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Quelques Princes feudataires voulurent porter atteinte à cette religion & déranger ce beau fyftême de fubordination, établi par les premiers Rois; ils fuggérerent aux peuples la crainte des efprits, en les effrayant par des preftiges, & par des moyens furnaturels en apparence. Les maifons fe trouverent infectées de malins efprits. La populace, toujours fuperftítieuse, se trouvant affemblée pour les facrifices folemnels à Chang-ti, demandoit qu'on en offrit aux efprits. Les temples retentiffoient de fes clameurs; c'étoit-là le germe d'une idolâtrie pernicieufe. Il fut étouffé par l'Empereur, en exterminant les fauteurs de ce tumulte, qui étoient au nombre de neuf, & l'ordre fut rétabli. Ce fut ce même Empereur qui réfléchiffant fur l'inconvénient qu'il y avoit à raffembler un peuple oifif & turbulent dans le lieu même où fe faifoient les facrifices folemnels, fépara l'endroit deftiné aux cérémonies des facrifices, de celui qui fervoit aux inftructions. Il établit en même-temps deux grands Mandarins, pour préfider au culte religieux. L'un eut la direction du cérémonial; l'autre veilloit à l'inftruction du peuple.

Pour ce qui eft de la doctrine fur l'immortalité de l'ame, elle eft peu développée dans les livres Canoniques. Ils placent bien l'ame des hommes vertueux auprès du Chang-ti; mais ils ne s'expliquent pas clairement fur les châtimens éternels dans une autre vie. Ils reconnoiffent la justice divine fur ce point, fans en pénétrer les jugemens. De même, quoiqu'ils affurent que l'Etre Suprême a créé tout de rien, on ne fait s'ils entendent une véritable action fur le néant, ou une production précédée du néant. Ces fubtilités théologiques ne peuvent guere fe déméler par les lumieres de la raison qui les a guidés dans cette doctrine. Cependant, dit le P. Duhalde, il eft conftant qu'ils croient l'exiftence de l'ame après la mort, & qu'ils n'ont pas avancé, comme certains Philofophes Grecs, que la matiere, dont les êtres corporels font compofés, eft éternelle.

Il est à remarquer que pendant plus de deux mille ans la nation Chinoife a reconnu, refpecté & honoré un Etre Suprême, le Souverain maitre de l'univers, fous le nom de Chang-ti, fans qu'on y apperçoive aucuns veftiges d'idolâtrie. Ce n'eft que quelques fiecles après Confucius que la ftatue de Fo fut apportée des Indes, & que les idolâtres commencerent à infecter l'Empire. Mais les lettrés inviolablement attachés à la doctrine de leurs ancêtres, n'ont jamais reçu les atteintes de la contagion. On doit convenir auffi que ce qui a beaucoup contribué à maintenir à la Chine le culte des premiers temps, c'eft l'établiffement d'un Tribunal Souverain, prefqu'auffi ancien que l'Empire, & dont le pouvoir s'étend à condamner & réprimer les fuperftitions dont il peut découvrir les fources. Cette Cour Souveraine s'appelle le Tribunal des rites.

Tous les miffionnaires qui ont vu les décrets de ce Tribunal, s'accordent à dire que quoique les membres qui le compofent exercent quelquefois, dans le particulier, différentes pratiques fuperftitieuses, lorsqu'ils

font affemblés en corps pour leurs délibérations communes, ils n'avoient qu'une voix pour les condamner.

Par cette févérité, les Chinois lettrés fe font préfervés de cette ftupide fuperftition qui regne dans le refte du peuple, & qui a fait admettre au rang des divinités les héros du pays. S'ils ont marqué du refpect & de la vénération pour leurs plus grands Empereurs, ils ne leur ont jamais rendu de culte. Le Souverain Etre eft le feul qui ait eu pårt à leurs adorations. Des hommes recommandables par leurs vertus, par des services signalés exigeoient, fans doute, des tributs de reconnoiffance; ils les ont payés à [leur mémoire, en gravant avec un court éloge les noms de ces mortels refpectables, fur des tablettes fufpendues en leur honneur dans des temples; mais jamais ils n'ont cherché à les repréfenter par des ftatues ou des images reffemblantes, qui les auroient pu conduire à l'idolâtrie.

CES

J. VII.

Livres facrés, ou canoniques du premier ordre.

Es livres font au nombre de cinq. Le premier fe nomme I-ching ou livre des Tranfmutations. Ce livre antique & regardé comme mystérieux, avoit beaucoup exercé la fagacité des Chinois, & particuliérement de deux Empereurs qui avoient entrepris de l'éclaircir en le commentant, mais leurs efforts furent fans fuccès; l'obfcurité des commentaires n'avoit fait qu'ajouter à celle du texte. Confucius débrouilla les lignes énigmatiques de l'I-ching, & les ouvrages des commentateurs : il crut y reconnoître des myfteres d'une grande importance pour le gouvernement des Etats, & il en tira d'excellentes inftructions de politique & de morale, qui font depuis fon temps, la bafe de la fcience Chinoife. Les lettrés ont la plus haute eftime pour ce livre; & Fo-hi, qu'ils regardent comme fon auteur, paffe pour le pere des fciences, & d'un bon gouvernement.

Le fecond des cinq livres canoniques s'appelle Chu-kin ou Chang-chou; c'eft-à-dire, livre qui parle des anciens temps. Il contient l'hiftoire d'Yao, de Chun & d'Yu, qui paffent pour les légiflateurs, & les premiers héros de la Chine. Cette hiftoire, dont l'authenticité eft bien reconnue par tous les favans de la Chine depuis Confucius, renferme auffi d'excellens préceptes & de bons réglemens pour l'utilité publique.

Le troifieme qu'on nomme Chi-king, eft une collection d'Odes, de Cantiques & de différentes Poéfies faintes.

Le quatrieme qui porte le nom de Chun-tfy-u, n'eft pas auffi ancien que les trois premiers; il eft purement historique, & paroît être une continuation du Chu-king.

Le cinquieme appellé Li-king, eft le dernier des livres canoniques ou claffiques: il renferme les ouvrages de plufieurs Difciples de Confucius,

&

& divers autres écrivains qui ont traité des rites, des ufages, du devoir des enfans envers leurs peres & meres, de celui des femmes envers leurs maris, des honneurs funebres, & de tout ce qui a rapport à la fociété : ces cinq livres font compris fous le nom de l'U-king.

A

S. VIII.

Livres Canoniques du fecond ordre.

Ces livres facrés, les Chinois joignent encore les livres canoniques du fecond ordre, qui ont beaucoup d'autorité parmi eux; ils font au nombre de fix, dont cinq font l'ouvrage de Confucius ou de fes Difciples. Le premier porte le nom de Tay-hia ou grande Science, parce , parce qu'il est destiné à l'instruction des Princes dans toutes les parties du Gouver

nement.

Le fecond fe nomme Chang-yong, ou de l'ordre immuable. Confucius y traite du Medium, (ou milieu entre les paffions & les befoins à fatisfaire,) que l'on doit obferver en tout; il fait voir qu'il en résulte de grands avantages, & que c'eft proprement en quoi confifte la vertu.

Le troifieme appellé Lun-y-u ou le livre des fentences, eft divifé en vingt articles, dont dix renferment des questions des Difciples de Confucius à ce philofophe, & les dix autres contiennent les réponses. Toutes roulent fur les vertus, les bonnes œuvres & l'art de bien gouverner : cette collection eft remplie de maximes & de fentences morales, qui surpaffent celles des fept fages de la Grece.

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Le quatrieme du fecond ordre eft du Docteur Mencius, Difciple de Confucius, & il en porte le nom. Cet ouvrage en forme de dialogue, traite prefqu'uniquement de la bonne administration dans le gouvernement, & des moyens de l'établir.

Le cinquieme intitulé. Kiang-Kiang, ou du refpec filial, eft un petit volume de Confucius; il regarde le refpe&t filial comme le plus important de tous les devoirs, & la premiere des vertus cependant il y reconnoît que les enfans ne doivent point obéir aux peres, ni les Miniftres aux Princes en ce qui bleffe la juftice ou la civilité.

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Le fixieme & dernier livre canonique eft le plus moderne il eft du Docteur Chu-hi, qui l'a donné en 1150: fon titre eft Si-auhya, c'eftà-dire, l'Ecole des Enfans; c'est un recueil de maximes & d'exemples où l'Auteur fe propofe de réformer les maximes de la jeuneffe, & de lui infpirer la pratique de la vertu.

Il faut obferver que les Chinois ne diftinguent point la morale de la politique l'art de bien vivre eft, fuivant eux, l'art de bien gouverner, & ces deux fciences n'en font qu'une.

Tome XV.

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J. I X.

Science des Chinois.

QUOIQUE les Chinois aient beaucoup de goût pour les sciences,

&

d'excellentes facultés pour réuffir dans tous les genres de littérature, ils n'ont fait que peu de progrès dans les fciences de pure fpéculation, parce qu'elles ne font pas animées par des récompenfes; ils ont cependant de l'aftronomie, de la géographie, de la philofophie naturelle, & de la phyfique, les notions que la pratique des affaires peut exiger; leur étude principale fe tourne vers les fciences plus utiles: la grammaire, l'histoire, & les loix du pays, la morale, la politique femblent être plus immédiatement néceffaires à la conduite de l'homme, & au bien de la fociété. Si dans ce pays où les fciences fpéculatives ont fait peu de progrès, celles du droit naturel y font à leur plus haut degré de perfection, & fi da is d'autres pays les premieres y font fort cultivées, & les dernieres fort négligées, il paroîtroit que les unes ne conduifent pas aux autres mais ce feroit une erreur : les vérités s'éclairent réciproquement, & on trouve partout où ces différentes fciences ne font pas également bien cultivées, des défauts contraires au bon ordre; à la Chine où les fciences fpéculatives font négligées, les hommes y font trop livrés à la fuperftition. Dans les autres pays où l'on s'applique peu à l'étude des fciences du droit naturel, les gouvernemens font déplorables, c'eft ce qui a fait donner à la Chine la préférence à ces dernières : c'eft auffi dans cette vue que pour exciter l'émulation des jeunes gens, les honneurs & l'élevation font des récompenfes deftinées à ceux qui s'appliquent à cette étude.

A l'égard de l'hiftoire, c'est une partie de littérature qui a été cultivée à la Chine dans tous les temps avec une ardeur fans pareille, il ft peu de nations qui ait apporté tant de foin à écrire fes annales, & qui conferve plus précieufement fes monumens hiftoriques. Chaque ville a fes écrivains chargés de compofer fon hiftoire : elle ne comprend pas feulement les événemens les plus remarquables, tels que des révolutions, des guerres, des fucceffions au trône; mais encore des obfervations fur les grands hommes contemporains, l'éloge de ceux qui fe font diftingués, foit dans les arts, les fciences, foit par leurs vertus; on n'y oublie pas non plus les faits extraordinaires, tels que les monftres & les phénomenes. Tous les ans les mandarins s'affemblent pour examiner les annales. Si l'ignorance ou l'adulation y ont introduit la partialité, ils font rentrer la vérité dans tous ses droits.

C'eft à deffein d'obvier à tous ces inconvéniens, fi communs parmi nos hiftoriens, que les Chinois ont la précaution de choisir certain nombre de docteurs d'une probité reconnue pour écrire l'Hiftoire générale de l'Empire. D'autres lettres ont l'emploi d'observer tous les difcours & toutes les ac

tions de l'Empereur, de les écrire chacun en particulier, jour par jour, avec défense de fe communiquer leur travail. Ces hiftoriographes doivent faire mention du mal comme du bien: on n'ouvre jamais la boîte où font ces mémoires pendant la vie du Monarque, ni même tandis que fa famille eft fur le trône; mais lorsque la couronne paffe dans une autre maison, on raffemble les mémoires d'une longue fuite d'années, on les compare foigneufement pour en vérifier les faits, puis l'on en compofe les annales de chaque fiecle.

L'Art de l'Imprimerie qui eft fort moderne en Europe, eft connu de temps immémorial à la Chine; plufieurs Miffionnaires rapportent qu'il étoit en usage 600 ans avant Jefus-Chrift; mais la méthode Chinoife eft bien différente de la nôtre l'alphabet ne confiftant qu'en un petit nombre de lettres, dont l'affemblage & la combinaison forment des mots; il fuffit d'avoir un grand nombre de ces lettres pour compofer les plus gros volumes, puifque d'un bout à l'autre, ce ne font que les 24 lettres de l'alphabet multipliées, répétées & placées diverfement: au contraire, à la Chine le nombre des caracteres étant prefque infini, le génie de la langue ne rendant pas d'un ufage commun les mêmes caracteres, il auroit été fort difpendieux, & fans doute peu avantageux d'en fondre 80,000, c'eft ce qui a donné lieu à une autre maniere pour l'impreffion voici en quoi elle confifte; on fait tranfcrire par un excellent écrivain l'ouvrage qu'on veut faire imprimer, le graveur colle cette copie fur une planche de bois dur, bien poli; avec un burin il fuit les traits de l'écriture, & abat tout le refte du bois fur lequel il n'y a rien de tracé; ainfi il grave autant de planches qu'il y a de pages à imprimer : cette opération se fait avec tant d'exactitude, qu'on auroit de la peine à diftinguer la copie de l'original.

Dans les affaires preffées on emploie une autre façon d'imprimer, on couvre une planche de cire, & avec un poinçon on trace les caracteres d'une viteffe furprenante, & un homme feul peut imprimer 2000 feuilles par jour,

S. X.
Inftruction.

Il n'y a point de ville, de bourg, de village où il n'y ait des maitres

L

pour inftruire la jeuneffe, lui apprendre à lire & à écrire; toutes les villes confidérables ont des colleges ou des falles, où l'on prend, comme en Europe, les degrés de licencié, de maître ès arts; celui de docteur ne fe prend qu'à Pékin: ce font ces deux dernieres claffes qui fourniffent les Magiftrats, & tous les Officiers civils.

Les jeunes Chinois commencent à apprendre aux écoles dès l'âge de cinq ou fix ans : leur alphabet confifte en une centaine de caracteres qui

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