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qui étaient compris dans le nombre des victimes, et le fort de la troupe se dispose à fondre sur la salle de la Convention, où déjà leurs auxiliaires des tribunes préparaient leurs pistolets. Mais le ministre de la guerre Beurnonville, ayant escaladé les murs de son jardin pour se soustraire aux poignards, courut se mettre à la tête des bataillons du Finistère et de Nantes, nouvellement arrivés à Paris, et bien disposés à protéger la Convention. Cette nouvelle, qui se répandit promptement, commença à en imposer aux assassins. D'un autre côté, les inspecteurs de la salle, prévenus de la conjuration, avaient pris toutes les mesures qui étaient en leur pouvoir pour garantir l'enceinte des séances d'une irruption populaire; et enfin, une pluie battante vint contribuer à la dispersion des conjurés pour ce soir-là le grand coup de main arrangé par Robespierre et Danton ne put être exécuté.

Marat et ceux des montagnards qui attendaient dans la salle l'arrivée des bourreaux en frémirent de rage. La commune, voyant le complot échoué, se hâta d'aller hypocritement le dénoncer à l'assemblée.

Les conjurés, voulant colorer leur attentat, prétendirent ne s'être insurgés qu'à cause de l'ajournement de l'organisation du tribunal_révolutionnaire, qu'ils voulaient voir en activité sur-le-champ; et l'assemblée, au lieu de montrer de la fermeté et de chercher à punir les égorgeurs, qui l'avaient menacée jusque dans le lieu de ses séances, se laissa séduire par Danton. « Il faut tout dé>>créter sans désemparer, s'écria celui qui avait proposé » la formation de ce tribunal; il faut que demain nos >> commissaires partent de tous côtés; que la France en

» tière se lève, coure aux armes, marche à l'ennemi ; » que nos armes, partout victorieuses, apportent aux » peuples la délivrance et le bonheur, et que le monde » soit vengé. »

La majorité, persuadée que le salut public demandait l'immédiate application de ce moyen extrême, décréta, en quelques heures, l'érection de ce trop fameux tribunal, sans qu'il y eût eu de discussion; car on ne peut appeler de ce nom quelques légers débats, vingt fóis interrompus, dans lesquels les membres qui ne voulaient pas de cette monstrueuse création ne purent se faire

écouter.

L'épouvantable tribunal, qui couvrit la France de larmes et de sang, ne fut d'abord connu que sous le nom de tribunal extraordinaire; il eut ensuite celui de révolutionnaire, qu'il mérita dans toute l'étendue de la signification que les anarchistes donnaient à ce mot.

Le décret portait : qu'il serait établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire pour connaitre de toutes entreprises contre-révolutionnaires, de tout attentat contre la liberté, l'égalité, l'unité, l'indivisibilité de la république, la sûreté intérieure et extérieure de l'état, et de tous les complots tendans à rétablir la royauté, ou à établir toute autre dignité attentatoire à la liberté, à l'égalité et à la souveraineté du peuple, soit que les accusés fussent fonctionnaires civils ou militaires, ou simples citoyens.

Les juges, le jury, l'accusateur public, les substituts, les suppléans, tout ce qui devait composer ce tribunal était nommé par la Convention. Tous les procès-verbaux de dénonciation, d'arrestation, etc., devaient être adressés éga

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lement à la Convention, qui les renvoyait à une commission de ses membres chargée de lui en faire le rapport. Les jugemens devaient étre prononcés à haute voix et à la pluralité absolue des suffrages.

Les accusés en fuite devaient être traités comme les émigrés.

معلم

pour

Les biens de ceux qui auraient été condamnés à mort étaient acquis à la république ; elle se chargeait de voir à la subsistance des veuves et des enfans qui n'auraient pas des biens suffisans.

Les crimes qui n'auraient pas été prévus par les lois devaient être punis de la déportation.

Les juges devaient prononcer contre les accusés les peines portées par le code pénal, et autres lois postérieures. Ces lois postérieures portaient la peine de mort pour tous les crimes mentionnés en l'article 1er. Enfin, les jugemens devaient être exécutés sans recours au tribunal de cassation.

On voit, par cette analyse, que les rédacteurs du décret n'avaient rien omis pour que la faux de la mort n'épargnât aucune des têtes qu'ils voulaient moissonner. Dans la suite ils y ajoutèrent encore des dispositions pour accélérer l'action de cette faux déjà si active.

Cependant, les ambitieux qui voulaient tout dominer, même la Convention, ne s'arrêtèrent pas après tant de funestes concessions qu'ils avaient obtenues; Robespierre et Danton osèrent demander davantage : ils proposèrent de casser entièrement le pouvoir exécutif et de choisir désormais les ministres parmi les membres de la Convention. Cette proposition astucieuse faillit à séduire un grand nombre de vrais patriotes; mais La Réveillère

Lépaux leur fit ouvrir les yeux et leur montra tout le danger qu'il y aurait à revêtir à la fois les mêmes hommes des fonctions législatives qui entraînaient leur inviolabilité, et du pouvoir exécutif, ayant à ses ordres un tribunal sans appel : ils auraient été les maîtres absolus de la république. La proposition de Danton fut heureusement rejetée, et l'échec que les factieux éprouvèrent ralentit pour quelques instans l'audace de leurs chefs. Ils osèrent même parler de réconciliation, afin d'avoir le tems de méditer quelque autre entreprise ou quelque complot. Vainement Vergniaud chercha-t-il à tirer de leur lẻthargie tous les amis de l'ordre, tous les vrais républicains, en leur montrant, avec toute son éloquence, la profondeur de l'abime dans lequel on les entraînait, par le mouvement que les anarchistes avaient imprimé au corps politique, et par le funeste égarement de l'esprit public. « Le peuple, dit Vergniaud, est comme di» visé en deux classes, dont l'une délirante par l'excès » de l'exaltation auquel on l'a portée, et l'autre, frappée » de stupeur, traine une existence pénible dans les an» goisses de terreur qui ne connaissent plus de terme.» Et, après une brillante allocution à ce peuple que l'on corrompait, Vergniaud, s'adressant à ses collègues, leur crie : « Le moment est venu; il faut choisir entre une énergie qui vous sauve et la faiblesse qui perd tous les gouvernemens; entre les lois et l'anarchie; entre la république et la tyrannie. Si, ôtant au crime la popularité qu'il a usurpée sur la vertu, vous déployez contre lui une grande vigueur, tout est sauvé. Si vous mollissez, jouets de toutes les passions, victimes de tous les conspirateurs, vous serez bientôt esclaves. >>>

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Les tristes vérités, les prédictions terribles contenues dans le discours de Vergniaud, auraient dû déterminer la Gironde et tous les républicains qui pensaient comme elle à faire un dernier effort pour étouffer la tyrannie des anarchistes: elles auraient dû ramener les autres républicains qui siégeaient sur la montagne; mais, par une fatalité étrange, ces derniers n'aperçurent toute la noirceur des chefs des jacobins et des cordeliers que lorsque le mal fut à son comble, et qu'on ne pouvait plus s'opposer aux progrès de la tyrannie: on avait eu soin de les aigrir contre les Girondins; et, trompés jusqu'à la fin, ils aidèrent à pousser vers l'échafaud un grand nombre de vrais républicains, croyant ne frapper que des contrerévolutionnaires.

Quant aux Girondins, dont le tort fut toujours de se croire en sûreté dès qu'ils avaient déjoué quelque machination, ils surveillèrent mal leurs mortels ennemis, qui eurent l'adresse de s'emparer du comité de défense générale et de salut public. Plusieurs décrets terribles furent aussi rendus contre les émigrés; l'un de ces décrets les bannissait à perpétuité du territoire français, les déclarait morts civilement, et punissait de la peine de mort l'infraction à leur bannissement. Leurs biens étaient acquis à la république, ainsi que leurs successions à échoir pendant cinquante ans. Tous les actes faits par les pères et mères, aïeux d'émigrés postérieurement à l'émigration de ceux-ci, étaient déclarés nuls. Les émigrés, trouvés en France, devaient être condamnés à mort, et exécutés dans les vingt-quatre heures, et ceux qui seraient convaincus d'avoir favorisé la rentrée d'un émigré devaient encourir quatre années de fers.

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