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faveur de la France, ou que fes offres pécuniaires foient infiniment plus confidérables, ou que la négociation foit conduite avec une fagacité merveilleuse, pour venir à bout de mettre le Danemarc dans le parti François. On ne doit pas croire cependant, que cette Puiffance agiffe d'abord chaudement en faveur de fon allié. On appelle à Copenhague, étre allié de la France ou de l'Angleterre, lorfqu'on préfere une de ces deux cours qui offrent ordinairement leur argent à l'enchere, & qu'on accepte leurs fubfides pour un certain nombre de troupes Danoifes qui reftent tranquillement dans leurs garnifons. Car il y a très-long-temps, qu'on ait vu faire ufage des troupes du Danemarc que la couronne de France, ou celle de la Grande-Bretagne, avoient prises à leur folde. Il y a des exemples que cette cour a reçu de l'argent pour refter dans l'inaction, & pour ne pas fe déclarer en faveur de l'une ou de l'autre. Le commerce avec la France s'accroiffant tous les jours, c'eft une raifon de plus, pour engager cette derniere puiffance à fe ménager la bonne amitié de la cour de Versailles, qui peut d'ailleurs lui être d'une utilité infinie, lorfque les Anglois & les Hollandois voudront tôt ou tard lui contefter la liberté du commerce dans les Indes.

On voit en partie par ce que nous venons de dire, quelles font les difpofitions où fe trouve le Danemarc relativement à l'Angleterre. La bonne intelligence entre ces deux cours, cimentée depuis bien des fiecles, les liens du fang, l'appui de l'Angleterre pour maintenir l'équilibre dans le Nord, & celui de la Maifon de Hanovre pour protéger les provinces d'Oldenbourg & de Delmenhorft, qui font ifolées du Danemarc, le commerce réciproque qui fe fait entre les deux nations; tout cela forme de puiffans motifs pour engager la cour de Danemarc à cultiver foigneufement l'amitié de celle de Londres. Deux puiffances qui ont chacune une marine quoique d'inégale force, doivent tâcher d'être unies autant qu'il eft poffible; & ce qu'il y a d'affez extraordinaire, c'eft que celles-ci n'ont prefque point de prétentions l'une à la charge de l'autre. Si quelque chofe peut les brouiller, ce fera peut-être le commerce des Indes, & les progrès de la navigation Danoise; le but des Anglois étant d'exclure, autant qu'ils le peuvent, toutes les autres nations de tout commerce maritime; ils emploient tout pour cela, & ce n'eft que pour le même but, qu'ils favorifent jufqu'aux pirateries des Corfaires de Barbarie.

La Hollande a eu de temps en temps des démêlés avec le Danemarc, foit pour le paffage du Sund, foit pour la pêche de la baleine en Grænland, ou pour celle de la morue fur les côtes de Norwege, foit enfin pour la contrebande que les navires marchands des Hollandois faifoient fur ces mêmes côtes, à-peu-près comme les Anglois l'ont pratiqué en Amérique dans les mers qui entourent les poffeffions Efpagnoles. Lorsque la marine de la République étoit encore refpectable, le Danemarc ne pouvoit réfifter à fa force majeure. En 1645 & en 1658 les flottes Hollandoifes paf

ferent le Sund à leur gré, & agirent defpotiquement dans la Baltique, tantôt contre les Danois, & tantôt en leur faveur. La décadence de la marine des Hollandois met le Danemarc plus à fon aise à cet égard; auffi lorfqu'en 1737 il furvint quelques conteftations entre ces deux puiffances au fujet de la pêche, les Hollandois n'eurent garde de prendre le ton menaçant qu'ils employoient jadis; mais, après des déductions publiées de part & d'autre, l'affaire fut terminée à l'amiable. Au refte, le commerce réciproque qui fe fait entre ces nations, eft très-important. Les Hollandois tirent une immenfe quantité de bois & d'autres denrées de Norwege, & pourvoient en échange toutes les provinces Danoifes de prefque tous leurs befoins La balance faite, ce commerce eft fort paffif pour le Danemarc. On a vu depuis affez long-temps, que la cour de Copenhague & la République ont entretenu une fort bonne intelligence, & ont eu l'une pour l'autre beaucoup d'égards. Elles feront fagement de s'en tenir là, quoiqu'il y ait bien des objets propres à détruire cette harmonie; car la compagnie des Indes feule qui eft établie à Copenhague, excite furieufement la jaloufie des Provinces-Unies.

Les treize cantons Suiffes & tous les Princes & les Républiques d'Italie ont fi peu de liaisons avec le Danemarc, qu'il nous paroît fuperflu d'en toucher ici la moindre chofe. Il n'y a entr'eux, ni voisinage, ni 'intérêts de commerce; & ils ne tiennent que par le fyftême général de l'Europe.

Comme le Roi de Danemarc poffede une partie du Holftein, & quelques Provinces dans le cercle de Weftphalie, il eft par-là même membre du Saint-Empire Romain, & tient au fyftême général de l'Allemagne. Quand cette qualité ne lui donneroit d'autre prérogative que celle de pouvoir faire des levées dans les villes libres de l'Empire pour recruter fon armée, & furtout fon infanterie, ce feroit déjà un objet considérable, & ce feul article mérite qu'il s'intéreffe au fort de l'Allemagne. Auffi avons-nous vu que, dans toutes les guerres où l'Empire s'eft trouvé engagé, le Danemarc a fourni fon contingent, & au-delà, de bonnes troupes, dont on a tiré de grands fervices. Le renfort que cette puiffance envoya l'an 1734 à l'armée du Rhin, étoit de fix mille hommes. Le Roi de Danemarc, en qualité de Prince de Holftein de la tige des Comtes d'Oldenbourg, a auffi voix & féance à la Diete de l'Empire, au banc des Princes. L'exercice de ce droit a été à la vérité interrompu pendant long-temps, à caufe d'une difpute pour la préféance qui étoit furvenue entre la maifon de Holftein & quelques autres membres de l'Empire; mais cette affaire a été terminée par un accord conclu le 13 d'Août 1740 entre le Roi de Danemarc & les Princes d'Allemagne qu'on nomme Alternans. En vertu de cet accord, Sa Majefté Danoise a été admise au rang des Princes qui alternent, c'est-à-dire qui agiffent ou qui préfident alternativement, & a obtenu de nouveau l'activité de féance à la Diete. Au refte, le Danemarc n'a de liaisons directes, ni avec la maifon d'Autriche, ni avec les autres Princes de l'Allemagne ; nous

ne voyons point dans l'hiftoire, que cette puiffance fe foit beaucoup expofée pour donner du fecours à quelque Prince Allemand en particulier, ou pour faire des acquifitions nouvelles en Allemagne; une fage neutralité a été prefque toujours l'objet de fa politique.

Le Roi de Pruffe eft de tous les Princes Germains, celui avec lequel le Danemarc a les plus grandes liaisons, par rapport à l'influence qu'il a dans les affaires du Nord. Lorfqu'au commencement de ce fiecle l'ambition & les fuccès brillans de la Suede inquiéterent fes voifins, le Danemarc, la Ruffie & la Pruffe eurent bientôt conclu une alliance qui produifit la guerre du Nord, & qui devint funefte au Monarque Suédois. Le Danemarc & la Suede devroient tâcher d'être toujours bien unis.

La Pologne n'est pas fituée de maniere, & fa conftitution n'eft pas telle, que le Danemarc doive s'intéreffer beaucoup à fon fort; auffi n'y a-t-il entre ces Royaumes prefque aucune liaison. Je parle de ces liaisons directes que le voisinage, le commerce, ou le fyftême de la politique fondamentale des Etats font naître, & non de ces relations accidentelles & momentanées qui réfultent quelquefois d'une enchaînure bizarre d'événemens. C'eft ainfi que le Portugal & la Ruffie pourroient tenir enfemble par le fyftême général de l'Europe; & c'eft auffi par un femblable principe, qu'autrefois le Danemarc prit un grand intérêt à ce qui arriva en Pologne, lorfque Charles XII y porta fes armes triomphantes. Il importoit peu à la Cour de Copenhague quel feroit le deftin de la Pologne; mais il lui importoit beaucoup, que la fortune du conquérant Suédois fût arrêtée dans fes progrès.

La Suede eft celui de tous les Etats de l'Europe avec lequel le Danemarc a eu le plus à démêler depuis bien des fiecles. Ces deux Royaumes ont été quelquefois en liaison d'amitié, & pendant un temps, réunis fous une même Monarchie; mais prefque toujours divifés par des jaloufies & des intérêts divers, & fort fouvent en guerre ouverte l'un contre l'autre. Tout cela a fait naître entre ces deux nations une rivalité, une aigreur & une haine plus forte peut-être, que celle qui regne entre les Turcs & les Chrétiens. Il eft vrai que le Danemarc a travaillé depuis long-temps à fubjuguer la Suede, & à la réduire en Province dépendante; mais le fuccès a fi mal répondu à fon attente, que les Suédois au contraire ont reconquis la Schonen, & ont couvert la Gothie occidentale par le moyen du château du Bahus. Outre cela les Danois ont fait tous leurs efforts pour ruiner le commerce & troubler la navigation de la Suede, à quoi ils n'ont pas réuffi non plus. Sur le pied où les chofes font actuellement, il femble que le Danemarc devroit avoir perdu l'espérance d'opprimer la Suede, & qu'au contraire ces deux puiffances devroient tâcher de vivre en bonne harmonie pour leur fureté mutuelle, & pour fe défendre contre la Ruffie. dont les rapides accroiffemens ne peuvent que réveiller toute leur attention. D'ailleurs, le traité du Nord conclu en 1720, à Friederichfbourg, a mis

fin à toutes les méfintelligences, ayant fixé les limites des deux Royaumes, ainfi que tous les droits des deux nations. Au refte, nous avons déjà infinué, que la politique Danoife a pour objet la réunion des trois Royaumes du Nord; mais il n'y a qu'une révolution extraordinaire, & qu'un coup fubit qui puiffe la faire parvenir à ce but. Il faudroit pour cet effet fe préparer long-temps à l'avance, & frapper foudainement lorsque le moment favorable fe préfente; car fans cela, toutes les puiffances de l'Europe font intéreffées à s'oppofer à la réuffite d'un plan qui auroit les plus grandes fuites. Mais comme cet événement paroît fort éloigné, & qu'il tient même du chimérique, la Cour de Copenhague doit fe contenter de maintenir le fyftême dans le Nord tel qu'il eft établi, & d'avoir fur-tout l'œil à ce que la forme du Gouvernement ne change point en Suede, & que ce Royaume ne redevienne Monarchique.

La Ruffie est encore une puiffance qui doit attirer toute l'attention du Cabinet de Copenhague. Les acquifitions qu'elle a faite dans la mer Baltique aux dépens de la Suede, lui ont donné les moyens d'y entretenir une flotte confidérable, & d'établir dans fes ports le commerce de mer. Ces forces maritimes jointes aux forces terreftres qu'elle avoit déjà, la rendent infiniment respectable au Danemarc, qui agiroit contre toutes les regles de la faine politique, s'il favorifoit l'agrandiffement des Ruffes. Cette nation eft comparable à une mer redoutable qui fubmergeroit tout le Nord fi on la laiffoit fortir des digues qui la renferment dans fon lit naturel. Tout ce que le Danemarc pourroit attendre, ce feroit d'être envahi le dernier. Encore un coup, les chofes dans le Nord font fi bien arrangées à l'heure qu'il eft, qu'on doit fe contenter d'en naintenir le fyftême. Il faut que le Danemarc cherche à fe mettre dans un état formidable par l'entretien conftant de fes propres forces, & qu'il n'envoie à la Cour de Pétersbourg que des Miniftres habiles qui fachent pénétrer les deffeins les plus fecrets de la politique Ruffe, & qui obfervent avec des yeux de lynx toutes leurs démarches.

Le Danemarc n'a prefque aucune connexion avec la Porte Ottomane & c'eft ce qui nous difpenfe d'en parler. Il n'y auroit que la Ruffie qui, par des conquêtes qu'elle tenteroit fur les autres peuples du Nord, pourroit mettre la Cour de Copenhague dans la néceflité d'entamer une négociation à Constantinople, pour engager les Turcs à faire une diverfion, en attaquant les Ruffes d'un autre côté. Mais tout cela eft fort vague & fort incertain.

Les pirates de la côte de Barbarie pourroient inquiéter les navires Danois, fi fa navigation s'étendoit jufques dans la Méditerranée; mais, comme le Danemarc n'envoie pour l'ordinaire des vaiffeaux qu'aux Indes; qu'ils reftent dans l'Océan, & que ces corfaires ne paffent guere le détroit de Gibraltar, il n'y a prefque point d'exemple qu'ils fe foient emparés d'un bâtiment Danois, Si un pareil accident arrivoit, il dépendroit du Dane

marc

marc de faire convoyer fes navires par des vaiffeaux de guerre, ou de courir fur les pirates, ou de leur donner une certaine redevance pour chaque bâtiment Danois qui viendroit naviger dans les mers qui font à leur portée; ce qui pourroit fe négocier par le Conful de quelque puiffance amie.

§. V..

PROJET

D'UNE COMPAGNIE DES INDES EN DANEMAR C.

DANS le temps que l'Europe retentiffoit des griefs de la République

des Provinces-Unies, appuyés fortement par les Puiffances de l'alliance de Hanovre, contre l'érection d'une compagnie de commerce dans les PaysBas, (a) pour négocier aux Indes, on fut tout étonné de voir une nouvelle Compagnie du même genre, tenter de s'établir à Altena fous la domination du Roi de Danemarc. Un Hollandois, nommé Jofias van Afperen, marchand d'Amfterdam, étoit le promoteur de cette entreprise qui ne pouvoit être que fatale à fa patrie.

Voici le plan de cette nouvelle Compagnie, qu'on publia dans le mois de Janvier 1728.

Plan de la Compagnie des Indes Danoifes, octroyée par Sa Majesté le Roi de Danemarc, &c. le tout conformément aux Traités avec les Puiffances étrangeres.

LES Es Srs. Directeurs de la Compagnie des Indes en Danemarc, érigée en 1612, depuis lequel temps ils ont envoyé des vaiffeaux fous leur pavillon dans les Indes au-delà de la ligne équinoxiale, ont réfolu d'étendre jufqu'à la Chine (où ils peuvent faire de grands progrès & acquérir d'immenfes richeffes fous la protection du grand Empereur de la Chine ou Rsjina) le commerce qu'ils ont fait jufqu'à préfent avec tant d'avantage dans leurs principales factories à Tranquebar dans le Mafulipatan, fur la principale & la plus avantageuse côte de Coromandel. Et afin qu'ils puiffent continuer ce commerce avec d'autant plus d'avantage, il eft accordé & permis que l'équipement, le chargement des vaiffeaux, & la vente des effets qu'ils rapporteront, fe fera à Altena fur l'Elbe, place appartenante à Sa Majefté, & extrêmement bien fituée. Les marchandifes s'y vendront argent comptant, en payant un par mille pour les pauvres, & il fera libre à toutes les Nations d'y venir acheter lefdites marchandifes. «<

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