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La Danfe fut donc établie dans la Grece pour honorer les dieux, dont Orphée inftituoit le culte; & comme elle faifoit une des parties princi pales des cérémonies & des facrifices, à mesure qu'on élevoit des autels quelque divinité, on inventoit auffi pour l'honorer des Danfes nouvelles, & toutes ces Danfes différentes étoient nommées facrées.

Il en fut ainfi chez les Romains, qui adopterent les dieux des Grecs. Numa, Roi pacifique, crut pouvoir adoucir la rudeffe de fes fujers, en jettant dans Rome les fondemens d'une religion; & c'est à lui que les Romains doivent leurs fuperftitions, & peut-être leur gloire. Il forma d'abord un college de Prêtres de Mars; il régla leurs fonctions, leur affigna des revenus, fixa leurs cérémonies & il imagina la Danfe qu'ils exécutoient dans leurs marches pendant les facrifices, & dans les fêtes folemnelles.

Toutes les autres Danfes facrées qui furent en ufage à Rome & dans l'Italie, dériverent de cette premiere. Chacun des dieux que Rome adopta dans la fuite eut des temples, des autels, & des Danfes. Telles étoient celles de la bonne Déeffe, les faturnales, celles du premier jour de Mai &c.

Les Gaulois, les Espagnols, les Allemands, les Anglois, eurent leurs Danfes facrées. Dans toutes les religions anciennes, les prêtres furent danfeurs par état; parce que la Danfe a été regardée par tous les peuples de la terre comme une des parties effentielles du culte qu'on devoit rendre à la divinité. Il n'eft donc pas étonnant que les chrétiens, en purifiant par une intention droite une inftitution auffi ancienne, l'euffent adoptée dans les premiers temps de l'établiffement de la foi,

L'Eglife, en réuniffant les fideles, en leur infpirant un dégoût légitime des vains plaisirs du monde, en les attachant à l'amour feul des biens éternels, cherchoit à les remplir d'une joie pure dans la célébration des fêtes qu'elle avoit établies, pour leur rappeller les bienfaits d'un Dieu Sauveur.

Les perfécutions troublerent plufieurs fois la fainte paix des chrétiens. Il fe forma alors des congrégations d'hommes & de femmes, qui, à l'exemple des Thérapeutes, fe retirerent dans les déferts: là ils fe raffembloient dans les hameaux les dimanches & les fêtes, & ils y danfoient pieusement en chantant les prieres de l'Eglife. Voyez l'Hiftoire des Ordres monaftiques du P. Heliot.

On bâtit des temples lorfque le calme eut fuccédé aux orages, & on difpofa ces édifices relativement aux différentes cérémonies, qui étoient la partie extérieure du culte reçu. Ainfi, dans toutes les églifes, on pratiqua un terrein élevé, auquel on donna le nom de chœur : c'étoit une espece de théâtre féparé de l'autel, tel qu'on le voit encore à Rome aujourd'hui dans les églifes de St. Clément & de St. Pancrace.

C'eft-là qu'à l'exemple des Prêtres & des Lévites de l'ancienne loi, le facerdoce de la loi nouvelle formoit des Danfes facrées en l'honneur d'un Dieu mort fur une croix pour le falut de tous les hommes, d'un Dieu

reffufcité

reffuscité le troisieme jour pour confommer le myftere de la rédemption, &c. Chaque myftere, chaque fête avoit fes hymnes & fes Danfes; les prêtres, les laïcs, tous les fideles danfoient pour honorer Dieu; fi l'on en croit même le témoignage de Scaliger, les évêques ne furent nommés præfules, dans la langue latine à præfiliendo, que parce qu'ils commençoient la Danse. Les chrétiens d'ailleurs les plus zélés s'affembloient la nuit devant la porte des églifes la veille des grandes fêtes; & là, pleins d'un faint zele, ils danfoient en chantant les cantiques, les pleaumes, & les hymnes du jour.

La fête des agapes ou feftins de charité, inftituée dans la primitive Eglife, en mémoire de la Cene de Jefus-Chrift, avoit fes Danfes comme les autres. Cette fête avoit été établie, afin de cimenter entre les chrétiens qui avoient abandonné le judaïfme & le paganisme une espece d'alliance. L'Eglife s'efforçoit ainfi d'affoiblir d'une maniere infenfible l'éloignement qu'ils avoient les uns pour les autres, en les réuniffant, par des feftins folemnels, dans un même efprit de paix & de charité. Malgré les abus qui s'étoient déjà gliffés dans cette fête du temps de St. Paul, elle fubfiftoit encore lors du Concile de Gangres en l'année 320, où on tâcha de les réformer. Elle fut enfuite totalement abolie au Concile de Carthage, fous le pontificat de Grégoire-le-Grand en 397.

Ainfi la Danse de l'Eglife, fufceptible comme toutes les meilleures inftitutions, des abus qui naiffent toujours de la foibleffe & de la bifarrerie des hommes, dégénéra après les premiers temps de zele en des pratiques dangereufes qui alarmerent la piété des Papes & des Evêques de-là les conftitutions & les décrets qui ont frappé d'anathême les Danfes baladoires, celles des brandons. Mais les PP. de l'Eglife, en déclamant avec la plus grande force contre ces exercices fcandaleux, parlent toujours avec une espece de vénération de la Danfe facrée. St. Grégoire de Nazianze prétend même que celle de David devant l'arche fainte, eft un mystere qui nous enfeigne avec quelle joie & quelle promptitude nous devons courir vers les biens fpirituels; & lorfque ce pere reproche à Julien l'abus qu'il faifoit de la Danfe, il lui dit avec la véhémence d'un orateur & le zele d'un chrétien: Si te ut leta celebritatis & feftorum amantem faltare oportet, falta tu quidem, fed non inhonefta illius Herodiadis faltationem quæ Baptiftae necem attulit, verum Davidis ob arca requiem.

Quoique la Danfe facrée ait été fucceffivement retranchée des cérémonies de l'Eglife, cependant elle en fait encore partie dans quelques pays catholiques. En Portugal, en Efpagne, dans le Rouffillon, on exécute des Danses folemnelles en l'honneur des myfteres & des plus grands Saints. Toutes les veilles des fêtes de la Vierge, les jeunes filles s'affemblent devant la porte des Eglifes qui lui font confacrées, & paffent la nuit à danser op rond, & à chanter des hymnes & des cantiques à fon honneur. Le Tome XV. S

Cardinal Ximenès rétablit de fon temps, dans la cathédrale de Tolede l'ancien ufage des meffes mofarabes, pendant lefquelles on danfe dans le chœur & dans la nef avec autant d'ordre que de dévotion: en France même on voyoit encore, vers le milieu du dernier fiecle, les prêtres & tout le peuple de Limoges danfer en rond dans le chœur de St. Léonard, en chantant fant Marciau pregas per nous, & nous epingaren per bous. Et le P. Menetrier, jéfuite, qui écrivoit fon Traité des Ballets en 1682, dit dans la préface de cet ouvrage, » qu'il avoit vu encore les chanoines » de quelques Eglifes, qui, le jour de Pâques, prenoient par la main les » enfans de chœur, & danfoient dans le chœur en chantant des hymnes » de réjouiffance. «<

C'eft de la religion des hébreux, de celle des chrétiens, & du paganifme, que Mahomet a tiré les rêveries de la fienne. Il auroit donc été bien extraordinaire que la Danfe facrée ne fût pas entrée pour quelque chofe dans fon plan auffi l'a-t-il établie dans les mofquées, & cette partie du culte a été réservée au feul facerdoce. Entre les Danfes des religieux Turcs, il y en a une, fur-tout parmi eux, qui eft en grande confidération: les dervis l'exécutent en pirouettant avec une extrême rapidité au fon de la flûte.

La Danfe facrée qui doit fa premiere origine, ainfi que nous l'avons vu, aux mouvemens de joie & de reconnoiffance qu'infpirerent aux hommes les bienfaits récens du Créateur, donna, dans la fuite, l'idée de celles que l'alégreffe publique, les fêtes des particuliers, les mariages des rois, les victoires, &c. firent inventer en temps différens; & lorfque le génie, en s'échauffant par degrés, parvint enfin jufqu'à la combinaifon des fpectacles. réguliers, la Danfe fut une des parties principales qui entrerent dans cette grande compofition. On croit devoir donner ici une idée de ces Danfes différentes, avant de parler de celles qui furent confacrées aux théâtres des anciens, & de celles qu'on a portées fur les théâtres modernes. Murfius en fait une énumération immenfe, que nous nous garderons bien de copier. Nous nous contentons de parler ici de quelques-unes.

BACCHUS

S. I I.

Danfe des feftins.

ACCHUS les inftitua à fon retour en Egypte. Après le feftin, le fon de plufieurs inftrumens réunis invitoit les convives à de nouveaux plaifirs; ils danfoient des Danfes de divers genres: c'étoient des efpeces de bals où éclatoient la joie, la magnificence & l'adreffe.

Philoftrate attribue à Comus l'invention de ces Danfes; & Diodore prétend que nous la devons à Terpficore. Quoi qu'il en foit, voilà l'origine des bals en regle qui fe perd dans l'antiquité la plus reculée. Le plaifir a

toujours été l'objet des défirs des hommes; il s'eft modifié de mille manieres différentes, & dans le fond il a toujours été le même.

§. III.

Danfe funéraire.

COMME la nature a donné à l'homme des geftes relatifs à toutes fes différentes fenfations, il n'eft point de fituation de l'ame que la Danfe ne puiffe peindre. Auffi les anciens qui fuivoient dans les arts les idées primitives, ne fe contenterent pas de la faire fervir dans les occafions d'alégreffe; ils l'employerent encore dans les circonftances folemnelles de trifteffe & de deuil.

Dans les funérailles des rois d'Athenes, une troupe d'élite vêtue de longues robes blanches commençoit la marche; deux rangs de jeunes garçons précédoient le cercueil, qui étoit entouré par deux rangs de jeunes vierges. Ils portoient tous des couronnes & des branches de cyprès, & formoient des Danfes graves & majeftueuses fur des fymphonies lugubres.

Elles étoient jouées par plufieurs muficiens qui étoient diftribués entre les deux premieres troupes.

Les prêtres des différentes divinités adorées dans l'Attique, revêtus des marques diftinctives de leur caractere, venoient enfuite: ils marchaient lentement & en mesure, en chantant des vers à la louange du Roi mort.

Cette pompe étoit fuivie d'un grand nombre de vieilles femmes couvertes de longs manteaux noirs. Elles pleuroient & faifoient les contorfions les plus outrées, en pouffant des fanglots & des cris. On les nommoit les pleureufes, & on régloit leur falaire fur les extravagances plus ou moins grandes qu'on leur avoit vu faire.

étoient à pro

Les funérailles des particuliers formées fur ce modele portion de la dignité des morts, & de la vanité des furvivans: l'orgueil eft à peu près le même dans tous les hommes; les nuances qu'on croit y appercevoir fort peut-être moins en eux-mêmes, que dans les moyens divers de le développer que la fortune leur prodigue ou leur refuse.

S. I V.

Danfe des Lacédémoniens.

LICURGUE, par une loi expreffe, ordonna que les jeunes Spartiates dès

l'âge de fept ans commenceroient à s'exercer à des Danfes fur le ton phrygien. Elles s'exécutoient avec des javelots, des épées & des boucliers. On voit que la Danfe armée a été l'idée primitive de cette inftitution; & le Roi Numa prit la Danfe des Saliens de l'une & de l'autre.

La gymnopédice fut de l'inftitution expreffe de Licurgue. Cette Danse étoit compofée de deux chœurs, l'un d'hommes faits, l'autre d'enfans: ils danfoient nuds, en chantant des hymnes en l'honneur d'Apollon. Ceux qui menoient les deux chœurs étoient couronnés de palmes.

La Danfe de l'innocence étoit très-ancienne à Lacédémone : les jeunes filles l'exécutoient nues devant l'autel de Diane, avec des attitudes douces & modeftes, & des pas lents & graves. Hélene s'exerçoit à cette Danse lorfque Théfée la vit, en devint amoureux, & l'enleva. Il y a des auteurs qui prétendent que Paris encore prit, pour elle, cette violente paffion qui Coûta tant de fang à la Grece & à l'Afie, en lui voyant exécuter cette même Danse. Licurgue en portant la réforme dans les loix & les mœurs des Lacédémoniens, conferva cette Danse, qui ceffa dès-lors d'être dangereufe.

Dans cette République extraordinaire, les vieillards avoient des Danfes particulieres qu'ils exécutoient en l'honneur de Saturne, & en chantant les louanges des premiers âges.

:

Dans une espece de branle qu'on nommoit hormus, un jeune homme lefte & vigoureux, & d'une contenance fiere, menoit la Danfe; une troupe de jeunes garçons le fuivoit, fe modeloit fur fes attitudes, & répétoit fes pas une troupe de jeunes filles venoit immédiatement après eux avec des pas lents & un air modefte. Les premiers fe retournoient vivement, fe mêloient avec la troupe des jeunes filles, & repréfentoient ainsi l'union & l'harmonie de la tempérance & de la force. Les jeunes garçons doubloient les pas qu'ils faifoient dans cette Danfe, tandis que les jeunes filles ne les faifoient que fimples; & voilà toute la magie des deux mouvemens différens des uns & des autres en exécutant le même air,

S. V.

Danfe de l'Archimime dans les funérailles des Romains.

ON adopta fucceffivement à Rome toutes les cérémonies des funérailles

des Athéniens; mais on y ajouta un ufage digne de la fageffe des anciens Egyptens.

Un homme inftruit en l'art de contrefaire l'air, la démarche, les manieres des autres hommes, étoit choifi pour précéder le cercueil; il prenoit les habits du défunt, & fe couvroit le vifage d'un mafque qui retraçoit tous fes traits fur les fymphonies lugubres qu'on exécutoit pendant la marche, il peignoit dans fa Danfe les actions le plus marquées du perfonnage qu'il représentoit.

C'étoit une oraison funebre muette, qui retraçoit aux yeux du public toute la vie du citoyen qui n'étoit plus.

L'Archimime, c'est ainsi qu'on nommoit cet orateur funebre, étoit fans

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