Page images
PDF
EPUB

ligion ne veut plus dire une croyance en Dieu, mais une communauté quelconque de doctrines ou d'intérêts. On a déclaré que le mot dévouement ne signifiait plus le sacrifice de soi-même à la loi de Dieu ou à la volonté d'un autre; mais que c'était une forme de l'égoïsme, une sympathie. Par ce moyen on trompe les étrangers, on trompe le peuple; on s'ouvre leurs oreilles, et on leur fait écouter des choses qu'ils eussent refusé d'entendre, si l'on s'était présenté franchement à eux, tout repoussant d'incrédulité et d'égoïsme. Nous pourrions citer mille autres exemples d'un abus semblable; car il est arrivé à ce point qu'il semble qu'aujourd'hui nos littérateurs considèrent les mots, indépendamment de leur sens comme expression de l'activité spirituelle, et seulement comme valeurs de sonorité.

S'il est vrai, comme nous le croyons, qu'une langue soit une méthode, qu'elle soit la représentation de la force logique ou rationnelle d'une nation, il est certain que ceux dont nous venons de parler font le plus grand mal possible à la France. Mieux vaudrait une invasion de Barbares. Mais aussi, tous ceux qui font œuvre de philosophie sérieuse, tous ceux-là ont le devoir de séparer le bien du mal. Il faut chasser les marchands du Temple, il faut arracher aux faussaires le masque dont ils

se couvrent.

Ils ont fait le même fatal emploi des mots progrès et humanité. Ils les ont appliqués aux idées mêmes dont ils sont la négation la plus positive. Ils ont exposé sous ces titres leurs systèmes de matérialisme ou de panthéisme (1). Et il résulte de là que, lorsque des hommes graves cherchent dans le système la signification qu'ils attribuent à juste raison, et avec tout le peuple, aux mots, ils trouvent une contradiction manifeste et continuelle; et de là ils concluent que le progrès, que l'humanité n'existent pas. Ainsi, ces hommes tuent ou souillent tout ce qu'ils touchent. Nous allons rétablir le sens réel; mais nous n'espérons pas changer ceux qui l'ont obscurci : nous ne l'espérerons jamais. La fausse logique qui se montre dans leurs écrits, existe dans leur propre intelligence. Pour eux les mots ont changé de signification. Ils se sont fait une langue qui leur est propre, et qui résout, dans leur cerveau, le problème que tout égoïste cherche aujourd'hui, le problème de la confusion du vrai et du faux, du bien et du mal.

Le mot progrés, entendu dans son sens le plus matériel, veut dire l'avancement de quelque chose, mesuré par quelque chose. Ainsi voyez ces phrases: Le progrès des eaux, le progrès du feu fut si rapide, que, etc. Il y a par le mot progrès rapport établi entre un mouvement et quelque chose que ce mouvement va couvrir, atteindre, envahir. Il y a quelque chose qui avancé, quelque chose qui mesure, et enfin un résultat. Voyez cette autre phrase: Le progrès des idées est tel, etc. Ici il y a indication d'abord de trois existences différentes, savoir: l'être qui produit des idées, l'idée elle-même, et enfin l'être dans lequel elles s'accumulent; et, de plus, il y a rapport établi entre un minimum et un maximum. En un mot, supposition d'une activité qui produit, d'une réceptivité qui reçoit, de quelque chose de reçu et d'un résultat.

Supposez maintenant un système qui établisse, dans le premier cas, que l'être qui avance, et celui sur lequel il avance ou qui le mesure, et le résultat soient choses unes et identiques; vous ne pourrez plus comprendre ce que signifie le mot progrès; et si vous êtes raisonnable, vous devrez dire qu'il n'existe pas. Supposez encore une doctrine qui établisse dans le second cas que, soit l'activité productrice, soit l'idée produite, soit la réceptivité, soit le minimum et le maximum, que tout cela est un et identique; vous ne pourrez non plus rien comprendre, et vous devrez prononcer encore que toutes ces choses ne sont que des folies. Voilà cependant ce qu'ont fait les élèves de M. Enfantin; car ils écrivent aujourd'hui partout; ils remplissent de leur prose les

(4) Voyez, quant à ces systèmes et leur opposition avec l'idée progrès, nos préfaces précédentes,

feuilletons des journaux de tous les partis; ils jugent, ils font des livres; ils rédigent des revues. Partout enfin ils font grand bruit du mot progrès; mais entendu et exposé ainsi que nous venons de le voir, c'est-à-dire sous forme pantheiste.

Aux yeux du panthéiste en effet, Dieu et le monde, l'esprit et la matière, le productenr et le produit, vous et moi, oui et non, tout, en un mot, est un seul et même être, une seule et même substance. Ce système est absurde sans doute; mais il est le leur, et leur philosophe est Spinosa. Nous y renvoyons nos lecteurs afin qu'ils y prennent une connaissance complète de la doctrine.

Le mot progrès n'est pas moins inintelligible dans la bouche d'un matérialiste que dans celle d'un pantheiste. Il y constitue une contradiction de la même force. En effet, selon le matérialiste, il y a dans le monde une certaine quantité de matière et de propriétés, une quantité fixe; car admettre qu'une matière ou une propriété nouvelle peut être créée de rien, c'est nier le principe du système, c'est reconnaître Dieu. Or, çomment rationnellement ose-t-on inscrire le mot progrès, et ses synonymes, avancement, augmentation, accroissement, sur un monde où toutes choses sont fixes dans leur quantité et leur qualité? Évidemment c'est se déclarer absurde. Diront-ils que les qualités changent de place, et s'accumulent dans de certains momens, en certains lieux; mais c'est là décrire le mouvement circulaire et non le mouvement progressif, etc.

Ainsi, il suffit d'un simple examen grammatical pour reconnaître l'erreur des faux systèmes, et la raison qui a tenu tant de gens en défiance vis-à-vis d'une doctrine du progrès si horriblement défigurée.

Le mot progrès, appliqué à l'humanité, et toujours entendu dans sa plus vulgaire signification, suppose l'existence, 1° d'une activité douée de volonté, de liberté et d'intelligence; 2° d'un but qui mesure le mouvement de cette activité; 3° d'un milieu qui fait obstacle, et contre lequel l'activité lutte pour atteindre le but; 4o d'une réceptivité conservatrice du résultat de tous les efforts; 5o enfin, la réalisation du but. Il faut que toutes ces existences soient séparées, indépendantes, n'ayant que des relations entre elles; autrement il en serait comme si aucune d'elles n'existait point, le progrès ne serait pas.

En effet, s'il n'y a une activité douée de la volonté et de l'intelligence du but, c'est comme s'il n'y avait point de but, car alors que pourrait-on engendrer dans le sens du but. S'il n'y avait pas de but, on ne saurait dire humainement qu'il y a progrès, car on n'aurait pas de terme pour mesurer. - S'il n'y avait pas un milieu résistant entre l'activité qui veut, et le but qu'elle désire, il n'y aurait pas progrès, car il n'y aurait pas d'espace entre eux, et le but serait aussitôt atteint que voulu.

S'il n'y avait pas une réceptivité conservatrice des efforts successivement opérés, il n'y aurait pas possibilité de succession dans les mouvemens, puisque chaque mouvement particulier ne peut être plus qu'une portion de ce qui est contenu dans le but; et chaque effort étant perdu aussitôt que produit, le but ne serait jamais atteint. Enfin, s'il n'y avait pas réalisation, jamais la réceptivité ne serait transformée; jamais le but ne serait atteint.

Ce que nous venons de dire est difficile à comprendre, mais cela est exact; et la suite de cette préface le rendra simple et clair. Nous n'avons ici voulu parler que de la signification du mot progrès appliqué à l'humanité; et nos paroles ne seront entièrement intelligibles qu'au moment où nous aurons parlé du progrès comme loi générale du monde, comme produit par la volonté de Dieu. Mais, telles qu'elles sont, elles suffisent pour juger toute doctrine qui se présente avec le mot nouveau sur ses livres; si elle ne fait que remplir les conditions que nous venons de fixer, elle peut encore être fausse; mais elle approche de la vérité.

Quant à savoir si cette espèce de progrès existe, rien n'est plus facile, puisqu'il ne faut que vérifier par l'histoire, si les hommes, si les sociétés agissent pour atteindre un but, si, dans cette fin, ils sont obligés à des efforts, si chaque effort produit un résultat qui est conservé, si, enfin,

[graphic]
[graphic]
[ocr errors]

Dieu, dévouement, progrès, ont tenté un semblable sacrilége à l'égard de celui d'humanité. Ils ont voulu en faire un seul être. Ils supposé qu'il existait toujours un même nombre d'hommes sur la terre; et ils ont commandé même des recherches sérieuses pour prouver cette singulière assertion. Ils ont supposé ensuite que, lorsqu'un individu, une des formes finies de cet être infini, venait à se dissoudre, ses parties composantes étaient versées, soit dans une forme naissante, soit dans une forme déjà vivante. Ces choses, sans doute, forment un système bien ridicule. Cependant il a eu, il a encore des partisans. C'est là le fond de la doctrine qui s'appelle elle-même du nom de progrès continu, qui assure que nous sommes la tradition vivante, à l'imitation de M. Enfantin qui se disait aussi, en

Ces gens n'ont pas pertu de la même théorie, la loi vivante, etc., etc.

bien simple objection; c'est celle-ci: Si les hommes actuels sont, ainsi que vous le dites, la somme matérielle de tous les âges antérieurs, le vase où sont déposés et vivans tous les siècles passés, expliquez-nous nos oublis, s'il vous plaît; expliquez nos mémoires perdues; expliquez-nous comment nous ne parlons pas toutes les langues; comment, en France, on ne parie que français, et non pas un peu algonquin ou un peu iroquois; beaucoup, celte, haut allemand, etc.? Mais passons sur cette doctrine, dont la réfutation est inutile dans l'intérêt humanitaire, car le sens commun a suffi pour la tuer.

On entend par humanité tout ce qu'il y a de commun entre les hommes; or, qu'y a-t-il de commun si ce n'est, avant tout, ce lien d'efforts et de dévouemens à une série de buts tous unis entre eux, ainsi que nous allons le voir. Les méchans ne font pas partie de l'humanité, et ce qui les constitue méchans, en effet, c'est qu'ils résistent aux moyens aux méthodes, , par lesquels les bons accomplissent leur fin morale.

Definition de l'idée progrès, der she is sing

Le mot progrès, en métaphysique, désigne le rapport qui existe entre les termes d'une série croissante, et qui peut être décroissante si on l'envisage dans une direction inverse. On peut prendre pour exemple ce que l'on entend, en mathématiques, par progression arithmétique. Ainsi, soient 24, 27, 30, 33. Selon que l'on examinera cette série de termes dans une direction ou dans une autre, elle est croissante ou décroissante. Mais, puisque nous avons posé cet exemple, nous allons nous en servir pour rendre facilement appréciable tout ce que nous avons à dire de la progression spirituelle.

Il faut remarquer d'abord que pour reconnaître qu'une série est progressive, il est complétement inutile d'en savoir le commencement ou la, fin. Il suffit de voir que la série existe.

Il faut remarquer ensuite que toute série de ce genre est de l'ordre. infini. La succession des termes peut être éternelle, soit qu'on l'envisage dans une direction ou dans l'autre.

Il faut remarquer encore qu'il n'y a aucun lien de continuité entre les termes de cette série, en sorte que l'on peut supposer qu'elle commence ou qu'elle finit où l'on voudra. Il n'y a de rigoureux que le rapport des termes qui existent.

Il faut conclure, enfin, que les termes étant sans lien de continuité entre eux, ne peuvent être les produits que d'une spontanéité spirituelle; que leur rapport de continuité étant purement spirituel, il n'existe qué par la continuité dans la même volonté de la part de l'esprit qui les a produits; et que ces termes, pouvant être infinis, ils ne peuvent l'être que par la volonté d'une activité spirituelle infinie. Or, l'homme est incapable de produire une série infinie de termes, car il est lui-même fini

Le progrès, envisagé comme acte spirituel, he peut donc être un fait humain; c'est un fait de Dieu.

Nous n'avons pas, je le pense, nécessité de répéter ce que nous avons dit dans le paragraphe précédent, et de faire observer encore une fois, que l'activité qui crée le terme de la série, ce terme lui-même, et la ré

ceptivité qui le conserve, sont des existences différentes et indépendantes les unes les autres, et l'on sait que le nom de Dieu n'est invoqué par nous que dans l'acception admise par tout le genre humain. Au reste, ce que nous allons dire ne laissera point de doutes.

L'humanité, pas plus que l'homme, ne peut créer les termes d'une progression semblable à celle dont nous venons de parler. Ce n'est pas seulement parce que la progression est sans fin, tandis que l'humanité a commencé et finira, mais c'est parce que son existence, même comme humanité, implique contradiction avec la puissance de créer une pareille progression.

En effet, l'humanité n'existe, les hommes ne font corps que par la communauté de doctrines, la similitude de but et d'activité vers ce but. Aussitôt que le but est atteint, s'il n'en vient pas un autre, l'activité cessant d'être commune, il n'y plus d'actes sociaux et plus de société : nous avons assez développé ces principes dans nos préfaces précédentes, pour être autorisés à les poser ici seulement comme axiômes. Or, il résulte de là que le but existe toujours avant la société, que c'est par lui, uniquement par lui et pour lui, que l'humanité est faite. Comment donc serait-il possible de concevoir que l'humanité créât son but? Ce sont des propositions contradictoires, et sur lesquelles on ne peut hésiter.

Or, théologiquement parlant, et selon la doctrine que nous professons, le moi progrès n'est applicable à autre chose qu'à la série de buts proposés aux hommes, et qui les font et maintiennent en société humanitaire : c'est la série des actes de Dieu et la série des révélations qui nous sont

connues.

Mais, ces buts proposés aux hommes, ces révélations, offrent-elles entre elles des rapports tels qu'on puisse y reconnaître une loi de progression? C'est ce que nous prouverons plus bas par l'histoire et par la Bible elle-même. Examinons maintenant quelle est l'œuvre de l'homme vis-à-vis de la loi du progrès, et comment il en est, il peut en être ouvrier.

[ocr errors]

Si l'humanité, envisagée depuis son commencement jusqu'à sa fin, n'était qu'un seul et même être, comme intelligence et comme corps elle n'eût été capable que d'un seul but; encore il eût été réalisé aussitôt que produit, sans résistance; car le grand effort, dans l'état actuel, est pour transformer nos semblables. Elle n'eût pas été libre d'accepter ou de refuser ce but; elle eût agi comme le monde brut, qui est soumis à une seule loi, et, depuis le commencent, l'a repétée circulairement toujours la même. Ce n'eût plus été l'humanité. Que si vous la supposez douée de liberté, alors elle eût pu refuser le but qui lui était présenté; et, dans ce cas, il eût fallu l'anéantir. Enfin, si vous la supposez un être unique, telle seulement que la font les élèves de M. Enfantin, ou les matérialistes, il eût faliu, pour y introduire un but nouveau, la changer matériellement, ainsi que Dieu changea la nature brute toutes les fois qu'il lui imposa une nouvelle fonction.

Dans une telle hypothèse, l'humanité n'eût pas été progressive, c'està-dire susceptible de progrès, parce qu'elle n'eût pas été capable d'être ouvrière de plusieurs buts.

Il fallait donc que l'humanité fût composée d'une succession d'individus, tous indépendans les uns des autres et ne formant continuité que par leurs rapports matériels de père à fils, et leurs rapports spirituels ou d'éducation.

Pour qu'un but nouveau pût être introduit, sans qu'il y eût nécessité d'un changement matériel, il fallait que chaque individu fût libre de suivre ou de pas suivre la règle de conduite qui lui avait été donnée par l'éducation, qu'il pût en choisir un autre.

Pour que le but ne fût pas atteint aussitôt que présenté, il fallait qu'il contint en lui ou commandât une réalisation destinée à le représenter sans être lui-même ; une réalisation difficile, parce qu'elle devait être en partie matérielle; difficile, parce qu'elle ne pouvait s'opérer que par une succession d'efforts produits par une succession d'hommes tous libres,

« PreviousContinue »