Page images
PDF
EPUB

de son gouvernement. Dans le dessein de punir les Français des secours qu'ils avaient donnés aux insurgés de l'Amérique, et de préserver l'Angleterre des principes de la révolution, il suivait avec une ardeur inperturbable ce plan de destruction. Il avait commencé par concilier les puissances belligérantes du Nord, la Russie, l'Allemagne, armées contre la Turquie; puis, par le moyen d'émis– saires envoyés dans toutes les cours d'Europe, et par des promesses de subsides, il parvint à engager quelques souverains à seconder ses desseins et à concourir par la force des armes au rétablissement de l'ordre, c'est-à-dire de l'ancienne monarchie en France. Ces menées produisirent les traités de Pavie, du 20 mai 1791, et de Pilnitz, du 27 août suivant'. La Prusse, l'Autriche et quelques autres puissances conservaient leurs armées sur le pied de guerre, et formaient une imposante coalition. Coblentz fut choisi pour centre de ses opérations, et l'ex-ministre Calonne, le bras droit de Pitt, en fut le directeur.

[ocr errors]

Sans doute ces sourdes machinations, ces préparatifs de guerre étaient, pour la plupart, inconnus à Louis XVI, lorsque, dans son discours à l'Assemblée législative, il donnait à la France l'espoir

1

«

Si la terre, comme du temps de Coré et d'Abiron, eût » été destinée à punir les grands crimes, Pilnitz, dit un écri» `vain anglais, eût été engloutie au moment même, et des » milliers de veuves et d'orphelins n'auraient pas à gémir sur

[ocr errors]

leur infortune. (Crimes des cabinets, p. 3.)

que la paix ne serait point troublée; mais ses ministres devaient les connaître; ils devaient de plus savoir que les princes retirés à Coblentz venaient de publier une protestation contre l'acceptation de l'acte constitutionnel faite par Louis XVI. Dans cette protestation on lit que le roi était forcé lorsqu'il a accepté cette constitution, et quand même il eût été libre, il n'avait pas le droit de consentir au changement de l'ancien gouvernement.

Ces ministres devaient aussi savoir ce que savaient tous les habitans de la France, que, pour accroître les forces de la coalition, pour assurer ses succès, on avait appelé au-delà du Rhin tous les mécontens, tous les ennemis de la révolution, et que pendant les mois de septembre et d'octobre, sollicités par des émissaires, par des correspondances, et par l'espoir de recouvrer leurs titres et leurs priviléges, hommes, femmes, vieillards, enfans, abandonnèrent brusquement leur patrie, dans la persuasion de pouvoir, un mois après, y rentrer en vainqueurs des révolutionnaires. Cependant ceux-ci traitaient cette émigration d'évacuation salutaire et de transpiration naturelle de la terre de la liberté, etc.

Cet immense déplacement de Français intéressés à la contre-révolution, dont le nombre fut évalué à plus de deux cent mille individus, remplissait alors toutes les routes, toutes les auberges, faisait évidemment partie d'un vaste plan de d'un vaste plan de guerre dirigé contre les nouvelles institutions et ses partisans; et

le ministère français feignait de ne pas s'en aper

cevoir.

M. le marquis de Ferrières, sans connaître le principal et secret moteur de cette fuite volontaire, en parle néanmoins avec l'impartialité et la franchise qui caractérisent ses Mémoires : « Les >> chefs, dit-il, avaient conçu l'idée la plus folle; >> ils s'étaient imaginés qu'en faisant sortir du >> royaume toute la noblesse, ils pourraient, à l'aide » de cette noblesse, et avec le secours des puis» sances étrangères, rentrer les armes à la main, >> rétablir l'ancien ordre de choses, et recouvrer » les droits et les avantages que leur enlevait la >> nouvelle constitution.

>> On déclara donc aux nobles qu'il fallait émigrer >> et se rassembler sur les frontières ; qu'ils y trou>> veraient de nombreuses armées d'Autrichiens, » de Prussiens, de Russes, d'Espagnols, à la tête desquels ils reviendraient triomphans dans leur » patrie. Les nobles quittèrent en foule leurs châ>>teaux, abandonnant leurs femmes, leurs enfans, » leurs propriétés à la merci de leurs ennemis

[ocr errors]
[ocr errors]

n'emportant pas même leur argent, leurs bijoux, » leurs armes, la plupart avec un seul habit et » quelques chemises, croyant que cet exil volon» taire, qui devait durer pendant la vie de tous, » n'était qu'un voyage de plaisir de cinq à six se>> maines.

On a de la peine à concevoir comment la no» blesse put donner dans le piége grossier qu'on

[ocr errors]

>> lui tendait. L'étonnement cesse lorsqu'on vient » à réfléchir sur l'ignorance grossière des hommes >> et des choses où étaient plongés les chefs qui la >> conduisaient, sur leur folle confiance en eux» mêmes et dans les puissances étrangères.... On envoyait des quenouilles aux traîneurs; on les >> menaçait de tout le courroux de la noblesse vic>>torieuse : ceux qui s'obstineraient à rester se» raient dégradés, relégués parmi la bourgeoisie >> tandis que les nobles émigrés posséderaient les places, les honneurs, les dignités. On insinuait aux bourgeois que c'était un moyen assuré d'acquérir la noblesse 2.

[ocr errors]
[ocr errors]

1

[ocr errors]

Plusieurs bourgeois, imbécilles admirateurs des titres, jaloux de s'associer à la gloire des nobles émigrés, coururent au-delà du Rhin pour les servir, et furent réduits à supporter leur mauvaise fortune, leur hauteur et leur mépris.

[ocr errors]

Les officiers des armées, à la même époque,

1 On leur adressait aussi une circulaire dont voici la teneur: « M...., il vous est enjoint, de la part de MONSIEUR, régent du royaume, de vous rendre à. pour le 30 de ce >> mois. Si vous n'avez pas les fonds nécessaires pour entreprendre ce voyage, vous vous présenterez chez M....... qui vous délivrera cent livres. Je dois vous prévenir que si Vous n'êtes pas rendu à l'endroit indiqué à l'époque susdite, vous serez déchu de tous les priviléges que la noblesse française

»

[ocr errors]

>>

>>

[ocr errors][merged small]

2 Mémoires du marquis de Ferrières, t. III, p. 18, 19. (Col. B. F.)

[ocr errors]

que

furent aussi entraînés par le torrent de l'émigration. Dans la séance du 16 octobre le ministre de la guerre vint annoncer à l'Assemblée législative trois mille huit cent soixante-quatre officiers, de différentes armes, avaient déjà déserté leurs postes, pour se retirer au-delà du Rhin. Quelquesuns emportèrent la caisse de leur régiment, et plusieurs trouvèrent, dit-on, dans l'émigration un moyen de se soustraire aux poursuites de leurs créanciers.

[ocr errors]

<< Les constitutionnels, dit M. le marquis de Fer» rières, désiraient la rentrée des princes et des émigrés; ils engagèrent Louis XVI à faire des » démarches auprès de ses frères '. » Le roi fit, en conséquence, une proclamation, datée du 14 juillet 1791, où, pour les engager à rentrer en France, il fait valoir plusieurs considérations puissantes. Français, qui avez abandonné votre patrie, leur >> dit-il, revenez dans son sein: c'est-là qu'est le » poste d'honneur, parce qu'il n'y a de véritable » honneur qu'à servir son pays, qu'à défendre ses » lois. Venez leur donner l'appui que tous les bons >> citoyens leur doivent ; elles vous rendront à leur >> tour ce calme, ce bonheur que vous chercheriez » en vain sur une terre étrangère. Revenez donc. >>

[ocr errors]

Dans les séances des 15 et 16 octobre, où l'on dénonça l'émigration, on dénonça de plus le transport de plusieurs équipages et de caisses remplies

1 Mémoires du marquis de Ferrières, t. III, p. 19. (Col. B. F.)

« PreviousContinue »