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berté, est aussi criminelle aux yeux de l'Etre-Suprême qu'à ceux de notre raifon; que nous tenons tout de fa bienfaisance toute-puiffante. «

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Qu'il faut donc méprifer les fuperftitieux & abhorrer les fanatiques. « Qu'il faut repouffer auffi cette urbanité fi vantée, dont les defpotes tâchent de bigarrer nos mœurs, & qui fuit conftamment la marche de la corruption. «<

» Qu'il faut craindre de reffembler à ces Bretons, chez lesquels Agricola introduifit le luxe & l'élégance Romaine, qui y firent de tels progrès, que les peuples conquis imitoient jufqu'aux vices de leurs maîtres & décorerent du nom de politeffe la partie la plus réelle & la plus durable de leur fervitude. «

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Que dans les fiecles polis, où les mœurs font revêtues d'un vernis fi uniforme & fi agréable, cette écorce féduifante couvre tous les vices, je veux dire la cupidité, l'orgueil & la lâcheté. «

» Que la douceur, l'indolence, l'inertie, préfagent la décadence, & mafquent la fervitude. «

>> Que la molleffe eft plus dangereufe en France qu'en tout autre pays, parce qu'ailleurs elle abrutit, & qu'en France elle rend l'efprit faux & délicat; de forte qu'elle a plutôt altéré les mœurs. «<

» Que ce fauvage Athénien, qui répondit aux offres de fervice du defpote Macédonien fais pendre Philippe, n'étoit pas propre fans doute à être courtifan; mais qu'il étoit bien moins fufceptible encore d'être un vil efclave; & que nous aurions befoin aujourd'hui de tels hommes plutôt que de diferts orateurs. «

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Que la présomption a perdu l'Europe & notre patrie; qu'on ne loue guere les petits talens, que quand on n'a point de grandes vertus; nous n'en avons plus affez pour rougir de celles de nos peres, en laiffant retomber les yeux fur notre fiecle, & grace au bon ton introduit dans la fociété, nous perfiflerions aujourd'hui les Bayards, les du Guefclin, parce que nous ne pouvons plus les imiter. «

Que nos peres, dont une triple enveloppe d'airain défendoit l'honneur & la liberté, n'euffent pas été impunément le jouet d'une cohorte de publicains & de miniftres plus avides encore; que ces dignes guerriers n'euffent pas plus fouffert l'oppreffion intérieure que les infultes du dehors, a

>> Qu'il feroit temps d'effayer fi leur mâle & généreufe rudeffe ne vaudroit pas notre inépuifable patience; & qu'alors la France ne feroit plus l'objet du mépris des étrangers & la victime de l'oppreffion la plus abfolue & la plus multipliée. «

» Puiffe-je entendre dire enfin aux Princes, avec non moins de hardieffe & de vérité! «

» Il faudroit bien de l'audace aux defpotes, s'ils réfléchiffoient fur les fuites du Defpotifme.

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De tous les Empereurs qui faccéderent à Jules-Céfar, jufqu'à Vefpafien,

pafien, aucun ne mourut que de mort violente. Depuis la ruine de la liberté Romaine jufqu'à Charlemagne, trente Empereurs furent maffacrés. » » L'Afie en proie au fléau deftructeur nommé Defpotifme, dont elle fut le berceau, nous offre le théâtre des révolutions les plus fréquentes & les plus fanglantes. »

» On compte les tyrans qui font morts dans leur lit d'une mort natu❤

relle. »>

L'injuftice, dit Maffillon, a bien fouvent détróné des Souverains; mais elle n'a jamais affermi les trónes.

» O'Rois qui vieilliffez dans une longue enfance, vous que la facilité, plus que l'intérêt, mene à la tyrannie, tremblez; que votre propre intérêt, votre plus chere idole, deffille vos yeux & réveille en vous la crainte prudente & les remords effrayans. Les mains du fanatifme attenterent fur les Princes les plus chéris & les plus dignes de l'être. Quel defpote ofera dévaster ses Etats fans crainte! Quel tyran peut efpérer d'opprimer impunément vingt millions d'hommes! »

» Le citoyen honnête à qui l'amour de la liberté donne le courage d'écrire & de publier cet ouvrage auffi eftimable pour les principes, que foible par fon exécution, le citoyen honnête qui ofe fe plaindre à vous de vous, abhorre les affaffins ; & fe précipiteroit au-devant de l'esclave forcené qui leveroit une main criminelle fur votre sein. »

» Mais ce même citoyen feroit auffi le premier à repousser vos cohortes mercénaires, & crieroit à fes compatriotes: »

» Le Monarque n'eft refpectable qu'alors qu'il eft le pere, le défenfeur, l'organe de la patrie, pour l'avantage de laquelle il fut élevé. »

» Le devoir, l'intérêt & l'honneur ordonnent de réfifter à fes ordres arbitraires, & de lui arracher même le pouvoir, dont l'abus peut entraîner la fubverfion de la liberté, s'il n'eft point d'autres reffources pour la fauver. Vous devez tout à l'obfervation des loix; & vous n'êtes tenus à l'obéiffance & au refpe&t que relativement à elles. ».

» Oui, Prince, (a) vous êtes affez malheureux pour ne l'avoir jamais entendu; mais il eft temps de l'apprendre: >>

» Où la liberté perd fes droits, là fe trouve la frontiere de votre empire.

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» Puiffiez-vous, en entendant ces vérités nouvelles, vous réveiller du profond affoupiffement dans lequel vous êtes plongé, ranimer votre ame à la véritable gloire, je veux dire, à celle de réparer fes fautes, & vous écrier foulageons mon peuple, élevons ma nation; il en eft temps encore, car j'apperçois quelques traces de la liberté mourante. »

(a) Nous avons dit que cet ouvrage étoit adreffé au Dauphin de France, aujourd'h le Roi Louis XVI,

Tome XV.

Iiii

ON

DESTIN, f. m.

N entend par ce mot en général, un enchaînement de causes qui naiffent les unes des autres, & qui déterminent le fort des êtres : mais cette idée fe modifie chez les hommes de bien des manieres, felon le principe qu'ils affignent à ces caufes, & felon le plus ou moins de rigidité ou d'inflexibilité qu'ils attribuent à la chaîne qu'elles forment.

Les Chaldéens ou Babyloniens, livrés à toutes les rêveries de l'aftrologie, regardoient les aftres comme étant le premier principe de ces causes, foit qu'ils les fuppofaffent animés par quelque intelligence, foit qu'ils leur attribuaffent feulement une influence phyfique & aveugle fur le fort de tout ce qui naiffoit für la terre. Il paroît, au refte, qu'ils croyoient que Dieu, placé au centre de toutes les fpheres des aftres, leur donnoit le mouvement, qui imprimé une fois, ne pouvoit plus être dérangé, & procuroit néceffairement ou du bien ou du mal, felon la nature des aftres dont les uns étoient bienfaifans & les autres malfaifans par leur nature, que Dieu ne pouvoit pas changer; rien ne pouvoit détourner, felon eux, cette influence, & le fort de l'homme étoit irrévocablement déterminé par elle. Voyez Voffius, theologia gentilis lib. II. c. 47.

On donne à ce Deftin le nom de Deftin des Chaldéens, ou Deftin af trologique. Pendant long-temps cette opinion a eu la vogue dans le monde. Les Orientaux fur-tout en ont été fectateurs; elle fit de grands progrès en Egypte, & même quelques Chrétiens de l'école d'Alexandrie l'adopterent, comine on peut le voir dans l'ouvrage d'Origene contre Celfe; elle n'en fit pas moins dans l'Occident, au milieu des Chrétiens. Il n'y a pas plus de deux fiecles que tous les Princes, les Papes même, avoient des aftrologues qui tiroient leur horofcope; il y a même encore quelques particuliers qui croient que les aftres réglent le Deftin des Empires & des par ticuliers.

Les peuples barbares de l'Occident, qui ne s'étoient pas appliqués à la science des aftres, ne leur attribuoient pas le principe des événemens qui les intéreffoient, mais ils regardoient le Deftin, comme un effet immanquable & invariable de la volonté des dieux, qui avoient déterminé d'avance tout ce qui devoit arriver à chacun, fans qu'aucune précaution pût le faire tourner autrement. Il ne paroît pas, au refte, qu'ils fiffent dépendre de ces décrets des dieux, autre chofe que les événemens dans lefquels l'homme eft paffif, le fuccès de leurs efforts, le bonheur & le malheur, la vie & la mort des hommes, & non point leurs actions volontaires & libres, excepté celles qui néceffairement étoient requifes pour l'accomplis fement de leur Deftin.

Selon Flutarque & Diogene de Laerce, Thalès croyoit un Destin qui

rendoit les événemens néceffaires, mais que ce Deftin avoit pour principe la volonté du ciel, ou la providence, qui ayant ordonné de tout à l'avance, & en ayant déterminé les caufes, ne pouvoit manquer d'avoir fon effet. Plut. de placitis philof. lib. 2. c. 25. Diog. Laer. lib. 2. c. 36.

Platon n'a reconnu d'autre Deftin que la direction de la Providence, telle que la plupart des Chrétiens la conçoivent. Il donne le nom de Destin à la loi divine qui affigne le bonheur pour récompenfe aux gens de bien; fans doute parce qu'il regardoit cette fanction de la loi de Dieu comme irrévocable, & d'une exécution immanquable. Il croit que toutes les caufes phyfiques font difpofées d'une maniere déterminée, qui en rend certains les effets; mais il ne pense pas que cette difpofition qui s'étend bien jufqu'à un certain point fur les ames, aille jufqu'à gêner leur liberté; certaines chofes, fuivant ce Philofophe, font foumifes au Deftin, tandis que d'autres dépendent de l'arbitre des hommes. Chalcidius rend ainfi cette penfée» ce qui précede, (c'est-à-dire, fans doute, nos réfolutions, nos » actions,) dépend de nous; ce qui fuit, (c'eft-à-dire, à ce que je crois, » nos fuccès,) dépend du Deftin ou des arrangemens de la Providence. «< Les Stoïciens croyoient un Deftin abfolu, c'eft-à-dire, une fuite ou un enchaînement éternel de caufes qui fe produifent fucceffivement d'une maniere conforme à leur nature, enforte que le premier inftant étant donné, tout ce qui aura lieu dans la fuite eft donné en même temps; Aul. Gellius, lib. V. c. 2. » Les Deftins nous entraînent, dit Séneque, dans fon » Traité de la Providence, cap. 5. & la premiere heure de notre exif»tence décide de tout notre fort. Une caufe dépend de la caufe qui la » précede; une longue fuite de chofes détermine les affaires publiques & » particulieres; elles ne font point des accidens fortuits, mais des faits amenés régulièrement. «<

A cette doctrine des Stoïciens qui rendoit tout néceffaire & inévitable les académiciens oppofoient des raifonnemens qui, dès-lors, ont été fouvent employés; en particulier ils alléguoient le fentiment intime que nous avons, que quelque chofe eft en notre pouvoir, & que nous nous déterminons de notre propre mouvement.

Pythagore, avant ces Philofophes, avoit eu, à peu près, les idées que Platon a fuivies après lui; mais il paroit que les Pythagoriciens regardoient le Deftin ou la Providence comme le réfultat des qualités phyfiques des chofes, plutôt que comme le gouvernement moral d'un être libre & intelligent, qui dirige les évenemens felon les occurrences, foit prévues de toute éternité, foit apperçues au moment qu'elles exiftent. Voyez Brukerus, Hift. Philof. pars 2. lib. 2. cap. 20.

Démocrite & les Epicuriens regardant tout ce qui eft comme la production du feul mouvement, n'ont pu que croire au Deftin, qui n'eft, felon eux, que le résultat néceffaire du mouvement rapide des particules de la matiere.

Héraclite a également foumis tout à l'empire du Deftin, qui eft le réfultat néceffaire de la nature de ce feu éternel créateur de tout, qui eft, felon lui, une fubftance intelligente répandue par-tout, fi nous en croyons Plutarque & Stobée.

Les Philofophes qui, dans la fuite, ont adopté les principes de Pythagore, tels qu'Apollonius de Thiane, ont auffi tout repréfenté comme dé terminé par le Deftin, c'eft-à-dire, par une néceffité intérieure, fruit de la nature des choses.

Parmi les Juifs, les Saducéens n'admirent rien de femblable au Deftin :: il a paru douteux à quelques-uns, s'ils admirent une providence; cependant tout conduit à croire qu'ils regardoient Dieu comme déterminant par fa volonté le fort des humains à être heureux pour ceux qui faifoient bien & malheureux pour ceux qui agiffoient contre les regles de la fageffe; bornant tout, il eft vrai, à la vie préfente & à la profpérité temporelle :ils regardoient l'homme comme maître de fes actions & comme étant· fous le gouvernement de la Providence, l'auteur de fon fort présent. Voyez Jofephus de bello Jud. lib. II. c. 2.2.

La doctrine des Pharifiens, felon que l'expofe le même Jofeph, n'eft point, comme quelques-uns le prétendent, le dogme d'un Deftin réel, puifqu'en même temps qu'ils conviennent que tout dépend de Dieu, ils enfeignent auffi que de faire le bien ou le mal dépend pour la plus grande partie de la volonté des hommes, avec laquelle il eft vrai que la volonté de Dieu concourt d'une certaine maniere. Voyez Jofephus, ant. Jud. lib. XII. e. 9. & lib. XVIII. c. 2.

Il feroit difficile de déterminer quelle eft l'opinion des Mahométans par rapport au Deftin, quant aux actions des hommes, puifqu'ils font peu d'accord entr'eux. Quelques-uns regardent l'homme comme libre dans fes actions, en faifant ufage des forces que Dieu lui a données, ne concevant pas que Dieu eût pu commander ou défendre à l'homme des actions, s'il n'eût pas dépendu de l'homme de les faire. D'autres regardent l'homme. fous la main de Dieu comme un être inanimé qui cede à une impulfion extérieure. Il eft pourtant vrai que cette derniere opinion eft la plus généralement reçue par leurs docteurs ; quoiqu'il ne paroiffe pas que leur façon de penfer influe fur leur conduite domeftique ou civile, relativement à la morale mais ils ne font pas les feuls qui croient dans lá fpéculation un dogme qu'ils contredifent formellement dans la pratique. Quant à ce qu'on nomme l'état des hommes, leur bonheur ou leur mifere, la fanté ou la maladie, la vie ou la mort, les Mahométans croient qu'un Deftin éternel & immuable décide néceffairement de tout, indépendamment des mefures humaines; rien de plus afforti à un gouvernement defpotique fous lequel ils vivent. Cela n'empêche pas que quelquefois ils ne fe mettent en mouvement pour changer ce qui leur paroît un Deftin défavorable; ils détrônent & étranglent leur Sultan quand ils en font mécontens ;«

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