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DE

DÉBAUCHE, f. f.

ON doit donner ce nom à tout ce qui eft excès, dans quelque genre

que ce foit. Tout excès nuit à l'ame comme au corps. Un excès conduit à l'autre. Quand la paffion a ufurpé l'empire dû à la raifon, elle s'en prévaut, abuse de la foibleffe de l'ame, & ne reconnoît plus de frein. Elle nous emporte fouvent bien plus loin qu'on ne penfe. Lorfque, dans un moment de calme, on refléchit fur foi-même, on eft épouvanté des excès auxquels on s'eft livré.

La Débauche des particuliers eft néceffairement nuifible à l'Etat, plus ou moins, felon que le rang qu'ils y occupent eft plus ou moins élevé. Toujours elle énerve le corps, & affoiblit les facultés de l'ame. Elle attaque les fources de la génération, & empêche, par conféquent, la population. Elle dégoûte du mariage; elle fait périr une multitude incroyable d'individus qui font la vraie richeffe de tout Etat. Tous les débauchés font pareffeux; leur ame engourdie n'a ni la force de penfer, ni celle d'agir. Ce font des confommateurs oififs, incapables de remplir convenablement les fonctions des emplois & des dignités dont ils font revêtus. Quel malheur pour l'Etat, s'ils font dans la Magiftrature ou dans le Miniftere! Tous les travaux font partagés entre les différentes claffes des citoyens; il faut qu'ils se faffent, fans cela point de fubfiftance. Le travail d'un homme peut en nourrir deux; il n'en peut pas nourrir dix. On eft forcé d'avoir recours à des voifins qui abufent de la néceffité où l'on eft, & font la loi. Voilà où nous réduit la Débauche du peuple, car elle gagne de proche en proche, de la Cour à la Ville, des grands Seigneurs aux gens aifés, de ceux-ci au petit peuple.

La corruption des mœurs multiplie les crimes, les friponneries, les banqueroutes, &c. Mais l'homme, dont les mœurs font pures, eft communément un honnête-homme. Je ne finirois pas, fi je voulois détailler toutes les fuites de la Débauche. Je crois en avoir dit affez pour prouver que tout gouvernement doit veiller avec la plus grande exactitude à la pureté des mœurs, & prendre les mefures les plus convenables pour bannir de la fociété le libertinage & la débauche. Nous développerons ces moyens dans quelques articles fuivans.

Voyez LIBERTINAGE, MOURS, COURTISANNES, PROSTITUÉES,

&c.

Tome XV.

X

DÉBITEUR, f. m.

ON nomme Débiteur, celui qui doit quelque chofe à un autre : celui

qui eft tenu de payer quelque chofe en argent, grain, liqueur, ou autre efpece, foit en vertu d'un jugement ou d'un contrat écrit ou non, d'un quafi-contrat, délit ou quafi-délit.

Le Débiteur eft appellé dans les loix romaines debitor ou reus debendi, reus promittendi, & quelquefois reus fimplement; mais il faut prendre garde que ce mot reus quand il eft feul, fignifie quelquefois le coupable ou l'accufé. L'Ecriture défend au créancier de vexer fon Débiteur, & de l'opprimer par des ufures. Exod. XXII. v. 25.

Ce précepte a cependant été bien mal pratiqué chez plufieurs nations; chez les Juifs, par exemple, le créancier pouvoit, faute de paiement faire emprisonner fon Débiteur, même le faire vendre, lui, fa femme, & fes enfans le Débiteur devenoit en ce cas l'esclave de fon créancier.

C'étoit une loi, ou un ufage établi à Rome dès la fondation de la ville, que lorsqu'un Débiteur étoit hors d'état de payer, le créancier s'en saisisfoit, & le retenoit comme fon efclave, jufqu'à ce qu'il fe fût acquitté ou en argent ou par fon travail. It fe trouvoit même quelquefois des créanciers impitoyables qui, abufant de leur droit, exerçoient des cruautés fur la perfonne de ces miférables qu'ils déchiroient à coups de fouets; ce fut une pareille violence qui détermina le peuple à fe retirer fur le mont facré, feize ans après l'expulfion des Rois. Un de ces Débiteurs, vieux foldat, qui avoit fervi avec diftinction & perdu tout fon bien par les fuites funeftes de la guerre, vint fe préfenter fur la place publique, & montra fon dos encore tout enfanglanté des coups que lui avoit donné le barbare qui, en vertu de la loi ou de la coutume, avoit eu le droit de le faire fon prifonnier; le peuple s'émut à ce difcours, courut délivrer tous ceux qui étoient retenus pour dettes, & la fuite de cette affaire fut la retraite dont nous avons parlé. Cet événement fe paffa avant que les loix des douze tables fuffent publiées.

La contrainte par corps avoit lieu chez les Romains contre le Débiteur, lorfqu'il s'y étoit foumis ou qu'il y étoit condamné pour cause de ftellionat: mais les loix veulent que le créancier ne foit point trop dur pour fon Débiteur; qu'il ne poursuive point un homme moribond; qu'il n'affecte rien pour faire outrage à fon Débiteur : elles veulent auffi que le Débiteur ne foit pas trop délicat fur les pourfuites que l'on fait contre lui; elles regardent comme une injure faite à quelqu'un, de l'avoir traité de Débiteur lorfqu'il ne l'étoit pas; ce qui ne doit néanmoins avoir lieu que quand la demande paroît avoir été formée à deffein de faire injure, & qu'elle peut avoir fait tort au défendeur, par exemple, fi c'eft une perfonne conf

tituée en dignité ou un marchand auquel on ait voulu faire perdre fon crédit.

Le Débiteur peut fe libérer en plufieurs manieres; favoir, par un paiement effectif, où par des offres réelles fuivies de confignation; ce qui peut fe faire en tout temps, à moins qu'il n'y ait claufe au contraire : il peut auffi fe libérer par compenfation, laquelle équivaut à un paiement; par la perte de la chofe qui étoit dûe fi c'eft un corps certain & qu'il n'y ait point eu de la faute du Débiteur; par la prescription & par la ceffion de biens, &c.

Celui qui eft en état d'oppofer quelque exception péremptoire, telle que la compenfation ou la prefcription, n'eft pas véritablement Débiteur. On trouvera dans l'Hiftoire générale des voyages, quantité d'ufages finguliers fur la maniere dont on traite les Débiteurs dans plufieurs Gouvernemens. Par exemple, dans la Corée, le créancier a droit de donner chaque jour quinze coups de bâton fur les os des jambes de fon Débiteur qui n'a pas payé à l'échéance la fomme qu'il devoit; & les parens font obligés de payer les dettes de leur allié mort infolvable. Ce fait eft rapporté par M. l'Abbé de la Porte, dans le voyageur François.

C'EST

DÉBITEUR INSOLVABLE.

'EST celui dont la maffe des dettes furpaffe celle des biens à lui appartenans. L'on peut devenir Débiteur Infolvable ou par fa propre faute, ou par malheur. Voyez BANQUEROUTIER. Ce proverbe qu'il faut payer fes dettes avec de l'argent, ou avec fa liberté, aut in are, aut in cute, eft de toutes les langues & de tous les pays, quoique aujourd'hui on ne le voie pas affez bien exécuté; ce qui fait que l'infolvabilité ou la banqueroute devient fort à la mode, & paroît même un moyen fûr de rétablir fes affaires, fouvent dérangées par la conduite la plus déréglée.

Les rédacteurs des loix des XII tables avoient prévu la circonftance trèsordinaire, où un feul Débiteur auroit rendu malheureux plufieurs créanciers innocens. Pour les fatisfaire dans tous les cas de l'infolvabilité, ils avoient ordonné que fon corps feroit coupé par pieces, & que chacun des pourfuivans en auroit un morceau proportionné à la qualité de fa créance. Cette loi fut promulguée avec toutes les précautions néceffaires pour en conftater l'authenticité. C'eft à la vérité une des plus terribles preuves qu'on puiffe trouver du délire, que l'envie de défendre les propriétés, introduifit dans la législation. C'étoit un excès de cruauté tout oppofé à l'excès de douceur de notre légiflation. Il n'eft pas poffible d'imaginer un effet plus palpable de cet efprit de calcul matériel, qui n'apprécioit les hommes qu'en raifon de l'utilité dont ils pouvoient être aux riches. Il est clair que

les décemvirs avoient, comme je viens de le dire, affimilé ce corps qu'ils permettoient de débiter par tranches, à une piece d'étoffe dont plufieurs particuliers auroient fourni les matériaux, & que la juftice diftributive ne pouvoit fe dispenser de divifer en coupons, pour donner à chacun

le fien.

Le fondement de cette étrange fupputation étoit que le Débiteur n'avoit plus confervé aucun droit fur lui-même, dès l'inftant qu'il avoit commencé à fubfifter aux dépens d'autrui. Sa vie n'étant plus entretenue que par des portions de propriétés étrangeres, prenoit la nature des alimens qui la foutenoient. Ses membres devenoient le domaine des poffeffeurs du grain dont ils s'étoient approprié le fuc. Chacun pouvoit y reprendre ce qui fe trouvoit lui appartenir : & comme il étoit difficile de procéder à cette reconnoiffance avec une rigidité bien exacte, comme il étoit d'ailleurs fort indifférent dans la pratique, que la jambe échût en partage à celui qui avoit nourri le bras, & le ventre à celui qui auroit pu revendiquer la tête; la loi s'étoit contentée de permettre la diffection en général, fans s'inquiéter beaucoup de l'équité de la diftribution.

Elle avoit pourtant pouffé le fcrupule jufqu'à recommander la bonne foi aux créanciers dans cette abominable opération. S'ils font mal-adroits, s'ils coupent plus ou moins qu'il ne leur eft dû, elle veut que ce foit du moins fans envie de tromper: fi plus minufve fecuerint, fine fraude efto. Les commentateurs qui ont traduit en rougiffant cette horrible production de leurs idoles, ont tâché d'adoucir le fens, & de fauver le ridicule affreux que contient cette partie de la loi. Ils ont rendu fine fraude, par le mot impunément, de forte que fuivant eux, les douze tables difent feulement, que les créanciers affemblés pour procéder légalement à cette boucherie judiciaire, peuvent y couper leur morceau au hafard fans crainte d'être punis. Mais c'eft faire violence au texte que l'interpréter ainfi. Il contient évidemment un avis aux bourreaux qu'il arme de couteaux facrés, d'être fideles à la bonne foi, même dans l'exécution de cet outrage qu'il leur permet de faire à l'humanité : c'eft pour eux une exhortation à s'arranger de façon, que chacun des facrificateurs puiffe avoir fa part des entrailles de la victime qu'ils immolent à l'intérêt.

D'autres commentateurs ont effayé de juftifier la totalité de cette ordonnance. Ils ont prétendu que c'étoit une fimple allégorie, & qu'elle contenoit feulement une expreffion figurée. Cette anatomie du Débiteur n'eft, difent-ils, que la divifion faite des deniers provenus de fa vente, entre tous les créanciers. C'est une espece d'ordre où chacun eft colloqué indiftinctement, & non pas comme chez nous, à raifon de l'ancienneté de fon titre, mais pour exercer fur la maffe un droit proportionné à la valeur de fa créance.

Il eft difficile de penfer que dans ces loix qui ne refpirent que la fimplicité la plus groffiere, les décemvirs fe foient avifés de parler en parabo

les; & quand on pourroit le croire, il faudroit avouer que celle-là eft un peu forte. Elle auroit mérité une explication de la part même de fes auteurs mais celle qu'on s'eft avifé de lui donner dans des temps fort éloignés, n'eft admiffible en aucune maniere. Quintilien & beaucoup d'autres écrivains anciens ont pris le texte de cette loi dans fon fens naturel. On voit dans Aulugelle un philofophe qui la réprouve, & un jurifconfulte qui la justifie ni l'un ni l'autre n'y juftifient la moindre allégorie. Tertullien même qui la cite, la donne comme une preuve de l'imperfection des loix Romaines; ce qu'il n'auroit pas fait, fi la barbarie qu'il lui reproche n'avoit confifté que dans les mots.

D'ailleurs elle s'explique elle-même affez clairement, pour qu'il ne foit pas poffible de fe méprendre à l'intention de fes auteurs. » S'il y a plufieurs créanciers, dit-elle, qu'ils coupent en morceaux le Débiteur. S'ils » coupent plus ou moins, que ce foit fans supercherie. S'ils le veulent qu'ils »le vendent au-delà du Tibre. «<

Ce texte, comme on le voit, renferme trois phrases. Si la premiere n'étoit qu'une figure, on n'auroit pas eu befoin de la troifieme. L'une alors ne feroit qu'une répétition de l'autre. Dès que ce n'eft que dans le cas où la vente fera du goût des créanciers, qu'on leur indique le lieu où elle doit fe faire, il n'étoit pas befoin d'employer deux articles à dire la même chose. Mais ceux dont il eft ici queftion, laiffent la préférence : chacun a donc fon fens diftinct : & celui qui dit, coupez le Débiteur en morceaux, fignifie autre chofe que celui qui porte, vendez-le fi vous voulez.

Sur quoi tomberoit d'ailleurs l'obfervation judicieuse contenue dans le fecond des trois, s'il n'y avoit aucune différence entre les deux autres? Pourquoi dire que fi l'on vient à couper plus ou moins, il faut que ce foit fans fraude? Une répartition d'efpeces n'auroit pas été fujette à de pareilles erreurs. Ce n'eft point avec le couteau qu'on auroit pu y procéder. Il eft clair que le Législateur parle là d'une diffection bien effective. Il est évident qu'il redoutoit feulement la mal-adreffe de ces bouchers peu exercés; quand en leur livrant l'objet fur lequel ils devoient en faire l'effai, il leur recommande de n'y pas joindre de la mauvaise foi, on ne fauroit fuppofer qu'il ait eu en vue une diftribution pécuniaire, où l'adreffe ne feroit entrée pour rien, & qui auroit été naturellement réglée par la quotité du titre.

Il y a plus fi c'eft bien là le texte de cette loi, s'il a été confervé fans altération, on pourroit tirer du dernier article un fens bien plus horrible encore que celui qu'on lui donne le plus généralement. Ce n'eft pas le Débiteur vivant qu'il autoriferoit à mettre en vente ce feroient fes membres découpés : c'eft de fa chair proprement débitée, qu'on permettroit à fes créanciers de tenir boutique ouverte au-delà du Tibre pour les dédommager. La permiffion de vendre ne venant qu'après celle de cou

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