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>> conçoit pas comment une femme inutile, dont la >> plus longue vie ne serait bonne à rien, peut se » sacrifier de sang-froid pour sauver son pays. Je >> m'attendais bien à mourir dans l'instant; des >> hommes courageux, vraiment au-dessus de >> tout éloge, m'ont préservée de la fureur bien ex>> cusable des malheureux que j'avais faits.

>> Comme j'étais vraiment de sang-froid, je >> souffris des cris de quelques femmes; mais qui sauve sa patrie ne s'aperçoit pas de ce qu'il >> en coûte....

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>> Je vous prie, citoyen, vous et vos collègues, » de prendre la défense de mes parens et amis, si on les inquiétait; je ne dis rien à mes chers >> amis aristocrates je conserve leur souvenir >> dans mon cœur. Je n'ai jamais haï qu'un seul » être, et j'ai fait voir avec quelle violence; mais » il en est mille que j'aime encore plus que je » ne le haïssais. Une imagination vive, un cœur >> sensible promettent une vie bien orageuse; je >> prie ceux qui me regretteraient de le considé» rer, et ils se réjouiront de me voir jouir du >> repos dans les Champs-Élysées avec Brutus et » quelques anciens.... Je passe mon temps à écrire >> des chansons.... >>

"

Appelée le 16 juillet devant le tribunal, Charlotte Corday interrompit sa lettre, la montra au président en lui demandant la permission de l'achever. On lui donna du papier pour la continuer. A l'audience du 17, elle remit cette continuation

qui offre encore quelques traits du caractère étrange de cette fille... « On m'a transférée à la Concierge>>rie.... J'avais eu une idée hier au soir de faire hom>> mage de mon portrait au département du Calva>> dos, mais le comité de salut public à qui je l'ai de» mandé, ne m'a point répondu.... Il me faut un » défenseur...., c'est Gustave Doulcet; j'imagine >> qu'il refusera cet honneur; cela ne lui don>> nerait cependant guère d'ouvrage. J'ai pensé » demander Robespierre et Chabot... C'est de» main à huit heures que l'on me juge. Probable»ment à midi j'aurai vécu, pour parler le langage

>> romain.

>> On doit croire à la valeur des habitans du >> Calvados, puisque les femmes même de ce pays >> sont capables de fermeté : au reste j'ignore com>>ment se passeront les derniers momens, et c'est » la fin qui couronne l'œuvre. Je n'ai pas besoin >> d'affecter d'insensibilité sur mon sort, car jusqu'à » cet instant je n'ai pas la moindre crainte de la » mort. Je n'estimai jamais la vie que par l'uti»lité dont elle devait être.... Les prisonniers de la » Conciergerie, loin de m'injurier comme dans » les rues, avaient l'air de me plaindre. Le mal» heur rend toujours compatissant; c'est ma der»nière réflexion.

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Elle adressa à son père une courte lettre qui commence ainsi : « Pardonnez-moi, cher papa,

>> d'avoir disposé de mon existence sans votre per» mission, » et qui se termine par ces mots : « Je » vous prie de m'oublier, ou plutôt de vous réjouir de mon sort: la cause en est belle. J'em>> brasse mes sœurs que j'aime de tout mon cœur, tous mes parens. N'oubliez pas ce vers

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>> ainsi que tous mes parens.

» de Corneille :

Le crime fait la honte et non pas l'échafaud.

» C'est demain à huit heures qu'on me juge,

Le député Doulcet de Pontécoulant étant absent, lorsque la lettre de Charlotte Corday fut apportée à son logement, le tribunal nomma d'office l'avocat Chauveau-la-Garde, qui prononça ainsi sa défense:

« L'accusée avoue de sang-froid l'horrible at>> tentat qu'elle a commis; elle en avoue avec sang» froid la longue préméditation; elle en avoue les >> circonstances les plus affreuses; en un mot, elle » avoue tout et ne cherche pas même à se justifier. Voilà, citoyens jurés, sa défense tout entière. >> Ce calme imperturbable et cette entière abnéga>>tion de soi-même n'annoncent aucun remords » et pour ainsi dire en présence de la mort même.

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Ce calme et cette abnégation sublimes, sous un >> rapport, ne sont pas dans la nature; ils ne peuvent s'expliquer que par l'exaltation du fanatisme

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» politique qui lui a mis le poignard à la main.

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C'est à vous, citoyens jurés, à juger de quel poids

doit être cette considération morale dans la ba

>> lance de la justice, je m'en rapporte à votre pru» dence. »

Charlotte Corday, sans émotion et même avec un souris, a entendu prononcer son arrêt de mort; alors s'adressant à son défenseur : « Vous m'avez » défendue d'une manière délicate et généreuse, » lui a-t-elle dit, c'était la seule qui pût me con» venir, je vous en remercie, elle m'a fait conce>> voir pour vous une estime dont je veux vous » donner une preuve. Ces messieurs (en montrant >> les juges) viennent de m'apprendre que mes >> biens sont confisqués, je dois quelque chose » à la prison, je vous charge d'acquitter mes >> dettes. >>

Un jeune élève de David dessinait sa figure; elle s'en aperçut Continuez, lui dit-elle, ne craignez pas que je change de position.

Avant de partir pour l'échafaud, elle demanda en riant si Marat serait placé au Panthéon. Le caractère qu'elle avait montré ne se démentit pas un instant; elle marcha au supplice avec une indifférence, un calme vraiment héroïques'. Elle fut exécutée sur la place de la Révolution 2.

Le charpentier de l'échafaud, saisissant sa tête, se permit de la frapper de plusieurs coups. Cette insulte fut généralement désapprouvée, et punie par la prison.

2

Marie-Anne-Charlotte Corday, fille aînée de Jacques-François Corday d'Armans, était née en la paroisse de Ligneries, canton d'Argenton, diocèse de Séez. Elle avait été élevée à l'Abbaye-aux-Dames, à Caen. Elle demeurait depuis deux ans

Un jeune homme, nommé Adam de Lux, député extraordinaire de Mayence, après la mort de Charlotte Corday, eut le courage de publier son apologie et de faire la proposition de lui élever une statue, avec cette inscription: Plus grande que Brutus. Il fut pris, conduit à l'Abbaye; en entrant dans cette prison, il s'écria: Je vais donc mourir pour Charlotte Corday! Quelques jours après, il fut décapité.

Cette exaltation, cette fermeté soutenue, chez certaines personnes douées d'une organisation particulière, résultent d'une indignation violente profondément sentie: le naturel de l'individu éprouve alors un changement total. Sa pensée l'élève audessus de lui-même et impose silence à toutes ses affections, à tous ses devoirs. Il est possédé par une colère froide, concentrée, permanente, qui ne peut faire explosion que par un seul moyen, par l'exécution du projet qui domine et remplit toutes ses facultés; les crimes qu'il se propose de commettre sont à ses yeux des actes de la plus sublime vertu; il ne voit de juste que sa cause, d'utile que ses résolutions pour défendre l'une, pour faire prospérer les autres, il brave avec joie les supplices et la mort.

C'est dans cet état que se trouvaient les courageux martyrs de toutes les religions et les meur

chez une de ses parentes, nommée le Coutellier de Bréterville.

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