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Mais fi l'on veut avoir l'exacte dimenfion de l'Empire entier de la Chine, il faut compter depuis les limites qui ont été réglées entre le Czar & le Souverain de cet Etat au cinquante-cinquieme degré, on trouvera qu'il n'a pas moins de 900 lieues d'étendue depuis l'extrémité de la Tartarie fujette de cet Empereur, jufqu'à la pointe la plus méridionale de l'Ile de Haynang, au vingtieme degré un peu au-delà du tropique du Cancer.

Il n'eft pas auffi facile de ftatuer pofitivement fur l'étymologie du nom de Chine, que les Européens donnent à cet Empire. Les Chinois n'en font point d'ufage, & n'ont pas même un nom fixe pour leur pays, on l'appelloit, fous la race précédente, Royaume de la grande fplendeur; fon nom actuel eft Royaume de la grande pureté.

Quoiqu'il en foit du temps où les Européens ont donné ce nom de Chine à cet Empire, & du nom qu'il porte actuellement, on ne peut difconvenir que cet Etat ne foit le plus beau pays de l'Univers, le plus peuplé, & le plus floriffant Royaume que l'on connoiffe: enforte qu'un Empire comme celui de la Chine, vaut autant que toute l'Europe, fi elle étoit réunie fous un feul Souverain.

La Chine fe partage en quinze Provinces; la plus petite, au rapport du pere Lecomte, eft fi fertile & fi peuplée, qu'elle pourroit feule former un Etat confidérable. Un Prince qui en feroit le maître, dit cet Auteur, auroit affurément affez de bien & de fujets pour contenter une ambition bien réglée.

Chaque Province fe divife encore en plufieurs cantons, dont chacun a pour capitale un fou, c'eft-à-dire, une ville du premier rang. Ce fou renferme un tribunal fupérieur, duquel relevent plufieurs autres jurisdictions fituées dans des villes du fecond rang, qu'on appelle T-cheous, qui préfident à leur tour fur de moins confidérables, appellées Hyens, ou villes du troisieme rang; fans parler d'une multitude de bourgs & de villages, dont plufieurs font auffi grands que nos villes.

Pour donner une idée générale du nombre & de la grandeur des villes de la Chine, il nous fuffira de rapporter ici les termes du P. Lecomte. J'ai vu, dit-il, fept ou huit villes toutes plus grandes que Paris, fans compter plufieurs autres où je n'ai pas été, & auxquelles la Géographie Chinoife donne la même grandeur. Il y a plus de quatre-vingts villes du premier ordre, qui font comme Lyon, Rouen ou Bordeaux. Parmi deux cents du fecond ordre, il y en a plus de cent comme Orléans, & entre environ douze cents du troifieme, on en trouve cinq à fix cents auffi confidérables que Dijon ou la Rochelle, fans parler d'un nombre prodigieux de villages, qui furpaffent en grandeur & en nombre d'habitans, les villes de Marennes, de S. Jean-de-Lus. Ce ne font point ici des exagérations, ni des rapports fur la foi des autres : j'ai parcouru moi-même la plus grande partie de la Chine, & deux mille lieues que j'ai faites peuvent rendre mon témoignage non fufpect.

La vaste étendue de la Chine fait aifément concevoir que la température de l'air, & l'influence des corps celeftes, ne font pas par-tout les mêmes: on peut juger de-là que la diverfité des climats n'exige pas différentes formes de gouvernemens. Les Provinces feptentrionales font très-froides en hiver tandis que celles du fud font toujours tempérées; en été la chaleur eft fupportable dans les premieres, & exceffive dans les autres.

Autant il y a de différence dans le climat des Provinces, autant il s'en trouve dans la furface des terres, & dans les qualités du territoire : les Provinces de Yun-Nan, de Quey-cheu, de Se-techuen, & de For-kien, font trop montagneufes pour être cultivées dans toutes leurs parties. Celle de Tche-hyang, quoique très-fertile du côté de l'Orient, a des montagnes affreufes à l'Occident, &c. Quant aux Provinces de Honan, de Hou-quang, de Kiang-fi, de Pe-tchelli & de Chan-tong, elles font bien cultivées & très-fécondes.

Si la Chine jouit d'une heureuse abondance, elle en eft redevable autant à la profondeur & à la bonté de fes terres, qu'à la grande quantité de rivieres, de lacs & de canaux dont elle eft arrofée. Il n'y a point de ville, ni de bourgade, fur-tout dans les Provinces méridionales, qui ne foit fur les bords ou d'une riviere ou d'un lac, de quelque canal ou d'un ruiffeau.

Les grands lacs & un grand nombre d'autres moins confidérables, joint à la quantité de fources & de ruiffeaux qui defcendent des montagnes, ont beaucoup exercé l'induftrie des Chinois; ils en retirent de grands avantages par une multitude de canaux qui fervent à fertilifer les terres, & à établir des communications aifées d'une Province, ou d'une ville à une autre.

Pour ne pas interrompre la communication par terre, d'efpace en efpace, on a élevé des ponts de cinq ou fix arches, dont celle du milieu eft extrêmement haute. Toutes les voûtes font bien ceintrées, & les piles font fi menues, qu'on diroit de loin que toutes les arches font fufpendues en l'air.

Tous les canaux de la Chine font très-bien entretenus, & on a apporté les plus grands foins à rendre toutes les rivieres propres à la navigation; quoiqu'il y en ait plufieurs qui paffent à travers des montagnes & des rochers extrêmement roides & efcarpés, le hallage des batteaux & des barques n'en eft pas moins facile. A force de travaux on eft parvenu à couper en une infinité d'endroits le pied des rochers, & à pratiquer un chemin uni pour ceux qui tirent les barques.

Cependant malgré l'induftrie & la fobriété du peuple Chinois, malgré la fertilité de fes terres ; & l'abondance qui y regne, il eft il eft peu de pays où il y ait autant de pauvreté dans le menu peuple.

Quel que foit cet Empire, il eft trop étroit pour la multitude qui T'habite. L'Europe réunie ne fourniroit pas autant d'hommes & de familles.

Cette multiplication prodigieufe du peuple, fi utile & fi défirée dans nos Etats d'Europe (où l'on croit que la grande population eft la fource de l'opulence; en prenant l'effet pour la caufe, car par-tout la population furpaffe l'opulence: ce font les richeffes qui multiplient les richeffes & les hommes; mais la propagation des hommes s'étend toujours au-delà des richeffes); cette multiplication y produit quelquefois de funeftes effets. On voit des gens fi pauvres, que ne pouvant fournir à leurs enfans les alimens néceffaires, ils les expofent dans les rues. On croira que l'aumône n'eft pas affez excitée par le Gouvernement pour le fecours des indigens; mais l'aumône ne pourroit pas y fuppléer, car dans l'ordre de la diftribution des fubfiftances, les falaires payés aux hommes pour leurs travaux les font fubfifter; ce qui fe diftribue en aumône, eft un retranchement dans la diftribution des falaires qui font vivre les hommes dénués de biens : ceux qui ont des revenus n'en peuvent jouir qu'à l'aide des travaux & des services de ceux qui n'en ont pas; la dépenfe des uns eft au profit des autres; la confommation des productions de haut prix eft payée à ceux qui les font naître, & leur rend les dépenfes néceffaires pour les reproduire : c'est ainfi que les dépenfes multiplient & perpétuent les richeffes. L'aumône eft néceffaire pour pourvoir aux befoins preffans de l'indigent, qui eft dans l'impuiffance d'y pourvoir par lui-même; mais c'est toujours autant de détourné de l'ordre des travaux & de la diftribution des richeffes, qui font renaître les richeffes néceffaires pour la fubfiftance des hommes ainfi quand la population excede les richeffes, l'aumône ne peut fuppléer à l'indigence inévitable, par l'excès de population.

La mifere produit à la Chine une quantité énorme d'efclaves ou de gens qui s'engagent fous condition de pouvoir fe racheter un homme vend quelquefois fon fils, fe vend lui-même avec fa famille, pour un prix trèsmédiocre; le Gouvernement d'ailleurs fi attentif, ferme les yeux fur ces inconvéniens, & ce spectacle affreux fe renouvelle tous les jours (Hiftoire générale des Voyages.)

L'autorité des maîtres fur les efclaves fe borne aux devoirs ordinaires du fervice, & ils les traitent comme leurs enfans; auffi leur attachement eft-il inviolable pour leurs patrons. Si quelque esclave s'enrichit par fon induftrie, le maître n'a pas droit d'envahir fon bien, & il peut fe racheter, fi fon maître y confent, ou fi dans fon engagement il en a retenu le droit.. (Mélanges intéreffans & curieux.)

Tout le monde fe faifant un devoir d'être entretenu proprement, ce n'est que par un travail continuel qu'on peut y pourvoir; auffi n'eft-il point de Nation plus laborieuse, point de peuple plus fobre & plus

induftrieux.

Un Chinois paffe les jours entiers à bêcher ou remuer la terre à force de bras, fouvent même, après avoir refté pendant une journée dans l'eau: jufqu'aux genoux, il fe trouve fort heureux de trouver le foir chez lui du

riz, des herbes & un peu de thé. Mais ce payfan a fa liberté, & fa propriété affurée, il n'eft point expofé à être dépouillé par des impofitions arbitraires, ni par des exactions de publicains, qui défolent les habitans des campagnes, & leur font abandonner un travail qui leur attire des dif graces beaucoup plus redoutables que le travail même. Les hommes font fort laborieux par-tout où ils font affurés du bénéfice de leur travail : quelque médiocre que foit ce bénéfice, il leur est d'autant plus précieux, que c'eft leur feule reffource pour pourvoir autant qu'ils le peuvent à

leurs befoins.

Les artifans courent les villes du matin au foir pour chercher pratique : la plupart des ouvriers à la Chine, travaillent dans les maifons particulieres. Par exemple, veut-on fe faire un habit? le tailleur vient chez vous le matin, & s'en retourne le foir; il en eft ainfi de tous les autres artifans, ils courent continuellement les rues pour chercher du travail; jufqu'aux forgerons qui portent avec eux leur enclume & leur fourneau, pour des ouvrages ordinaires; les barbiers mêmes, fi l'on en croit les Miffionnaires, fe promenent dans les rues, un fauteuil fur les épaules, le baffin & le coquemard, à la main. Tout le monde avec de la bonne volonté, fans infortunes & fans maladie, trouve le moyen de fubfifter: comme il n'y a pas un pouce de terre cultivable inutile dans l'Empire; de même il n'y a perfonne, ni homme ni femme, quel que foit fon âge, fut-il fourd ou aveugle, qui ne gagne aifément fa vie. Les moulins pour moudre le grain font la plupart à bras, une infinité de pauvres gens & d'aveugles font occupés à

ce travail.

Enfin toutes les inventions que peut chercher l'induftrie, tous les avantages que la néceffité peut faire valoir, toutes les reffources qu'infpire l'intérêt, font ici employées & mifes à profit. Grand nombre de miférables ne doivent leur fubfiftance qu'au foin qu'ils ont de ramaffer les chiffons & les balayures de toutes efpeces, qu'on jette dans les rues. On fait même trafic. d'ordures encore plus fales, pour fertilifer la terre : dans toutes les Provinces de la Chine, on voit une infinité de gens qui portent des seaux à cet ufage; d'autres vont fur les canaux qui regnent derriere les maisons remplir leurs barques à toute heure du jour les Chinois n'en font pas plus étonnés qu'on l'eft en Europe, de voir paffer des porteurs d'eau; les payfans viennent dans les maifons acheter ces fortes d'ordures, & donnent en paiement du bois, de l'huile, des légumes, &c. Dans toutes les villes il y a des lieux publics, dont les maîtres tirent de grands avantages.

§. IV.

S. IV.

Ordres des Citoyens.

ON ne diftingue que deux ordres parmi la nation Chinoise, la nobleffe

& le peuple; le premier comprend les Princes du Sang, les gens qualifiés, les mandarins & les lettrés. Le fecond, les laboureurs, les marchands, les artifans, &c.

Il n'y a point de nobleffe héréditaire à la Chine; le mérite & la capacité d'un homme marquent feuls le rang où il doit être placé. Les enfans du premier Miniftre de l'Empire ont leur fortune à faire, & ne jouiffent d'aucune confidération : fi leur inclination les porte à l'oifiveté, ou s'ils manquent de talens, ils tombent au rang du peuple, & font fouvent obligés d'exercer les plus viles profeffions; cependant un fils fuccede aux biens de fon pere, mais pour lui fuccéder dans fes dignités & jouir de fa réputation, il faut s'élever par les mêmes degrés; c'est ce qui fait attacher toutes les espérances à l'étude, comme à la feule route qui conduit aux honneurs.

Les titres permanens de diftinction n'appartiennent qu'aux membres de la famille régnante: outre le rang de Prince, que leur donne leur naiffance, ils jouiffent de cinq degrés d'honneur, qui répondent à peu près à ceux de Duc, de Comte, de Marquis, de Vicomte & de Baron, que nous connoiffons en Europe.

Ceux qui épousent des filles d'Empereurs, participent à des diftinctions, comme fes propres enfans: on leur affure des revenus deftinés à foutenir leurs dignités, mais ils n'ont aucun pouvoir. La Chine a encore des Princes étrangers à la maison impériale; tels font les defcendans des dynasties précédentes, qui portent la ceinture rouge pour marquer leur diftinction, ou ceux dont les ancêtres ont acquis ce titre par des fervices rendus à leur Patrie.

Le premier Empereur de la Dynaftie Tartare qui regne aujourd'hui, créa trois titres d'honneur pour fes freres, qui étoient en grand nombre & qui l'avoient aidé dans fa conquête. Ce font les Princes du premier du fecond, du troifieme rang, que les Empereurs appellent Régules. Le même Empereur érigea encore plufieurs autres titres d'une moindre diftinction, pour les enfans des Régules. Les Princes du quatrieme rang s'appellent Pet-tfe; ceux du cinquieme Cong-heon; ce cinquieme degré eft audeffus des plus grands mandarins de l'Empire; mais les Princes de tous les rangs inférieurs ne font diftingués des mandarins, que par la ceinture jaune, qui eft commune à tous les Princes du fang régnant, de quelque rang qu'ils puiffent être. La polygamie fait que tous ces Princes fe multiplient infiniment; & quoique revêtus de la ceinture jaune, il s'en trouve beaucoup qui font réduits à la dernière pauvreté.

Tome XV.

Zzz

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