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ce char offraient des bas-reliefs en peintures représentant Brutus immolant ses fils à la liberté, et Guillaume Tell préparant celle de son pays en exécutant l'ordre barbare du tyran qui opprimait la Suisse; on y voyait aussi le despotisme, l'aristocratie, la féodalité, le fanatisme et les préjugés écrasés par la liberté, enfin on y voyait le triomphe de la raison et de la philosophie.

Ce char présentait sur le devant plusieurs gradins qui, en s'élevant, se terminaient jusqu'au socle qui portait le siége de la figure de la liberté. Sur ces gradins devaient être assis quatre-vingt-trois enfans des deux sexes, représentant les quatre-vingt-trois départemens, mais cette partie intéressante manà la décoration du char'.

qua

Sur la cime et à l'arrière de ce char était placée la figure de la liberté. Cette figure de couleur bronzée, de dix-huit pieds de proportion et d'un beau style était représentée assise, tenant d'une main le bonnet de la liberté et s'appuyant de l'autre sur une massue. Au pied de cette figure colossale, l'encens fumait dans des cassolettes de forme antique, la hauteur de ce char atteignait le second

Les uns disent que les mères de ces enfans, craignant quelque accident, s'opposèrent à ce qu'ils y fussent placés. Suivant d'autres il s'éleva, entre les jeunes filles et les soldats de Château-Vieux,un débat de générosité. Elles voulaient aller à pied et céder leur place à ces soldats; ceux-ci s'y refusèrent, et le char resta vide.

étage des maisons, et l'on fut obligé d'ôter les réverbères sur son passage.

Autour du char marchaient les quarante soldats de Château-Vieux, revêtus de l'uniforme de leur régiment, leur défenseur Collot-d'Herbois, les deux députés de la ville de Brest, les ci-devant gardesfrançaises et les enfans qui devaient être placés sur le char.

Immédiatement après, on voyait un homme, ridiculement vêtu, monté sur un âne, et représentant · l'ignorance et la sottise.

• La marche était fermée par un détachement de garde nationale et des gendarmes à cheval.

Le cortége arrivé sur le terrain de la Bastille, les soldats de Château-Vieux s'y placèrent, et la musique célébra, par des chants, la première victoire du peuple. Un groupe particulier, à la tête duquel était M. Palloy, portait quatre pierres tirées des ruines de cette forteresse; ces pierres, sur lesquelles on lisait des inscriptions en l'honneur des martyrs de la liberté, furent placées parmi des trophées.

Le cortége se dirigea par les boulevards jusqu'à la rue des Capucines, et fit une station sur la place Vendôme. Alors Collot-d'Herbois, les soldats de Château-Vieux, et les deux députés de Brest, se rendirent à l'Assemblée nationale pour lui présenter leur hommage.

A leur retour le cortége reprit sa marche et en

T. II.

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suivant la rue Saint-Honoré, arriva sur la place de Louis XV.

La statue équestre de ce roi parut alors revêtue des livrées du temps. On vit la tête colossale de cette statue couverte d'un vaste bonnet rouge, d'une main elle tenait, au lieu du sceptre, un drapeau tricolore; et les oreilles de son cheval étaient ornées de larges cocardes aux mêmes couleurs.

Le cortége arrivé au Champ-de-Mars, y trouva les talus couverts de curieux; on y dansa des rondes autour de l'autel de la patrie, sur lequel furent posées les deux tables colossales contenant la déclaration des droits de l'homme. Aux quatre angles dans des cassolettes l'encens fumait et donnait à cette fête un caractère religieux; on y répéta les chants que la musique avait déjà exécutés dans les diverses stations, et notamment le suivant, dont Chénier composa les paroles et Gossec la musique.

L'innocence est de retour,
Elle triomphe à son tour;
Liberté, dans ce beau jour,
Viens remplir notre ame.

Que ta voix nous enflamme,
Conserve au peuple français
La gloire et la paix à jamais.
Vous, frémissez, ennemis de la France,
Fils ingrats, despotes jaloux,

Si vous bravez sa puissance,

Vous tomberez tous sous nos coups.

La liberté nous servira de guide;

Son glaive et son égide,

Marcheront devant nous contre vous.

Choeur en l'honneur de la Liberté,exécuté au Champ de la Fédération.

Premier bien des mortels,

O Liberté chérie!

Liberté, que notre patrie

Reconnaisse à jamais tes lois;

Descends des cieux, viens embellir ta fête,

Que les palmes couvrent ta tête,

Reine des peuples et des rois.

Ennemis des tyrans, commencez vos cantiques,
Brûlez l'encens sur son autel,
Et que vos mains patriotiques
Couronnent son front immortel.

Pendant les apprêts de cette fête, on répandit dans Paris des bruits alarmans : elle devait être le signal ou l'occasion de grands désastres; plusieurs habitans, crédules et timides, sortirent de Paris, et le roi fit fermer le jardin des Tuileries. Il y eut peu d'ordre et beaucoup de lenteurs dans la marche du cortége. Les spectateurs se mêlèrent souvent aux acteurs; mais il n'arriva aucun accident, aucun trouble.

Pour faire ranger la foule, on employa, je crois, pour la première fois, au lieu de baïonnettes, un petit drapeau tricolore et un brin de paille.

Cette fête ne plut pas à tout le monde; la déli

vrance des soldats de Château-Vieux ne parut pas autoriser suffisamment un étalage aussi pompeux; on le sentit, puisqu'on la dénomma simplement Fête de la Liberté. Il sembla aussi que les auteurs de cette fête avaient voulu rivaliser avec les ordonnateurs de la fédération; avaient voulu en obscurcir la gloire, en effacer le souvenir, diviser les hommes et égarer les opinions, en opposant une fête à l'autre.

De plus, l'intérieur de la France se trouvant livré à d'affreuses agitations, et la guerre au-dehors étant près d'éclater, cette fête devenait intempestive.

Les Marseillais étaient en guerre contre les villes d'Arles et d'Avignon; les départemens en proie aux fureurs de divers attroupemens armés qui pillaient et dévastaient les châteaux; des émeutes se manifestaient à Gex, à Blois, à Colmar, etc. : elles avaient pour cause ou pour prétexte, la rareté des subsistances. Des perturbateurs étrangers excitaient à main armée les autorités locales à taxer le prix des grains: c'est ce qui arriva au maire de la ville d'Étampes.

Le 3 mars 1792, des hommes venus du côté d'Étrechy et de la Ferté, dont on évalua le nombre à plus de huit cents, armés de fusils, de sabres et d'instrumens de labourage, se portèrent au marché d'Étampes, taxèrent le prix du blé, et l'achetèrent d'après leur taxe. Henri Simoneau, maire de cette ville, s'opposa de tout son pouvoir à cette taxe forcée; voyant ses remontrances inutiles, il parla de faire proclamer la loi martiale : alors on se e jeta

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