à la somme de trois milliards cent millions. La dette exigible liquidée se trouvait réduite, par les remboursemens effectués, à la somme de six cents millions. Les ressources de l'état consistaient: 1o en cinq cents millions d'arriéré de contributions; 2o en cinq cents millions de créances liquidées, sommes à recouvrer sur les sels et les tabacs, sur l'arriéré des fermes, des domaines et régies; 3° en deux milliards dus sur les biens nationaux vendus; 4° en douze cents millions de bois et forêts; 5o en trois cents millions des biens de la liste civile; 6o en cent millions de bénéfices sur les domaines engagés; 7o en cinquante millions de droits territoriaux, dont les droits primitifs existent; 8° en cinquante millions de salines et salins; 9o en trois milliards de biens nationaux provenant des émigrés, toutes dettes défalquées. Total, sept milliards sept cents millions; somme excédant de quatre milliards celle des dettes; ce qui, après cette nouvelle émission de douze cents millions, présente encore un excédant libre de deux milliards huit cents millions.

Malgré ces richesses, la Convention fut obligée de faire un emprunt forcé d'un milliard, imposable seulement sur les riches. Lanjuinais voulait que chacun vint au secours de la patrie, et contribuât au prorata de sa

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fortune; mais il fut couvert de huées par le parti qui favorisait la classe indigente, avec laquelle il faisait ordinairement ses coups de main. L'emprunt passa, car les jacobins en voulaient autant à ce qu'ils appelaient l'aristocratie bourgeoise ou mercantile, qu'à l'aristocratie nobiliaire. Ils traitaient de suspects et de révolutionnaires les hommes laborieux exerçant une honorable industrie, et voulaient les ruiner pour les mettre au niveau des prolétaires.

Il fallut aussi s'occuper des subsistances. La circulation en était gênée dans l'intérieur; on fit des lois pour assurer l'arrivage et le débit dans les marchés publics : il en fallut pour que personne ne pût se pourvoir à domicile que sur un certificat de la municipalité, et pour forcer les cultivateurs à déclarer ce qu'ils possédaient de grains; enfin un décret fixa le prix des grains par un maximum, qui fut bientôt appliqué à toutes les autres denrées. Cette mesure, ainsi que celle qui ordonnait l'emprunt forcé d'un milliard, avaient été provoquées par une adresse du faubourg Saint-Antoine, portée à l'assemblée par une députation qui s'exprima en ces termes « Si vous n'adoptez pas ces mesures, nous vous déclarons, nous qui voulons sauver la patrie, que nous sommes en insurrection: ceux qui le demandent avec nous sont au nombre de neuf mille; ils sont à vos portes; ils désirent défiler dans la Convention. » Les girondins s'opposèrent en vain à ce qu'exigeait si impérieusement cette portion du peuple; mais Robespierre soutint vigoureusement ses satellites, et leur fit accorder les honneurs de la séance. La Convention venait alors de quitter la salle du manége, où elle avait siégé depuis

son installation, et occupait une salle dans le château des Tuileries.

Ce fut dans cette nouvelle salle que les girondins obtinrent un dernier avantage sur les chefs des jacobins, avantage qu'ils ne tardèrent pas à payer de leur tête. Depuis que la Convention avait déclaré calomnieuse la pétition contre les prétendus complices de Dumouriez, les girondins croyaient régner, et régnaient en effet par leur éloquence, la force de leur raisonnement, la considération due à leur moralité politique et à leur patriotisme qui était pur et sans feinte. Ils entrainaient souvent l'auditoire, et obtenaient les décrets de législation, d'administration et de police. Contens de leurs succès et des applaudissemens de la partie saine de l'assemblée et des tribunes, ils se quittaient au sortir du lieu de leurs séances, et ne se revoyaient plus ; ils n'avaient pas même de réunion de société commune depuis l'éloignement de Roland. Leurs ennemis, au contraire, ne se perdaient jamais de vue; l'intervalle des séances était pour eux le moment qu'ils employaient à s'entendre et à préparer les moyens d'exécuter leurs complots. Assidus à la tribune des jacobins, vigilans dans les réunions de la commune, promoteurs des sections par leurs commissaires; au lieu de disputer d'éloquence, ils laissaient faire les décrets, et travaillaient aussitôt à en arrêter les résultats, à les rendre sans effet, et à les faire rapporter.

Paris était alors régi par une multitude d'autorités qui se croisaient dans leurs fonctions, et, au besoin, se réunissaient toutes contre l'autorité de la Convention nationale. Outre le conseil général de la commune, chaque section avait son assemblée délibérante, et depuis

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