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Avril.

populations, en les voyant passer, les accueillaient aux 1793 cris de vive la république et de ça ira! Malheur à ceux que ces chants et ces cris trouvaient tièdes; on les qualifiait aussitôt d'aristocrates ou de modérés, et la mort planait sur leurs têtes.

Mais pendant que la Convention provoquait cette ardeur belliqueuse et commandait tant de sacrifices à la patrie, elle était elle-même un vaste champ de bataille, où les partis se faisaient une guerre à mort. Déjà les girondins et tous les membres qui avaient demandé l'appel au peuple dans le procès de Louis XVI avaient été dénoncés comme complices de Dumouriez, par la section de Bonne-Nouvelle, et les pétitionnaires demandaient qu'on leur appliquât les peines encourues par les traitres à la patrie. Une autre pétition, rédigée dans le même sens, et sous l'influence de Marat, par la section de la Halle-aux-Blés, fut présentée solennellement à la Convention par le maire Pache, après avoir été colportée aux jacobins, qui l'avaient couverte de leurs signatures. Il y était dit qu'une partie de la Convention était corrompue, qu'elle conspirait avec les accapareurs, qu'elle était complice de Dumouriez, et qu'il fallait la remplacer.

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Pétion, indigné de toutes ces calomnies, et sentant d'ailleurs que son sort était lié à celui des députés dénoncés, s'élève contre ces pétitions et leurs auteurs avec une véhémence qui ne lui était pas ordinaire, et demande que la Convention décrète des mesures de répression contre ses calomniateurs; mais Danton réclame une mention honorable en faveur de la pétition. Pétion, révolté de tant d'audace, veut qu'on envoie au tribunal révolutionnaire les auteurs de ces pétitions, et Danton

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pas

lui répond que les représentans, forts de leur conscience,
ne doivent
craindre la calomnie. Robespierre, pas-
sionné pour toutes les querelles personnelles, demande
à déchirer le voile, et débite la plus amère et la plus
atroce diffamation contre les girondins. « Cette faction,
» s'écrie Robespierre, est seule cause de la guerre désas-
» treuse que nous soutenons maintenant; elle l'a voulue
» pour nous exposer à l'invasion de l'Autriche qui pro-
>> mettait la constitution bourgeoise de 1791; elle l'a di-
>> rigée avec perfidie, et, après s'être servie du traître La
» Fayette, elle s'est servie du traître Dumouriez pour
» arriver au but qu'elle poursuit depuis long-tems. »
Après de longs et artificieux développemens, Robes-
pierre propose d'envoyer au tribunal révolutionnaire les
complices de Dumouriez, tous les d'Orléans et leurs
amis. « Quant aux députés Guadet, Gensonné, Ver-
>>> gniaud, etc., ce serait, dit-il avec une méchante iro-
» nie, un sacrilége que d'accuser d'aussi honnêtes gens,
>> et sentant mon impuissance à leur égard, je m'en re-
» mets à la sagesse de l'assemblée. »

La Montagne et les tribunes comprirent leur vertueux orateur, et l'applaudirent; mais les girondins, indignés de ce lâche système, se levèrent en masse pour confondre leur infâme dénonciateur. Vergniaud, le premier, s'élance à la tribune, et, le cœur oppressé, il demande la parole avec tant de vivacité qu'on la lui accorde, et que la Montagne et les tribunes finissent par l'écouter. « Il » osera, dit-il, répondre à monsieur de Robespierre, et » il n'emploiera ni tems, ni art pour répondre, car il n'a >> besoin que de son ame; il ne parlera pas pour lui, car

il sait que dans les tems de révolution, la lie des na

>>tions s'agite et domine un instant les hommes de bien, >> mais pour éclairer la France. Sa voix qui, plus d'une >> fois, a porté la terreur dans ce palais, d'où elle a con» couru à précipiter la tyrannie, la portera aussi dans >> l'ame des scélérats qui voudraient substituer leur pro» pre tyrannię à celle de la royauté. » Vergniaud combaf ensuite, dans le plus grand détail, toutes les calomnies contenues dans le discours de Robespierre, et conclut à ce que la Convention mande à la barre les signataires de la pétition.

Le talent de Vergniaud avait captivé jusqu'à ses ennemis; sa bonne foi, son éloquence entrainante avaient intéressé la grande majorité de l'assemblée, et on lui prodiguait de toutes parts les plus vifs témoignages d'intérêt, lorsque Guadet demanda la parole. A sa vue, la Montagne pousse des cris affreux; mais Guadet obtient enfin la faculté de répondre, et le fait de manière à exciter les passions bien plus vivement que Vergniaud: il ose attaquer Danton, qui lui crie de sa voix de Stentor: « Ah! >> tu m'accuses; tu ne connais pas ma force! »

On attachait une grande importance à faire un exemple sur Marat, le plus hideux des hommes, et dont l'ame était encore plus affreuse; il avait signé la pétition de la section de la Halle-aux-Blés, dont il était le président, et c'était lui que l'on avait voulu désigner. Gensonné développa cette opinion. Le lendemain Guadet parut à la tribune avec une adresse des jacobins aux sociétés affiliées des départemens : cette adresse finissait par un appel au peuple contre la Convention. « C'est dans le sénat, >> disaient les jacobins, que de parricides mains déchirent » les entrailles de la république ; c'est dans la Conven

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» tion nationale qu'est le centre de la contre-révolution ; » c'est là qu'une cabale sacrilége, dirigée par la cour » d'Angleterre et autres, tient les fils de la trame ourdie >> avec la horde des despotes. >>

Malgré toutes ces pièces probantes, les girondins n'obtinrent qu'avec peine que le comité de législation femit un rapport, et que Marat serait en arrestation jusqu'au jour où ce rapport serait présenté. Il le fut le 13 avril, et excita des débats fort orageux, pendant lesquels on vit des députés demander la convocation des assemblées primaires, persuadés qu'ils étaient, d'après la scission qui régnait parmi les représentans du peuple, que la Convention ne pouvait plus faire le bonheur de la France. Vernier, que son grand âge et les fonctions de président qu'il avait remplies plusieurs fois rendaient recommandable, demanda que les deux partis montrassent du civisme et de la générosité : « Quittons, dit-il, ce déplorable champ de bataille, et que les plus passionnés de part et d'autre, devenus simples soldats, marchent à l'armée pour y donner l'exemple de la soumission et du courage. »

Mais tant de générosité était loin de se trouver dans le cœur de ces hommes qui voulaient dominer la France, et le faire sans rivaux redoutables aussi, malgré le triomphe que les girondins remportèrent ce jour-là, en faisant décréter d'accusation et renvoyer au tribunal révolutionnaire le féroce Marat, on ne tarda pas d'apprendre

que les sections de Paris, la commune et les cantons devaient demander à la Convention l'expulsion de vingtdeux députés, complices de Dumouriez. Ces vingt-deux

yalistes étaient ceux-là même qui venaient d'entrainer

la majorité de l'assemblée dans l'affaire de Marat, et qui avaient obtenu deux cent vingt voix contre quatre-vingtdouze, outre quarante-huit membres qui se récusèrent par le motif qu'ils étaient habituellement dénoncés dans les écrits de Marat. Ce résultat prouvait que la grande majorité des représentans désirait la fin des excès, et que l'énergie politique était nécessaire pour déjouer les complots des anarchistes, et entrer dans une meilleure voie. Mais les girondins étaient moins audacieux et moins habiles dans le jeu des ressorts populaires ; ils avaient la faconde de la tribune et des prétentions à la science de la haute politique; ils aimaient à discourir, se persuadant que des dissertations et des périodes étaient les moyens les plus efficaces dans une démocratie, tandis que les jacobins, s'insinuant dans les moindres canaux de la popularité, et sachant associer la multitude à leurs intérêts, haranguaient avec une violence chaque jour plus hardie, et déclamaient sans relâché, comme sans ménagement, contre leurs antagonistes.

C'était toujours dans la commune de Paris que se préparaient les grands moyens d'attaque contre la représentation nationale. On proposait, on discutait aux séances des jacobins; là, les grands orateurs, assurés d'obtenir les applaudissemens de la majorité, renvoyaient toujours l'auditoire persuadé que ce que les chefs venaient de dire, ils le feraient : cette opinion, bientôt répandue dans Paris, y disposait les esprits aux événemens annoncés, et affaiblissait toute résistance. C'est ainsi qu'il faut expliquer comment une assemblée communale, renouvelée à chaque nouvelle entreprisé, parvenait à mouvoir à son gré la partie la plus turbulente de la population de Paris,

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