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ronne s'eft trouvée, ou que la bonne ou mauvaise fortune des puiffances avec lesquelles elle contractoit, lui permettoit de ftipuler des conditions plus ou moins favorables. Si donc l'on confidere l'origine de ce péage, il paroît que les titres fur lefquels le Danemarc fe fonde, font fort foibles, & que d'une petite redevance arbitraire on ne pouvoit légitimement faire un devoir, ou une douane confidérable & fort onéreufe pour tout le commerce du Nord. Mais, fi d'un autre côté on réfléchit que les autres puiffances de l'Europe ont confenti à ce droit, & qu'il a été confirmé par plufieurs traités, on ne fauroit difconvenir que le Danemarc n'exerce aujourd'hui ce même droit à jufte titre, & qu'on ne fauroit de bonne grace se fouftraire au paiement de ce qui a été ftipulé à cet égard, vu que les traités forment les vrais titres pour conftater les droits des peuples. On peut - trouver les tarifs du péage du Sund, tels que chaque nation les paie, dans le Corps Diplomatique, & dans d'autres recueils de traités. Nous y renvoyons le lecteur curieux, d'autant plus que l'extrait feul de ces pieces pafferoit les bornes de cet ouvrage, & feroit contraire à fon plan. Il faut remarquer cependant, qu'autrefois la nation Suédoise ne payoit aucun droit de paffage, ni pour les propres vaiffeaux, ni pour les marchandises appartenantes à des Suédois, & chargées fur des navires étrangers. Le Danemarc fe croyoit trop heureux, que la Suede lui abandonnât ce revenu en entier, & qu'elle ne fit pas valoir le droit que lui donne fon rivage & la ville de Helfinbourg. Mais, par l'article IX du traité de Friedrichsbourg, conclu en 1720, la Suede a renoncé à cette franchise du paffage, & s'oblige à payer le péage tout comme les Hollandois & les autres nations; ce qui paroit extraordinairement dur pour la nation Suédoife. On prétend qu'il s'eft trouvé des amodiateurs qui ont offert de prendre à ferme ledit péage pour la fomme de 600 mille écus par an, & qu'ils n'y auroient pas perdu. En confidérant ce feul article, & en le combinant avec toutes les au-. tres fources des finances du Danemarc, on verra au moins, que nous n'avons point exagéré en fixant les revenus de cette couronne à quatre millions & demi.

Malgré cela, il paroît que les tréfors du Roi ne font pas des mieux fournis; que ce Monarque n'a pas beaucoup d'argent comptant pour pouvoir agir promptement & avec vigueur, ni de reffources pour foutenir une guerre longue & ruineufe; que même, dans la plus profonde paix, il a befoin de fubfides étrangers, & que fon Etat n'eft pas fans dettes. Peutêtre que, fous les regnes précédens, les guerres ont épuifé les coffres, ou que de groffes fommes ont été détournées, & envoyées hors du pays, ou que l'état militaire & civil eft trop grand à proportion du revenu; ce qui paroît même affez vraisemblable, vu la nombreuse armée & la flotte confidérable que le Danemarc entretient conftamment.

La religion luthérienne domine dans tout le Danemarc, & dans les Provinces qui en font partie. Le Roi Frédéric I l'embrafla, & fon fils Chré

tien II, l'introduifit dans fes Etats l'an 1536. Il y a fix Evêques dans le Royaume même, quatre dans celui de Norwege, & deux en Iflande. Dans les autres Provinces, les principaux Eccléfiaftiques font nommés Surintendans-Généraux. En général, le nom d'Evêque n'eft ici qu'un titre qui ne donne aucune part au Gouvernement ni une grande autorité dans le Diocese. Néanmoins le Clergé n'a pas été fans crédit pendant plufieurs regnes confécutifs; & les Eccléfiaftiques ont eu une grande influence à la Cour par l'efprit de dévotion qui s'étoit emparé des Souverains. On a été trop Luthérien en Danemarc, s'il m'eft permis de m'exprimer ainfi. Il en eft réfulté tous les inconvéniens qui naiffent toujours du caractere des Prêtres, lorfqu'ils s'ingerent dans les affaires temporelles. Leurs cabales ont percé jufques dans la diftribution des principaux emplois de l'Etat; la Cour s'eft livrée à toutes fortes de bigoteries; le luxe fi néceffaire à l'encouragement des arts & des fabriques, en a été banni, & les Princes mêmes font tombés dans cette indolence, dans cette inaction, dans cette manie des fcrupules outrés, qui font fi nuifibles à la fplendeur des Royaumes. Cependant on a toujours toléré, & l'on tolere encore en Danemarc toutes les autres communions chrétiennes. Les réformés ont une Eglise à Copenhague; & les Juifs mêmes y font protégés. Il femble que toutes les fectes fe foient donné le rendez-vous à Altona, où chacune jouit d'un libre exercice de fa religion; ce qui eft l'unique foutien de cette ville, & qui la rend même floriffante. Depuis la mort du feu Roi, les affaires de religion ont beaucoup changé dans ce pays. Le piétifme y a été profcrit; le Clergé a perdu infiniment de fon crédit, & les affaires de religion y ont été beaucoup mieux gouvernées.

L

S. III.

Gouvernement de Danemarc & de Norwege.

E Danemarc eft un Etat fort ancien. Le peuple qui l'occupoit dans les premiers temps, n'a produit aucun Hiftorien exact, & ce n'eft que depuis cinq ou fix cents ans que l'Hiftoire de ce pays eft bien fuivie. Les livres font pleins des expéditions des premiers Danois, & tous les Hiftoriens nous parlent de l'ancien Gouvernement de Danemarc comme d'un Etat électif. Saxon le Grammairien & tous les auteurs Danois qui ont écrit depuis, s'accordent en ce point. Puffendorff (a), Vertot (b), & les autres auteurs étrangers nous en donnent la même idée; mais le nouvel Hiftorien de Danemarc (c) a entrepris (d) de prouver que la fucceffion

(4) Dans fon Introduction à l'Hiftoire de l'Europe.

(b) Dans fes Révolutions de Suede.

(c) Hiftoire de Danemarc, par J. B. Defroches, Avocat du Roi au Bureau des Fi nances de la Rochelle. Amfterdam 1731, 8 vol. in-12; & Paris 1732, 9 vol, in-12, (d) Dans la Préface hiftorique qui eft à la tête de fon Ouvrage.

à la Couronne de Danemarc fut purement héréditaire jufqu'au regne d'Abel (a), & que lorsque le peuple renonça, dans le dernier fiecle, au droit d'élire fon Souverain, il ne fit que rétablir l'ancienne forme de Gouvernement. C'est une propofition fauffe & contraire à mille monumens hiftoriques.

Les Nobles & le Clergé n'ont fait valoir le droit d'élection (dit le nou vel Hiftorien de Danemarc) que contre les Princes foibles & qui avoient befoin d'eux; ils n'ont ofé, par rapport aux Princes capables de foutenir leur droit, déranger l'ordre fucceffif. On entend combien ce fait eft peu concluant. De ce que les Etats-Généraux, en exerçant le droit d'élection, ont élu quelque parent du Roi dernier décédé, s'enfuit-il qu'ils aient perdu ce même droit? Mais, ajoute-t-il, Saxon le Grammairien, qui étoit Eccléfiaftique, a voulu flatter les Evêques lefquels avoient la principale autorité dans l'élection ; & les auteurs qui ont fuivi Saxon, n'ont fait que le copier. Ne feroit-ce pas plutôt que l'Hiftorien François a voulu plaire au Roi de Danemarc? Lui qui s'étoit propofé de dédier fon ouvrage à Frédéric IV, qui le dédia à Chriftian ou Chriftiern VI, affis fur le trône lorfque le livre parut, & qui pour marquer en cela une volonté conftante, a mis les deux épitres dédicatoires à la tête de fon hiftoire. Il ne feroit pas raifonnable de préférer fans des preuves manifeftes (& il n'y en a abfolument point) l'opinion d'un feul auteur moderne & étranger, à l'autorité d'une foule d'Hiftoriens anciens, tant nationaux qu'étrangers. Le Danemarc fut toujours un Royaume électif. Cet auteur, feul de fon opinion, se réunit au reste avec les autres écrivains fur un point important, c'eft que l'autorité des Rois étoit extrêmement limitée. Il reconnoît que jufqu'à Frédéric III, c'étoit une loi fondamentale du Royaume d'en convoquer chaque année les Etats-Généraux, pour faire des loix, pour examiner ce qui regardoit la paix, la guerre & les alliances, & pour y traiter de tout ce qui avoit rapport au Gouvernement. Il y avoit d'ailleurs un Sénat. Le Roi, réduit au commandement des armées & à l'adminiftration de la Juftice, ne pouvoit entreprendre aucune affaire importante, fans le confentement des Etats ou fans la participation du Sénat.

La Norwege, Royaume également électif, eut long-temps fes Rois particuliers; & après avoir été unie, tantôt au Danemarc, & tantôt à la Suede, eft enfin demeurée annexée au Danemarc.

Marguerite, élue Reine de Danemarc (b) & enfuite de Norwege (c), joignit à ces deux Royaumes, par le même droit d'élection, le trône de Suede, autre Etat électif, également gouverné par un Roi, par un Sénat,

(a) Qui commença de régner en 1250.

(b) Dans le quatorzieme fiecle, après la mort de Waldemer III, fon pere, Roi de Danemarc. (c) Après la mort de Haquin foa époux, Roi de Norwege. & par

& par des Etats-Généraux. Cette Princeffe entreprit de faire paffer fur la tête d'Eric, Duc de Pomeranie, fon petit neveu, les mêmes Couronnes qu'elle avoit réunies fur la fienne, & y réuffit. Elle convoqua (a) les EtatsGénéraux de ces trois Royaumes à Calmar en Suede. Les Etats confentirent à l'élection d'Eric, & à l'union des trois Couronnes en faveur de ce Prince. On en fit une loi fondamentale qui fut reçue par les trois nations. Cette loi célébre dans le Nord, fous le nom de l'union de Calmar, contenoit trois points principaux. I. Que ces Royaumes n'auroient dans la fuite que le même Roi qui feroit élu tour-à-tour dans les trois Royaumes par quarante Electeurs de chaque Royaume; favoir trois Prélats, un Bailli, un Maréchal, quelques Gentilshommes, les Bourguemeftres des principales villes, & deux des plus anciens payfans de chaque jurisdiction, fans que la dignité Royale pût être affectée à aucun, par préférence aux autres, à moins que le Prince n'eût des enfans ou des parens, que les trois Etats affemblés jugeaffent dignes de lui fuccéder. II. Que le Souverain feroit obligé de partager tour-à-tour fa réfidence dans les trois Royaumes, & de confumer dans chacun le revenu de chaque Couronne, fans en pouvoir transporter ailleurs les deniers, ni les employer à autre chofe qu'à l'utilité particuliere de l'Etat dont ils feroient tirés. III. Que chaque Royaume conferveroit fon Sénat, fes loix, fes coutumes & fes privileges; & que les Gouverneurs, les Magiftrats, les Généraux, les Evêques, & même les troupes & les garnifons feroient pris de chaque pays, fans qu'il pût jamais être permis au Roi de fe fervir d'étrangers, ni de fujets de fes autres Royaumes qui feroient réputés étrangers dans le Gouvernement de l'Etat où ils ne feroient pas nés.

La Semiramis du Nord (car c'eft ainfi qu'on appelle la Reine Marguerite) ne fe contenta pas d'une autorité fi bornée, & elle en exerça une abfolue toute fa vie. L'Hiftoire de Suede nous apprend que les principaux perfonnages de ce Royaume ayant voulu faire reffouvenir Marguerite de fon ferment: En avez-vous les Chartes? (leur dit-elle) Oui (répondirent-ils) nous les avons, & nous les confervons avec beaucoup de foin. Je vous confeille (répliqua-t-elle) de les bien garder, pendant que je garderai les châteaux & les villes de mon Royaume, & tous les droits de ma dignité (b).

Après la mort (c), les Suédois fecouerent le joug d'une domination qui avoit paru injufte dès fon commencement, & qui à la fin étoit devenue infupportable. Delà entre les Danois & les Suédois des guerres dont les événemens furent divers.

(a) En 1395.

(b) Dans l'Hiftoire de Sucde de Jean Magnus, Liv. XI.

(c) Arrivée en 1412.

Tome XV.

M

Les Danois, après avoir pris des Rois dans les maifons de Pomeranie & de Baviere, élurent (a) enfin le Comte Chriftian d'Oldembourg, connu dans l'Hiftoire fous le nom de Frédéric I, dont la maison regne depuis trois fiecles fur les Royaumes de Danemarc & de Norwege, & leur a déjà donné douze Rois. L'élection continua jufqu'à Frédéric III, mais fous le regne de ce Prince, la Couronne devint héréditaire, & l'on fit la loi Royale dont je rapporterai dans la fuite la difpofition. C'eft Chriftian VII, qui regne aujourd'hui dans ce pays-là.

Les Danois & les Norvégiens, qui font auffi fous la domination du Roi de Danemarc, font courageux & robuftes. Ce font de très-bons hommes de mer, fort experts dans la navigation.

Le Danemarc eft un Etat confidérable; il a d'étendue environ le tiers de la France; le terroir eft affez bon en certains endroits; on y trouve d'excellens pâturages & de bonnes terres labourables; le Roi régnant y donne une attention particuliere, & aux manufactures & aux métiers. On transporte beaucoup de bœufs & de chevaux de Danemarc chez l'étranger, & ce pays fournit beaucoup de grains à la Norwege & à l'Irlande, mais les Danois manquent de vin, de bierre, de fel, d'étoffes fines, & ils en achetent des étrangers, inconvénient auquel la fageffe du Roi remédie chaque jour.

Il y a eu à Copenhague en 1749, 782 mariages, 2813 baptêmes & 2649 morts. La balance des nés & des morts pendant 1750, ne s'eft pas foutenue en cette capitale, le nombre de ceux-ci furpaffe celui de ceux-là de 1571. En 1759, il y avoit environ dix-neuf mille habitans, il y eft mort 4761 perfonnes, & né 2407; la petite verole y régnoit.

La Norwege eft auffi prefque ifolée comme le Danemarc. Elle a d'un côté la mer, & de l'autre des montagnes impraticables qui la féparent de la Suede. En beaucoup d'endroits elle eft inculte & ftérile. Elle a quelques mines d'argent & de fer, & elle fournit en abondance du poiffon fec & du poiffon falé, de l'huile, & du bois de charpente, des planches, des mâts, du goudron, de la poix que les Norwégiens changent contre les denrées que leur pays ne produit point, & qui font les mêmes dont le Danemarc manque, fans compter les grains qu'elle eft obligée de tirer du Danemarc

Depuis le commencement de ce fiecle, le Roi de Danemarc a augmenté fa puiffance, non-feulement par le péage du Sund qu'il leve aujourd'hui en entier, par fes manufactures, & par fon commerce, mais encore par la conquête du Duché de Slefwick.

Ce Prince entretient dans tous fes Etats environ quarante mille hommes, tant en infanterie, cavalerie, que dragons, foit en temps de guerre, foit même lorsqu'il eft en paix & que quelques Puiffances foudoient une

(a) En 1449.

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