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mité des inspecteurs de la salle, eût pu se faire entendre; mais on ne lui permit pas de parler; pendant près d'une heure, les clameurs de la montagne et des tribunes lui fermèrent la bouche.

Pétion ayant voulu exposer les faits que Gamon n'avait pu faire connaître, éprouva le même sort.

Dès-lors les députés, placés à la montagne, et les habitués des tribunes adoptèrent ce système nouveau: pour paraître avoir raison, ils empêchérent leurs adversaires de parler. Le tumulte et les clameurs de la minorité l'emportèrent sur la raison et sur la force numérique de la majorité.

Quelques députés, ainsi que le ministre de la guerre, soit en entrant, soit en sortant, furent insultés à la porte du lieu des séances par une cinquantaine d'hommes de mauvaise mine. Marat, en quittant la séance, fut bien différemment traité ces hommes; ils le complimentèrent, et l'accompagnèrent honorablement jusqu'à sa porte.

par

Sur les onze heures du soir, une troupe d'hommes armés, dont quelques-uns étaient couverts d'habits militaires, se présentent, rue Tiquetonne, chez le député Gorsas, rédacteur d'un ouvrage périodique intitulé Courrier des quatre-vingt-trois départemens. Ils enfoncent les portes, vont à son imprimerie, et en brisent les casses et les presses. Gorsas, armé d'un pistolet, se fait jour à travers ces brigands, franchit un mur de jardin, passe dans une maison voisine, se rend à sa section, et sauve ainsi sa vie menacée. Après cet exploit, ces furieux

se transportent dans la rue Serpente, placent des sentinelles aux extrémités de cette rue, arrivent à l'hôtel où logeait M. Garnery, libraire, chez lequel on s'abonnait pour le journal dit la Chronique de Paris; ne trouvent que la jeune sœur de ce libraire, lui mettent le pistolet sur la gorge en lui disant: Si tu cries, tu es morte; descendent à l'imprimerie de M. Fievée, établie dans la même maison, en brisent les presses et les casses; puis, poursuivant leur expédition littéraire, ils vont rue Guénégaud chez un autre journaliste, y commettent les mêmes excès, et blessent dangereusement deux femmes qu'ils trouvent dans sa maison.

Dans la séance du matin, Duhem avait déclamé contre les journaux et les journalistes qui ne partageaient pas les opinions de Robespierre ni celles de Marat.

Ce fut à cette occasion que, dans la nuit du 9 au 10 mars, pendant la séance permanente, la Convention nationale décréta que les députés qui rédigeaient des journaux seraient tenus d'opter entre l'état de journaliste et la fonction de représentant du peuple. Marat se crut au-dessus du décret, et n'y obéit point.

Dans la même nuit aussi, une soixantaine d'individus vinrent demander à la commune que les 'barrières de Paris fussent fermées, que le tocsin se fit entendre, qu'on tirât le canon d'alarme, et que cette capitale fût déclarée en état d'insurrection. La

commune se refusa à ces demandes, et envoya des forces pour protéger le libre passage aux barrières.

Les auteurs et acteurs de ces mouvemens partirent des Jacobins et des Cordeliers. C'est dans le sein de ces sociétés que fut conçu un plan dont je vais exposer les principales parties.

Les ministres, que les attroupemens extraordinaires et menaçans avaient rassemblés dans la soirée du 9 au 10, apprirent les détails de ce plan: « Lorsque des troupes ont défilé dans la salle des >> jacobins, dit l'un d'eux, du milieu de la file, >> un homme s'est détaché, est monté à la tribune, » et dans un langage plein de fureur, et avec » l'accent d'un Africain ou d'un Bergamasque, il >> a fait des propositions atroces; il a proposé de >> diviser la troupe qui défilait en deux parties, » dont l'une irait à la Convention venger le peuple,

en punissant de mort ses mandataires infidèles, » et l'autre au conseil exécutif, pour égorger » tous les ministres, faire maison nette. Des

Un député, sortant de la Convention, et traversant le jardin des Tuileries, rencontra l'attroupement qui se rendait vers cette assemblée. A la faveur de la nuit, il se mêla parmi les attroupés et les suivit dans leur marche; il entendit leurs propos il s'agissait de massacrer une partie des députés. Un homme, qui paraissait le chef de la troupe, dit alors: Oh oui, une partie? Quand nous en serons là il faudra faire maison nette, n'en épargner aucun; tous ces gens là font les malheurs de la France. (Tableau de la conduite politique d'un représentant du peuple, p. 36. )

» applaudissemens s'élevaient déjà; des sabres >> s'agitaient en l'air pour donner des suffrages » homicides à ces exécrables motions, lorsqu'un » membre de la société a changé la motion de » tuer les députés et les ministres en celle de les >> arrêter et de les emprisonner. A l'instant où >> cette seconde proposition allait être mise aux >> voix, Dubois de Crancé était arrivé aux Jacobins, >> et s'élevant contre les deux motions avec l'hor>> reur et l'effroi que toutes les deux devaient ex» citer, les avait fait rejeter par ceux-là même qui venaient de les applaudir: cependant plu>> sieurs de ces furieux étaient sortis sans déposer >> leur fureur: on avait lieu de craindre qu'ils ne >> l'eussent portée ailleurs '. »

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Kervelegan, député du Finistère, avec un bataillon de cinq cents Bretons qui se trouvait à Paris, marcha au secours de la Convention. Le ministre Beurnonville, indigné de l'offre de quinze cent mille livres qu'on lui avait faite pour soutenir la faction, prit des mesures pour résister aux conspirateurs qui furent, par ces deux moyens, effrayés et dissipés.

Cette conspiration exhalée en bruit, en menaces, et en tentatives vaines, si ce n'est les dégâts dans quelques imprimeries, s'évanouit. La commune s'attribua l'honneur d'avoir sauvé la Convention, et

1 Mémoires sur la révolution, par D. J. Garat, p. 29.
Mémoires de Meillan, p. 25, 27.

Danton proposaune réconciliation entre les membres des deux partis qui divisaient cette assemblée; en conséquence, une réunion se tint au comité de défense générale; on s'expliqua; mais on ne se réconcilia point: c'était impossible.

Le noyau de cette conspiration consistait en sept à huit étrangers, quelques Français diffamés, et quelques députés de la Montagne qui formaient le comité central d'insurrection.

Un des membres de ce comité, Fournier, l'Américain, avoua, dans la séance du 13 mars, que plusieurs agens de l'Angleterre faisaient les patriotes pour être admis aux jacobins; que Desfieux, Lajowski', étaient membres de ce comité; que les sociétés populaires, les assemblées de sections se remplissaient d'étrangers qui, par de faux exposés, entraînaient les membres à prendre des arrêtés, à faire des pétitions, des adresses conformes à leurs desseins, lesquels la masse des citoyens, en l'absence de ces boute-feux, ne manquaient pas de désavouer et de rapporter. On en vit plusieurs exemples.

En même temps, dans plusieurs villes de France, des troubles semblables éclatèrent leur but évit: dent était de contrarier la levée de trois cent

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Lajowski, Polonais, homme très-violent et dont les opinions étaient fort exagérées, mourut le 24 avril suivant. On lui fit de magnifiques obsèques et on sollicita pour lui les honneurs du Panthéon.

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