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tous les ordres de citoyens ont affez de lumieres pour connoître évidem ment & pour démontrer furement l'ordre légitime le plus avantageux au Prince & à la nation; fe trouveroit-il un defpote qui entreprendroit, à l'appui des forces militaires de l'Etat, de faire manifeftement le mal pour le mal? De fubvertir les loix naturelles & conftitutives de la fociété, reconnues & respectées unanimement par Ja nation, & qui fe livreroit, fans aucune raison plaufible, à des déportemens tyranniques, qui ne pourroient infpirer que de l'horreur & de l'averfion, & fufciter une réfiftance générale, invincible & dangereuse?

Le droit de la légiflation, & le droit d'impofer la contribution fur la nation, semblent quelquefois être une fource intariffable de défordres & de mécontentement entre le Souverain & la nation: voilà donc des causes inévitables qui doivent toujours troubler l'ordre conftitutif de la société, ce qui en effet n'eft que trop vrai dans le défordre de ces gouvernemens bifarres inftitués par les hommes; mais l'homme ne peut pas plus créer & conftituer l'ordre naturel, qu'il ne peut fe créer lui-même. La loi primitive des fociétés eft comprise dans l'ordre général de la formation de l'univers où tout eft prévu & arrangé par la fageffe fuprême. Ne nous écartons pas des voies qui nous font prefcrites par l'Eternel, nous éviterons les erreurs de l'humanité qui romproient l'union effentielle entre le Souverain & la nation. Ne cherchons pas des leçons dans l'hiftoire des nations ou des égaremens des hommes, elle ne repréfente qu'un abyme de défordres; les hiftoriens ne fe font appliqués qu'à fatisfaire la curiofité de leurs lecteurs: leur érudition trop littérale ne fuffit pas pour y porter la lumiere qui peut éclairer ce cahos.

VI. Les loix conflitutives de la fociété ne font pas d'inftitution

LA

humaine.

A puiffance législative, fouvent difputée entre le Souverain & la nation, n'appartient primitivement ni à l'un ni à l'autre; fon origine est dans la volonté fuprême du Créateur, & dans l'ensemble des loix de l'ordre phyfique le plus avantageux au genre-humain : fans cette bafe de l'ordre phy fique il n'y a rien de folide, tout eft confus & arbitraire dans l'ordre des fociétés de cette confufion font venues toutes les conftitutions irrégulieres & extravagantes des Gouvernemens, imaginés par les hommes trop peu inftruits de la théocratie, qui a fixé invariablement par poids & par mefures les droits & les devoirs réciproques des hommes réunis en fociété. Les loix naturelles de l'ordre des fociétés, font les loix phyfiques même de la réproduction perpétuelle des biens néceffaires à la fubfiftance à la confervation & à la commodité des hommes. Or, l'homme n'eft pas l'instituteur de ces loix, qui fixent l'ordre des opérations de la nature & du travail des hommes, qui doit concourir avec celui de la nature à la

reproduction des biens dont ils ont befoin. Tout cet arrangement eft de conftitution phyfique, & cette conftitution forme l'ordre phyfique, qui affujettit à fes loix les hommes réunis en société, & qui par leur intelligence & par leur affociation, peuvent obtenir avec abondance par l'obfervation de ces loix naturelles, les biens qui leur font néceffaires.

Il n'y a donc point à difputer fur la puissance légiflative quant aux premieres loix conftitutives des fociétés, car elle n'appartient qu'au ToutPuiffant, qui a tout réglé & tout prévu dans l'ordre général de l'univers: les hommes ne peuvent y ajouter que du défordre, & ce défordre qu'ils ont à éviter, ne peut être exclu que par l'observation exacte des loix naturelles.

L'autorité fouveraine peut & doit, il eft vrai, inftituer des loix contre le défordre bien démontré, mais elle ne doit pas empiéter fur l'ordre naturel de la fociété. Le jardinier doit ôter la mouffe qui nuit à l'arbre, mais il doit éviter d'entamer l'écorce par laquelle cet arbre reçoit la feve qui le fait végéter: s'il faut une loi pofitive pour prefcrire ce devoir au jardinier, cette loi dictée par la nature ne doit pas s'étendre au-delà du devoir qu'elle prefcrit. La conftitution de l'arbre eft l'ordre naturel même, réglé par des loix effentielles & irréfragables, qui ne doivent point être dérangées par des loix étrangeres. Le domaine de ces deux légiflations fe diftingue évidemment par les lumieres de la raifon, & les loix de part & d'autre font établies & promulguées par des inftitutions & des formes fort différentes. Les unes s'étudient dans des livres qui traitent à fond de l'ordre le plus avantageux aux hommes réunis en fociété. Les autres ne font que des résultats de cette étude, réduits en forme de commandement prescrits avec févérité. Les loix naturelles renferment la regle & l'évidence de l'excellence de la regle. Les loix pofitives ne manifeftent que la regle, celles-ci peuvent être réformables & paffageres, & fe font obferver littéralement & fous des peines décernées par une autorité coactive les autres font immuables & perpétuelles, & fe font obferver librement & avec difcernement, par des motifs intéreffans qui indiquent euxmêmes les avantages de l'obfervation : celles-ci affurent des récompenfes, les autres fuppofent des punitions.

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La légiflation pofitive ou littérale n'inftitue pas les motifs ou les raifons fur lefquelles elle établit fes loix: ces raifons exiftent donc avant les loix pofitives, elles font par effence au-deffus des loix humaines; elles font donc réellement & évidemment les loix primitives & immuables des gouvernemens réguliers. Les loix pofitives, juftes, ne font donc que des déductions exactes, ou de fimples commentaires de ces loix primitives qui affurent par-tout leur exécution autant qu'il eft poffible. Les loix fondamentales des fociétés font prifes immédiatement dans la regle fouveraine & décifive du jufte & de l'injufte abfolu, du bien & du mal moral, elles s'impriment dans le cœur des hommes, elles font la lumiere qui les

éclaire & maîtrise leur conscience : cette lumiere n'est affoiblie ou obfcurcie que par leurs paffions déréglées. Le principal objet des loix pofitives eft ce déréglement même auquel elles oppofent une fanction redoutable aux hommes pervers car en gros, de quoi s'agit-il pour la profpérité d'une nation? De cultiver la terre avec le plus grand fuccès poffible, & de préferver la fociété des voleurs & des méchans. La premiere partie eft ordonnée par l'intérêt, la feconde eft confiée au gouvernement civil. Les hommes de bonne volonté n'ont befoin que d'inftructions qui leur développent les vérités lumineufes qui ne s'apperçoivent diftin&tement & vivement, que par l'exercice de la raifon. Les loix pofitives ne peuvent fuppléer que fort imparfaitement à cette connoiffance intellectuelle, elles font nécessaires pour contenir & réprimer les méchans, & les faillies des paffions. Mais la légiflation pofitive ne doit pas s'étendre fur le domaine des loix phyfiques qui doivent être observées avec difcernement & avec des connoiffances fort étendues, fort approfondies & très-variées, qui ne peuvent être acquifes que par l'étude de la légiflation générale & lumineufe de la Sageffe fuprême oferoit-on feulement affujettir décifivement la théorie & la pratique de la médecine à des loix pofitives? Eft-il donc convenable qu'il foit poffible de foumettre à de telles loix la légiflation fondamentale, conftitutive de l'ordre naturel & général des fociétés? Non. Cette légiflation fupérieure n'exige de la part de ceux qui gouvernent, & de ceux qui font gouvernés, que l'étude phyfique des loix fondamentales de la fociété, inftituées invariablement & à perpétuité par l'Auteur de la nature. Cette étude forme une doctrine qui fe divulgue fans formalités légales; mais qui n'en est pas moins efficace puifqu'elle manifefte les loix irréfragables, où les hommes d'Etat & toute la nation peuvent puifer les connoiffances néceffaires pour former un gouvernement parfait : car on trouve encore dans ces loix mêmes, comme nous le verrons ci-après, les principes primitifs & les fources immuables de la légiflation pofitive & de la juftice diftributive. La législation divine doit donc éteindre toute diffention fur la légiflation même, & affujettir l'autorité exécutrice & la nation à cette légiflation fuprême, car elle fe manifefte aux hommes par les lumieres de la raison cultivée par l'éducation & par l'étude de la nature qui n'admet d'autres loix que le libre exercice de la raifon même.

Ce n'eft que par ce libre exercice de la raifon, que les hommes peuvent faire des progrès dans la fcience économique, qui eft une grande fcience, même qui conftitue le gouvernement des fociétés. Dans le gouvernement économique de la culture des terres d'une ferme, qui eft un échantillon du gouvernement général de la nation, les cultivateurs n'ont d'autres loix que les connoiffances acquifes par l'éducation & l'expérience. Des loix pofitives qui régleroient décifivement la régie de la culture des terres, troubleroient le gouvernement économique du cultivateur, & s'oppoferoient au fuccès de l'agriculture: car le cultivateur affujetti à l'ordre

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naturel, ne doit obferver d'autres loix que les loix phyfiques, & les conditions qu'elles prefcrivent; & ce font auffi ces loix & ces conditions qui doivent régler l'administration du Gouvernement général de la Société.

VII. Le droit de l'impót a une base assurée.

L'IMPÔT, cette fource de diffentions & d'oppofitions suscitées par l'ignorance, l'inquiétude & l'avidité, eft effentiellement déterminé par des loix & des regles immuables, dont le Prince & les fujets ne peuvent s'écarter qu'à leur défavantage : ces loix & ces regles, comme nous le verrons ciaprès, fe démontrent évidemment par le calcul, avec une exactitude rigoureufe, qui profcrit toute injuftice, tout arbitraire, & toute malverfation. Banniffez l'ignorance, reconnoiffez l'ordre par effence, vous adorerez la Divine Providence qui vous a mis le flambeau à la main pour marcher avec fureté dans ce labyrinthe entrecoupé de fauffes routes ouvertes à l'iniquité? L'homme eft doué de l'intelligence néceffaire pour acquérir la fcience dont il a befoin pour connoître les voies qui lui font prefcrites par la Sageffe fuprême, & qui conftituent le gouvernement parfait des Empires. La fcience eft done la condition effentielle de l'inftitution réguliere des fociétés & de l'ordre qui affure la profpérité des nations, & qui prefcrit à toute puiffance humaine l'observation des loix établies par l'Auteur de la nature, pour affujettir tous les hommes à la raison, les contenir dans leur devoir, & leur affurer la jouiffance des biens qu'il leur a destinés pour fatisfaire à leurs befoins.

VIII. Le droit naturel.

Les loix phyfiques, qui conftituent l'ordre naturel le plus avantageux

au genre-humain, & qui conftatent exactement, le droit naturel de tous les hommes, font des loix perpétuelles, inaltérables & décifivement les meilleures loix poffibles. Leur évidence fubjugue impérieufement toute intelligence & toute raison humaine, avec une précifion qui fe démontre géométriquement & arithmétiquement dans les détails, & qui ne laiffe aucun fubterfuge à l'erreur, à l'impofture & aux prétentions illicites.

IX. La manifeftation des loix fondamentales du gouvernement parfait, fuffit pour affurer le droit naturel.

LEUR manifeftation feule prononce fouverainement contre les méprifes

de l'administration, & contre les entreprises & les ufurpations injuftes des différens ordres de l'Etat, & contre l'inftitution des loix pofitives contraires à l'ordre effentiel de la Société. Ainfi la connoiffance de ces regles primitives & l'évidence générale de leur autorité eft la fauvegarde fuprême

du corps politique; car la nation inftruite des volontés & des loix irrévo cables du Tout-Puiffant, & dirigée par les lumieres de la conscience, ne peut fe prêter à la violation de ces loix divines, auxquelles toute puiffance humaine doit être affujettie, & qui font réellement très-puiffantes & trèsredoutables par elles-mêmes, quand elles font reclamées, & qu'elles forment, par leur évidence & par leur fupériorité, le bouclier de la nation. Le Prince ne doit pas ignorer que fon autorité eft inftituée pour les faire connoître & obferver, & qu'il eft autant de fon intérêt, que de celui de la nation même, que leur obfervation éclairée forme le lien indiffoluble de la fociété; car tant qu'elles font inconnues, elles reftent impuiffantes & inutiles, comme la terre que nous habitons; elles nous refufent leurs fe cours quand elles font incultes; alors les nations ne peuvent former que des gouvernemens paffagers, barbares & ruineux. Ainfi la néceffité de l'étude des loix naturelles, eft elle-même une loi çonftitutive de l'ordre naturel des fociétés; cette loi eft même la premiere des loix fondamentales d'un bon gouvernement, puifque fans cette étude l'ordre naturel ne feroit qu'une terre inculte, habitée par des bêtes féroces.

X, Néceffité de l'étude, & de l'enseignement des loix naturelles & fondamentales des fociétés.

LES hommes ne peuvent prétendre au droit naturel que par les lumie

res de la raison, qui les diftingue des bêtes. L'objet capital de l'admi niftration d'un Gouvernement profpere & durable doit donc être, comme dans l'Empire de la Chine, l'étude profonde & l'enfeignement continuel & général des loix naturelles, qui conftituent éminemment l'ordre de la fociété.

XI. Diverfes efpeces de fociétés.

Les hommes fe font réunis fous différentes formes de fociétés, felon

qu'ils y ont été déterminés par les conditions néceffaires à leur subsistance, comme la chaffe, la pêche, le pâturage, l'agriculture, le commerce, le brigandage; de-là fe font formées les nations fauvages, les nations ichthyophages, les nations pâtres, les nations agricoles, les nations commerçan tes, les nations errantes, barbares, fcénites & pirates,

XII. Sociétés agricoles.

A La réserve des faciétés brigandes, ennemies des autres fociétés, l'agri

culture les réunit toutes; & fans l'agriculture les autres fociétés ne peuvent former que des nations imparfaites. Il n'y a donc que les nations agricoles qui puiffent conftituer des Empires fixes & durables, fufceptibles d'un Gouvernement général, invariable, assujetti exactement à l'ordre immuable des

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