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captivité que subit la Convention. Plusieurs autres viennent offrir de nouveaux témoignages de pareilles violences.

Jusqu'alors on n'avait donné aucune suite aux diverses propositions; l'inquiétude et surtout l'indignation préoccupaient la plupart des membres. Ceux-là même qui avaient favorisé l'insurrection voyant qu'elle dépassait les limites qu'ils avaient fixées, concevaient des craintes et les témoignaient publiquement. Tous se débattaient dans le piége où ils se trouvaient pris.

Bazire dit que des complots infâmes sont tramés; on accuse les fonctionnaires qui ne sont pas aujourd'hui à leur posté d'en être les auteurs; il reproduit la proposition de Barrère, qui aussitôt monte à la tribune, et une seconde fois l'expose en ces termes : Nous perdons notre temps. Je demande que vous fermiez le Temple des lois, et que nous allions au milieu du peuple.

Un mouvement simultané s'opère dans l'Assemblée, et, sans délibérer, elle se lève et se dispose à sortir du lieu des séances. Le président, alors Hérault de Séchelles, se couvre en signe de détresse, et marche le premier. Les membres, deux à deux, le suivent la tête découverte.

Le président, arrivé au premier poste, ordonne aux factionnaires de laisser sortir la représentation nationale; ils obéissent, se rangent en haie et portent les armes.

T. II.

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Descendus dans la cour, le président et la Con vention aperçoivent des troupes armées et plusieurs canons placés en face du vestibule.

Avant de poursuivre le récit des événemens qui résultèrent de la sortie de la Convention nationale hors du lieu de ses séances, je dois parler du nombre et de l'intention des troupes qui l'assiégeaient.

« La Convention était bloquée; quatre-vingt >> mille hommes armés entouraient les Tuileries. >> Cent soixante-trois bouches à feu, des grils et » du charbon pour faire rougir les boulets, tel » était l'appareil avec lequel on venait dicter des » lois à la représentation nationale. On croirait, à » ce récit, que tout Paris était armé contre nous ! De ces quatre-vingt mille hommes, soixante

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quinze mille ignoraient pourquoi on leur avait >> fait prendre les armes. Loin de nous attaquer, >> ils nous auraient défendus; mais Henriot les >> avait placés dans l'éloignement, hors de por» tée de nous secourir. Il nous avait cernés im» médiatement avec sa troupe d'élite, la seule qu'il >> eût introduite dans les dépendances du château. l'avait séparée de la masse des Parisiens, » d'un côté par l'élèvement du Pont-Tournant, » de l'autre par une clôture de bois qui séparait >>le Carrousel de la cour du château. Il résultait de >> cette disposition deux effets immanquables : l'un, >> de donner à l'entreprise de quatre ou cinq mille >> bandits l'apparence d'un mouvement général

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>> du peuple; l'autre, de neutraliser ce même peuple pour l'empêcher de croiser l'entreprise 1. »

Il est certain que les troupes commandées par Henriot, qui entouraient immédiatement le château des Tuileries, qui pénétrèrent même dans son intérieur, s'opposaient à ce que les députés sortissent, les violentaient, couchaient en joue ceux qui se montraient aux fenêtres de ce château. Il est certain, dis-je, que ces troupes, composées de volontaires retenus à Paris, et de vagabonds soudoyés, dont chaque individu reçut ostensiblement un billet de cent sous, présentaient tout ce que la commune et les agens de l'étranger du comité central d'insurrection avaient pu recruter. En évaluant leur nombre à quatre à cinq mille, l'auteur que je viens de citer ne s'éloigne pas de la vérité; d'ailleurs il donne dans la suite des preuves satisfaisantes de la juste évaluation de ce nombre.

Après cette digression nécessaire, je reviens à la marche de la Convention. Arrivée dans la cour des Tuileries, elle s'avançait vers la porte qui s'ouvrait sur la place du Carrousel.

tôt

La tête de la colonne des députés s'aperçut bien

que cette porte était défendue par plusieurs pièces de canon, et par des militaires, parmi lesquels figurait, à cheval, Henriot, commandant-général provisoire.

Hérault de Séchelles, président, voyant cet obs

Mémoires de Meillan, représentant du peuple, pag. 53. (Collect. B. F.)

tacle, demande que le passage soit libre. Il s'établit, entre lui et le commandant-général, un dialogue que peu de personnes ont entendu '. Voici ce qui a été recuelli par divers députés à portée de bien voir, de bien entendre.

Le commandant est sommé de laisser le passage libre, et en même temps on lui crie : Découvrezvous, c'est le président de la Convention. Henriot, en jurant, dit : Je ne me découvrirai pas ; je n'ai plus de ménagement à garder; ils m'ont manqué de parole; mais je ne les ménagerai pas. Alors le président fait lecture du décret qui ordonne la levée des consignes. Henriot n'y répond que par des menaces: La force-armée, dit-il, ne se retirera que lorsque la Convention aura livré au peuple les députés dénoncés par la commune : personne ne sortira.

'J'étais assez près pour voir l'action des interlocuteurs, mais non pour les entendre.Suivant les Mémoires de Meillan, ce dialogue qu'il n'a pas entendu, mais dont on lui a fait le rapport, fut tel: « Que demande le peuple? dit le président, » la Convention n'est occupée que du peuple et de son bonheur. » Henriot répond: Le peuple n'est point levé pour écouter » des phrases, mais pour donner ses ordres souverains; il lui faut des victimes; il veut qu'on lui livre trente-quatre coupables. Des victimes! s'écrient ceux qui accompagnent le président, nous le serons tous. A ces mots Hen» riot recule quatre pas et crie: Aux armes! Aussitôt ses sa>>tellites s'avancent, les uns le sabre à la main, les autres la » baïonnette au bout du fusil, pointant les députés, mais sans frapper; en même-temps les canonniers disposent six pièces

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de campagne pour les diriger contre nous.» (Mémoires de Meillan, p. 58, 59.)

Le président, au nom de la loi, ordonne aux soldats d'arrêter ce rebelle; le député Delacroix prend son pistolet et en menace Henriot. Celui-ci fait reculer son cheval de quelques pas, crie: Aux armes! canonniers à vos pièces ! L'état-major à cheval fait un mouvement, les sabres sont tirés, un des cavaliers s'avance sur la colonne de la Convention, un particulier l'arrête en saisissant la bride de son cheval; des fusiliers couchent en joue les députés. Des cris menaçans se font entendre.

Le président, convaincu qu'à cette porte le passage n'était pas libre, tourne à gauche, se porte vers une autre issue située au nord de la cour. Là, nouvelle sommation, nouvelle résistance. La colonne de la Convention se replie, revient sous le vestibule des Tuileries, descend dans le jardin et se dirige vers la porte située presqu'en face du Pont-Royal. Là, même demande, même refus; président n'insiste pas, et conduit la Convention, en longeant la terrasse du côté de la Seine, jusqu'à la porte du Pont-Tournant, porte qui s'ouvre sur la place de Louis XV. Les troupes qui s'y trouvent opposent leur consigne aux ordres du président, et refusent constamment le passage.

le

Pendant que le président haranguait les officiers de ce poste pour en obtenir la liberté de sortir; pendant que la Convention attendait près du grand bassin l'issue de cette démarche, on entendit crier, et l'on vit arriver précipitamment, parmi les arbres du bosquet, Marat, escorté d'une cinquantaine

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