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fut nommé au ministère des contributions; les autres ministres, Duranton et Lacoste, demandèrent à être remplacés: mais ils furent retenus par le roi jusqu'à nouvel ordre.

Pendant ces dislocations ministérielles, M. de La Fayette, dans une lettre adressée à l'Assemblée nationale, se plaignait des ministres renvoyés, de la faction des jacobins, de l'empire qu'elle exerçait sur le gouvernement et l'opinion publique. Ses conseils sur le maintien de la constitution déplurent à l'Assemblée; elle douta même, avec quelque raison, que cette lettre fût l'ouvrage de M. de La Fayette.

Sans les adopter entièrement, voici les sentimens de M. Toulongeon sur l'état des diverses intrigues.

« Le fil des intrigues de cour, d'assemblée et de » parti, dit-il, est si mêlé à cette époque que l'his>>toire peut à peine le suivre ; l'infortuné roi en >> était successivement l'objet, l'instrument et la vic>> time; trop méfiant pour se livrer à aucun parti, » trop faible pour les maîtriser tous. Les Girondins >> lui promettaient leur service; la Montagne' le >> menaçait; les jacobins l'insultaient à leur tribune » et dans les rues; les feuillans le servaient en >> crainte et sans confiance; le conseil secret de la >> reine lui promettait de les déjouer tous,

et les

Ces mots Girondins et Montagne qui désignaient deux partis, le premier assez modéré et l'autre très-exagéré, n'étaient pas encore en usage.

» agens de l'étranger, observant tous les partis, » ayant des intelligences dans tous, instruits de >> tout et les opposant l'un à l'autre, seul arrivait à son but, empêcher et détruire '. »

« Entre ces partis étaient les indépendans qui, dit » le même écrivain, tenaient la balance, votant >>> alternativement et selon leur opinion du mo>ment, avec l'un et l'autre parti. Celui de la cour, >>> continuant ses relations avec tous, se flattait de » les déjouer, et était joué et desservi par les uns, >> servi avec hésitation par les autres'. >>

Les choses étaient dans cet état inquiétant lorsque, dans les journées du lundi et mardi 17 et 18 juin, quelques rassemblemens tumultueux se faisaient remarquer dans le faubourg Saint-Antoine. Les chefs de ces rassemblemens avaient averti la municipalité de Paris, que le but de cet attroupement était de se rendre à l'Assemblée nationale, afin de présenter une pétition à cette Assemblée. La municipalité arrêta qu'elle passait à l'ordre du jour, et envoya son arrêté au directoire du département. Ce directoire, dans la journée du 19, fit afficher un arrêté qui défendait aux habitans des faubourgs de se porter en armes aux Tuileries, et écrivit à l'Assemblée nationale pour lui dénoncer le projet de ces habitans. L'Assemblée passa à l'ordre du jour.

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Cependant la municipalité, alarmée en appre

Histoire de France depuis la révolution, par Toulongeon ț. II, p. 148.

2 Ibid. p. 164.

,

nant que la pétition devait être portée par un nombre très-considérable d'hommes armés, fit de bonne heure, dans la matinée du 20 juin, afficher l'arrêté suivant:

« Le corps municipal étant informé qu'un grand >> nombre de citoyens, de toute arme et de tout

uniforme, se proposent de se présenter aujour» d'hui à l'Assemblée nationale et chez le roi pour >> remettre une adresse, et célébrer en même temps » l'anniversaire du serment du jeu de paume, le » procureur de la commune entendu, arrête que » le chef de légion, commandant-général de la >> garde nationale de Paris, donnera à l'instant les » ordres nécessaires pour rassembler sous les dra>> peaux les citoyens de tout uniforme et de toute >> arme, lesquels marcheront ainsi réunis, sous le >> commandement des officiers des bataillons. >>

Dès le point du jour les rassemblemens étaient formés dans les faubourgs Saint-Antoine et SaintMarcel. Vers les huit heures ils commencèrent à défiler en plusieurs colonnes. Ceux qui les composaient étaient armés de piques, de bâtons ferrés, de faulx, de haches, ornés de rubans tricolores, portant des bannières chargées d'inscriptions tour à tour patriotiques et menaçantes. Un homme, vêtu à peu près comme l'étaient, au 12 juillet 1789 et aux 5 et 6 octobre, les brigands qui par leur présence et leurs crimes souillèrent ces journées, présentait, dit M. Toulongeon, au bout d'une pique les lambeaux d'une culotte noire et cette inscription :

Tremblez, tyrans, voici les sans-culottes! Suivant d'autres, on lisait : Libres et sans-culottes, nous en conserverons au moins les lambeaux. Les autres inscriptions étaient celles-ci : La nation, la loi.. Quand la patrie est en danger, tous les sans-culottes sont levés. Avis à Louis XVI: le peuple, las de souffrir, veut la liberté tout entière ou la mort. — Nous ne voulons que l'union, la liberté ; vive l'égalité! etc.

La troupe, parmi laquelle s'étaient mêlés des volontaires parisiens, s'avançait vers le lieu des séan– ces de l'Assemblée, et rencontrait en divers lieux des colonnes de gardes nationales, sans qu'il parût, d'une part comme de l'autre, aucune animosité, aucun signe de mécontentement réciproque.

Pendant que les pétitionnaires, au nombre d'environ huit mille hommes, arrivaient aux portes de l'Assemblée nationale, les membres du directoire du département, admis à la barre, par l'organe de M. Roederer, procureur-syndic, dirent: «Un ras>> semblement extraordinaire de citoyens armés a >> lieu dans ce moment, malgré la loi, malgré deux » arrêtés, l'un du conseil-général de la commune, » l'autre du directoire de département, qui leur rappelaient la loi. Il paraît que ce rassemble»ment, composé de personnes diverses par leurs >> intentions, a aussi plusieurs objets distincts. >> Planter un arbre en l'honneur de la liberté, faire >> une fête civique et commémorative du serment » du jeu de paume, apporter à l'Assemblée natio

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>> nale un nouveau tribut d'hommages et de nou>> veaux témoignages de zèle pour la liberté, tel » est certainement le but de la plus grande partie » de ce rassemblement; mais nous avons lieu de » craindre que ce rassemblement ne serve, à son » insu peut-être, à appuyer, par l'appareil de la » force, une adresse au roi, à qui il ne doit en parvenir, comme à toute autre autorité consti» tuée, que sous la forme de pétitions, etc. »

L'admission des pétitionnaires armés fut l'objet d'une vive discussion. Pendant qu'on délibérait, Santerre annonça leur arrivée. Vergniaud ne trouvait pas d'inconvéniens à les admettre, d'autant plus que plusieurs exemples autorisaient cette admission. M. Ramond s'y opposa. «< Huit mille hom» mes, dit-il, attendent à vos portes votre réponse; » mais vingt-cinq millions d'hommes en France ne >> l'attendent pas moins. » Les huit mille pétitionnaires, après de violentes oppositions, furent admis, et leur orateur ayant obtenu la parole, dit que le peuple français venait exprimer ses craintes, demander un remède à ses maux, et savoir s'il était abandonné par l'Assemblée nationale. « Le

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peuple, disait-il, est à la hauteur des circons>> tances, et prêt à se servir des grands moyens » pour résister à l'oppression.

'C'était l'usage alors, dans les discours d'une classe de patriotes, de prendre la partie pour le tout, de nommer nation et peuple français, une très-petite fraction du peuple de

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